Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°20, 25 mai 2010  >  Liberté signifie participation politique dans la vie quotidienne [Imprimer]

Liberté signifie participation politique dans la vie quotidienne

Entretiens avec des citoyens de Stralsund

thk. Alors que, cette année, on célèbre le vingtième anniversaire de la réunification allemande, bien des gens le feront avec des sentiments mitigés, surtout les citoyens de l’ancienne RDA. Certains ont la nostalgie des acquis positifs du premier Etat des ouvriers et des paysans lesquels existaient sans aucun doute. Faire fi de cela par le terme allemand nouveau    d’«Ostalgie» et vouloir y recon­naître des parallèles aux déclarations similaires que l’on pouvait entendre par-ci par-là sous l’occupation des alliés après l’effondrement du Troisième Reich, – à savoir que sous Hitler tout n’avait pas été si mauvais – tout cela est interprété par ceux qui habitent dans l’Est de l’Allemagne comme un signe d’ignorance ouest-allemande. C’est une tentative déplorable de fermer les yeux sur la réalité brutale. L’arrogance avec laquelle l’Ouest avait triomphé du communisme moribond, pour ensuite faire main basse sur les biens des entreprises du peuple, cela n’a point été oublié parmi les gens.

«Ils nous ont tout pris»

Quand on commence à parler avec les citoyens de là-bas, on apprend pourquoi ils ne peuvent pas trouver de patrie au sein du système de l’Ouest. Le manque de démocratie, le chômage élevé, la perte des industries indi­gènes, la spéculation dans l’immobilier, la fraude commise envers tous les êtres humains, surtout en ce qui concerne le premier stade de la réunification, et le reproche qu’ils seraient moins innovateurs dans l’est et eux-mêmes responsables de la misère, tout cela a privé les hommes de leur fondement vital, et les a rendus citoyens de deuxième classe. «Oui, ils sont venus, et ils nous ont tout pris, on nous avait promis des paysages florissants, rien de tout cela n’est vrai.» Voilà ce qu’on apprend en entrant en conversation avec eux.
Stralsund, c’est une ville portuaire de taille moyenne, située sur la côte de la Mer baltique, et pourvue d’une digue reliant le continent à la célèbre île vacancière de Rügen. On fait des constructions dans beaucoup d’endroits, et il est évident que l’on veut garder le patrimoine culturel. Des maisons chics datant du Moyen Age, qui sont les témoins d’une époque où le commerce grandissant avait fait venir beaucoup d’argent dans les ­caisses des commerçants et de l’administration ­urbaine. Beaucoup de ces monuments sont encore maintenus et fascinent ceux qui les ­regardent. La ville fait l’effort considérable d’entretenir les maisons moyenâgeuses qui se sont conservées et de les aménager afin d’attirer l’attention des touristes, cependant c’est en regardant derrière les façades que l’on dé­couvre souvent un monde triste.

«Stralsund était une ville vivante et pleine de joie de vivre avant le tournant de 1989»

A l’époque de la RDA, économiquement cette ville portuaire a joué un grand rôle, grâce à ses larges chantiers navals. Aujourd’hui encore, en grosses lettres on peut lire «Volks­werft» (Chantier naval populaire). Ces panneaux attirent les regards sur la halle de montage immense, où pendant l’époque de la RDA, des milliers de travailleurs avaient leur gagne-pain. Le nombre d’employés s’est réduit des 7000 à 8000 d’autrefois à seulement 1000 aujourd’hui, tendance à la baisse.
«Beaucoup de ceux qui, après la réunification, avaient émigré à l’Ouest, sont bientôt rentrés.» La forte concurrence sur le marché de l’emploi en Allemagne de l’ouest et le traitement indigne des «Ossies» étaient insupportables. «Je préfère être dans ma patrie plutôt qu’à l’étranger dans mon propre pays», a déclaré un de mes interlocuteurs. «Mais ce n’est pas non plus une véritable patrie. Avant le tournant de 1989, Stralsund était une ville vivante et pleine de joie de vivre. Nous avions souvent des manifestations sociales, que ce soit au port ou dans la vieille ville, il y avait toujours du monde dans la rue, on prenait rendez-vous, on vivait ensemble. Les habitants étaient liés entre eux. Mais cette humanité a disparu, cela a complètement changé.»
Dans un restaurant, j’apprends qu’il y a 30% de chômeurs dans la ville. Bien sûr ces chiffres ne figurent dans aucune statis­tique, mais c’est la réalité. «La ville vit avant tout du tourisme, et l’avenir de ce tourisme est en fort danger, puisqu’il y a une aggravation continue de la situation économique.» En lisant le livre de Joseph Stiglitz «Im freien Fall» on aura une vague idée de ce à quoi nos économies populaires seront encore confrontées. Le paquet de sauvetage de 750 milliards pour l’euro nous donne un exemple effrayant, montrant avec quels chiffres on opère aujourd’hui et comment on tente de résoudre la crise – au détriment des contribuables, sans demander jamais à personne si l’on est d’accord avec ça.

