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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°15, 19 avril 2010  >  Arguments contre le libre-échange agricole [Imprimer]

Arguments contre le libre-échange agricole

Une interview de Markus Ritter, Altstätten SG*

hd. Au moins depuis la publication du «Rapport sur l’Agriculture mondiale» il est scientifiquement établi que ni le libre commerce des produits agricoles ni l’agro-industrie ne peuvent endiguer et combattre la faim dans le monde. Plus de 400 scientifiques issus de presque 100 pays ont consacré à ce do­maine plusieurs années de recherches et sont arrivés à un résultat sans appel: c’est la petite agriculture à fort ancrage régional qui assure le maximum de sécurité alimentaire. Le libre-échange, tel que l’OMC et l’UE l’exigent, sert exclusivement les intérêts de l’industrie agroalimentaire et des grosses entreprises agricoles industrialisées qui fixent les prix mondiaux et détruisent ainsi les petites exploitations familiales indispensables pour nourrir la population. C’est surtout dans les pays en développement, mais aussi dans de petits pays comme l’Autriche, la Suisse et beaucoup d’autres pays que cette politique a des effets dévastateurs. Plus d’un milliard d’affamés dans le monde attestent de l’échec du libre-échange agricole. Mais ce n’est pas seulement la vie humaine qui est directement concernée; l’environnement souffre énormément d’une agriculture orientée exclusivement vers le profit et les hausses boursières. Les sols sont surexploités, les régions montagneuses négligées, et la monoculture comme l’élevage industriel favorisent l’apparition de maladies qui nécessitent l’emploi excessif de produits chimiques – le système écologique est fortement agressé.
Si l’on s’appuie sur ces résultats, l’agriculture traditionnelle telle qu’elle est en­core largement pratiquée en Suisse peut servir d’exemple à d’autres pays. Une poli­tique agricole soutenable ne doit pas être syno­nyme d‘isolement et de retour à l’autarcie alimentaire, chose impossible à de nombreux pays en raison de leurs conditions géographiques et climatiques, mais permettre l’échange équitable et honnête des produits agricoles en fonction des données propres à chaque pays. Ce sera le seul moyen d’assurer à l’humanité tout entière une alimentation suffisante.
L’interview de Markus Ritter, président de l’Union saint-galloise des agriculteurs, aborde des questions importantes et indique une voie pour une agriculture durable et orientée en direction du bien commun.

Horizons et débats: Madame la conseil­lère fédérale Leuthard, qui appartient à votre parti, négocie avec l’UE un traité de libre-échange agricole. Pouvez-vous nous dire ce que cela implique?

Markus Ritter: Il s’agit d’une libéralisation totale de tout le secteur vivrier entre l’UE et la Suisse. Toutes les restrictions et tous les droits de douane, tous les obstacles techniques au commerce doivent être abolis. Un échange de marchandises transfrontalier complètement libre, que rien ne gêne, sera alors possible. A première vue c’est séduisant, en y regardant de plus près beaucoup moins.

Comment cela?

Dans les vingt ou trente années écoulées la politique agricole suisse était pensée pour des exploitations familiales. La politique agricole a constaté qu’en Suisse les coûts de production sont relativement élevés. Il fallait donc payer les produits agricoles à un prix qui permette aux paysans et paysannes de notre pays de couvrir ces coûts et de nourrir leurs familles.
En Suisse il existe également d’importants besoins en matière de protection de l’eau, de l’environnement, des animaux et de qualité des produits. C’est ce qu’on voulait reconnaître en fixant les prix payés aux producteurs. On a donc établi un système douanier pour répercuter ces prestations. Les droits de douane sont une des mesures les plus efficaces pour assurer les revenus, parce qu’ils permettent d’obtenir un effet relativement important au prix d’une dépense relativement faible. Ils ne coûtent rien aux contribuables, et de surcroît la Confédération encaisse chaque année 400 millions de francs de recettes douanières, à la grande joie du conseiller fédéral Merz.

