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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°14, 15 avril 2013  >  Sortir de la crise par la force des deux monnaies [Imprimer]

Sortir de la crise par la force des deux monnaies

L’économiste Wilhelm Hankel explique pourquoi le seul retour au D-Mark ne suffira pas

Interview du professeur Wilhelm Hankel accordé à Manfred Schermer de la «Fuldaer Zeitung»

Parmi les économistes allemands, le professeur Hankel a la réputation d’avoir été, dès la première heure, l’un des plus marquants et des plus critiques de l’euro. Récemment, le professeur Hankel a donné une conférence à Fulda. Dans le cadre du congrès, il a présenté à la «Fuldaer Zeitung», ses propositions pour la solution de la crise de l’euro: retour aux monnaies anciennes en gardant l’euro.

Fuldaer Zeitung: Déjà en 1997, vous aviez porté plainte devant le Tribunal constitutionnel fédéral contre l’introduction de l’euro. A un moment donc où tout paraissait encore bien en ordre, grâce au Traité de Maastricht. Qu’est-ce qui vous faisait déjà douter alors?

Wilhelm Hankel: A cette époque, il était déjà clair que la préoccupation principale de Maastricht – la continuation de la politique de la Bundesbank en Europe – ne réussirait pas. C’est cela que j’ai alors expliqué devant le Tribunal. Mais il a répondu qu’il ne pouvait pas prononcer un jugement sur la base d’un pronostic.

Pourquoi étiez-vous persuadé que la politique de la Bundesbank ne serait pas poursuivie en Europe?

C’est très simple: chaque politique monétaire représente une sorte de costume taillé sur mesure pour l’économie nationale respective. A l’époque, nous avions déjà onze membres dans la zone euro. Ce costume sur mesure pour onze économies nationales différentes – cela ne convenait pas. Nous avons présenté cela au Tribunal, nous avons publié la demande en justice, mais le tribunal a dit: attendons.

La crise de l’euro vous fait donc perdre contenance?

Entretemps, les événements nous ont démontré qu’à l’époque, nous avions raison, surtout en ce qui concerne la demande d’aide de la Grèce. La demande seule représentait déjà une grave infraction au Traité de Maastricht. En effet, chaque aide à des Etats étrangers par des partenaires euro était et l’est toujours, exclue par le Traité – c’est la soi-disant clause de «no-bail out». Au printemps 2010, nous avons porté plainte contre cette infraction. A notre grande épouvante, le président fédéral d’alors, Horst Köhler, qui avait négocié en substance ces traités (comme secrétaire d’Etat au ministère des Finances, en 1991; ndlr.), a signé bien qu’il se fut rendu compte qu’il avait donné sa bénédiction à une rupture de ce traité.

Cela, était-il la vraie raison de sa démission?

Vraisemblablement. Mais j’aurais préféré qu’il démissionne avant et non après.

Lors des mois précédents, on a souvent cité l’ancien premier ministre britannique, Mme Thatcher, et sa fameuse phrase: «Je veux qu’on me rende ma monnaie!» Une chose pareille sortira-t-elle un jour de la bouche de notre chancelière?

Je l’espère. Et je vais faire la proposition qui est proche de celle qu’on a entendu une fois du côté britannique: les deux pour l’Europe – l’euro et les monnaies nationales. Dans mon livre «Die Euro-Bombe», j’explique cette conception. John Major, trésorier de Margaret Thatcher à l’époque, avait donc proposé aux Européens de garder la livre sterling et d’introduire l’euro, qui s’appelait encore Ecu. Il faut réactiver cette proposition, avec des modifications respectives.

Quels avantages s’en suivent?

