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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°36, 12 septembre 2011  >  L’école et l’EPFZ lui ont donné les bases nécessaires [Imprimer]

L’école et l’EPFZ lui ont donné les bases nécessaires

Un Suisse en Ethiopie: Le ministre d’Etat, l’ingénieur Alfred Ilg (1854-1916)

par Heribert Küng

Itinéraire

Les débuts étaient peu prometteurs: enfant naturel de Magdalena Ilg, il a grandi dans la maison «Zum Hirschen» à Frauenfeld, dans des conditions financières modestes. Le garçon vif d’esprit s’intéressait à tout ce qui avait trait à la technique. Il a attiré l’attention de ses enseignants déjà à l’école obligatoire, par son don pour les langues (français, italien et bientôt l’anglais, ce qui n’était pas du tout courant à l’époque) ainsi que par sa musicalité. On ne s’étonne pas qu’il ait terminé avec brio l’école cantonale, fondée dans l’année de sa naissance.
Sa formation de technicien à l’école polytechnique, fondée seulement en 1853, l’EPFZ actuelle, semblait être toute tracée. C’est surtout le chemin de fer de Winterthur à Romanshorn, inauguré en 1855, qui a fasciné le garçon à ce point que, pendant son temps libre, il entreprenait des excursions le long du tracé et dans la gare. L’adolescent de Frauenfeld ne pouvait pas encore savoir que la construction du chemin de fer dans la lointaine Ethiopie (construit en 1894–1917) ne causerait à Alfred Ilg pas seulement de la joie mais aussi des soucis, avant tout avec la France (et son associé pas toujours fiable, Chefneux) et cela bien au-delà de sa retraite.
Lorsque son beau-père, le lieutenant-colonel Neuweiler est décédé, sa famille – Alfred Ilg avait maintenant aussi deux demi-sœurs – s’est retrouvée presque sans moyens. Il fallait donc que le jeune lycéen fasse d’abord un apprentissage de deux ans dans les ateliers mécaniques des Frères Osterwalder à Frauenfeld. En 1873, il a réussi son admission à l’école polytechnique, à la section de construction mécanique. Pour payer les frais d’inscription à l’université et subvenir à ses besoins, il a donné des cours particuliers et a reçu une bourse grâce à l’intervention du président du Conseil de l’école et conseiller aux Etats, Kappeler, qui a aidé à boucher les trous financiers. Kappeler était comme lui originaire de Frauenfeld. Malgré tout, Ilg a réussi à faire parvenir de l’argent à sa mère aussi souvent que possible.
En 1878, il a terminé ses études dans cette école polytechnique comme un des premiers Thurgoviens, et il a tout de suite trouvé un emploi comme directeur technique dans l’entreprise Marquart à Berne dont le propriétaire l’avait prévu comme successeur.

Afrique de l’Est

«Son projet favori, cependant, était de rompre avec les conditions un peu étroites de son pays et d’accomplir quelque chose de grand dans un pays étranger». (Keller, Ilg) Juste à ce moment-là, le roi éthiopien du Choa, Ménélik II de la vieille dynastie des Salomonides, cherchait un bon ingénieur européen. Celui-ci devrait corriger le retard technique de ce pays encore moyenâgeux, pour diminuer ainsi le désavantage par rapport aux puissances coloniales européennes, mais il ne pouvait pas venir d’un pays qui s’était déjà incrusté en Afrique comme puissance coloniale, ou était en train de le faire. On ne pouvait pas s’étonner du comportement de Ménélik, ce prince territorial connaissait la cupidité des Européens et il était très conscient de l’importance des sources du Nil Bleu dans le Lac Tana, dans le nord du pays. Il a chargé la société suisse Escher et Furrer à Aden dans le Yémen d’engager un candidat convenable. Le président du Conseil d’école de l’école polytechnique a recommandé Ilg, qui a rencontré Furrer en Suisse, et il a accepté le poste. Cela avait certainement aussi un rapport avec le fait que les Etats européens – Ilg en était bien conscient en tant que contemporain à la pensée analytique – se livraient un combat de plus en plus acharné pour les dernières taches blanches d’Afrique.
En 1869, le Canal du Suez avait été inauguré, planifié par l’ingénieur Alois Negrelli, qui avait d’ailleurs aussi construit le pont sur la Murg, menant du centre vers l’ouest de Frauenfeld. Ce sont surtout les nouveaux Etats de l’Europe, la Belgique, l’Italie et l’Allemagne, qui cherchaient à s’approprier une part du gâteau impérial, une «place au soleil», ce qui a réussi avec le Congo, l’Erythrée et la Somalie, ainsi qu’avec la Tanzanie; les Français (Djibouti), les Britanniques (Egypte, Soudan, Somalie britannique et Kenya) étaient déjà présents. Il n’y avait en Afrique, après 1885, plus que deux Etats indépendants: le Libéria (appelé «Firestone Country» à cause de sa production de caoutchouc et la protection des USA) sur la côte atlantique ainsi que l’Ethiopie à la «Corne» du continent, menacée dans son existence de façon permanente malgré son orientation chrétienne. Le numéro d’équilibre pour le maintien de l’indépendance liera pour le quart de siècle à venir Ménélik II et Ilg d’une façon qui sera unique entre un Ethiopien et un Suisse.