Gagnants et perdants

On pourrait maintenant se demander: et sur les consommateurs, quelles retombées? En dépit des droits de douane et du surcoût à l’achat chez les commerçants nous ne dépensons qu’à peine 7% de notre revenu pour nous nourrir. C’est le plus petit pourcentage européen. Des calculs scientifiques concernant le libre-échange agricole ont montré que le revenu paysan serait divisé par deux suite à la baisse des prix à la production. En profiteraient ceux qui peuvent gagner sur les rentes à l’importation, c’est-à-dire la différence entre le bas prix de produits importés et leur prix de vente élevé en Suisse. Oui, les intermédiaires ont un vif intérêt à l’introduction de ce système qui leur offrira une rente sur les importations. Et en même temps – par le biais des mesures d’accompagnement étatiques – de recevoir des fonds de l’Etat afin de réduire leurs propres investissements.

Les entreprises en amont et en aval veulent profiter de ces mesures d’accompagnement?

Oui, ces entreprises ont posé des exigences relativement élevées dans le cadre des activités d’une groupe de travail. Ceux qui exigent à grands cris le libre-échange agricole sont parallèlement ceux qui exigent le plus de mesures d’accompagnement de la Confédération. Et il s’agit de 5 à 7 milliards de francs suisses!
L’agriculture ne demande pas davantage de paiements à la Confédération. Mais ceux qui veulent le libre-échange agricole avec l’UE disent qu’il leur faut beaucoup d’argent pour amortir trois surcoûts. D’abord les investissements qu’ils ont déjà faits. Ils veulent que la Confédération les subventionne partiellement. Ils disent qu’ils doivent pouvoir se battre à armes égales avec les entreprises européennes. De même, en vue d’investissements ultérieurs, l’Etat devrait verser des fonds aux entreprises situées en amont et en aval. En Suisse nous avons un autre type de système. Nous disons: chacun investit pour son propre compte. Il investit à ses propres risques. Et chacun doit voir s’il peut prendre ce risque.
Le deuxième point, ce sont les stocks. Les entreprises en question détiennent des stocks. Et si nous introduisons le libre-échange avec l’UE, les prix vont baisser pour atteindre ceux de l’UE. Donc leurs stocks vont perdre de la valeur. Elles aimeraient bien que l’Etat finance cette perte.
Le troisième point est qu’ils veulent aussi être soutenus dans leur effort de marketing. Et alors là, nous avons été très sceptiques. Si quelqu’un qui parle d’avantages à espérer demande en même temps d’énormes aides à la Confédération, une certaine prudence s’impose. Sans parler des 400 millions de francs suisses que l’Etat perdra en recettes douanières. Là, on peut se demander à qui au juste profite tout ça.

Quelles entreprises exigent la plus grosse part du gâteau des «mesures d’accompagnement»?

Justement les plus gros de tous ceux qui magouillent dans cette affaire. Il n’y a qu’à voir qui est dans l’alliance agroalimentaire, qui pousse à la roue. Beaucoup de consommateurs croient toujours que si les agriculteurs vendent leurs produits moins cher ils les paieront moins cher en magasin. C’est un jugement économique fallacieux. La part qui revient au paysan sur l’argent déboursé par le consommateur n’est que de 25% environ. En outre le marché des produits agricoles et celui des produits alimentaires en magasin sont largement indépendants l’un de l’autre.
Et le plus important, c’est le pouvoir d’achat. Toutes les entreprises – et nous le voyons bien quand nous achetons des autos, des tracteurs et autres biens que nous utilisons tous les jours –toutes les entreprises essaient d’attirer le pouvoir d’achat en fonction de chaque pays. Donc, dans un pays qui a un fort pouvoir d’achat, les prix sont volontairement élevés. Les mêmes produits sont mis en vente beaucoup moins cher en Grèce qu’en Suisse. Les firmes multinationales proposent le même produit à des prix permettant à ceux qui veulent l’acheter de le faire. Et le résultat c’est bien sûr qu’en Suisse les prix sont les plus élevés.
Il s’ensuit donc malheureusement que si les grossistes achètent aux prix pratiqués dans l’UE, cela ne changera presque rien aux prix en magasin.

Certains gagneront simplement davantage.

Oui, les marges augmenteront. Autre preuve, depuis 1990, les prix payés aux paysans ont baissé de 25% alors que les prix en magasin ont augmenté de 15%. Donc l’écart s’accroît. Ce processus s’est un peu ralenti. Mais le libre-échange agricole avec l’UE leur offrirait la possibilité de l’accroître à nouveau massivement. Je ne reproche pas aux industriels de pratiquer cette stratégie, mais il faut savoir pourquoi et comment ils procèdent, et en informer les consommateurs.

