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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°37, 15 septembre 2008  >  Avec l’Afrique, nous nous comportons comme des barbares [Imprimer]

Avec l’Afrique, nous nous comportons comme des barbares

 

par Karl Müller

Cherchant à formuler une éthique universelle fondée sur la doctrine sociale chrétienne («Pour une éthique sociale universelle – La proposition catholique», Editions du Cerf, 2004; ISBN 2-204-07748-8), Roland Minnerath, professeur des Universités, membre de l’Académie pontificale des sciences sociales, archevêque de Dijon depuis 2004, a consacré un long chapitre au sujet suivant: «La communauté des nations et la paix». On peut y lire entre autre:
«La réflexion éthique a toujours conçu la paix comme le fruit du respect de l’ordre inscrit dans la nature des êtres, le signe tangible que les rapports humains se déroulent dans la justice et la vérité. La paix commence par s’établir dans notre propre personne: la paix de l’âme et du corps, avec la vie et la santé. Elle se poursuit dans la maison familiale lorsqu’il y a entente et aide mutuelle; elle s’étend à la cité, lorsqu’il y a concorde des citoyens dans la justice. Elle se prolonge dans les relations entre les nations lorsqu’elles sont inspirées par le droit et la justice. La paix doit donc prendre en compte les exigences fondamentales de la nature humaine: la dignité intrinsèque des personnes, leur besoin de liberté, de vérité et de justice. L’absence de guerre n’est pas synonyme de paix. La paix doit être assurée positivement dans les structures des relations entre personnes et nations. Elle est un mouvement continu, qui dérive de la paix des cœurs et va jusqu’à englober les rapports entre les nations. La paix n’est acquise qu’à condition que soient respectées les exigences de l’éthique universelle. Les traités et les institutions internationales sont impuissants à garantir la paix, si les mentalités n’y sont pas accordées.
La paix est le bien de tous les hommes sans exception. Plus que jamais une culture de la paix, renforcée par les différentes traditions religieuses et philosophiques de l’humanité, s’avère nécessaire. Développer une culture de la paix suppose que soient respectées les exigences universelles de la personne humaine, que la faim et la pauvreté soient vaincues, que la solidarité soit mise en pratique, et que les situations d’injustice structurelle soient dénoncées et surmontées, que les droits des peuples soient aussi reconnus.»
Il faut rappeler les exigences de l’éthique à l’humanité tout entière et en premier lieu à nous qui vivons dans les riches pays du Nord. Et rappeler aussi à quel point nous l’avons négligée.
En 2006, Radio Afrika International titrait l’une de ses émissions: «L’Afrique, continent-poubelle». (cf. www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=5862&lg=fr)
On peut y lire que les nouveaux maîtres coloniaux de l’Afrique n’y voient pas seulement un réservoir de matières premières à exploiter, mais encore un continent où stocker les déchets toxiques et radioactifs des pays riches – avec des conséquences terribles pour l’environnement et les êtres humains. Même le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) le confirme dans des rapports de 2005 et 2006, après la découverte, parmi les fûts d’ordures «normales» immergés en mer et poussés sur les plages somaliennes par le tsunami de décembre 2004, de fûts contenant des déchets radioactifs.
La Somalie a hérité, depuis les années 80 «d’innombrables cargaisons de déchets radioactifs et autres résidus toxiques» qui avaient été immergés au large de ses côtes. Pendant des années l’ONU et l’UE ont reçu de «nombreuses plaintes relatives aux conséquences, pour l’homme et l’environnement, du stockage sans précaution de résidus radioactifs et toxiques». Mais durant des années ces plaintes n’ont pas reçu de suite. C’est seulement en 1995 que les Etats de l’OCDE ont décidé de ne plus exporter de déchets dangereux dans des pays non-membres. Décision peu suivie d’effets.
Rien qu’en 2001 par exemple 600 000 tonnes de déchets nucléaires ont été embarquées à destination de l’Afrique: vers le Zaïre, le Malawi, l’Erythrée, l’Algérie et le Mozambique – et la Somalie. Le gouvernement des USA s’était refusé à signer l’accord de 2005. De même des entreprises européennes – l’entreprise ODM, basée à Lugano, est nommément citée – ont continué à demander des autorisations de stockage de leurs déchets nucléaires dans ce dernier pays.
Pourquoi précisément la Somalie? Ce pays est le théâtre d’une guerre civile endémique et est dépourvu de structures étatiques depuis le début des années 90. Le contexte de ce type de «guerres civiles» est éclairé lui aussi par un passage du livre de l’archevêque. «Ces conflits internes sont souvent entretenus par des puissances externes, intéressées par la perspective d’accéder aux ressources naturelles et énergétiques, de renforcer leur position stratégique ou d’écouler leurs armes.» (p. 125) Sans oublier le stockage de leurs déchets radioactifs! Dans le cas de la Somalie, le crime organisé en a tiré profit. – C’est lui qui a en mains le commerce des déchets nucléaires. Et selon l’article, l’Etat italien «encaisse tous les ans 7 milliards de dollars provenant du commerce des déchets atomiques». La raison? Le stockage de déchets nucléaires coûte, en Europe, environ 250 dollars par tonne, en Afrique environ 2,5 dollars.
Et la politique allemande dans tout ça? Willy Wimmer (CDU), député au Bundestag et ex-secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement du ministère de la Défense demande depuis des semaines qu’on ne construise pas à Stuttgart la nouvelle centrale de commandement militaire US pour l’Afrique, AFRICOM. N’ayant reçu jusqu’ici du ministère des Affaires étrangères que des réponses très évasives, il s’est vu contraint de revenir à la charge. Il écrit dans sa lettre du 21 juillet dernier: «Oser parler de ‹défense du monde libre› ressemble à du cynisme et à une raillerie méprisante. Aux yeux de la majeure partie de notre peuple le monde libre ne peut être défendu au moyen de guerres contraires au droit international et de la torture, comme cela se pratique au su de tous depuis des années. Quand des unités des Forces spéciales US basées à Stuttgart interviennent dans des opérations militaires qui ont pour thé­âtre de nombreux Etats africains et que l’Allemagne non seulement autorise ces interventions à partir de son propre territoire, mais encore leur accorde dans cette optique la protection de l’armée et de la police nationales, vous prétendez que notre pays ne peut en tirer aucune conséquence du point de vue du droit international et du droit de la guerre en particulier. C’est faire bien peu de cas des valeurs que vous dites défendre.»
Le dernier chapitre du livre de l’arche­vêque de Dijon porte le sous-titre «Les grands défis actuels.» Ce chapitre traite surtout de la situation dans les pays du Tiers Monde. On y lit entre autres: «Le développement intégral et solidaire de l’humanité est postulé par les principes de l’unité du genre humain et de la destination universelle des biens. L’accès inégal aux biens matériels et spirituels de l’humanité apparaît comme une injustice. […] La justice exige d’abord que soit mis fin aux différentes sortes d’exploitation et de domination des peuples les plus démunis, et que les moyens soient mis en œuvre pour leur permettre de satisfaire mieux leurs besoins et d’accéder aux outils de leur propre développement.»    •
(Traduit par Fausto Giudice/Tlaxcala)