La perte d’humanité

Un père de famille qui est chômeur depuis 10 ans m’explique qu’il ne figure pas dans les statistiques des chômeurs, car il est bénéficiaire d’une allocation de Hartz-IV et travaille à côté pour un euro à l’heure. «Je ne dois pas travailler plus de 100 heures par mois, sinon ce peu que je gagne sera soustrait des 360 euros d’allocation Hartz IV. Proprement dit, c’est une blague, mais je suis content de pouvoir faire quelque chose du tout, même pour un euro de l’heure. C’est absolument frustrant.»
Une femme d’un certain âge est chô­meuse depuis 15 ans. Elle a travaillé dans une garderie d’enfants à l’époque de la RDA et elle a perdu son travail. Elle reçoit également 360 euros par mois. «Ce n’est guère suppor­table mais, comme on veut travailler, je suis contente d’avoir au moins ce job à un euro ­l’heure. On voudrait bien apporter sa contribution à la société et avoir le sentiment d’être utile. Que pouvons-nous faire? Autrefois c’était différent, nous avions tous un emploi, et on prenait soin que chacun puisse collaborer. Ne me comprenez pas mal, mais il y certainement des choses décisives que nous avons perdues avec le tournant de 1989. «Elle aussi a souligné la perte d’humanité, de solidarité, quelque chose de très grave, et la stigmatisation silencieuse des chômeurs à long terme comme «parasites sociaux.»

«Nous n’avons pas de liberté politique au sens d’une participation démocratique»

Après d’autres entretiens, j’apprends qu’en moyenne 5 à 10 candidats sont là pour un job à un euro l’heure. C’est surtout dans la gastronomie que l’on cherche de la main-d’œuvre. Bien des propriétaires de restaurant et d’hôtel se sont complètement surendettés et ils embauchent à un euro des chômeurs à long terme pour pouvoir payer les intérêts élevés. Ils veulent maintenir les salaires au niveau le plus bas possible. Dans la ville de Stralsund, il y aurait plus de 600 jobs à un euro, et la tendance est à la hausse.
La liberté qu’on a promise à ces hommes lors du tournant, montre vite son vrai visage. Cela a ses répercussions sur la participation aux élections des citoyens. «Qu’est-ce qu’on doit élire dans ce pays, personne n’est de notre côté, personne ne fait rien pour nous, il faut nous débrouiller nous-mêmes.» Une participation aux élections d’à peine 50%, avec une moyenne dans la Fédération de 70%, c’est un témoignage net. «Nous avons, ­certes, la possibilité de voyager n’importe où et d’acheter n’importe quoi, tant que la monnaie nécessaire est là, mais, dans ce pays, nous n’avons pas la liberté politique au sens d’une véritable participation démocratique.» Bien sûr, nous avons aussi examiné l’exemple de la Suisse et la démocratie directe, qui est quelque chose de très lointain mais d’enviable. Pour mon interlocuteur, il est clair qu’il y a un monde entre la liberté telle que nous la comprenons en Allemagne et la liberté telle qu’elle ­existe en Suisse. «Si liberté signifie participation politique active au quotidien, donc la participation du citoyen à la prise de décisions politiques, son influence directe sur la politique, nous n’en disposons pas en Allemagne. Nous n’avons ni véritable liberté et ni démocratie. Cela doit changer.»

Avec 750 milliards d’euros on aurait pu créer beaucoup d’emplois

Cette prise de position est claire et nette. Il n’y a pas de démocratie au sens d’une liberté créatrice quant aux affaires politiques, mais l’Allemagne doit commencer à se développer en direction de la démocratie. C’est la tâche devant laquelle le pays se trouve aujourd’hui, avec des citoyens qui ne se sentent pas du tout représentés par la politique. Et au contraire, dans l’est de l’Allemagne, il règne une déception excessive sur l’état du pays et sa classe politique.
«Il n’y a, certes, plus d’espions Stasi que l’on reconnaissait d’ailleurs très vite et dont on se détournait gentiment, mais je ne peux pas non plus dire ce que nous vivons vraiment aujourd’hui, car je risquerais de perdre mon job à un euro», a déclaré un citoyen de Stralsund lequel, pour des raisons bien compréhensibles, ne veut pas révéler son nom. Alors que nous abordons le paquet de sauvetage financier pour les pays de l’UE chancelants, il utilise des propos très forts et manifeste une totale absence de compréhension: «Nous avons tant de chômeurs ici, et la vie en tant que bénéficiaire de Hartz IV est tellement dure. Avec cet argent on aurait pu créer tant de postes! Nous voulons gagner notre pain honnêtement et faire une contribution à la société, nous ne voulons pas d’aumône, mais c’est une effronterie face à nous, citoyens.»
Les gens que j’ai rencontrés ici à Stralsund et autour de Stralsund semblent être accablés, mais aussi indignés par la situation telle qu’elle se présente, et cependant on sent dans la plupart des cas qu’ils seraient prêts à participer à une Allemagne vraiment démo­cratique et juste, malgré leurs mauvaises expériences humiliantes. Les gens aimeraient changer quelque chose, ils désirent plus d’honnêteté, plus d’humanité et une participation vraiment démocratique.    •