Des avantages énormes. D’un côté, chacun des pays euro – entretemps il y en a déjà 17, bientôt 18 – pourrait décider de la politique monétaire dont il a besoin ce qui le rendrait en état de combattre la crise. Mais surtout, le fossé profond, que nous avons dans l’UE depuis l’introduction de l’euro – entre les pays euro et les autres – serait comblé. La zone euro et la zone UE seraient identiques et parleraient d’une seule voix sur la scène internationale. Cela rendrait l’UE attractive et capable de recevoir des pays qui, aujourd’hui, ne sont pas encore membres, la Suisse par exemple ou la Russie ou la Norvège. Car, quand chacun a l’euro et sa monnaie nationale, il n’y aura plus de différences en Europe.

Mais pourquoi conserver l’euro?

Pour une raison très importante: En Europe, nous avons une masse gigantesque de dettes anciennes. Dans les pays méditerranéens seuls, elles s’élèvent à 12 ou 13 billions d’euros. Une somme inimaginable. Si l’on essayait, lors de la suppression de l’euro, de les annuler sans compensation, d’un jour à l’autre, on aurait, en Europe, la plus grande crise financière de mémoire d’homme. Pire que le jeudi noir de 1929. On doit donc ­donner un délai de transition ou mieux encore: une coexistence entre l’euro et les autres monnaies.

Qu’est-ce qu’on y gagnerait?

D’abord, du temps pour réduire les dettes euro. Et puis, et c’est encore plus important: les pays qui, aujourd’hui, souffrent d’inflation et de la crise, pourraient enfin faire ce qu’ils auraient dû faire il y a cinq, six ans: ils pourraient dévaluer leurs propres monnaies nationales face à l’euro. Ceci redonnerait de nouveau de la compétitivité à la Grèce, l’Espagne, l’Italie.

Pourquoi le feraient-ils?

Parce qu’ils pourraient réduire la plus grande partie de leurs dettes, à long terme, par leurs propres moyens. Ils se tireraient tous seuls du piège de surendettement. Car l’erreur principale de toute cette construction de l’euro fut l’abandon des cours du change. Je me rappelle une phrase importante du grand économiste Milton Friedman: il est toujours plus facile de changer un prix pour une économie nationale, à savoir le cours du change, que les millions de prix particuliers, de revenus et de coûts qui devraient être changés alors.

Et si cela ne se fait pas?

L’Europe sera ruinée par la fuite des capitaux. Tout simplement, nos moyens s’épuiseront. Et ce qui s’ensuivra, ce sera la voie que la RDA par exemple a empruntée: interdiction de payements à l’extérieur, incarcération dans une prison monétaire. L’euro ne sera donc plus une monnaie mondiale.

Vu ces perspectives, est-il probable que votre proposition soit acceptée?

J’espère que nos gouvernements vont comprendre que c’est la seule chance de ­sauver l’euro et de surmonter tout de même la crise. L’euro serait maintenu comme unité de compte, un deuxième Ecu.

Qu’arriverait donc au nouveau fonds de sauvetage, le MES? Il ne contient pas de clause de sortie?

C’est vrai. Mais vu ma proposition, le MES serait inutile. On n’en aurait plus besoin parce que les dettes euro restantes seraient liquidées par les clubs déjà existants pour la consolidation des dettes – le club de Paris et le club de Londres. Comme en Argentine ou en Ukraine. Ce n’est pas la première fois que des Etats se trouvent au bord de la faillite. En outre, je vous rappelle que la plainte contre le MES déposée par Karl Albrecht Schachtschneider, par nos autres compagnons de lutte et par moi-même est toujours en instance. Le Tribunal constitutionnel fédéral a seulement refusé l’application de procédure d’urgence – par un raisonnement plausible, les juges ayant besoin de temps pour examiner le tout. J’espère donc que nous obtiendrons une audience concernant le fond du litige. Alors, nous verrons si le Tribunal constitutionnel déclarera que le MES est contraire à la Constitution. Cette possibilité existe toujours.

Que ferez-vous en cas d’une nouvelle défaite?