Voyage

L’Ethiopie n’était pas précisément le pays préféré d’émigration des Suisses. Cependant, il y en avait quelques-uns: le missionnaire Waldmeyer, le commerçant Hess, l’horloger Evalet, le peintre Potter ou l’ethnologue Montandon; mais tous sont seulement partis après qu’Alfred Ilg s’était installé dans le pays. Le jeune ingénieur s’est préparé sérieusement pour son aventure. Il s’est procuré des connaissances en topographie, a fait un cours de premiers secours et il a trouvé des collaborateurs. Des outils, des machines et ses biens personnels ont été soigneusement  choisis et emballés.
En mai 1878, le voyage en train l’a mené jusqu’à Marseille, en bateau à vapeur à Port Saïd et par le Canal jusqu’à Aden, ensuite à Zeilah avec une barque à voile. Pendant quatre mois, les autorités égyptiennes de l’époque, ont fait attendre le groupe jusqu’à ce qu’au bout de quarante-cinq jours, la caravane de chameaux arrive à Ankober et reçoive du pain, du miel, des bananes et de la talla (bière). Le 1er janvier 1891, les émigrants étaient arrivés dans le chef-lieu de Choa, un mois plus tard, des cavaliers les ont amenés à Lidche pour l’audience du roi. «(Il) était assis sous un baldaquin sur une ottomane, vêtu comme tout Abyssin d’un pantalon bouffant […]. Dans les cheveux, il portait une aiguille en or représentant une couronne de la grandeur d’une noix […].» (Keller, Ilg) Un premier contact est limité à des gestes, seuls les fusils d’Ilg ont rencontré l’approbation du roi et il a exigé qu’on les lui donne. Cela n’a pas tellement plu à son nouveau conseiller. Mais Ilg a compris une chose: Ménélik ne parlait que l’amharique, donc Ilg a dû apprendre cette langue autochtone du pays. Comme il n’y avait ni enseignant ni grammaire ni dictionnaire, l’immigrant a comparé la Bible présente avec l’édition allemande et c’est ainsi qu’il s’est approprié cet idiome en quelque mois en paroles et écriture. Cela l’a rendu capable, en 1893, de découvrir les pièges du traité de Wichdale entre l’Ethiopie et l’Italie. Dans la version amharique, il était écrit que le pays pourrait demander l’aide de Rome pour des contacts diplomatiques; la version italienne, par contre, disait que le pays y était obligé. Ilg  a attiré l’attention de l’empereur (depuis 1889) sur ce point. Ménélik a annulé l’accord sans délai, a immédiatement remboursé le crédit et a renvoyé l’ambassadeur Antonelli. L’intention italienne de créer un protectorat sur le pays avait échoué.

Homme à tout faire

Ménélik était d’avis qu’un ingénieur devait tout savoir faire: produire des chaussures, un échiquier, des cartouches, construire des ponts, assurer l’approvisionnement en eau. Introduire le téléphone et le télégraphe, installer l’éclairage électrique, frapper de la monnaie, fonder la poste et finalement aussi le chemin de fer. A part ça, la planification et la construction de la nouvelle métropole d’Addis Abeba («la nouvelle fleur») ont avancé de façon tumultueuse sous sa direction.
L’empereur était aussi négociant en gros et Ilg, sur ses ordres, achetait et vendait toutes sortes de choses: des outils, des machines, des armes, des casseroles, des peaux, de l’ivoire ou de l’or. Cela nécessitait de nombreux voyages en Suisse. La cour, d’abord à Ankober, puis sur l’Entotto et finalement à Addis, s’agrandissait continuellement, de même le territoire du pays.
A partir de 1890 ont été ajoutés au territoire initial entre Adua et Addis encore Wollega et Harar, jusqu’en 1895, Arussi, jusqu’en 1909, Ogaden, Borena et Kaffa et finalement encore Afar, dans l’est. Finalement les frontières, valables jusqu’à présent, étaient atteintes. (Biasio, Prunk). Ilg avait conseillé à l’empereur, souvent hésitant, d’occuper toutes les régions alentour qui n’étaient pas déjà réclamées par les puissances coloniales.

