Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°19, 16 mai 2011  >  La farine qui vient du sol [Imprimer]

La farine qui vient du sol

par Heini Hofmann

Sous les tropiques, le manioc représente ce qu’est la pomme de terre pour nous: un aliment de base. Il livre de la farine venant du sol profond et est au quatrième rang d’importance des plantes alimentaires pour plus de 500 millions d’êtres humains. Notre gastronomie commence aussi à découvrir lentement cette racine de pain – pour le plus grand soulagement des personnes de plus en plus nombreuses étant allergiques aux céréales.
Sous les tropiques d’Amérique du Sud et centrale et dans les Caraïbes, le manioc était déjà bien avant la découverte de l’Amé­rique un aliment de base des indigènes. Il y a 500 ans, les Portugais ont apporté cette plante alimentaire en Afrique, d’où elle a poursuivi son chemin victorieux au XIXe siècle jusqu’en Asie du Sud-Est.

Un aliment mondial

Aujourd’hui, le manioc – nommé aussi mandioka, cassave, tapioca ou yuca – est cultivé dans la ceinture équatoriale tout autour du globe. La production mondiale comprend presque 200 millions de tonnes, produit sur une surface cultivable d’environ 20 millions d’hectares, bien que la petite production ne soit pas prise en compte statistiquement. Alors que le manioc était cultivé auparavant par les petits paysans pour leur propre consommation et les marchés locaux, il est devenu aujourd’hui une plante de plantation. On s’étonne: environ un septième de la production mondiale de cette plante importante pour l’alimentation humaine sert en tant que concentré de haute qualité pour l’alimentation animale servant à la production de la viande dans les nations industrielles, ce qui conduit, dans les pays d’origine, à des monocultures.
Les plantes de manioc, appartenant à la famille des euphorbiacées, sont des ar­bustes broussailleux pérennes de deux ou trois mètres de haut avec des branches de couleur gris argenté ou marron, ordonnées en forme de spirale et avec des feuilles réparties en forme de doigts, avec des fleurs vert-jaune et des fruits en capsules à trois valves. On récolte les grandes racines (Rhizome) ordonnées en forme de broussaille et en fuseaux irréguliers, riches en amidon. Leurs dimensions sont impressionnantes: 30 à 100 cm de longueur, 5 à 10 cm d’épaisseur et leur poids est de 1 à 10 kg.

Beaucoup d’amidon et peu de protéine

La peau d’écorce des tubercules est légèrement marron et parfois blanc sale, l’intérieur est de couleur blanche ou jaune et de consistance ferme, et chez les racines plus âgées fibreuse et ligneuse. Le manioc est tolérant dans les sols arides et acides, et relativement résistant contre la sécheresse. Au niveau de la production d’amidon par rapport à la surface cultivée, le manioc dépasse de 10 fois le maïs. Mais malheureusement, il ne contient que très peu de protéine, c’est pourquoi beaucoup de gens dans les pays pauvres, dont l’aliment principal est le manioc, souffrent de manque de protéine. Les méthodes de préparation et la multitude des produits à base de manioc varient de continent à continent et de pays à pays.
En Amérique du Sud, les tubercules sont épluchés, râpés et trempés. Après quelques jours, la masse est pressurée et torréfiée. Ce qui reste dans le pressoir livre la farine de manioc (farinha). Celle-ci sert à la fabrication de la fougasse, de la bouillie, de sauces, de soupes et de boissons alcoolisées (kaschiri). Torréfiée et rôtie dans du beurre ou de la margarine, la farinha est un accompagnement idéal de la viande nommé farofa. La farine de manioc peut être utilisée comme à la farine de blé et sert de remplacement aux personnes allergiques aux céréales. Un produit accessoire provenant de la fabrication de la farine de manioc est l’amidon, qui s’appelle tapioca quand il est torréfié.
Le beijús au Brésil et le conaque aux Antilles, ce dernier cuit au four à partir de la farine de manioc ou de blé, ressemblent à notre pain. Le yuca est un plat très populaire, avant tout au Pérou, et il existe même des yuquitas dans les chaînes de restauration rapide en tant que Snack. D’un goût inhabituel pour nous sont les bâtons de manioc (bibolo), enroulées dans des feuilles de palmiers. Certains produits sont fermentés avant la consommation, ainsi par exemple en Afrique le gari (aliment acide et farineux), le fufu (pâté fin), le lafun ou kokonte (pâté farineux), l’agbelima (pâte fermentée), l’attiéké (grains cuits à la vapeur semblables au couscous) et la garba (une sorte d’attiéké qualitativement moins bonne).

