Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2015  >  N° 20/21, 10 août 2015  >  Le Plan d’études 21, affaiblit-il les futurs apprentis? [Imprimer]

Le Plan d’études 21, affaiblit-il les futurs apprentis?

wl. «Les élèves sont trop bêtes pour un apprentissage», titre le journal «Blick» du 9 février 2015 et informe sur le fait que la majorité des candidats postulant à une place d’apprentissage commerciale ou technique montre de graves lacunes scolaires. Savoir lire, écrire et calculer et avoir une attitude positive envers le travail voilà les compétences clés dont un apprenti devrait disposer après l’école obligatoire pour répondre aux nouveaux défis d’une entreprise formatrice et de l’école professionnelle. Depuis des années cependant, des voix toujours plus nombreuses s’élèvent pour constater que cette base solide manque de plus en plus aux apprentis.
Beaucoup de maîtres d’apprentissages permettent donc à leurs apprentis de combler ces lacunes pendant les heures de travail. En outre, les écoles professionnelles leur offrent divers cours de rattrapage pour combler les lacunes de l’école obligatoire – et ceci (en partie) également pendant les heures qu’ils devraient passer dans les entreprises. Les responsables de la formation professionnelle consacrent beaucoup de temps et d’argent pour que les apprentis passent leurs examens et malgré leur grand effort, le taux d’échecs est très élevé, notamment chez les électriciens, car il s’élève malheureusement entre 25% et 30%.
Actuellement, l’introduction controversée du Plan d’études 21 anime un débat public quant à la tâche de l’école obligatoire. Les promoteurs de cette réforme promettent une amélioration évidente. En se référant à la notion trompeuse de «compétence» on prétend que les élèves seront plus compétents. Examinons les dessous de cette thèse à l’exemple de l’enseignement des mathématiques. Le quotidien, «Berner Zeitung» du 13 février 2015, rapporte à quel point l’enseignement des maths a changé au cours des dernières décennies.
Le professeur Franco Caluori de la Haute école pédagogique de Suisse nord-ouest explique: «Il y a 30 ans, je me trouvais en face d’une classe et disais: ‹C’est ainsi qu’on le fait. C’est la voie la plus rapide et la plus élégante vers la solution.› […] Aujourd’hui, les élèves sont appelés à chercher leur propre manière de résoudre un problème.» Dans le même article, le professeur Wälti de la Haute école pédagogique de Berne déclare que les idées des élèves devraient être davantage prises en considération quand il s’agit d’évaluer les performances mathématiques, au lieu de noter seulement la précision de la solution. Et le maître de conférence Alfred Zahner de la Haute école pédagogique de Saint-Gall propose par exemple: «Observe pendant dix minutes la circulation à la rue St. Leonard. Détermine le pourcentage de voitures rouges par rapport à toutes les autres qui passent.» Autrement dit: on se rend sur place, compte pendant dix minutes les voitures, pour finalement faire un calcul de pourcentage?(!) et retourner à l’école […]. Apprécieriez-vous plus d’efficacité?
L’enseignement des mathématiques a été considérablement modifié: aujourd’hui, par exemple, l’espace numérique n’est plus étendu pas à pas. Alors que les élèves de la première année scolaire il y a encore quelques années, ont d’abord compté jusqu’à six, puis à dix et finalement à vingt, aujourd’hui ils doivent immédiatement calculer jusqu’à vingt. Autrefois, on a introduit l’important passage par la dizaine de manière systématique, maintenant, les élèves doivent trouver des «voies créatives individuelles» pour y parvenir. En deuxième classe, dans les anciens manuels, les tables de multiplication ont été introduites les unes après les autres et répétées. Dans les manuels actuels, il n’y a plus de tables de multiplication complètes. A qui attribuer ces changements?
Depuis environ 20 ans, la pédagogie enseignée par la plupart des professeurs de la Haute école pédagogique se présente sous le fameux concept du «constructivisme». Mais déjà bien avant, le rôle classique des enseignants qui donnaient leurs cours devant la classe entière avec succès, a été relégué au second plan au profit de l’«enseignement ouvert» et de l’«individualisation». Le «constructivisme» présente ainsi dès les années 1990, une sorte de base théorique pour diverses réformes scolaires: dès lors, on part de l’hypothèse que l’être humain, de nature, n’est pas capable de reconnaître la réalité, mais que dans son cerveau il s’en bricole, «s’en construit» une propre image. Il n’y a plus d’objectivité et c’est seulement au moment où l’élève «découvre» que son image construite n’est pas utilisable pour résoudre ses problèmes, qu’une sorte d’apprentissage a lieu. Ces théories sont totalement en contradiction avec l’enseignant qui introduit les élèves systématiquement et en petites étapes dans un domaine précis. Ce qui est nouveau est qu’il doit juste créer des soi-disant «environnements stimulants» et des «environnements d’apprentissage» permettant aux élèves de «découvrir» quelque chose de manière «autonome».
