Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°45, 10 novembre 2008  >  Vivre sans épargner [Imprimer]

Vivre sans épargner

ww. Si l’on suit de tout près la genèse des banques suisses dans les romans et journaux de l’époque, on s’aperçoit qu’il faut d’abord travailler et épargner avant de prêter et d’investir. Sur le long terme, aucun «tour de magie» n’a jamais pu infirmer ce principe.
Or que s’est-il produit au cours des dernières décennies? Vers la fin des années 60 les USA se sont mis à financer massivement leur escalade guerrière au Vietnam au moyen de la planche à billets, ce qui était inconciliable avec l’ordre économique établi en 1944 à Bretton Woods. Les accords de Bretton Woods fixaient en effet une parité-or pour le dollar (et les autres monnaies) et accordaient aux banques centrales étrangères le droit d’échanger quand bon leur semblait chacun de leurs dollars contre 0,889 g d’or. Une clause dont elles ont alors fait usage, ayant à juste titre, perdu confiance dans le dollar. Là-dessus, le Président Richard Nixon résilia les accords de Bretton Woods et cessa d’échanger le dollar contre de l’or, supprimant ainsi une limitation majeure à l’endettement massif. Le résultat ne se fit pas attendre, et pas seulement aux USA.
Parallèlement, on oublia de plus en plus que même les Etats doivent un jour vraiment rembourser leurs dettes. Il n’était pas réaliste de se décharger de cette tâche sur les générations à venir.
Depuis 1971 les banques centrales ont la possibilité de créer de la monnaie ne reposant sur rien. Le dollar US a perdu depuis les trois quarts de sa valeur par rapport au franc suisse. Le prix de l’or est passé de 35 à 1000 dollars l’once. La quantité de monnaie dans le monde est plusieurs fois multiple de la valeur réelle des biens et services.

«Epargner, c’est pas cool»

Quels effets a eus ce nouvel ordre monétaire sur la population des USA? Eh bien, l’épargne est passée de mode. Comme le montrent les statistiques, le taux d’épargne n’a plus cessé de baisser. En 1980 les Américains épargnaient encore 8% de leurs revenus. Ces dernières années, on en était à 1%, aujourd’hui, à 0,5% (par comparaison: en Allemagne, Autriche et Suisse, le taux d’épargne s ‘élève à 10% environ). A l’inverse les crédits à la consommation et hypothécaires ont connu une croissance fulgurante. L’endettement total des consommateurs américains s’élève à 30 billions (30 000 milliards) de dollars, soit environ 100 000 dollars par habitant. Il s’y ajoute environ 30 000 dollars par habitant de dette publique à charge des contribuables, ainsi que la dette des communes et des Etats. Et ces dernières sont loin d’être négligeables: ainsi la Californie est, paraît-il, au bord de la faillite et a déposé une demande d’aide à Washington.
En ce sens la crise actuelle ne se limite pas à une crise bancaire. Le monde poli­tique porte sa part de responsabilité. La rejeter sur les managers et leurs salaires astronomiques ne suffit pas.

Le meilleur des mondes

Bon: comment acheter des maisons, sans économiser, faire la guerre, sans disposer de l’argent nécessaire? Comment vivre au-dessus de ses moyens? Des questions qui touchent au cœur même de la crise financière actuelle. Quand un peuple ne dispose plus d’avoirs et d’épargne suffisants, il doit aller chercher ailleurs l’argent pour ses maisons, les agréments de la vie etc. Les Américains ont trouvé un moyen. Il supposait d’une part une banque centrale autorisée à créer presque n’importe quelle quantité de monnaie, d’autre part l’accès au marché des capitaux désormais mondialisé. On cherche ailleurs des épargnants disposés à mettre leur argent à votre disposition. Comment ça marche? On «emballe» les dettes et crédits dans des titres que l’on vend ensuite dans le monde entier. La dette publique, les hypothèques, les emprunts pour financer des études, les crédits à la consommation, les dettes communales et bien d’autres, tout y a passé, et dans des proportions excessives. Alan Greenspan, dans un accès «d’autocritique», parle aujourd’hui d’un «tsunami du crédit»
Jusqu’ici les titres avaient toujours trouvé preneur. Comment est-il possible d’avoir «importé» une telle quantité d’épargne? La libre circulation des capitaux, jointe à Internet, permet de transférer de l’argent n’importe où en une fraction de seconde (Je renvoie à
l’article «Un système bancaire ancré régionalement est plus solide», publié dans Horizon et débats du 22 septembre; qui expose en détail les tenants et aboutissants d l’endettement hypothécaire aux USA).

