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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2016  >  No 14, 27 juin 2016  >  Quel avenir pour l’agriculture suisse? [Imprimer]

Quel avenir pour l’agriculture suisse?

par Werner Wüthrich

Le professeur Eberhard Hamer tire une sonnette d’alarme et parle dans le contexte du «Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement» (PTCI en français, TTIP ou TAFTA en anglais) de changements dramatiques pour l’agriculture allemande pour des raisons de politique internationale, européenne et nationale. L’autosuffisance serait en danger.

Depuis 2013, les Etats-Unis et l’UE négocient le PTCI, un nouveau traité de droit international, qui se différencie du point de vue juridique et du contenu d’un vrai accord de libre-échange. Il doit réglementer différemment les relations commerciales entre les Etats-Unis et l’Europe. Le gouvernement suisse désire y participer. 800 millions de consommateurs et la moitié des représentants du commerce mondial y seraient réunis. Selon notre Conseil fédéral, la Suisse ne peut pas rester à part.
Des groupes d’intérêts demandent déjà la parole. «Les paysans ne doivent pas s’y opposer», déclare Martin Naville, directeur de la Swiss-American Chamber of Commerce. Les paysans locaux ne produisent que 0,7% de la performance économique et ce n’est pas acceptable qu’un si petit groupe barre le chemin au reste de l’économie (cf. interview dans Schweizer Bauer du 3/2/16).
Le PTCI a une histoire. Depuis 2001, on négocie dans le Cycle de Doha de l’OMC une libéralisation massive du commerce mondial. Au centre se trouvait et se trouve toujours l’agriculture. En vue d’une prétendue conclusion imminente, la Suisse a déjà libéralisé beaucoup de choses – souvent en parallèle avec l’UE. L’abolition du contingentement du lait en 2009 était un événement marquant. A ce moment-là, le Conseil fédéral a commencé des négociations au sujet d’un accord de libre-échange agricole avec l’UE pour se préparer, selon ses dires, à la conclusion attendue à Doha et le futur nouvel ordre de commerce mondial. La pression était grande. Cependant, la conclusion – bien que souvent annoncée – n’a pas eu lieu. Les raisons sont à mon avis compréhensibles. Les différences entre les pays du monde dans le domaine de l’agriculture sont si grandes et variées qu’une libéralisation globale entrainerait dans de nombreux pays plus d’inconvénients que d’avantages. En 2008, le Rapport mondial sur l’agriculture de l’ONU est arrivé aux mêmes résultats.

Un nouveau changement de paradigme

En 2011, le Parlement a interrompu les négociations en cours avec l’UE. Tout comme en Allemagne, le prix du lait représente un sérieux problème pour la Suisse. Les tentatives de soutenir le prix du lait, même sans contingentement étatique, ne sont guère couronnées de succès. Il y a un excédent de lait (ce qui fait baisser les prix) et les stocks de beurre contenaient en début d’année plus de 5000 tonnes – de façon qu’on parle aujourd’hui à nouveau d’une «montagne de beurre» et d’un «lac de lait» (cf. Schweizer Bauer du 3/2/2016).
Des voix s’élèvent pour demander le soutien de la Confédération. Des questions fondamentales de l’agriculture sont à nouveau discutées. Quelles tâches l’Etat doit-il assumer? Que reste-t-il pour le marché? Quel pourcentage d’autosuffisance voulons-nous? Que faire pour protéger également à l’avenir les terres arables et les préserver pour les paysans? Quelle importance voulons-nous donner à l’avenir à la protection des frontières et aux droits de douane? Quels sont les «prix équitables»? Toutes ces questions ne sont pas nouvelles et ont souvent été discutées aux cours des dernières décennies – et ont déjà à maintes reprises été soumises au vote du peuple.
A cela s’ajoute que l’UE a aujourd’hui de gros problèmes dans plusieurs domaines. Cela indique clairement que les peuples doivent prendre davantage leurs responsabilités à l’intérieur de leurs propres frontières. En Suisse, cela relève – notamment dans le domaine agricole – d’une longue tradition. Je pense que ce débat doit être mené – avec ou sans PTCI.
La situation actuelle est similaire à celle d’il y a environ vingt ans lors de l’adhésion de la Suisse à l’OMC. A ce moment-là trois initiatives populaires furent déposées demandant toutes un amendement constitutionnel. Elles furent soumises au peuple avec deux contre-projets du Parlement. Le débat intense avec le peuple a jadis mené à plusieurs votations populaires jusqu’à ce que le 9 juin 1996, l’article actuel sur l’agriculture dans la Constitution fédérale (art. 104 Cst.) fut accepté par 77% des voix. Le peuple n’était alors pas facile à satisfaire et s’était auparavant à plusieurs reprises opposé à la politique agricole officielle. Il y eut de grands débats avec plusieurs initiatives populaires et référendums (ayant posé les bases d’un changement de cap fondamental) tant après la Première qu’après la Seconde Guerre mondiale ainsi qu’à la fin de la haute conjoncture dans les années 1970. Horizons et débats présentera cela plus en détails ultérieurement.

