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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2015  >  No 32/33, 30 décembre 2015  >  «Comprendre la personne malade» [Imprimer]

«Comprendre la personne malade»

Pour une médecine en faveur de la chaleur humaine

par Dr Sabine Vuilleumier-Koch

Après avoir publié plusieurs livres critiques sur la médecine actuelle au cours de ces dernières années, Giovanni Maio nous présente avec son dernier ouvrage un «livre d’encouragement». En tant que philosophe et médecin avec une longue expérience clinique, il tient à réconforter les patients. Simultanément, il encourage tous les professionnels, s’engageant quotidiennement dans les établissements ambulatoires et hospitaliers au service de l’homme, de continuer sur cette voie et de ne pas abandonner leurs valeurs intérieures suite aux pressions exercées par une médicine unilatéralement technico-scientifique et dirigée par l’économie. Maio nous présente ses réflexions dans un langage compréhensible à tous.

Giovanni Maio reconnaît le plus grand capital des professions de la santé dans la motivation intérieure de prendre soin des personnes souffrantes. Cette motivation intérieure est progressivement démantelée par le système médical actuel. Maio veut mettre fin à ce démantèlement en renforçant la conscience de l’importance de cette motivation intérieure. Il expose ses réflexions profondément humaines développées  suite à de nombreuses rencontres avec ses patients, des rapports d’étudiantes et étudiants en médecine et des expériences faites au cours de tables rondes publiques.
Dans la première partie du livre, il mène le lecteur tout près de la personne malade et lui donne la possibilité de se mettre avec empathie à la place de celui ou celle qui se trouve «dans une situation hors de la normalité». La capacité de savoir se mettre à la place de l’autre est – outre les connaissances médicales indispensables – une condition sine qua non pour la réussite d’un traitement médical. Dans la deuxième partie du livre, Maio développe des voies pour faire face à la maladie, utiles et précieuses tout autant pour les patients que pour les cliniciens.

Qualification clé du médecin

A notre époque, le traitement du malade suit de plus en plus les exigences de la production industrielle ce qui ne correspond nullement à la réalité d’un traitement réussi. A la comparaison erronée d’un traitement médical avec un processus industriel, Giovanni Maio oppose la réalité qu’en médicine le traitement ne se fait selon un mode d’emploi: «La qualification clé d’un médecin est une approche habile face à la complexité, à la maîtrise de l’incertitude, au maniement professionnel des imprévus pour finalement – à l’aide de ces qualifications – chercher soigneusement la meilleure solution pour chaque patient individuellement.» Dans la première partie du livre, Giovanni Maio introduit déjà une notion, dont le sens sera encore clarifier par la suite: le dialogue. En médecine, on ne peut prendre les bonnes décisions sans dialogue.

«La culture de l’accompagnement»

Giovanni Maio a choisi dans cet ouvrage quatre grands défis de la médecine, en tant que modèle pour beaucoup d’autres. Le traitement de la douleur, du cancer, de la démence et «l’attitude à adopter face à la mort» renvoie au cœur du devoir de la médecine, à savoir «prendre soin des personnes souffrant de symptômes et de maladies qu’on ne peut éliminer par la simple application d’un traitement.» Ce sont notamment ces patients qui risquent d’être négligés par la grille d’évaluation d’une médecine subordonnée à des considérations purement économiques. Maio développe des voies d’accès aux personnes souffrant de ces maladies ce qui s’avère être encourageant et libérateur pour les patients et les personnes aidantes. Dans une «culture d’accompagnement», il est possible de découvrir ses propres capacités et d’apprendre une attitude positive face à la vie malgré la confrontation à des symptômes multiples.

Conditions anthropologiques fondamentales

Le point de départ pour le docteur Maio est toujours les conditions anthropologiques fondamentales reliant les êtres humains entre eux: «Car l’être humain n’est pas un être ‹égologique›, il est fondamentalement orienté sur ses semblables et ne peut, à la base, rien par lui-même. Suite à la capacité de donner à une autre personne le sentiment qu’il n’est pas seul dans sa détresse, chaque personne à également la chance de rendre à autrui de diverses manières ce qu’il a lui-même obtenu – et c’est exactement cette chance que la médecine nous offre.» La démence qui ne peut être rendue «positive» par rien, exige, pour être surmonteé, un regard sur la communauté humaine toute entière: «De cette manière, le défi de la démence peut aussi être une chance pour une voie nouvelle: la redécouverte de la prise en charge de personnes vulnérables comme étant un bien culturel central d’une société.»

Non à la résignation éthique

Giovanni Maio prend clairement position au sujet du suicide assisté de plus en plus propagé de nos jours: «Pourquoi nous concentrons-nous, dans le cas d’un suicide, principalement sur l’aspect de la liberté et non pas sur l’aspect de la détresse qui l’a motivé? Le fait de se demander uniquement si une personne a commis le suicide de manière réfléchie ou non est une approche réductionniste de ce sujet existentiellement si important et est en même temps le signe d’une résignation éthique.» Les personnes en détresse ne désirent pas en premier la mort, mais une autre situation de vie, leur semblant cependant inaccessible. Seulement si la personne aidante est prête à s’ouvrir à cette détresse, à écouter attentivement, elle pourra développer une issue positive avec la personne souffrante.

