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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°29/30, 28 juillet 2010  >  Politique agricole: comparaison entre les paroles et les actes [Imprimer]

Politique agricole: comparaison entre les paroles et les actes

par Hermann Dür, minotier et économiste, Burgdorf

L’évolution de notre politique alimentaire devient insupportable. La course en solitaire du Département fédéral de l’économie (DFE) avant la fixation des prix indicatifs des céréales est de plus en plus imprévisible. La comparaison entre le texte du discours* tenu le 14 juin dernier par la conseillère fédérale Leuthard devant l’Association suisse des maîtres boulangers-pâtissiers et la politique alimentaire réelle révèle un manque de logique et d’honnêteté inacceptable.

«Les ingrédients d’origine suisse sont un atout aussi bien pour eux [les boulangers-pâtissiers] que pour toute l’industrie alimentaire.[…] Les ressources naturelles se raréfient.»

En conséquence, les producteurs indigènes de matières premières et les transformateurs ne devraient pas être affaiblis. Malgré toutes les critiques, le Conseil fédéral a, ce printemps, démantelé massivement le système – pratiqué jusqu’ici – de réduction du prix des céréales destinées à l’exportation, ce qui a mis en péril l’exportation des matières premières suisses. Maintenant tout le monde, des producteurs aux grands distributeurs, est consterné. Des groupes courageux assumeront les pertes jusqu’en septembre, même s’ils s’en trouvent affaiblis. Et il y a quelques jours, le DFE a encore baissé sans préavis les droits de douane sur les farines importées. La production suisse de céréales et leur transformation s’en trouvent affaiblies. L’intention d’envoyer dans une course au libre-échange des secteurs déjà affaiblis, tels des sprinteurs aux os brisés, est grotesque et met en péril toute l’économie alimentaire. On commence par affaiblir les structures indigènes, puis on les ruine économiquement en autorisant les importations d’aliments de base bon marché (c’est moins le cas des spécialités) et l’on risque de nouvelles dépendances en matière de ressources rares. Comment un Département peut-il alors prétendre que pour lui l’approvisionnement en matières premières est important?

«Indépendamment de tous les scénarios de politique économique extérieure, la pression sur les prix et les importations ne cessera d’augmenter.»

C’est exactement le contraire qui est vrai. L’évolution des importations dépend même exclusivement de la politique économique extérieure. La Confédération ne peut pas échapper à sa part de responsabilité dans l’approvisionnement intérieur en produits alimentaires indigènes en rejetant cette responsabilité sur des pressions extérieures. Elle doit résister à ces pressions, même si elle n’y est pas parvenue ces derniers temps.

«L’ouverture des marchés est pour ainsi dire inéluctable à long terme.»

Cette affirmation, du moins sous cette forme, est manifestement idiote. La dernière baisse des droits de douane a montré que ce n’était pas une loi de la nature qui présidait à la nouvelle ordonnance, mais la conseillère fédérale elle-même. Elle aurait pu facilement s’y opposer, contrairement à ce qu’elle prétend. C’est donc notre propre gouvernement qui nous a placés à dessein sur la chaise élec­trique et non pas une force inéluctable. En outre, il faut savoir qu’aucun pays au monde n’ouvre entièrement ses marchés.

«L’orientation du secteur alimentaire […] doit se fonder sur une stratégie commune, élaborée et défendue par tous les acteurs.»

