Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°16, 27 avril 2009  >  Souveraineté alimentaire et politique agricole raisonnable [Imprimer]

Souveraineté alimentaire et politique agricole raisonnable

Une initiative de citoyens et une manifestation au sujet du «Plan Wahlen» et du Rapport sur l’agriculture mondiale

par Urs Knoblauch, Fruthwilen TG

La souveraineté alimentaire est un thème qui préoccupe de plus en plus aussi les gens en Suisse, ce que prouve le grand intérêt à la réunion «Soirée documentaire et discussion – Friedrich Traugott Wahlen et le plan d’extension des cultures pendant la Seconde Guerre mondiale». Plus de 150 citoyens et agriculteurs intéressés de la région se sont rassemblés au centre paroissial Eichmatt à Goldau dans le canton de Schwyz. La soirée a été organisée par un ancien paysan et citoyen engagé de la région. Il a connu Friedrich Traugott Wahlen personnellement lors d’un congrès de la Journée mondiale de l’alimentation de la FAO en 1974 à La Haye et il a voulu profiter de cette chance pour attirer, avec le nouveau documentaire sur le Plan Wahlen, l’attention des gens sur le thème de l’autosuffisance. (cf. Horizons et débats no 43 du 27/10/08). Non pas seulement la situation de l’agriculture en Suisse devait être discutée mais aussi l’insécurité alimentaire mondiale et la faim comme conséquence d’une mondialisation débridée et d’une politique du marché libre.

F. T. Wahlen, un semeur pour la souveraineté alimentaire, l’éthique et la démocratie

Dans la première partie, Ernst Wüthrich, président de l’«Association pour la sauvegarde de la mémoire du conseiller fédéral Friedrich Traugott Wahlen» a attiré dans une introduction l’attention sur l’actualité de l’œuvre de F. T. Wahlen et sur le besoin urgent de fortifier la paysannerie pour maîtriser l’avenir. Le contenu de ce film émouvant a déjà été présenté dans Horizons et débats no 43. Il ne nous reste qu’à ajouter quelques réflexions. F. T. Wahlen, le directeur de cette œuvre de culture a compris, tout comme le général Henri Guisan, qu’à côté de la défense militaire du pays, la solidarité et la volonté de résistance de toute la population représentait la meilleure défense contre le danger. Tous, y compris les artistes, ont mis leurs capacités au service de ces points communs et de la «défense morale du pays». La Suisse courait le danger de souffrir de la faim. Les troubles de la guerre ont empêché l’importation en Suisse de produits alimentaires nécessaires à la survie. Pour Wahlen, comme expert en agriculture, il était évident que c’était uniquement la sécurité alimentaire procurée par le sol du pays qui pouvait empêcher ce danger de famine. Il a organisé la bonne coopération, indispensable en temps de crise, entre la politique, la population, les administrations et les autorités et il a posé ainsi la première pierre pour la réalisation du plan de culture. De nombreux lopins de terre ont été utilisés ou transformés pour la culture de la pomme de terre et de légumes. Et cela dans une période de pénurie de produits alimentaires, et pendant que les hommes étaient au service actif avec les chevaux, et que les fermes devaient être exploitées par les mères, les épouses, les enfants et les grands-parents. La Suisse était le seul pays en Europe qui n’a jamais dû rationner les pommes de terre, les légumes et les fruits en ces temps difficiles.