«Voies pour surmonter la maladie»

Chacun des paragraphes du chapitre «Voies pour surmonter la maladie» offre des préciosités pour la rencontre entre personne aidante et patient et pour les possibilités d’agir en pratique. «Apprendre à accepter – la bonne vie, l’art de bien s’installer», «Confiance – ou pourquoi on ne peut pas porter plainte contre l’essentiel», «Espérer – ce que l’espoir peut signifier pour la médecine moderne» ou «Comprendre la personne malade». Dans ce contexte, Giovanni Maio met en question de nombreux aspects de ce qui a été introduit dans les hôpitaux et les cabinets médicaux sous le dictat des considérations purement économiques des dernières années. La relation de confiance ne doit pas dégénérer en une relation contractuelle. «Ce n’est que la relation humaine interpersonnelle qui permet d’établir une relation de confiance solide lors de la rencontre d’une personne ayant besoin d’aide et d’une personne aidante qualifiée.» Et: «S’il est possible de transformer le contact médecin-patient en une véritable rencontre humaine, la place est donnée pour l’espoir.»
A chaque phrase, la lecture de ce livre ouvre de nouveaux horizons éveillant un effet humainement bienfaisant. L’aspect de l’aide dans la relation médecin-patient est à nouveau éveillé et permet ainsi d’espérer un retour au véritable sens de la médecine. Nous vous recommandons instamment la lecture de ce livre qui n’existe malheureusement qu’en allemand.    •

(Traduction Horizons et débats)

«Actuellement, cette orientation vers la science est renforcée, notamment parce qu’elle se mélange avec l’économie, ce qui provoque de graves conséquences. L’économie et la science forment une alliance si forte que suite à ces deux paradigmes, toute la médecine se transforme fondamentalement. Ces changements sont pratiquement imperceptibles, car ils transforment les attitudes. Davantage que les processus extérieurs, ils concernent la conscience de la médecine, son identité intérieure. Exécuter, mesurer, vérifier, prouver – on exige tout cela aujourd’hui, et étonnamment, pas seulement là où il y a réellement des processus en marche comme dans l’industrie, mais aussi là, où il est uniquement question d’êtres humains. Le traitement de la personne malade suit aussi de plus en plus les exigences prévues pour la production industrielle. C’est la véritable porte d’entrée pour la transformation des valeurs en médecine. Il est donc important de réfléchir soigneusement à la différence entre la production d’objets et le traitement d’êtres humains. Pourquoi la médecine n’est-elle pas un processus de production? Pourquoi la pensée industrielle imposée à la médecine est-elle si insuffisante et dommageable?»

Extrait de Giovanni Maio: Den kranken Menschen verstehen. Für eine Medizin der Zuwendung. p. 13. ISBN: 978-3-451-30687-7

«Si une personne souffre de douleurs chroniques, d’un cancer ou d’un début de démence – elle est toujours appelée à apprendre à gérer ces phénomènes, lui permettant de découvrir pour elle-même de nouveaux espaces d’activités et de ne pas se sentir livrée à la maladie malgré les restrictions qui y sont liées. Suite au processus d’industrialisation et d’économisation de la santé publique, ce qui se perd n’est rien de moins que le sentiment de vouloir aider autrui. C’est par lui que nous exprimons à la personne malade notre reconnaissance ce qui crée en elle un sentiment salutaire d’estime de soi. Tel est le véritable ‹effet› d’une médecine en faveur de la chaleur humaine.
Pour une médicine en faveur de la chaleur humaine – c’est ainsi que nous avons décrit le plaidoyer de ce livre. C’est un plaidoyer pour quelque chose qui a perdu sa place naturelle dans notre système de santé rationalisé à fond, mais qui doit être à nouveau revalorisé en tant qu’objectif suprême de la pratique médicale, psychothérapeutique et soignante. Actuellement, la médecine moderne semble être structurée comme s’il s’agissait avant tout du traitement de personnes fortes en bonne santé et non pas de personnes malades dépendantes, nécessiteuses et souvent désespérées. Car la médecine moderne néglige la solidarité interpersonnelle avec les personnes souffrantes. Elle peut leur offrir un nouveau soutien, les restabiliser, non pas par un soutien continuel, mais en mobilisant les forces intérieures des personnes malades. La chaleur humaine stimule des forces, elle mobilise et libère des potentiels inattendus. Il est donc tout simplement irresponsable d’éliminer tacitement cette force. Car la médecine se prive ainsi du terrain fertile pour son identité centrale – et à terme,  cela ne manquera pas de mal tourner.»

Extrait de Giovanni Maio: Den kranken Menschen verstehen. Für eine Medizin der Zuwendung. p. 206–208. ISBN 978-3-451-30687-7.