Ministre d’Etat

En 1889, l’empereur Yohannes IV était tombé à la bataille, victorieuse pour l’Ethiopie, contre le Mahdi du Soudan. Cela l’avait empêché de reconquérir l’Erythrée sur les Italiens envahisseurs. Ménélik a été couronné «Nagusa Nagast», le roi des rois. En même temps, une épizootie dévastatrice s’est déclarée et a causé une famine, ce qui a forcé le nouveau souverain à accepter le traité de Wichdale qui n’était pas seulement un traité d’amitié avec l’Italie, mais en premier lieu un accord de crédit. De cette manière, les ambitions des puissances coloniales se sont renforcées par rapport à la faiblesse de l’empire. L’Italie avait l’intention, sans vergogne, de relier l’Erythrée et la Somalie, ce qui n’aurait été possible qu’aux dépens de l’Ethiopie. En 1896, ça a commencé: le 1er mars, un corps expéditionnaire a attaqué le pays sans déclaration de guerre et a subi une défaite écrasante près d’Adua, la seule défaite jamais subie par une puissance coloniale.
Depuis des années, Ilg avait attiré l’attention de l’empereur sur ce danger. Il avait proposé une nouvelle organisation de l’armée et avait fait venir de façon prévoyante des milliers de carabines Vetterli dans le pays, bien sûr de façon illégale. Cet événement a fait sensation: un «prince nègre» avait anéanti l’armée d’un pays «civilisé». Maintenant, l’Europe  comprenait pourquoi le souverain portait le «Moa Anbessa», le Lion de Judée dans ses armoiries.
Déjà en 1894, on avait confié à Ilg l’inspectorat des bâtiments et travaux publics, y compris les chemins de fer. Ménélik se faisait accompagner par Ilg comme «médecin-chef de campagne» lors de ses guerres de conquête et il lui a donné l’ordre de faire de la propagande en faveur de son pays lors de ses voyages en Suisse – Ilg est devenu ainsi le premier pionnier de la photo. En plus de ses tâches d’architecte, d’ingénieur, de commerçant, de secrétaire de l’empereur et de gentilhomme campagnard. En lieu et place d’un salaire on lui donna un domaine avec environ mille paysans. Il était bien vu parmi les Grands de l’empire, d’autant plus qu’il était d’un caractère droit.
Malgré tout, la carrière de ce Suisse de l’étranger aurait atteint ainsi son point culminant, s’il n’y avait pas eu le traité de Wichdale et Adua. En 1896, il a emmené sa femme Fanny, née Gattiker, qui ne lui a pas seulement donné trois fils et une fille, mais qui était aussi une conseillère attentive. Le 27 mars 1897, en reconnaissance de ses mérites, il a été nommé «Excellence», plus tard aussi «Betweded», l’Admiré, comme unique Européen dans cette monarchie de l’Est de l’Afrique. La renommée d’Ilg, encore des années après son départ, a été attestée par le Suisse Montandon. A la question de savoir d’où il venait, posée par un chef des Galla, ce dernier a dit: «Ah, comme monsieur Ilg.» (Keller,Ilg)

