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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°16, 21 avril 2008  >  Distomo – un crime de guerre non expié jusqu’à présent [Imprimer]

Distomo – un crime de guerre non expié jusqu’à présent

Un film documentaire de Stefan Haupt, 2006

eg. Distomo, un petit village, à un jet de pierre de la mer, sur la route d’Athènes à Delphes. C’est ici que le petit Argyris Sfountouris a survécu, le 10 juin 1944, au massacre des forces occupantes allemandes. Il avait à peine 4 ans. C’était une «mesure de représailles» d’une division SS à la suite d’une attaque de partisans. En moins de deux heures, 218 habitants de Distomo furent massacrés – femmes, hommes, personnes âgées, enfants et nourrissons. Argyris y a perdu ses parents et 30 autres membres de sa famille. Dans son film intitulé «Ein Lied für Argyris» («Une chanson pour Argyris»), Stefan Haupt retrace la biographie d’Argyris Sfountouris. Elle est représentative du destin de centaines de milliers de personnes en situation de guerre. C’est pourquoi ce film est aussi dédié à tous les enfants du monde qui sont forcés de vivre un destin semblable à celui d’Argyris.

La perte de la famille et de la patrie

Peu de temps après le massacre, le petit Argyris arriva avec 10 000 autres enfants dans un orphelinat du Pirée, d’où il fut transféré dans un plus petit foyer à l’extérieur d’Athènes parce qu’il ne voulait et ne pouvait plus manger. La situation était difficile et précaire, le pays étant confronté à une guerre civile. A l’âge de 9 ans, Argyris avait le poids d’un enfant de 5 ans. C’est à ce moment-là qu’une délégation de la Croix-Rouge vint dans cet orphelinat pour choisir un certain nombre d’enfants afin de les amener dans le Village Pestalozzi de Trogen en Suisse où ils pourraient trouver un nouvel avenir. Ainsi le petit orphelin grec arriva dans le Village Pestalozzi qui venait d’être fondé et où l’on accueillit des enfants qui avaient perdu père et mère pendant la guerre. Ici, on voulait les aider à surmonter les affres de la guerre. L’idée de ce projet était de réaliser un engagement humanitaire et de rendre possible la vie commune et la réconciliation de divers groupes ethniques au cœur de l’Europe.
A Trogen, Argyris a vécu dans la maison grecque avec des enfants qui avaient expérimenté un destin similaire au sien. «Nous ne parlions pas du passé. Uniquement de temps en temps, quand nous nous racontions des contes de fées, avant de nous endormir dans nos chambres sous le toit, nous laissions apparaître le passé.»
Argyris fut enseigné en grec et initié à la civilisation de son pays, et il lut tout ce qu’il y avait en grec: Victor Hugo, Charles Dickens et beaucoup d’autres. «J’ai absorbé tout ce qui se présentait à moi.» La personnalité qui le marqua profondément en ce temps-là fut Arthur Bill, le directeur du village Pestalozzi, qui avec ses capacités pédagogiques et son profond engagement humain initia ses jeunes protégés à la vie.
Après le baccalauréat, passé au lycée de Trogen, Argyris Sfountouris étudia les mathématiques et l’astrophysique à l’Ecole polytechnique universitaire de Zurich. Puis il enseigna dans divers lycées et commença à traduire en langue allemande des poètes grecs bien connus, notamment Katzantzakis, Kavafis, Seferis ou Ritsos. L’époque de la dictature grecque fut difficile à supporter pour lui car l’accès au pays lui était interdit, et il ne put s’engager contre les torts et les injustices de ce régime que de loin.

Un engagement pour plus d’humanité

A l’âge de 40 ans Argyris Sfountouris a assumé un tout nouvel engagement dans sa vie. Arthur Bill, l’ancien directeur du village Pestalozzi, avait reçu la mission de créer le Corps suisse pour l’aide en cas de catastrophes et demanda à son ancien protégé s’il voulait aussi s’engager dans le travail humanitaire. «Je ne voulais pas rester un fonctionnaire bien rémunéré jusqu’à la fin de ma vie.» Il s’engagea donc dans l’aide au développement au Népal, en Somalie et en Indonésie, et participa aussi au Corps suisse pour l’aide en cas de catastrophes. Son désir était d’aider surtout les enfants, qui avaient vécu un destin similaire au sien.
Mais son engagement humanitaire eut des répercussions encore plus larges. Tout au long de sa vie, il se consacra aux sujets du bien et du mal, de la guerre et de la paix: Il avait de la peine à simplement s’accom­moder des événements traumatiques de son enfance. Il voulait en faire quelque chose, réveiller l’opinion publique, s’engager afin que de tels crimes ne soient plus possibles.
Ainsi, il organisa en 1994 à Delphes – cinquante ans après le massacre – un colloque sur le sujet de la guerre et de la paix. Sur le thème de «Mémoire – deuil – espérance», on voulait considérer les questions des réparations, la manière de surmonter la haine et la réconciliation. Des orateurs de Grèce, de Suisse et d’Allemagne y participèrent mais aucun représentant de l’Etat allemand n’y était présent.

Marathon juridique

La réunification allemande amena une nouvelle situation juridique explosive, car – 50 ans après la fin de la guerre – c’était la première fois qu’il était possible de demander des réparations pour les torts et les injustices subis durant la guerre. En 1995, Argyris Sfountouris et ses trois sœurs portèrent plainte pour être indemnisés. Elle fut refusée. Lorsque la Cour constitutionnelle fédérale, l’instance suprême, refusa elle aussi la plainte, Sfountouris s’adressa à la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg. C’est là que la plainte est traitée actuellement. Sfountouris est surtout indigné que le gouvernement allemand désigne ce massacre de «mesure exécutée dans le cadre de la guerre», bien que ce soit sans aucun doute un crime de guerre. Ainsi, il espère un jugement positif du tribunal de Strasbourg.
Le film mérite une large attention de la part du public. Il se prête aussi très bien aux cours d’histoire dans les classes supérieures (à partir de 14 ans). Il retrace, de manière très émouvante et sensible, la destinée bouleversante d’un homme dont la vie fut marquée par les conséquences effroyables de la guerre. Outre cela, le film aborde de manière très différenciée la question des possibilités pour éviter de telles atrocités dans l’avenir. C’est ainsi que le film fait ce qu’Argyris a fait durant toute sa vie: s’engager en faveur de l’humanisme et lutter contre la guerre et l’inhumanité.     •

Sources: www.swissfilms.ch, www.salzgeber.de

«Ein Lied für Argyris», 2006. Production Fontana Film GmbH. Le film en DVD est disponible en librairie (avec sous-titres en français).
Prix du film suisse 2007 dans la catégorie «Meilleur film documentaire».
Divers prix lors de festivals de films documen­taires en 2007, notamment à Thessalonique, à Munich, Innsbruck, Los Angeles (Festival des films grecs), Locarno, Sarajevo et Saint-Pétersbourg.