Les initiatives populaires actuelles

Le Cycle de Doha de l’OMC a échoué et il se peut que le PTCI soit imminent. Comme réponse, trois initiatives ont été déposées, voulant toutes changer ou compléter l’article 104 de la Constitution fédérale. Les auteurs veulent changer l’orientation de l’agriculture parce que la politique internationale, européenne et nationale a changé et qu’il faut s’attendre à de grands chamboulements. (Eberhard Hamer décrit cela dans son article sur la situation en Allemagne.) Toutes les trois initiatives ne seraient pas compatibles avec le PTCI:

  1. L’Union suisse des paysans veut par son initiative «Pour la sécurité alimentaire» atteindre que la Confédération renforce l’approvisionnement de la population avec des denrées du pays et prenne des mesures efficaces contre la perte de terres agricoles. Cette initiative impose des principes et objectifs sans définir des mesures concrètes et spécifiques. Le Conseil national a déjà accepté l’initiative dans la session de printemps 2016.
  2. Uniterre, un syndicat de paysans de Suisse romande, a déposé son initiative intitulée «Pour la souveraineté alimentaire». Elle poursuit le même but que l’Union suisse des paysans, mais elle va plus loin et propose de nombreuses mesures concrètes comme par exemple: les importations doivent être régulées dans la quantité. Les initiants veulent interdire l’importation de produits agricoles qui ne correspondent pas au haut standard du pays, notamment aussi les produits génétiquement modifiés. En outre, la Confédération est appelée, avec les organisations paysannes, à adapter l’offre agricole aux besoins de la population. Elle doit faire en sorte «que dans toutes les branches et chaînes de production des prix justes soient fixés». Pour les employés agricoles doivent prévaloir des conditions de travail homogènes. L’objectif est que les paysans obtiennent de nouveau, leurs revenus davantage par les prix et que les versements compensatoires ne servent que de compléments.
  3. Les Verts visent avec leur initiative «Pour des aliments équitables» surtout les denrées alimentaires importées, devant à l’avenir répondre à des exigences écologiques et sociales plus élevées. La Confédération doit privilégier des produits importés du commerce équitable et d’exploitations paysannes cultivant le sol. Le texte de l’initiative précise que «la Confédération renforce l’offre de denrées alimentaires sûres, de bonne qualité et produites dans le respect de l’environnement, des ressources et des animaux, ainsi que dans des conditions de travail équitables.» Les produits locaux doivent naturellement aussi correspondre à ces exigences. – Les Verts sont soutenus par l’Association des petits paysans.

Ces trois initiatives ont beaucoup d’aspects positifs. Il serait salutaire que les initiateurs s’unissent pour trouver une voie commune sans s’entredéchirer.
Martin Naville (Swiss-American Chamber of Commerce) a affirmé dans l’interview accordée à la Bauernzeitung (3/2/16) que les paysans n’avaient pas le droit de barrer l’accès au TTIP pour l’économie parce que leur participation ne relève que de moins d’1% de la performance économique du pays. Naville semble ignorer que le peuple suisse s’est exprimé au niveau fédéral dans les urnes environ 30 fois sur des questions agricoles au cours des derniers cent ans. De nombreuses initiatives ont été déposées, de nombreux référendums ont été lancés – davantage que dans tout autre domaine politique. S’y ajoutent encore les nombreuses votations dans les communes et les cantons et dans les nombreuses corporations agricoles. Cela montre clairement qu’il ne s’agit pas seulement des intérêts d’une petite minorité (pouvant se mettre en retrait) mais de l’ensemble de la population et du pays. Il ne faut pas opposer «l’économie» à «l’agriculture». Nous sommes tous dans le même bateau.
En préliminaires pour les discussions à venir, Horizons et débats a commencé une série d’articles démontrant l’importance de la démocratie directe pour l’agriculture et pour la Suisse au cours de l’histoire (cf. 1re partie dans Horizons et débats no 13 du 7 juin 2016).     •