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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°43, 31 octobre 2011  >  Trop peu de spécialistes pour les professions techniques – les mathématiques sont le point faible [Imprimer]

Trop peu de spécialistes pour les professions techniques – les mathématiques sont le point faible

par Eliane Gautschi et Alfred Burger

En Suisse, un manque croissant de spécialistes des professions techniques se fait sentir. Le rapport MINT du secrétariat d’Etat à l’éducation et la recherche (2010) constate qu’en 2010 on a compté 16 000 places vacantes dans les domaines des mathématiques, de l’informatique, des sciences naturelles et techniques. Si l’économie devait redémarrer, il en manquerait encore plus. Le choix, par les adolescents, de professions industrielles ou commerciales, ou universitaires, qui demandent assurance et plaisir dans les branches mathématiques, dépend généralement de leurs capacités dans ce domaine: les capacités de calcul et l’envie des adolescents de s’occuper de mathématiques. La question se pose de savoir pourquoi de nos jours tant de jeunes n’ont pas ces capacités, et ce qu’il faut pour les développer assez tôt.

Le manque des fondements

Beaucoup d’entreprises d’apprentissage qui offrent des professions techniques ne trouvent actuellement pas assez de postulants qui conviennent. Dans le temps, notre pays était connu pour la formation de professionnels qualifiés dans des domaines techniques exigeants. Beaucoup d’entre eux ajoutaient à leur apprentissage un séjour de montage à l’étranger en tant que spécialistes recherchés. Cela a changé ces dernières décennies. Les entreprises d’apprentissage constatent que beaucoup d’apprentis n’arrivent plus à suivre les exigences des écoles professionnelles. Souvent, après peu de temps, ils doivent être déclassés à un niveau plus bas, c’est-à-dire au lieu de faire un apprentissage complet ils ne font plus qu’une formation élémentaire. Les maîtres d’apprentissage se plaignent que souvent dans la pratique les apprentis ne sont pas capables d’effectuer les calculs les plus simples. Récemment, un charpentier s’est plaint que son apprenti en deuxième année n’était même pas capable de scier une planche en deux moitiés égales. On entend souvent des affirmations de ce genre. Les enseignants des lycées disent la même chose. Dans plusieurs lycées, on a introduit des cours de rattrapage pour compléter les bases de mathématiques des élèves pour qu’ils puissent seulement suivre les cours à l’école. Même au niveau des universités on a été obligé d’installer de tels cours parce que beaucoup d’étudiantes et étudiants avaient un niveau déplorable en mathématiques. Le taux d’échec aux examens dans les domaines mathématiques et aux études de base en médecine est terriblement élevé.

Tout commence déjà à l’école primaire

Déjà à l’école primaire, beaucoup d’enfants ne savent calculer que de manière très insuffisante. Ils ne maîtrisent la table de multiplication (livret) que de façon incomplète et ont de la peine à calculer un problème de tête. Beaucoup d’enfants n’ont pas l’idée de la place que tiennent les chiffres. Ils ne remarquent donc pas forcément des erreurs grossières de placement de chiffres. Ils sont capables de dire 20 comme résultat de la division de 800 par 4, sans réaliser l’erreur. Ils sont aussi souvent incapables de partager de grands nombres, ce qui est important pour la division et la multiplication. Dans les unités de mesures, beaucoup d’enfants connaissent à peine les mesures comparables et ne peuvent pas se représenter dans la réalité par exemple la longueur d’un kilomètre ou la dimension d’un mètre carré. On pourrait citer beaucoup d’observations de ce genre et les enseignants du secondaire s’en aperçoivent aussi. Cela montre que le malaise a ses racines déjà dans les premières années scolaires. La question se pose de savoir comment nous pourrions y remédier. Qu’est-ce qu’il faut pour que les enfants et les adolescents puissent construire une base pour les mathématiques, et développer de l’intérêt et l’envie d’étudier cette matière.

Un point faible, le nouveau matériel scolaire: la fantaisie remplace la substance

Ces dernières décennies, le matériel scolaire et les méthodes d’enseignement en mathématiques ont changé de façon fondamentale. Cela a des répercussions sur les capacités mathématiques des enfants. Beaucoup des exemples cités ci-dessus s’expliquent avec le nouveau matériel scolaire. Nous allons d’abord les examiner comme une des causes du manque des connaissances mathématiques. Déjà le profane peut reconnaître que le matériel scolaire a changé massivement ces dernières décennies. Du point de vue du graphisme, il est bien fait. Mais il contient beaucoup de choses qui ont moins à faire avec les mathématiques et plus avec des clowneries, et qui détournent les élèves de la matière à traiter. Des éléments ludiques ne se trouvent pas seulement dans le matériel scolaire de primaire mais aussi dans les manuels de secondaire. Beaucoup de manuels ne font plus la différence entre les mathématiques et la géométrie. Certains sont plutôt des livres de lecture avec beaucoup de textes et peu de chiffres, d’autant plus que ce sont des textes qui ne servent pas l’enseignement de la logique. Lorsqu’on creuse plus profondément, on remarque encore d’autres changements bien plus étendus. La matière est complètement hachée et certains domaines ne sont traités que brièvement, puis laissés tomber. Il n’y a pas suffisamment de matériel d’exercice, les problèmes changent d’un devoir à l’autre. Déjà en primaire, les enfants s’occupent de thèmes de secondaire comme les corps géométriques et la probabilité.