Nous aurons vraisemblablement par la suite une vote populaire à ce sujet.

Si le libre-échange agricole était adopté par le Parlement, il y aurait sûrement un référendum. Ce qui m’importe, c’est qu’on parle d’un prétendu avantage pour les consommateurs. Si c’était vrai, on pourrait s’y résigner. Mais ce qui me donne à penser, c’est qu’on ne dit pas toute la vérité à ceux qui vont voter. Et ensuite tous les paysans et tous les consommateurs doivent eux-mêmes décider de ce qu’ils jugent bon et de ce qu’ils veulent changer dans ce domaine.

Est-il exact que le libre-échange agricole conduirait à l’abandon des terres (Vergandung der Natur), surtout dans les hautes vallées et à un exode rural accru dans ces régions? Quel impact cela aurait-il sur l’entretien du paysage?

C’est exact. La société devrait accorder un grand intérêt à l’évolution future de l’agriculture. Vous savez, les paysans sont somme toute un petit peuple heureux. Tous les exploitants agricoles savent qu’ils ne deviendront pas riches, ils font ce métier par amour de la nature et des bêtes. Etre paysan ou paysanne, de nos jours, c’est aussi une vocation. Et toute la famille doit être derrière vous. Les paysans et paysannes se donnent corps et âme à leur métier, et ils l’aiment.
On soigne ses arbres, sas prairies, ses pâturages fleuris, on soigne ses forêts et ses bêtes. Mais on sait que l’on ne sera pas dédommagé à 100% de sa peine. Non, c’est plus que ça. Derrière il y a un certain sens de la vie, une joie de vivre, une philosophie. Une famille qui porte le tout. Et de cela on tire beaucoup plus. C’est ma façon de voir les choses.

Avantages du modèle suisse

Mais cet engagement peut être détruit s’il s’exerce dans de mauvaises conditions. Je suis pour une évolution «sur mesures». Des tables rases comme celle que serait le traité de libre-échange avec l’UE, qui détruirait tout simplement un système en évolution continue depuis des décennies, ce n’est pas possible. Il y a 20 ans que nous travaillons à cette nou­velle politique agricole, basée sur les paiements directs, le dédommagement pour les apports écologiques, et surtout sur la déconnexion entre marché et prestations d’économie générale. C’est un système qui mérite d’être respecté.

Avez-vous l’impression que la voie suivie depuis 20 ans, remplacer les subventions par les paiements directs était un bon choix pour l’agriculture?

Oui, une bonne voie, importante, et surtout très facile à défendre et à expliquer.

Et aussi facile à mettre en œuvre, évitant de trop nombreux détournements et empêchant que des gens profitent de la caisse commune sans rien donner en échange?

C’est l’avantage du système suisse. Tous les ans nous avons les dernières données pour chaque exploitation. Autrefois on ne pouvait pas répertorier toutes les surfaces en permanence et en totalité, mais maintenant nous avons les arpentages, les données sont 100% en accord avec les données du cadastre et les conditions que la Confédération prescrit dans chaque cas. C’est ce qui permet en Suisse un système de paiement tout à fait correct.
Il en va de même pour les cheptels: tous les veaux, toutes les vaches sont enregistrés dans une banque de données. L’informatique nous permet de connaître tout au cours de l’année la moyenne des cheptels au millième près, et donc d’éliminer les sources d’erreurs.

Impressionnant!

Oui, effectivement. Incroyable. Quand un paysan touche un franc suisse, cela correspond à un travail qu’il a effectué au cours de l’année. Et si l’année suivante il ne l’effectue plus, il ne touchera plus rien. Cette transparence est importante.

La politique agricole de l’UE

Dans l’UE bien des choses sont très peu claires. Les paiements se basent sur des relevés et des prestations anciennes.

Que voulez-vous dire?

L’UE a procédé, il y a quelques années, à une enquête relative aux prestations des diverses exploitations. Les paiements directs sont effectués sur cette base depuis cette date, même si les prestations ne correspondent plus.

Maintenant on comprend pourquoi vous dites que nous avons 10 à 15 ans d’avance sur l’UE.

