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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°46, 5 novembre 2012  >  Le citoyen en tant que souverain et organisateur de la vie politique [Imprimer]

Le citoyen en tant que souverain et organisateur de la vie politique

Un «manifeste démocratique» rend hommage aux activités des citoyens allemands en faveur du bien commun et plaide pour la démocratie directe

Christian Fischer, l’auteur du manifeste, n’est pas encore connu de la population allemande. Il a fait des études d’histoire, il est ingénieur diplômé et vit dans la région de Cologne. Il a publié son manifeste sous forme de livre qu’il a intitulé «Demokratisches Manifest 21. Souveräne Bürger – direktere Demokratie» [Manifeste pour la démocratie 21. Citoyens souverains – démocratie immédiate]. Dans ce livre est dépeint très exactement l’état actuel de la démo­cratie en Allemagne et il y est présenté les perspectives démocratiques importantes pour les citoyens allemands.

km. Dans un jugement de 2011, le Tribunal constitutionnel allemand a déclaré que «l’exigence d’une participation libre et égale au pouvoir public est ancrée dans la dignité de l’être humain». Ce qui est incontesté par toutes celles et tous ceux qui s’occupent de la teneur de la dignité humaine. Un manque de démocratie est ainsi toujours, en même temps, une violation de la dignité de l’être humain. De plus: l’absence de volonté en faveur de la démocratie porte aussi atteinte à la dignité humaine. C’est ce à quoi le professeur d’instruction civique Karl Albrecht Schachtschneider a rendu attentif dans son remarquable ouvrage «Die Souveränität Deutschlands. Souverän ist, wer frei ist» [La souveraineté allemande. On est souverain quand on est libre] (ISBN 978-3-86445-043-3).
Où en est-on, en Allemagne, en ce qui concerne la démocratie et la dignité des gens, alors qu’une enquête récente de l’Institut Allensbach pour la démoscopie (cf. «Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 17 octobre) rapporte que, respectivement, 14% des personnes interrogées pensent n’avoir aucune influence sur les décisions politiques au niveau local, et 32% au niveau des Länder. Pour ce qui est des décisions au niveau national, ce sont 50% et pour celles prises au niveau de l’Union européenne même 75%. C’est-à-dire que 3 Allemands sur 4 estiment n’avoir aucune influence sur les décisions prises par l’Union européenne.
Ce sondage apporte encore d’autres détails importants: «58% des citoyens interrogés estiment qu’on ne peut rien obtenir, même si on marque de l’intérêt pour la politique et qu’on s’engage dans ce domaine. Et il se trouve même que «30% d’entre eux estiment qu’il vaut mieux ne s’occuper que de sa propre vie et, qu’il n’y a en dehors de cela aucun espoir de pouvoir influencer quoi que ce soit.»
Les opinions concernant la politique actuelle de l’UE sont sans appel: «Deux tiers craignent que les coûts pour le sauvetage d’autres pays ne dépassent les capacités financières de l’Allemagne». De plus, la population allemande «reste très réservée en ce qui concerne l’approfondissement de l’intégration européenne». Entre temps «deux tiers des Allemands s’opposent au fait que les membres de la zone euro remettent leurs prérogatives en matière de politique économique et de fiscalité à la centrale de l’UE».
Ces résultats de sondage correspondent à d’autres enquêtes, mais surtout à ce qu’on entend souvent dans les conversations en Allemagne. Les gouvernements allemands ont réussi, au cours des 15 dernières années et par leur politique constante au nez et à la barbe de la population, à créer un énorme sentiment d’impuissance chez les citoyens sur toutes les questions touchant à la politique fédérale ou de l’Union européenne. Il semble bien qu’on ait utilisé à répétition, comme moyen d’abrutissement, le fait qu’il faut jouer des coudes dans la société actuelle, que cette dernière souffre de pensée matérialiste, sans compter l’arrosage quotidien par les médias et autres mécanismes faits pour décourager.
L’objectif recherché: mener, dans tous les questions cruciales de la politique, un peuple entier à la dépression politique, afin d’imposer, dans ces domaines fondamentaux, les intérêts et les buts poursuivis par une classe politique qui s’est éloignée de la population. Il en allait de même de l’absolutisme qui ne voulait que des sujets soumis et ignorants.