Lors de l’élaboration des mesures d’accompagnement d’un éventuel libre-échange agricole, la Confédération s’est déjà opposée à la participation des transformateurs de farines panifiables, et d’autant plus dans le groupe qui a élaboré une nouvelle stratégie de qualité. Et une nouvelle fois, les minotiers et les céréaliers ont été écartés de la décision concernant les droits de douane sur les farines importées. Soit dit en passant, l’Office fédéral de l’agriculture a également été écarté. En 2009, il avait déclaré clairement qu’une modification des droits de douane ne devait pas intervenir au 1er juillet à cause des stocks. Peu après, le dossier lui a été retiré et la ministre de l’économie s’en est occupée personnellement, si bien qu’il n’a pas pu se prononcer en 2010. Or, selon la Bauernzeitung, il n’avait pas changé d’avis. Cette politique de droits de douane sur les céréales et les farines est tellement importante qu’elle relevait auparavant de l’ensemble du Conseil fédéral. Mais le Département fédéral de l’Economie a réussi, de manière tout à fait discrète, à édicter ses dispositions au travers d’une ordonnance. Rares ont été ceux qui, dans la jungle des autres dispositions, se sont rendu compte de ce transfert de compétences, mais c’était ouvrir juridiquement la porte à la possibilité pour le DFE de prendre seul les décisions. Manifestement, les acteurs mentionnés sont désormais destinés à s’entredéchirer. L’administration pourrait déplorer que les acteurs n’aient pas pu se mettre d’accord et qu’elle doive par conséquent mettre elle-même de l’ordre dans le dossier, par exemple en faveur d’autres secteurs plus rentables. «Divide et impera» («Diviser pour régner»), disaient les anciens Romains; c’est tout le contraire de la «stratégie commune» prônée par la conseillère fédérale.

«Le Conseil fédéral a choisi cette stratégie offensive afin que le secteur alimentaire puisse s’armer pour l’avenir. La question est de savoir comment se présentera le calendrier. Il est souhaitable que la situation évolue parallèlement au cycle de Doha.»

Ici, les contradictions entre les paroles et les actes sont criantes:

a)    Malgré les mises en garde orales et écrites adressées au Conseil fédéral, y compris les propositions d’options permettant de ré­duire les risques, le calendrier de la dernière réduction des droits de douane a été fixé de manière à léser au maximum les producteurs de céréales et les minotiers.
b)    Cela a automatiquement constitué une violation du principe de préparation: les paysans n’ont pas pu préparer leurs semailles et les minotiers leurs stockages et leurs contrats de livraisons.
c)    Le principe consistant à négocier parallèlement à l’évolution du Cycle de Doha a été contredit de manière flagrante. On sait que le Cycle est bloqué depuis longtemps. La baisse des droits de douane n’a donc pas été décidée parallèlement, mais contrairement au Cycle de Doha.

«Pour ces prochaines années, je m’attends dans l’ensemble à ce que la volatilité des marchés agricoles perdure. […] Cet exemple montre à quel point les marchés agri­coles réagissent au moindre déséquilibre.»

A propos de volatilité, la politique suisse en matière de droits de douane sur les céréales et les farines menée jusqu’ici s’est justement révélée extrêmement favorable à la stabilité. Mais le couplage, voulu par les autorités, de deux systèmes de droits de douane incompatibles en ce qui concerne les farines d’une part et les céréales d’autre part (pour les céréales, les droits de douane s’ajoutent aux contingentements des volumes importés alors que pour les farines, il n’y a que les droits de douane) et les fréquentes adaptations en cours d’année, on abandonne intentionnellement cette stabilité. Le DFE en a été informé à plusieurs reprises par écrit. Les conséquences diaboliques de sa politique sont la volatilité et une incertitude accrue en matière d’investissements.
En conclusion: du point de vue juridique, il n’y a peut-être pas rupture de la parole donnée, mais il devrait être clair que la politique agricole réelle des autorités a brisé la confi­ance que l’on avait dans leurs paroles et leurs intentions. La crédibilité des politiques et des autorités est maintenant remise en cause et sans doute aussi, à long terme, la paix sociale. Il est temps pour les secteurs concernés de changer de ton. Nous ne devons plus nous laisser faire.     •
(Traduction Horizons et débats)

*    Texte complet à l’adresse www.evd.admin.ch/dokumentation/00379/00397/00399/index.html?lang=fr&msg-id=33666