Un point faible, les plans scolaires: du hachis mathématique

Dans un grand nombre de cantons, de nouveaux plans scolaires ont été introduits au cours des années 1990, selon lesquels le matériel scolaire s’est orienté. A la place d’un apprentissage constructif et par étapes qui a fait ses preuves, on a introduit le «principe de la spirale». D’après ce principe, apprendre devra se faire en trois étapes: «Effleurer», «travailler» et «consolider». Dans la pratique, ce principe se présente de la manière suivante: l’enseignant «effleure» d’abord un thème et commence déjà après deux pages un nouveau thème. On passe à un problème de mathématiques tout à fait différent, sans avoir travaillé de façon approfondie le premier thème. Les exercices varient constamment, ce qui ébranle un grand nombre d’enfants. Quelque temps plus tard seulement, un thème sera «travaillé» et encore une fois plus tard «consolidé», c’est-à-dire répété de façon que l’élève soit sûr pour travailler ses exercices. Mais dans la pratique on recommence à chaque fois à zéro, parce qu’avec ce principe il n’y aura jamais de bases solides. Il est évident que les enfants ne connaissent pas bien le matériel dès le début. C’est comme si l’on construisait une maison sans fondement, qu’il faut toujours rajuster, bien que les murs soient déjà érigés. C’est bien clair pour tout le monde qu’une telle maison ne peut perdurer – en mathématiques ce principe ne fonctionne pas non plus.

Un point faible, les méthodes d’enseignement: Mais où a passé la pédagogie?

Depuis les années 1990, les enfants sont enseignés par d’autres méthodes d’enseignement. L’accent est mis sur l’apprentissage autonome, l’apprentissage dit de découverte. Les enfants travaillent avant tout d’après des méthodes individualisées, comme le plan de semaine, le «journal de voyage», des ateliers etc. Ils doivent découvrir par eux-mêmes les bases de la mathématique. L’enseignement se fait surtout par des indications écrites, les enseignants se retirent sciemment et se conçoivent surtout comme des organisateurs du processus d’apprentissage. Quand les enfants sont laissés à eux-mêmes et qu’ils doivent découvrir les choses le plus possible par eux-mêmes pendant les cours, une élaboration structurée de la matière est rarement possible, beaucoup de fausses réflexions restent cachées et beaucoup de temps est gaspillé. Certains enfants comprennent la retenue des enseignants comme un manque d’intérêt. C’est surtout dans la matière des mathématiques que cette méthode d’apprentissage est largement utilisée actuellement. L’enseignement avec toute la classe qui a fait ses preuves est dénigré et n’est presque plus utilisé. Un faux principe de la psychothérapie a été transposé dans la pédagogie.

Construction méthodique du matériel scolaire et directives soigneuses des enseignants