Etant donné la taille énorme de l’UE, il est difficile d’effectuer des relevés tous les ans pour ajuster les versements. Pourtant ce serait nécessaire pour que les dédommagements soient équitables. Chez eux ce n’est pas transparents, l’appareil est trop important. On peut se demander combien de temps on acceptera ce système. Le problème, c’est l’exécution. Le deuxième problème c’est la politique de subventions pour les bâtiments agricoles dans toutes les zones et pour les entreprises en amont et en aval. Elle n’est pas adéquate.

Est-ce cela que vous avez appelé «contributions aux investissements»?

Oui. La plus grande partie des fonds va aux infrastructures. Dans les entreprises en amont et en aval et dans les exploitations agricoles elles-mêmes. Cela crée des incitations factices.
En Suisse la production est régie par le marché. Lorsque la demande est forte les paysans investissent aussi dans les infrastructures. Dans l’UE les subventions poussent à investir dans des bâtiments qui ne correspondent pas totalement aux besoins du marché. Ce qu’il faut faire, c’est récompenser les prestations, et non favoriser la mise en place de structures. Maintenant on veut fondre les deux systèmes en un seul, ça ne marche pas. Voilà le problème de fond.
Sinon il faudrait dire: nous voulons une autre politique agricole en Suisse. C’est au peuple de décider: lâcher l’écologie, favoriser les grosses exploitations et la production de masse. Est-ce bien ce que nous voulons?

Est-ce bien ce que veulent les Suisses?

En adoptant l’article constitutionnel relatif à l’agriculture en 1996, le peuple a décidé de la démarche à engager et maintenant il faut adapter la politique à cette démarche et non l’inverse.

L’article constitutionnel relatif à l’agriculture

Quelle démarche le peuple a-t-il approuvé en 1996?

Dans les années 80 le peuple a plusieurs fois dit non à des dispositions de la politique agricole de l’époque, qui prévoyait de financer les excédents, qu’il s’agisse de fromage, de sucre ou de céréales. En 1995 un nouvel article constitutionnel a été refusé. Cet article aurait été un petit pas en faveur de l’écologie, mais surtout un grand en faveur du marché. Puis a suivi en 1996 un nouvel article qui mettait nettement l’écologie au premier plan. Les paysans étaient chargés de trois tâches: fournir la population en produits alimentaires sains, entretenir le paysage et pratiquer une agriculture écologique. Un quatri­ème aspect était une occupation décentralisée des sols, surtout à cause des hautes vallées excentrées.

Madame Leuthard dit que le Traité de libre-échange ouvrirait à la Suisse un marché de 500 millions de consommateurs. Qu’en dites-vous?

Ce sont des calculs erronés. Les grosses firmes agroalimentaires auraient un accès complet à la l’UE. Mais ce ne serait pas un avantage pour l’agriculture suisse. Nous couvrons nos besoins à 58%. Autant dire que nous pouvons, en Suisse, nourrir 4,5 millions de personnes et que les 3,2 qui restent dépendent déjà des importations. Pour la grande majorité des produits, sauf pour le fromage, nous n’aurions pas les quantités nécessaires pour nous tailler une place en Europe. Il faut tout simplement y penser. Nous ne pourrions conquérir que de toutes petites parts de marché, par exemple certaines régions du Sud de l’Allemagne, l’espace berlinois ou peut-être quelques grandes villes italiennes.
Toute autre prétention n’est pas réa­liste. Nous n’avons pas les quantités. Et nous ne voulons pas miser sur la production de masse, mais sur des produits écologiques et naturels. Nous avons déjà totalement libéralisé le fromage depuis juillet 2007. On peut importer et exporter du fromage sans aucune taxe douanière. Mais dans tous les autres domaines nous n’avons guère de possibilités. Toute autre analyse de la production agricole suisse est illusoire.

Prétendre que ce Traité nous donne des chances est donc un argument purement électoral?

Je vais ajouter quelque chose. On pense toujours que nous pourrions nous mettre à la production de masse. Mais les possibilités d’occupation du sol nous imposent des limites claires. Nous avons 1 million d’hectares de surfaces cultivables, et chaque jour 8 hectares – soit un mètre carré par seconde – disparaissent sous les constructions. Autrement dit, 3000 hectares par an d’excellente terre. Nous ne pouvons pas étendre encore nos surfaces agricoles, elles sont limitées. Tout est déjà utilisé.