De l’espace pour des exploitations agricoles familiales

Le documentaire a profondément impressionné les spectateurs et il a en même temps créé un pont vers le présent. Nous nous trouvons, vu la multitude des actions de guerre et la situation partiellement précaire du ravitaillement en produits alimentaires actuelles, devant des défis comparables.
Les gouvernements se voient contraints, sous la pression de libéralisation de l’OMC, de livrer l’agriculture au marché libre. Sous le diktat de la «capacité de concurrence absolue sur le marché mondial» les agriculteurs doivent augmenter leur productivité ou bien ils sont les perdants dans cette concurrence. En vue de ces problèmes mondiaux, Reinhard Koradi a exigé dans la deuxième partie de la soirée un changement de cap dans la politique de l’agriculture. Il s’est référé entre autre au Rapport sur l’agriculture mondiale (cf. Horizons et débats no 44 du 3/11/08). Ce rapport démontre sans équivoque que le problème de la faim ne peut être résolu ni par la chimie ni par des semences génétiquement modifiées ni par une agriculture orientée vers l’exportation. Le fait est que les théories économiques en vigueur n’ont pas pu vaincre la faim. «Les pays les plus pauvres et les gens les plus pauvres dans les campagnes sont les perdants de la mondialisation et de la libéralisation du marché agricole», c’est une phrase-clé du Rapport sur l’agriculture 2008. Pour cette raison, les paysans dans les pays en voie de développement doivent avoir libre accès à la terre, à l’eau et aux semences, ainsi qu’aux possibilités de commercialisation, à des prix pour leurs produits sur les marchés locaux qui leur assure l’existence. C’est seulement de cette manière que l’exode rural et la misère peuvent être arrêtés. «Des structures de petits paysans sont les meilleures conditions préalables pour la sécurité alimentaire locale et la base d’une souveraineté alimentaire régionale et nationale.»
Sur la base de la situation précaire du ravitaillement en produits alimentaires les auteurs du Rapport sur l’agriculture mon­diale demandent une correction radicale de la politique agricole actuelle. Celle-ci serait essentiellement co-responsable que les hommes souffrent de la faim, que les ressources naturelles sont gaspillées aux dépens des plus pauvres et des générations à venir, et que l’autosuffisance est négligée à l’échelle mondiale. L’agriculture industrielle orientée vers la croissance a dépassé son zénith car elle met en danger l’économie durable, mine la sécurité du ravitaillement (quantité et qualité) et détruit les struc­tures de production efficaces des petits espaces. Les «règles de l’OMC»: Elimination de tous les ob­stacles au commerce, dérégulation, privatisation et commercialisation de tous les services publics ainsi que le principe d’ordre du marché libre ont donné un résultat catastrophique. La monopolisation du marché et le déplacement de production ont conduit d’un côté à un risque élevé de concentration à effet domino, comme nous le vivons ces jours-ci à travers la crise financière et économique.
On propose donc de rendre à tous les peuples le droit de décider eux-mêmes de leur politique agricole et de l’alimentation de façon démocratique. Avec des structures de production et d’approvisionnement de petits espaces sur la base des exploitations pay­sannes familiales, l’autosuffisance sera assurée, et la dépendance de l’étranger dans l’approvisionnement alimentaire devra être éliminée le plus possible. Tous les êtres humains devraient avoir à tout moment accès à une nourriture suffisante, sûre et riche en substances nutritives pour satisfaire leurs besoins pour une vie active et saine.
L’intervenant est persuadé que ces revendications sont valables pour tous les pays – également pour les pays industrialisés, donc aussi pour la Suisse. Si l’on réussit à ancrer l’autosuffisance à l’échelle régionale dans le monde entier – entre autre avec l’entraide mutuelle – la faim et la pauvreté, et avec la plus grande probabilité aussi la destruction irresponsable des ressources naturelles, pourront être surmontées.
Nous devons comprendre à nouveau qu’une économie nationale saine produit des biens et crée des valeurs. Et pour cela il faut en premier lieu une paysannerie saine – une agriculture basée sur des moyens d’existence sûrs, l’activité artisanale et la production industrielle. L’idée de construire une économie nationale uniquement sur le domaine des services et de déplacer la production dans des pays à bas salaires s’est avérée erronée. Chaque pays doit reprendre le droit à l’autodétermination en ce qui concerne l’aménagement de son économie nationale. Le début est la mise en place de la souveraineté alimentaire. Pour notre pays cela signifie:

Revaloriser consciemment les paysans

Ce sont surtout les petites et les moyennes exploitations qui ont besoin d’être encouragées. Il faut apporter le plus grand soin au maintien et au développement des étapes d’avant et d’après. La culture paysanne avec ses valeurs doit de nouveau être respectée dans notre société et les paysans doivent recevoir des prix justes pour leurs produits, axés sur leur rendement et assurant leur existence. Le degré de l’autosuffisance doit être augmenté de façon ciblée avec des égards pour les res­sources naturelles existantes, et la dépendance de l’importation doit être réduite. A la place de la concentration il faut encourager une multitude de produits. La recherche et la science doivent être orientées vers le but de réaliser dans notre pays un degré élevé de sécurité alimentaire par nos propres forces. Les paysans et les consommateurs peuvent se réunir dans l’alliance «souveraineté alimentaire» et donner une réponse négative claire au libre-échange agricole. Concrètement cela signifie dans un premier pas de renoncer à l’accord avec l’OMC et de retirer le dossier «Libre-échange agricole avec l’UE» déposé à Bruxelles. Il faut aussi donner beaucoup de soin au dossier de l’aménagement du territoire. La population suisse ne doit pas permettre que de plus en plus de terre cultivable précieuse soit vouée à des déserts de béton et à des «oasis de wellness».
La souveraineté alimentaire commence par une pratique soigneuse en ce qui concerne les ressources naturelles humaines et des exploitations et demande l’engagement de tous pour une paysannerie saine.
Les explications honnêtes et claires de l’intervenant ont rencontré l’attention et l’approbation des personnes présentes. La mise en question du libre-échange agricole avec ses conséquences négatives pour l’agriculture indigène était une lueur d’espoir pour beaucoup d’entre eux – enfin nous pouvons respirer, a dit l’un des participants à la discussion. Plusieurs intervenants se sont référés à l’énorme bureaucratisation, aux innombrables prescriptions et réglementations souvent insensées (le plus souvent venant de l’UE) qui rendent encore plus difficile le travail des paysans.
Spécialement réjouissant était le fait que beaucoup de familles avec des enfants et des adolescents ont suivi jusque tard dans la soirée le documentaire, les conférences et la discussion animée avec beaucoup d’intérêt. La manifestation a permis une discussion encourageante et clarifiante qui devrait être ­imitée.
C’est justement à la jeune génération qu’on devrait faire connaître le travail et l’éthique de ce grand conseiller fédéral, spécialiste de l’agriculture et professeur de l’EPFZ, F. T. Wahlen (1899–1985). Les enfants et les adolescents devraient être amenés avec soin et amour à planter eux-mêmes des pommes de terre et des légumes. Un grand pot à fleur suffit déjà. De même faudra-t-il intégrer une nouvelle forme du «service agricole» qui a fait ses preuves dans chaque concept moderne de formation. Avec cela le devoir éthique, de vraies relations humaines et le respect de la nature et de la vie peuvent être développés et renforcés. Ainsi, chacun peut, dans son domaine, être un semeur pour l’éthique, la souveraineté alimentaire et une politique agricole raisonnable.    •