Le «problème» avec l’acide cyanhydrique

Toutes les parties de la plante du manioc contiennent dans leur jus laiteux le linamarin, acide cyanhydrique toxique. Selon le contenu, on distingue deux sortes: le manioc acide avec une grande quantité de linamarin et celui qui en contient une moindre quantité et adouci pour l’exportation (aipim). Tandis que pour ce dernier, le linamarin se trouve principalement dans la couche d’écorce du tubercule, et qu’ainsi de simples étapes de traitement suffisent (éplucher, cuire ou rôtir), le plus acide, dans lequel le linamarin est éparpillé dans tout le tubercule, exige un traitement beaucoup plus intensif. Il faut remarquer que sur les 24 plantes alimentaires principales des êtres humains, 16 d’entre elles contiennent de l’acide cyanhydrique, la plupart du temps cependant en petite quantité et pas toujours dans la partie que l’on consomme.

Récolte durant toute l’année

Dans certains pays, on mange les feuilles de manioc riches en protéine en tant que légume cuit. Toutefois, l’aliment principal demeure le tubercule. Le grand avantage du manioc, c’est qu’on peut le récolter (et l’exporter) – selon besoin – toute l’année et que non seulement il rapporte les plus grands gains parmi ­toutes les plantes à bulbes pour un travail relativement faible, mais aussi que les tuber­cules peuvent rester encore longtemps dans le sol, c’est-à-dire deux ou trois ans sans périr. Ainsi le manioc représente une réserve précieuse pour les temps de famine.
Par contre, les tubercules récoltés pourrissent rapidement; Déjà après quelques jours, ils commencent à s’abîmer. Des rayures bleues noires apparaissent alors dans le tissu de la racine, provenant des petites blessures faites à l’écorce lors de la récolte et qui servent de portes d’entrée aux microorga­nismes déclenchant ainsi le processus de dégradation. La durée de conservation peut être prolongée d’une à deux semaines, quand la température est de 5 à 7 degrés et l’humidité relative de l’air de 85 à 95%, et de quelques jours, quand les tubercules sont enveloppés dans des feuilles en plastique. Pour l’exportation, des méthodes modernes sont aussi utilisées, à part le refroidissement, avant tout une protection de surface en cire.     •
(Traduction Horizons et débats)

Simple préparation

En fait, c’est étonnant que le manioc ne soit pas davantage demandé chez nous. Certes, on le trouve quelquefois sur les rayons, cependant il n’y a que les connaisseurs et les personnes allergiques aux céréales qui le connaissent. Pourtant la préparation est simple: laver les tubercules, les éplucher, les découper en longueur, ôter la veine dure du milieu, couper en morceaux, cuire dans de l’eau salée et servir avec une sauce piquante – par exemple de l’huile d’olive, du persil, du sel et de l’ail. Pour accompagner le poisson, il est conseillé d’enduire le manioc avec du beurre, de le saler et poivrer.
Le manioc cuit, coupé en grand bâton, se laisse rôtir et frire à la poêle. Les tubercules simplement cuits à la vapeur ou rôtis peuvent aussi être broyés en semoule, utilisés comme affinement pour la soupe de pomme de terre ou les sauces, ou – selon une méthode indienne – être cuits en galette.

Une guêpe minuscule comme sauveur

Une pyrale de farine apportée par le Nouveau monde dans les années 70 a conduit dans de nombreux pays ­d’Afrique à une vaste disparition des plantes de manioc. Une catastrophe immense menaçait; car pendant que cette pyrale avait dans sa patrie d’origine des ennemis qui la mangeaient, elle pouvait se reproduire en Afrique autant qu’elle voulait. Il n’était pas question de lutter par des moyens chimiques pour des raisons écologiques et économiques et la culture de plantes résistantes aurait duré trop longtemps.
C’est pourquoi, on s’est décidé d’utiliser des moyens naturels pour la lutte contre l’insecte nuisible. Au moyen d’une petite guêpe provenant aussi de l’Amérique du sud, qui pose ses œufs dans les larves des pyrales et de cette façon les tue, on est arrivé – et ceci encore dans des conditions extrêmement bon ­marché et sans effets secondaires – à empêcher la grande catastrophe. Aujourd’hui, la mini-guêpe du Nouveau monde est complètement intégrée au système biolo­gique d’Afrique, la culture du manioc est sauvée et la faim bannie.

Aide de la Suisse

L’Institut des sciences alimentaires et nutritives de l’ETH de Zurich s’engage, en ce qui concerne le manioc, dans un projet en Côte d’Ivoire, et ceci dans le sens de l’amélioration de la sécurité des produits grâce à des études comparatives visant à réduire le contenu de l’acide cyanhydrique sur différentes sortes et avec différentes méthodes de traitement. Outre la dimension alimentaire technique, la recherche a aussi une dimension technique: la minimisation de l’intoxication chronique due à l’acide cyanhydrique, avec pour conséquence par exemple le manque d’iode (goitre, crétinisme) et le konzo, une maladie d’Afrique centrale avec paralysie des muscles, qui touche avant tout les femmes et les enfants.