Nous allons alors, avec le professeur Schachtschneider, reprocher à nouveau au Tribunal le fait qu’il refuse d’appliquer le droit. Car le Tribunal constitutionnel est obligé d’examiner la légalité de la politique. Elle n’a pas fait cela pour l’euro. Et pas plus, aujourd’hui qu’hier pour le MES en avançant que cela était l’affaire du Bundestag. Mais ce n’est pas couvert par la loi sur le Tribunal constitutionnel. Son président, Andreas Vosskuhle, m’a communiqué qu’il n’était pas prêt à examiner le contenu matériel des lois. Consterné, je lui ai posé la question: mais qu’examinez-vous donc? Et lui de répondre: la légalité de la procédure.
Le Tribunal constitutionnel se comprend donc comme une sorte de notaire. La question se pose de savoir si cela est conforme à la Constitution? Je suis d’accord avec le professeur Schachtschneider de faire, si nécessaire, examiner l’affaire par la Cour de justice de l’Union européenne.

Quelle est votre réplique à la phrase fréquemment exprimée par des hommes politiques: C’est l’Allemagne qui a profité le plus de l’euro?

Que c’est une méconnaissance totale des contextes économiques. Ou une mystification délibérée. Car, à l’aide de l’euro, on a évité la réévaluation pour le cas du D-Mark, attendue depuis longtemps. Cela a amené quelques avantages pour les exportations allemandes, mais pour l’économie nationale allemande – et c’est beaucoup plus que les exportations – de graves inconvénients.

Des désavantages? N’est-ce pas l’Allemagne le moteur de l’activité économique européenne?

Les désavantages que l’euro apporte à l’Alle­magne sont visibles d’un seul coup d’œil: Regardez la Suisse qui a réévalué fortement son franc. Ceci est maintenant terminé. Mais elle est le pays d’Europe qui va le mieux, de loin, en ce qui concerne la stabilité du pouvoir d’achat de la monnaie, la croissance et le chômage. On l’aurait eu, nous aussi, car tant qu’on avait le deutsche mark, il n’y avait pas de différence significative entre le succès de l’économie nationale allemande et celui de la Suisse. Que nous ayons perdu le niveau de la Suisse démontre quel désavantage l’euro nous a apporté – sans rien dire des payements que l’Allemagne doit effectuer à cause de la crise.

En ce moment, Angela Merkel fait savoir, à la façon d’un mantra: Si l’euro échoue, c’est l’Europe qui va échouer. Est-ce vrai?

Qui ne voit pas d’alternatives n’est pas un homme politique. La politique se définit par la reconnaissance d’alternatives. Toujours. Il ne faut pas en dire plus.

En 1969, vous avez créé le bon du Trésor fédéral. Est-ce que vous regrettez sa disparition?

Regretter? Maudit soient ceux qui ont fait cela. Car le bon du Trésor fédéral était proche du citoyen, rassemblait tous les avantages du livret de caisse d’épargne. Mais ce qui était définitif pour l’économie nationale, c’était que la dette souveraine allemande restait à l’intérieur du pays. Le bon du Trésor fédéral n’a jamais eu de marché extérieur. Il y a eu des années durant lesquelles de 40 à 45 % des dettes fédérales étaient financées par les bons du Trésor Fédéral. Cela rendait l’Alle­magne indépendante des fluctuations des marchés internationaux de capitaux.

C’est un avantage que les Japonais utilisent jusqu’aujourd’hui pour eux-mêmes, n’est-ce pas?