La crise

L’argent à bon marché émis par les banques centrales et la cupidité ont fait des Bourses un gigantesque casino – aujourd’hui plus que jamais. L’instabilité des cours, des prix et des devises invitaient à tenter sa chance. De gros gains rapides et faciles vous appâtaient. «Hedge funds» (fonds spéculatifs) et «Private Equities» (capital-investissement dans des sociétés on cotées en bourse) élaboraient de nouvelles méthodes. Et parallèlement le marché immobilier était en plein boom. Maisons et appartements étaient financés au moyen d’hypothèques de plus en plus risquées. Au cours des dix dernières années, les prix ont doublé.
Aujourd’hui la fête est finie. Le «monde» ne veut plus des nouveaux titres, com­plexes et souvent opaques et des dettes qui y sont «emballées». L’afflux d’argent est tari. Maintenant l’argent manque pour financer les crédits que nécessite le quotidien économique, paiements de traites et investissements. L’épargne, qui selon les principes classiques de la banque y est destinée, a pratiquement fondu aux USA. Les banques n’ont plus de fonds à se prêter entre elles.
Il serait un peu injuste de ne parler que des USA. Si ce sont bien eux qui ont enclenché le processus décrit plus haut, il y a longtemps que les nouvelles pratiques et méthodes de financement se sont répandues dans de nombreux pays.

Et maintenant?

Ces dernières semaines, les banques centrales ont inondé les marchés de sommes gigantesques, espérant ainsi éviter une crise analogue à celle de 1929. Nombre de gouvernements sont intervenus à hauteur de plusieurs centaines de milliards. Ils achètent aux banques leurs titres «modernes» dont aujourd’hui plus personne ne veut et que les médias dénomment souvent «vieux papiers». Ils nationalisent des banques, en totalité ou en partie. Ces derniers jours la Suisse aussi s’y est mise, par le biais des mesures en faveur de l’UBS. Les USA et d’autres pays sont prêts à déverser encore des milliards par centaines pour ranimer la conjoncture.
Les gouvernements seraient-ils tout-puissants, à l’instar de Dieu le Père? A quoi tout cela servira-t-il? Cela suffira-t-il à rétablir la confiance? Cela rassure momentanément – et encore. Les erreurs des dernières décennies n’en seront pas effacées pour autant. De surcroît les gouvernements ne disposent pas de cet argent; ils sont eux-mêmes assis sur des montagnes de dettes. Eux non plus n’ont pas épargné et constitué des réserves pour les périodes de vaches maigres. Bien au contraire, les réserves d’or entassées dans ce but par les générations précédentes ont parfois été vendues car elles seraient désormais «superflues».
Une réorganisation du système financier est imminente. De nombreux «sommets» européens ou même mondiaux sont prévus en novembre. On entend dire beaucoup de choses. On expérimente les taux de change fixes. Sarkozy, l’actuel Président de l’UE, veut créer dans l’espace de l’Euro une gouvernance économique à même de contrôler le système bancaire. Le FMI veut contrôler toutes les banques. Et ainsi de suite. Autrement dit: le système bancaire doit être soumis à un contrôle d’en haut, central et transfrontalier. Est-ce la bonne solution?
Une autre solution existe, en partant de la base, et qui a fait ses preuves. Il y a deux cents ans déjà que les écrits de Jeremias Gotthelf et Heinrich Zschokke nous ont montré la voie. «Tu vois, c’est une caisse où on peut mettre son argent quand on n’en a pas besoin, jusqu’à ce qu’on en ait besoin, et entretemps on te verse un petit intérêt, et ton argent est bien à l’abri, il ne lui arrive rien.» Existe-t-il un modèle qui suive ce principe? Les banques coopératives (de crédit mutuel) à ancrage régional et national pourraient servir de modèle.

2005 est décrété année interna­tionale du microcrédit par l’ONU
Les microcrédits sont des prestations bancaires destinées à aider des gens pauvres mais exerçant une activité économique. Ils se situent en général entre 50 et 100 francs suisses. «Dans la microfinance, nous voyons une application de l’idée de Raiffeisen. En soutenant les gens à l’échelle locale, nous pouvons arriver à un équilibre global.»
Pierin Vincenz, Raiffeisen Suisse