L’auteur du «Manifeste démocratique» n’en reste pas là. Avec raison: la question de la démocratie est trop importante pour qu’on s’en débarrasse avec résignation, ou qu’on la porte en terre sans réagir aux mensonges déversés par la classe politique (comme par exemple: l’UE serait en voie de «démocratisation»).
Et ce citoyen allemand réussit réellement à renforcer le désir de démocratie. Ses arguments reposent sur des données historiques et systématiques, ses explications sont claires et accessibles; son écriture ne reflète aucune dureté, ni raillerie voire cynisme. Il ne montre pas les «autres méchants» du doigt – mais, en tant que démocrate, il rappelle l’essence même de la Loi fondamentale allemande et apporte des réponses à différentes questions importantes, entre autres:
•    Quels sont les devoirs de l’Etat dans une démocratie? Ne faut-il pas s’interroger particulièrement sur l’euphorie générée par les privatisations et les dérégulations de ces 25 dernières années?
•    Quel type d’économie convient le mieux à une démocratie? Ne serait-il pas convenable de tabler sur des êtres humains conscients et économiquement actifs?
•    Quelles sont les tâches que devrait assumer à l’avenir l’industrie financière après le désastre de ces dernières années?
•    Comment mettre un terme aux exagérations de l’Etat et de ses partis qui ne correspondent pas aux objectifs de la Loi fondamentale? Comment remettre les partis sur le droit chemin de la démocratie?
•    Quelle importance revêt l’enseignement à nos enfants et à notre jeunesse au plan d’une démocratie vivante? Quelles en seraient les conséquences pour nos écoles?
•    Quelle opinion faut-il avoir de cette construction européenne qui, depuis Jean Monnet, ne cesse de s’en prendre à la démocratie par sa volonté d’intégration?
•    Que faut-il entreprendre pour faire cesser la politique de guerre allemande, qui est en opposition totale avec la démocratie?
L’insistance de l’auteur quant à la prise de position, quant aux droits et devoirs des citoyens et citoyennes, est importante pour pouvoir mener la démocratie vers ce qu’elle doit être, c’est-à-dire une culture politique et un ordre constitutionnel réel, offrant à la population la souveraineté lui permettant de définir son propre ordre politique et de s’y tenir. Un ordre constitutionnel qui offre aujourd’hui déjà des possibilités dans le sens de davantage de démocratie et qui peut aussi améliorer la culture politique en Allemagne, par exemple, en améliorant la situation au niveau des communes et des Länder.
C’est ce que l’auteur résume dans son dernier chapitre: «Au fond, il s’agit pour nous en tant que citoyens de nous définir comme souverain, et dans la mesure où nous avons perdu cette prérogative, de trouver le courage de la reconquérir. Prendre conscience que nos activités communes font partie de la vie publique et faire revenir la classe politique, devenue arrogante, à la réalité, cela sans hésiter à mettre à la porte les incapables. Le chemin menant des initiatives populaires aux institutions politiques doit être réduit et rendu plus direct. Il faudrait distancer les blocs formés par les partis et les groupes parlementaires par des personnalités très engagées, aptes à guider par la médiation et la négociation, mais aussi avec énergie.
Il est évident que l’auteur a aussi étudié l’histoire de la Suisse. Il s’y réfère très souvent et recommande de la prendre en exemple. C’est pourquoi il a intitulé un chapitre «patience». Il s’y exprime ainsi: «Il y a dans notre vie politique quotidienne un mur élevé d’une part entre le peuple et les responsables politiques et décideurs bureaucratiques, et d’autre part un seuil très bas entre l’oligarchie financière internationale et les responsables politiques et bureaucratiques. Aux Etats-Unis, ce seuil bas s’appelle le «tourniquet», soit la porte tournante. Il faut que cela change, si nous voulons rétablir la démocratie souveraine. Rappelons-nous l’expression d’un homme intelligent: «Le temps n’épargne que les installations auxquelles il a participé lui-même». Ce qui signifie qu’une installation qui doit tenir longtemps exige du temps pour sa construction. Cela n’est pas très attrayant pour les têtes brûlées politiques et les esprits ambitieux; en revanche, c’est un aspect réconfortant pour les contemporains sérieux qui veulent avancer d’un pas, ou même de deux, dans l’histoire.»    •