Le Plan d’études 21 se réfère à cette théorie. Dans le chapitre intitulé «Les bases» on peut lire par exemple: «Dans l’idéal, soutenus par les enseignants et les manuels, des environnements stimulants offrent la possibilité d’acquérir et de renforcer différentes facettes d’une ou de plusieurs compétences et de les consolider dans les situations d’application.» Selon le Plan d’études 21, en mathématiques, les élèves doivent explicitement chercher leurs propres voies, découvrir les relations et formuler les suppositions – on retrouve à nouveau l’idée que les élèves découvrent de manière autonome des structures mathématiques, tandis que l’enseignant doit se limiter à leur fournir le matériel à explorer. Cependant, la plupart des élèves auraient besoin de directives structurées d’un enseignant – et alors au lieu de la compréhension des mathématiques se développe souvent chez eux une dyscalculie et de la frustration.
D’autre part, dans le Plan d’études 21, les «exigences fondamentales» en mathématiques sont à ce point minimes qu’il faut craindre une autre dégradation de la formation – finalement, à force d’«explorer» et de «découvrir» le temps manque pour apprendre et approfondir la matière en elle-même. Contrairement à ce qui s’est pratiqué jusqu’ici: selon le Plan d’études 21, aucun élève ne doit connaître à la fin de la deuxième classe les tables de multiplication. Et même plus tard, il faut juste les connaître sans toutefois les maîtriser. Mais par contre, les élèves doivent déjà se servir d’une calculatrice à partir de la deuxième classe primaire et les multiplications et divisions écrites sont totalement exclues. Plus question du calcul des pourcentages, des puissances et des racines au niveau secondaire, il suffit de l’effectuer avec la calculatrice. Finalement, au niveau secondaire, il n’existe dans ce domaine plus d’«exigences fondamentales» que tous les élèves devraient atteindre.
Dans sa réponse à la consultation concernant le Plan d’études 21, l’Union suisse des arts et métiers constate donc: «Les exigences de la formation professionnelle par rapport aux connaissances et compétences mathématiques sont plutôt modestes. Hors, en 1er année d’apprentissage, il est d’une importance capitale dans la plupart des métiers que les bases soient bien maîtrisées. Ce sont des compétences dont un certain ‹rabâchage› est recommandé, même si le terme est mal vu en pédagogie.»
Jusque dans les années 90, les manuels scolaires avaient introduit l’élève progressivement dans la structure des mathématiques et les enseignants avaient également appliqué en quelque sorte ce «rabâchage». Les programmes scolaires et la formation des enseignants étaient la base d’un enseignement systématiquement structuré. Aujourd’hui, les Hautes écoles pédagogiques proclament haut et fort la didactique du «constructivisme». Il en est de même pour le secteur des manuels scolaires: les manuels systématiquement structurés sont jetés à la poubelle, les nouveaux manuels obligatoires suivent le diktat du «constructivisme». Ils sont déjà axés sur le Plan d’études 21, avant même que celui-ci soit adopté; et dans le canton de Thurgovie par exemple, ces manuels sont déjà déclarés obligatoires.
Cela montre que le Plan d’études 21 fait partie d’un agenda qui ne prévoit ni débat critique ni participation démocratique. Pendant des années, on a élaboré le Plan d’études 21 à huit clos. Les cantons ont dû payer près de 9 millions de francs suisses. Pour les années 2013 à 2021, seul le canton de Thurgovie budgète 4,7 millions de francs pour introduire le nouveau programme scolaire. Non inclus sont toutefois les frais occasionnés par la pédagogie curative scolaire et les cours de soutien aux centres de formation professionnelle. Cours pour les étudiants qui ne découvrent pas eux-mêmes les relations mathématiques ainsi que pour le monitorage systématique de l’éducation prévu sur le plan fédéral pour contrôler l’acquis de toutes les «compétences» exigées. Le monitorage de l’éducation coûte jusqu’en 2019 encore 6,75 millions de francs sur le plan fédéral, les frais pour les cours de soutien et la pédagogie curative sont inconnus.
Il est grand temps que l’industrie s’occupe de la question scolaire. S’il en est ainsi que la bureaucratie de l’éducation et les Hautes écoles pédagogiques ne travaillent plus en faveur de l’ensemble de la société, il s’impose à chaque citoyen et aux entrepreneurs très affairés d’élever leurs voix et d’exprimer clairement ce qu’ils attendent de l’enseignement.    •

Heinz von Foerster, un des fondateurs du constructivisme: «On demande à un enfant: ‹Que donne deux fois deux?› Et il répond: ‹Vert!›
Une telle réponse est imprévisiblement géniale, mais elle […] viole notre désir de sécurité et prévisibilité. Cet enfant n’est pas encore un citoyen prévisible et il se peut qu’un jour, il ne respecte pas même nos lois. Donc nous l’envoyons dans un établissement de nivellement qu’on appelle officiellement ‹école›».

Markus Möhl, président de l’école professionnelle de Lenzburg: «En outre, toujours davantage de jeunes sont de moins en moins résistants. […] Suite aux objectifs éducatifs individualisés et à l’apprentissage autonome, ils ne savent plus guère ce que signifie échouer. […] L’individualisation place les intérêts de l’individu au-dessus du bien-être de la société. Cela favorise l’égoïsme et nuit en fin de compte à la collectivité.» («Aargauer Zeitung» du 15/1/15)