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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°7, 23 fevrier 2009  >  Gaza rappelle Stalingrad [Imprimer]

Gaza rappelle Stalingrad

Les occidentaux prennent la pose devant les caméras tandis que les cadavres se décomposent à Gaza

par Robert Fisk

La Une du quotidien de Beyrouth, «As-Safir» du 19 janvier, a tout dit. Le haut de la page était recouvert de l’horrible photo du cadavre boursoufflé d’un Palestinien que l’on venait de découvrir dans les ruines de sa maison; deux hommes de sa famille criaient, tordus de douleur. En dessous, une photo deux fois moins grande sur laquelle on voyait les dirigeants israéliens et occidentaux plaisantant avec Ehud Olmert, le Premier ministre israélien. Olmert riait à gorge déployée. Silvio Berlusconi aussi, ses bras sur les épaules d’Olmert, jubilait et se tordait – non pas de chagrin, mais de rire – et à la droite d’Olmert, il y avait Nicolas Sarkozy, le Français, affichant un de ses plus stupides sourires. Seuls la chancelière Merkel semblait comprendre l’effondrement moral. Pas de sourire allemand.
L’Europe rit tandis que les Palestiniens pleurent leurs morts. Pas étonnant que dans les rues de Beyrouth, les magasins fassent de bonnes affaires avec la vente de drapeaux et de foulards palestiniens. Il en est même certains, parmi les pires ennemis des Palestiniens au Liban, qui portaient le keffieh en signe de solidarité avec le peuple de Gaza. Constamment sur ses bulletins de nouvelles montrant les images de Palestiniens transportant les corps de leur morts en décomposition, la télévision Al-Jazeera affichait un bandeau: «Plus de 1300 morts à Gaza dont 400 femmes et enfants et treize morts israéliens, dont trois civils». Ces chiffres aussi racontaient tout.
Toute la journée, les Arabes ont dû endurer le spectacle de leurs propres dirigeants paradant et posant devant les caméras au sommet arabe de Koweït où les rois et les présidents qui prétendent régner sur eux souriaient et serraient les mains et feignaient d’être unis derrière le peuple palestinien qu’ils ont si amèrement trahi. Même Mahmoud Abbas était là, le dirigeant sans pouvoir et impuissant de la «Palestine» – on devait se demander: où est-elle exactement? – essayant de se donner de l’importance en se frottant à ses homologues mieux placés en queue de pie et en tunique.
Dérapant et glissant sur les corps de Gaza, cette assemblée suprême est peut-être digne de pitié. Que pouvait-elle faire d’autre? Le roi saoudien Abdullah a promis £ 750 000 pour reconstruire Gaza; mais combien de fois les Arabes et les Européens n’ont-ils pas donné de l’argent à Gaza pour la voir réduite en miettes par les tirs d’obus?
Il faut dire que les deux membres du Hamas encapuchonnés qui ont annoncé qu’ils avaient remporté une «victoire» dans les ruines de Gaza étaient à peine moins hypocrites. Ils n’avaient pas saisi qu’ils n’étaient pas le Hezbollah du Liban. Gaza n’était plus Beyrouth. Il semblait maintenant que Gaza était Stalingrad. Mais quel uniforme le Hamas s’imaginaient-ils porter: allemand ou soviétique?
«Israël doit comprendre» a dit le bon roi – comme si les Israéliens écoutaient – «qu’il n’aura pas toujours le choix entre la guerre et la paix et que l’initiative arabe (reconnaissance d’Israël en échange du retrait jusqu’aux frontières de 1967) présentée aujourd’hui ne sera pas toujours sur la table. Il savait que «œil pour œil … ne signifiait pas un œil contre toute une ville». Mais combien de fois – combien de corps faudra-t-il dégager des ruines – avant que les Saoudiens ne se rendent compte que le moment est passé?
En 2002, les Israéliens avaient sèchement rejeté l’échange de la paix contre la terre, mais hier ils se sont dits brusquement intéressés. «Nous restons disposés à négocier avec tous nos voisins sur la base de cette ini­tiative» a dit le porte-parole officiel israélien – comme s’ils n’avaient jamais rejeté la proposition arabe.
Le Président syrien, Bachar al-Assad, a bien entendu dit que l’initiative était morte à Qatar une semaine auparavant et a insisté pour qu’Israël soit déclaré «entité terroriste». Mais Mahmoud Abbas a fait un pas de plus dans l’humiliation en annonçant que la «seule option» pour les Arabes était de faire la paix avec Israël. C’étaient les «manques» des Arabes qui avaient conduit à l’échec de l’initiative arabe en 2002. Remarquez: pas le rejet par Israël. Non tout était la faute des Arabes. Et ceci venant du dirigeant de la «Palestine».
Pas étonnant que l’homme des Etats-Unis en Egypte – un certain Hosni Moubarak – ait ressassé le vieux slogan éculé «la paix au Moyen-Orient est un impératif qui ne peut pas être retardé». Et ensuite, l’Emir du Koweït a invité Bachar et Hosni et le roi Abdullah de Jordanie et l’autre roi Abdullah d’Arabie Saoudite à déjeuner pour mettre fin à leur querelle (menu inconnu).
Al-Jazeera a montré des corps de plus en plus décomposés tirés de dessous les poutres et le béton concassé alors que ces potentats parlaient de leurs petits différends. Aucun commentaire ne sied à cette mascarade.     •

Article original: Robert Fisk. Posturing and laughter as victims rot. 20/1/09. www.independent.co.uk

Source de la version française:
www.michelcollon.info