Politique extérieure

Après 1896, le pays devait de plus en plus se soucier de sa politique extérieure. «Ménélik devait évoluer sur un parquet (diplomatique) qui ne lui était pas familier et sur lequel il n’avait pas autant d’assurance.» (Keller, Ilg). Mais il ne pouvait pas éviter les relations avec les puissances étrangères, si le pays ne voulait pas finalement devenir la dernière colonie du continent. Le Conseiller d’Etat apparaissait, comme l’ambassadeur spécial britannique Count Gleichen l’a noté, «… coiffé d’un bicorne, en habit et avec les décorations, une vraie surprise pour chaque nouvel arrivant. L’apparence d’Ilg était sans doute l’expression d’une profonde conviction qui ne supportait pas des choses faites à moitié; une adaptation aux mœurs pittoresques éthiopiennes lui semblait dans le meilleur des cas sensé du point de vue tactique.» (Loepfe, Ilg)
Après 1896, l’Europe avait établi des ambassades permanentes: l’une après l’autre, l’Italie, la France, la Grande-Bretagne, la Russie, l’Allemagne et parfois même les Etats-Unis ouvraient des représentations permanentes à Addis Abeba, ville qui est aujourd’hui le siège de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). S’y ajoutaient de nombreuses missions spéciales comme par exemple une mission française avec le Comte Guibourgère autour de 1900, une autrichienne avec l’amiral Höhnel en 1905 et dans la même année une mission allemande avec le ministre Rosen, ensuite en 1898 encore une française avec le Capitaine Marchand. La préservation de l’indépendance de l’Ethiopie s’est avérée, pour l’empereur et son seul ministre, comme un exercice permanent sur la corde raide. Ce n’était pas seulement sans arrêt des expéditions, mais aussi des délégations et des ambassadeurs temporaires qui se présentaient pour la plupart avec des intentions et des requêtes plus que douteuses. Tout ce monde devait passer par le chef du protocole Alfred Ilg – il faudrait ajouter: heureusement.
L’Italie avait obtenu en 1896 une paix clémente, négociée par Alfred Ilg: paiement d’une indemnité de guerre modeste, abandon des modifications de frontières avec l’Erythrée et libération sans condition de tous les prisonniers. L’agresseur n’a cependant jamais surmonté cette défaite. Cela s’est  montré encore lors de l’agression d’un membre de la Société des Nations par un autre, Mussolini, en 1935/36. Les querelles frontalières entre l’Ethiopie et l’Erythrée n’ont pas pu être réglées jusqu’à nos jours. Le Soudan et l’Egypte comme anciennes colonies britanniques formulent encore aujourd’hui des prétentions sur la plus grande partie de l’eau du Nil, bien que le traité entre la Grande-Bretagne et l’Ethiopie sur cette eau ait été conclu de force au XIXe siècle. En 1898, une guerre coloniale a failli éclater entre la France et la Grande-Bretagne, lorsque leurs troupes se sont affrontées, prêtes au combat, à Fachoda, dans le sud du Soudan. Avec la devise des puissants, «de Dakar à Djibouti» et «du Cap jusqu’au Caire», ils avaient pour ainsi dire provoqué ce conflit.
Ilg a fait la seule chose possible lors de ce conflit: il a étroitement relié sa politique étrangère à  celle de la France, le plus petit des voisins coloniaux dans la Corne de l’Afrique. C’était aussi la France qui détenait la société des chemins de fer. Mais l’accord tripartite de l’année 1906 entre la Grande-Bretagne, la France et l’Italie (qui devait jouer un grand rôle lors de la guerre d’Abyssinie en 1935/36) a aussi détruit cette marge de manœuvre. Le territoire de l’Ethiopie était trop intéressant pour les puissances coloniales européennes.

Résignation

«Dans les activités d’Ilg comme ministre à tout faire, des faiblesses se sont manifestées dès le début. D’abord ce super-ministère sans compétences clairement définies […] a entraîné un gros volume de travail. Ensuite il y avait le comportement parfois indécis de l’autocrate Ménélik et les intrigues incessantes des diplomates rivalisant entre eux.» (Küng/Ilg)
Les points importants de l’activité d’Ilg comme ministre d’Etat pendant une décennie concernaient d’abord la sauvegarde de l’indépendance, ensuite l’agrandissement et la consolidation du nouvel empire et finalement l’aménagement de l’économie nationale (économie de l’eau, économie de l’agriculture et des forêts – plus que 5% de la surface sont aujourd’hui boisés).
L’empereur vieillissant et gravement malade devenait de plus en plus un partenaire difficile dans des négociations. Au plus tard dès 1903, Ilg a dû se rendre compte que des changements survenaient dans la personnalité du monarque. Sa force intellectuelle faiblissait, lors de négociations importantes il se montrait fatigué et déconcentré. Et pourtant il était toujours l’interlocuteur le plus important pour Ilg. Des princes comme Gobena, Makonnen ou Wolde avaient toujours joué un rôle de moindre importance pour les décisions importantes du pays. En mars 1906, le ministre d’Etat a fait le voyage vers la Suisse en compagnie de toute sa famille, avec la décision ferme de retourner tout au plus encore pour deux ans en Afrique de l’Est. En février 1907, l’empereur a télégraphié à Ilg qu’il devait venir tout de suite en raison d’ambiguïtés dans les affaires du chemin de fer. Mais en même temps, il a confisqué son domaine, sur les conseils du chargé d’affaires britannique. «Là où Ilg avait  semé, la diplomatie européenne (qui se considérait comme une diplomatie secrète) cherchait à récolter.» (NZZ du 16/1/1916, nécrologie d’Ilg)
Ilg a tiré ses conséquences, il a démissionné officiellement le 5 octobre 1907 et ne s’est plus laissé persuader par la prière renouvelée de l’empereur, bien qu’il ait été prévu comme son représentant en Europe.
A la place du super-ministre Alfred Ilg, Ménélik II a nommé un cabinet de neuf ministres, issus ni du clan de l’empereur, ni ayant l’expérience du gouvernement. Ilg était désillusionné et lorsqu’en 1913 l’empereur est mort, Ilg est tombé malade d’une maladie cardiaque à laquelle il a succombé le 7 janvier 1916. Il n’a plus visité le pays qui avait été le théâtre de ses activités pendant des décennies.