Exact. On ne peut expliquer cet endettement gigantesque du Japon que par le fait que les Japonais achètent leurs propres titres de valeurs et que seulement des sommes marginales arrivent à l’étranger. Le bon du Trésor Fédéral a donc rendu possible le financement intérieur. Seul un imbécile comme Wolfgang Schäuble pouvait supprimer ce machin.    •

Source: Fuldaer Zeitung du 23/3/13

(Traduction Horizons et débats)

Wilhelm Hankel est né le 10 janvier 1929 à Dantzig. Il a étudié l’économie politique à Mayence et Amsterdam. En 1953, il a passé sa thèse de doctorat à l’Université de Mayence.
Sa carrière professionnelle a débuté en 1952 à la Bank Deutscher Länder, prédécesseur de la Bundesbank (Banque fédérale), et l’a mené au ministère fédéral de la Coopération économique (jusqu’en 1956), à l’Office des Affaires étrangères (jusqu’en 1957), à la Kreditanstalt für Wiederaufbau (Etablissement de crédit pour la reconstruction) (économiste en chef, 1959), et au département monnaie et crédit au sein du ministère fédéral de l’Economie (1967), dont il a été le chef et a ainsi contribué de façon déterminante au développement des obligations du gouvernement allemand et des droits de tirage spéciaux du FMI. De 1972 à 1974, Hankel a été le chef du directoire de la Hessischen Landesbank.
Depuis 1970, il est professeur honoraire pour la politique monétaire et de développement à l’Université de Francfort. Différents mandats de professeur invité l’ont mené entre autre en 1974/75 à Harvard et en 1975/76 à la chaire Konrad Adenauer de l’Université de Georgetown à Washington D.C.
En outre, il a obtenu un grand nombre de mandats en tant que conseiller de la Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit, entre autre aux Emirats arabes unis et en Arabie saoudite ainsi que dans de nombreux pays du tiers-monde.
En 1997 déjà, Hankel a porté plainte avec d’autres professeurs au Tribunal constitutionnel fédéral contre le Traité d’Amsterdam concernant l’introduction de l’euro, une plainte qui n’a pas été couronnée de succès.
Plusieurs recours constitutionnels contre les plans de sauvetage MESF, FESF et MES, le Mécanisme européen de stabilité permanent, ont suivi. La décision du Tribunal constitutionnel fédéral concernant la dernière plainte est attendue.

Source: Fuldaer Zeitung du 23/3/13

Wilhelm Hankel est né le 10 janvier 1929 à Dantzig. Il a étudié l’économie politique à Mayence et Amsterdam. En 1953, il a passé sa thèse de doctorat à l’Université de Mayence.
Sa carrière professionnelle a débuté en 1952 à la Bank Deutscher Länder, prédécesseur de la Bundesbank (Banque fédérale), et l’a mené au ministère fédéral de la Coopération économique (jusqu’en 1956), à l’Office des Affaires étrangères (jusqu’en 1957), à la Kreditanstalt für Wiederaufbau (Etablissement de crédit pour la reconstruction) (économiste en chef, 1959), et au département monnaie et crédit au sein du ministère fédéral de l’Economie (1967), dont il a été le chef et a ainsi contribué de façon déterminante au développement des obligations du gouvernement allemand et des droits de tirage spéciaux du FMI. De 1972 à 1974, Hankel a été le chef du directoire de la Hessischen Landesbank.
Depuis 1970, il est professeur honoraire pour la politique monétaire et de développement à l’Université de Francfort. Différents mandats de professeur invité l’ont mené entre autre en 1974/75 à Harvard et en 1975/76 à la chaire Konrad Adenauer de l’Université de Georgetown à Washington D.C.
En outre, il a obtenu un grand nombre de mandats en tant que conseiller de la Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit, entre autre aux Emirats arabes unis et en Arabie saoudite ainsi que dans de nombreux pays du tiers-monde.
En 1997 déjà, Hankel a porté plainte avec d’autres professeurs au Tribunal constitutionnel fédéral contre le Traité d’Amsterdam concernant l’introduction de l’euro, une plainte qui n’a pas été couronnée de succès.
Plusieurs recours constitutionnels contre les plans de sauvetage MESF, FESF et MES, le Mécanisme européen de stabilité permanent, ont suivi. La décision du Tribunal constitutionnel fédéral concernant la dernière plainte est attendue.

Source: Fuldaer Zeitung du 23/3/13