Avec le matériel scolaire utilisé actuellement et les formes d’enseignement de découverte, les piliers des cours de mathématiques actuels doivent être mis à l’examen car ils représentent les causes les plus importantes de la problématique décrite plus haut; ils doivent donc être discutés.
La structure du matériel des mathématiques est une des conditions majeures du progrès des enfants dans cette matière. Dans un bon manuel de mathématique, chaque pas d’apprentissage doit se construire logiquement et sans lacunes sur la base du précédent. Les relations mathématiques doivent être expliquées de façon vivante et convaincante pour que les élèves puissent les suivre et comprendre. De cette façon ils saisissent ce qu’ils font et apprennent à y voir clair. Ensuite, la nouvelle matière doit être approfondie et consolidée. Là il faut suffisamment d’exercices, avec une construction logique, et devenant de plus en plus difficiles. C’est une erreur de croire que les enfants ont besoin de beaucoup de distractions et de changements parce qu’ils pourraient s’ennuyer. Les enfants aiment répéter et s’entraîner. En répétant, ils développent la fierté de savoir quelque chose: C’est avant tout cela qui les motive à continuer de s’exercer. Dans cette phase du processus d’apprentissage, les enfants apprennent à appliquer les nouvelles capacités avec assurance et se développent lentement vers des devoirs plus compliqués. Ils peuvent ainsi être guidés vers des problèmes plus complexes, apprennent à reconnaître les questions mathématiques dans des devoirs appliqués (problèmes en texte). La construction suivante de la matière à apprendre s’y joint. Ce qu’ils ont déjà appris sera approfondi dans d’autres contextes, sera répété et ne s’oubliera plus. Comme dans tout autre domaine, le plaisir de la matière grandit lorsqu’on ressent plus d’assurance. Lorsqu’un enfant se rend compte qu’il possède une aptitude, il se réjouit et son intérêt grandit.
Les bases du succès et du plaisir dans les mathématiques sont posées dans les premières années scolaires. En conséquence, c’est le matériel d’apprentissage qui a une importance toute spéciale et doit être construit d’après les principes que nous venons de citer.
Les enfants doivent apprendre à se sentir à l’aise dans les chiffres décimaux. Ils doivent élaborer une représentation de la place des chiffres, développer une image intérieure, savoir ce que représente un certain nombre. Avec les opérations de calcul de base, élaborées dans les manuels de façon méthodique et logique, ils commencent à se mouvoir dans l’espace des chiffres et se procurent peu à peu plus de sécurité avec les questions mathématiques. Pendant toute la scolarité, le training continuel avec le calcul oral ou de tête est très important. Les élèves y exercent les représentations intérieures, leur image des chiffres, acquièrent plus de sécurité et de vitesse pour résoudre les devoirs par écrit et consolident leur représentation de la place des chiffres.
Sur cette base, l’enseignement des mathématiques devra se construire les années à venir. Des parties essentielles de la matière sont l’élaboration pas à pas de la place des chiffres, le passage de la dizaine et son élargissement aux centaines, aux milliers, la table de multiplication et les premiers calculs avec les mesures. A partir de la quatrième s’y ajoutent les fractions, les chiffres décimaux, la règle de trois, les calculs avec les monnaies étrangères etc.
Pour éveiller le plaisir et l’intérêt pour les mathématiques, l’enfant a besoin de beaucoup de directives par les adultes. Là il faut parler de la didactique des mathématiques. L’apprentissage des mathématiques peut être comparé avec l’apprentissage de la marche des petits enfants. La mère doit sentir quand le moment est venu, elle le dirige soigneusement et évite de le décourager. Elle établit le processus d’apprentissage pas à pas, lui donne le soutien nécessaire et augmente les difficultés de façon adaptée. Avec l’écho qu’elle donne aux progrès de son enfant, elle augmente son plaisir et sa motivation. Dans cet échange, l’enfant est de plus en plus sûr de lui et s’encourage de plus en plus. L’idée ne viendrait à personne de laisser l’enfant seul pour apprendre à marcher. C’est comparable à la structuration des capacités mathématiques, le processus d’apprentissage doit s’orienter  selon ce principe. L’apprentissage mathématique est comme tout apprentissage une question de relation avec l’enseignant et avec les camarades de classe. Certains enfants apprennent à partir des erreurs des autres, ils observent bien, se comparent aux autres élèves et s’encouragent mutuellement pour s’améliorer. L’enseignant connaît la matière, avec les obstacles qu’il faut surmonter. Il peut donc la préparer et la structurer à petits pas. Il sait où il est nécessaire de diriger et où les élèves peuvent se débrouiller tout seuls. Avec une présentation soignée, les élèves peuvent structurer les devoirs mathématiques et rendre visible chaque pas. L’enseignant a aussi le devoir de diriger les élèves et d’exiger une présentation propre de leurs cahiers. Les élèves ont droit à ces préparations, car ce sont les conditions importantes pour le succès et le plaisir avec la matière.
Conclusion: Avec le matériel scolaire méthodiquement préparé et les directives soigneuses des institutrices et instituteurs, l’enfant développe pendant sa scolarité les composants des solutions des problèmes mathématiques. Au fil du temps, ils peuvent se résumer à des cercles de problèmes toujours plus globaux. Les mathématiques deviennent ainsi un outil pour la solution de questions qui se posent par exemple dans les domaines de professions techniques. De cette manière, les jeunes d’aujourd’hui pourront à nouveau se passionner pour des professions qui ont pour condition la pensée mathématique. Les générations précédentes, elles, y sont bien arrivées.    •
(Traduction Horizons et débats)

«Il est faux de dire qu’il ne vaut pas la peine d’acquérir un certain savoir parce que tout savoir devient caduc en peu de temps. Dans cinquante ans encore, les langues fonctionneront en gros selon les mêmes schémas, les affluents du Rhin seront toujours à leur place et les fleurs des champs seront toujours les plus fréquentes. Il existe donc un noyau dur sur lequel il faut insister et que l’on peut étoffer le cas échéant. L’instruction ne saurait être assez conservatrice. C’est seulement ainsi qu’elle peut, au besoin, produire des rebelles alors que des programmes qui changent constamment ont pour seul effet que les âmes se perdent dans l’histoire.»
Source: Burkhard Müller, «Wer spricht von Siegen, wenn Überstehen alles ist?», in: Süddeutsche Zeitung, 20-21/8/2011
www.kontraproduktive-bildungsreform-ueberstehen-ist-alles-1.1132927
(Traduction Horizons et débats)