Hommage

Sans doute Alfred Ilg a été au tournant du XIXe au XXe siècle le Thurgovien le plus connu et un des premiers Suisses à l’étranger: la personne de confiance d’un souverain qui, de son côté, a été reconnu en Europe comme l’Africain le plus important de son époque. «Deux natures à beaucoup d’égards semblables et se complétant […] ont été pendant des décennies les éléments dirigeants qui dominaient le cours des choses […].» (Keller, Ilg) Si on pouvait reprocher à l’empereur d’avoir parfois préféré les intérêts pécuniaires à l’amitié, on devrait dire le contraire d’Ilg. Avec de tels critères, des voix adverses moins désintéressées comme celle des diplomates ne pouvaient pas manquer – l’Italien Ciccodiccola, le Britannique Harrington, le Français Lagarde ou le Russe Leontieff. (Küng, Ilg).
L’ingénieur mécanicien avait amené la technique et l’organisation en Ethiopie et a rapporté en Suisse des outils, des armes, des parures, des artéfacts de l’art sacré, qui, aujourd’hui, sont pour la plupart gardés au Musée d’ethnologie de Zurich. Dans de nombreuses conférences et publications, il a essayé de faire connaître aux Suisses le pays de son activité. Sans doute un homme droit, honnête comme père, ingénieur, ami, politicien et véritablement visionnaire. Au XVIe siècle on l’aurait sans doute appelé à juste titre un «uomo universale». Cependant ces qualités ne lui ont pas épargné une déception profonde après ses adieux. Le nouvelles d’Ethiopie ont dû le faire souffrir: la progression de la maladie de l’empereur, l’insécurité en ce qui concernait son successeur (son petit-fils Yasu a déjà été destitué en 1919; son successeur Ras Tihri et futur et dernier empereur Hailé Sélassié Ier qu’il avait encore connu comme enfant) et l’effondrement du système de la politique extérieure qu’il avait construite.
Pour un historien, ce n’est pas sans danger d’employer des phrases hypothétiques. Mais permettez-moi à la fin ceci:
–    L’abandon en 1906 n’était-il pas trop précipité?
–    N’aurait-il pas pu trouver un modus vivendi avec les Grands du pays qu’il connaissait tous, pour empêcher l’isolement menaçant au milieu de puissances coloniales plus ou moins agressives?
–    Son départ au milieu de violentes turbulences a-t-il été sa seule faute politique importante?
Mais au plus tard ici, l’historien et biographe se voit rattrapé par les faits:
De l’histoire d’un pays et d’une vie d’un des protagonistes on peut bien apprendre quelque chose – si on veut –, mais les deux restent à la fin invariables. (Küng, Ilg)    •
(Traduction Horizons et débats)

Bibliographie

Biasio Elisabeth: Prunk und Pracht am Hof Meneliks. Alfred Ilgs Äthiopien um 1900, Zurich 2004
Keller Konrad: Alfred Ilg – Sein Leben und sein Wirken, Frauenfeld 1918
Küng Heribert: Staatsminister Alfred Ilg – Ein Thurgauer am Hof Kaiser Meneliks II. in Äthiopien, Zurich 1999
Küng Heribert: Äthiopien – Land mit Kultur und Natur (Broschüre), Frauenfeld 2007
Loepfe Hans: Alfred Ilg und die äthiopische Eisenbahn, Zurich 1974
Illustrations: Elisbeth Biasio: Prunk und Pracht am Hofe Meneliks, Alfred Ilgs Äthiopien um 1900
Heribert Küng, Föhrenweg 11, CH-8500 Frauenfeld (+41 52 721 50 07)
Adresse de contact: Société Alfred Ilg, Haus zur Baliere, Balierestr. 28, Case postale, 8501 Frauenfeld