La terre – un bien précieux entre tous

Nous ne pouvons pas délocaliser tout simplement la production vers l’Inde ou la Chine. Du point de vue de la productivité nous sommes tous d’excellents professionnels. Mais nous voulons rester naturels, et donc nous limitons l’emploi d’engrais et d’insecticides/pesticides. Nous ne pouvons ni ne voulons tirer davantage de notre sol. Et même, la production va plutôt diminuer dans les années à venir en raison de la perte des surfaces cultivées. Aussi bien dans les zones de montagne, où tous les ans une surface du la grandeur du lac de Thoune disparaît en raison de l’extension de la forêt, qu’en plaine où tous les ans 3000 hectares sont définitivement ôtés à la production vivrière par les constructions. Cette évolution m’inquiète beaucoup.

Durabilité

Les conditions-cadres de la politique agri­cole sont-elles encore soutenables aujourd’hui? Ou ne faudrait-il pas apporter quelques corrections, si l’on ne veut pas épuiser la terre, mais la remettre en bon état, dans trente ans, aux générations futures?

La durabilité implique trois facteurs. De nos jours, on ne satisfait pas à tous. L’une de mes principales préoccupations est le béton­nage, le mitage continu de notre paysage par de nouvelles habitations. De plus en plus de zones constructibles sans densification de l’habitat. Nous avons aussi un gros pro­blème avec l’occupation des sols. Les zones déclarées constructibles ne sont pas mises à disposition. On attend des hausses du prix des terrains et de ce fait on élargit toujours plus les zones constructibles. C’est un problème écologique. Si nous ne freinons pas cette évolution, dans 300 ans tout sera con­struit en plaine, jusqu’au dernier mètre carré. La nouvelle loi d’aménagement du territoire tente de prendre des mesures pour y remédier.
L’agriculture rencontre un autre problème de durabilité: un problème économique, car un traité de libre-échange avec l’UE amputerait de moitié le revenu des paysans. Ces deux points sont à mes yeux les plus importants. Le libre-échange agricole avec l’UE tel que le conçoit l’OMC entraîne des problème économiques, écologiques et sociaux. Nous n’avons qu’une nature et qu’un pays. Il faut absolument en prendre soin.

Sécurité alimentaire

Qu’entraînerait le libre-échange agricole dans le domaine de la sécurité alimentaire?

La sécurité alimentaire est fortement dépendante de l’autoproductivité. J’ai parlé d’une couverture de nos besoins à 58%. Et bien sûr, plus nos prix sont bas, plus nous avons une évolution de type néo-zélandais. C’est-à-dire que de nombreuses exploitations abandonnent et cessent de produire. Dans les zones défavorisées l’exode s’accentue. Quand on produit quelque chose qui ne vaut plus rien, votre motivation en prend un coup. Beaucoup d’exploitants chercheraient un revenu complémentaire. Et alors la production professionnelle perd de sa valeur.
Toutefois la sécurité alimentaire est une question très importante, surtout en raison de la pénurie d’eau au niveau international et aussi de l’augmentation considérable de la population dans le monde. On ne peut faire de reproches à personne, mais c’est un fait: l’humanité compte chaque année 90 millions de membres supplémentaires et en 2050 nous serons 9 milliards. Et tous voudront manger. Il ne faut pas faire de crise d’hystérie, ni s’énerver, mais il faut en être con­scient. Et veiller à ne pas scier la branche sur la­quelle nous sommes assis. Elle ne couvre déjà plus que 58% de nos propres besoins. Il faut y songer sérieusement et réfléchir à un pro­blème de fond: l’approvisionnement en produits alimentaires autochtones sains vaut-il 7% de mes revenus? Si ce n’est pas le cas, nous avons eu tort de voter l’ar­ticle constitutionnel. Et si c’est le cas, il nous faut poursuivre dans la voie de politique agricole où nous nous sommes engagés et ne pas dé­truire notre type d’agriculture en approuvant le libre-échange avec l’UE.
Markus Ritter, nous vous remercions pour cette interview. On sent que vous vous engagez véritablement en faveur d’une agriculture durable qui offre également un avenir à nos paysans.    •

* Markus Ritter, agriculteur, membre du PDC [Parti démocrate chrétien], s’investit dans le
groupe agriculture de son parti, préside l’Union saint-galloise des agriculteurs, dirige une exploi­tation laitière avec élevage, arbres fruitiers de haute tige, abeilles, etc.