Des citoyens engagés

Dernièrement, on a vu en Allemagne plusieurs exemples de citoyens qui, pour des questions particulières, non seulement réussissent à se faire entendre, mais encore à faire passer leurs idées. Sans tenir compte de la position individuelle de chacun (politique culturelle de Hambourg, gare de Stuttgart, aéroport de Munich, adversaires de l’énergie nucléaire ou mouvements d’occupation et bien d’autres): on assiste à une renaissance de la vie démocratique. Nous pouvons renouer avec cela. Mais pour aller plus loin. Ou plus à fond.
Nous devons développer une culture dans laquelle on ne se borne pas à ré­diger des constitutions démocratiques et à créer des institutions démocratiques après des catastrophes, mais dans laquelle le peuple existe au quotidien en tant que souverain et agit en tant que tel. C’est avant tout une question d’état d’esprit. Dans bien des domaines, nous pouvons prendre modèle sur la Suisse, précisément sur l’état d’esprit. Là-bas, une culture politique a pris corps au cours des siècles au sein de laquelle bien des citoyens éprouvent de la fierté non seulement de participer à la vie communautaire, à la vie politique, mais encore à la façonner et à la concevoir comme une unité. Cela ne consiste pas seulement dans les différentes initiatives et référendums par lesquels le peuple suisse exerce son influence – sous une forme calme et ordonnée – sur la législation et même sur la Constitution et en acceptant ensuite la décision de la majorité sans grandes disputes des partis politiques. Cela consiste aussi dans l’engagement varié «bénévole» pour les affaires publiques, par lequel on règle ensemble des affaires, sans qu’un appareil de la fonction publique surdimensionné soit nécessaire. «Accessoirement», c’est aussi une contribution pour diminuer les dépenses de l’Etat, et ça permet en même temps un contrôle direct de ce qui est mis en application.
En Allemagne aussi il y a depuis longtemps une culture d’activités variées orientées vers l’intérêt commun. Des clubs sportifs, des corps de pompiers volontaires, des aides de proximité, des quantités de services sociaux, des tables ouvertes pour nécessiteux, des organisations de jeunes paroissiens, des associations culturelles, des prestations de services techniques et médicaux et bien d’autres caractérisent notre vie sociale. Cet engagement est rendu possible par l’activité bénévole de personnes. Pourquoi ne comprenons-nous pas mieux ce que nous faisons ici comme faisant partie de notre vie publique, donc également politique? Bien des citoyens s’engagent malheureusement en se détournant de l’Etat, puisqu’on ne peut de toute façon rien faire bouger en politique. Ils voient dans la vie politique et sociale une opposition.
En adoptant une autre attitude, nous pourrions mieux créer une imbrication de notre engagement social avec nos institutions étatiques. Cela ne doit pas s’opposer. Des possibilités étatiques pourraient au contraire être utilisées pour des engagements citoyens et des engagements citoyens pourraient être considérés comme des tâches publiques. Pourquoi abandonnons-nous notre Etat aux fonctionnaires – Etat auquel nous payons des impôts – et pourquoi nous engageons-nous dans d’autres domaines au lieu de faire cause commune avec l’Etat? Dans toutes nos activités, nous devons évidemment conserver notre indépendance et nous ne devons pas l’abandonner à des politiciens professionnels. Nous devrions au contraire considérer et organiser notre engagement comme faisant partie de la vie politique. Pourquoi ne continuerions-nous pas à développer notre actuel engagement social vers une culture politique de la démocratie directe? Vers une démocratie directe allemande!
Ce n’est pas une mince affaire. Car une chose et certaine: les représentants politiques qui se chargent de façon sérieuse des souhaits des citoyens ne sont pas légion. Si nous ne sommes pas constamment actifs et attentifs, d’autres intérêts prendront tôt ou tard le dessus. Une démocratie vivante existe et tombe en fonction de l’engagement actif des citoyens pour la communauté – en fonction aussi du contrôle sur ses représentants. Il ne s’agit pas de ré­futer la représentation et la direction, mais au contraire de mieux les relier à la vie sociale des citoyens représentés.

Tiré de: Christian Fischer. Demokratisches Manifest 21. Souveräne Bürger – direktere Demokratie. 2012, p. 25 sq.
ISBN 978-3-8301-1558-8