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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°41, 13 octobre 2008  >  Penser l’histoire pour l’avenir [Imprimer]

Penser l’histoire pour l’avenir

par Marianne Wüthrich, Zurich

Pendant la session d’automne qui vient de se terminer, les deux Chambres du Parlement fédéral (pouvoir législatif de la Suisse) ont continué d’avancer la transformation de l’armée suisse en une troupe d’intervention de l’OTAN. Le Conseil des Etats veut obliger les soldats de milice à des cours de répétition de plusieurs semaines à l’étranger. Avec cela, la Chambre haute passe par-dessus ce qui avait été promis solennellement au souverain il y a peu d’années, à savoir que les engagements à l’étranger seraient exclusivement facultatifs pour les soldats de l’armée suisse. Grâce à cette promesse et grâce à l’affirmation que les troupes suisses ne seraient envoyées à l’étranger que pour maintenir la paix et non pas pour l’imposer, le lobby de l’OTAN a réussi à faire passer les engagements militaires à l’étranger très controversés à la votation populaire. Maintenant, les soldats devront passer leurs cours de répétition à l’étranger, sous le commandement de l’OTAN, et déjà il y a au Parlement des voix qui parlent d’abolir le service militaire obligatoire, parce qu’une troupe de soldats professionnels pourrait plus facilement être déplacée dans des régions de crises et de guerres.
Les infractions éclatantes et répétées contre le principe de neutralité perpétuelle et armée, et tous ces politiciens qui caressent le rêve de l’adhésion à la politique de grande puissance de l’UE et de l’OTAN, m’ont amené à fouiller dans l’Histoire illustrée de la Suisse de Peter Dürrenmatt.1 J’aimerais rappeler par la suite quelques particularités fondamen­tales et toujours remarquables de l’histoire de notre pays.

Défense de la liberté et de l’indépendance dans l’histoire de la Suisse

Celui qui, sans connaître l’histoire de la Suisse, prend connaissance de l’activité militaire débordante des anciens Confédérés, sera peut-être étonné de l’esprit guerrier dans ce pays. En fait, dans les guerres contre les Bourguignons et les Habsbourgs et autres monarchies, pour les Confédérés il s’agissait toujours de défendre leur liberté et leur indépendance, acquises en 1291 envers les puissances étrangères. Qu’ils aient été capables de se défendre avec autant de succès contre ces puissantes dynasties de monarques européens s’explique par le fait qu’ils savaient parfaitement pourquoi ils se battaient. A l’encontre des soldats de Bour­gogne et des Habsbourgs, de l’empire allemand et des monarques français et italiens qui devaient faire la guerre pour le maintien du règne de leurs rois et leurs princes, pour les troupes fédérales il s’agissait de leur propre affaire, de leur liberté. C’est pourquoi ils étaient des combattants extraordinairement motivés. En rétrospective, un effet négatif de cette performance militaire était que les grandes puissances européennes s’arrachaient les soldats confédérés comme mercenaires. Le motif principal pour des services de mercenaires était l’argent qui affluait dans la bourse des soldats et les caisses des cantons. A part cela c’était aussi l’image d’un peuple invincible qui était en jeu et inspirait quelque respect aux grandes puissances en Europe, ce qui a contribué à ce que les Suisses aient pu garder leur indépendance jusqu’à nos jours.
Cela fait mal de voir comment les politiciens actuels à Berne et les grandes mulitinationales ont, ces dernières années, tendance à vendre la liberté, l’indépendance de la Suisse pour laquelle nos ancêtres ont lutté avec tant d’engagement. Nous ne pouvons pas accepter cela.

Choix de la neutralité perpétuelle et armée

Un grand bien pour l’avenir de la Suisse fut la défaite des Confédérés dans la bataille de Marignan en 1515. Le sang qui a malheureusement été versé à ce moment-là a épargné beaucoup de souffrance à notre pays pour les siècles à venir. Contrairement aux guerres contre les Bourguignons et les Habsbourgs, il ne s’agissait, dans la bataille de Marignan, pas de la défense du sol confédéré, mais d’une tentative de politique d’expansion dans les rapports de force avec les grandes puissances de cette époque-là. C’est une immense chance que cette tentative ait échoué et que les Confédérés aient compris que la politique de grande puissance n’était pas leur affaire et ne correspondait pas à leur structure diversifiée et fédéraliste. Le rappel à l’ordre «Stecket den Zun nid zu wit!» [N’élargissez pas trop vos frontières] que Nicolas de Flue avait instamment adressé à ses amis les Confédérés en 1481, portait alors ses fruits: Les Confédérés ont tourné le dos à la tentation d’agir comme grande puissance en Europe et ont en fait conservé leur neutralité envers l’extérieur depuis 1515. Il s’agissait d’une neutralité armée: Par leur combat pour la liberté pendant plus de 200 ans ils ont acquis le respect des Etats voisins. C’est pourquoi le fait de s’abstenir de participer aux futures guerres n’a pas été considéré comme une faiblesse. La neutralité armée s’est avérée par contre comme une force de la Suisse lui permettant de se mettre à la disposition des autres peuples comme médiatrice. Et il s’agissait d’une neutralité perpétuelle qui a évité à notre pays déjà depuis presque 500 ans des guerres terribles, depuis la Guerre de Trente ans jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
Ne permettons pas que cette acquisition précieuse soit bradée par des politiciens de haut rang suisses et des PDG (souvent des étrangers!) de grandes sociétés, en nous rattachant à l’OTAN. Exigeons que la Suisse se concentre à nouveau sur les missions de bons offices et le travail humanitaire pour la paix, depuis longtemps bénéfiques pour le monde entier, au lieu de continuer à transformer son armée de défense pour qu’elle puisse participer aux engagements de guerre de l’OTAN.

Le fédéralisme comme base d’une cohabitation en liberté

Une autre particularité des anciens Confédérés était l’organisation fédéraliste. A l’en­contre des voisins monarchistes, les treize anciens cantons étaient des Etats autonomes. Il n’y avait donc pas de décisions de la majorité auxquels la minorité devait se plier. Le fédéralisme représente une partie du principe de liberté: Ce n’est que dans une forme fédéraliste d’Etat où les Etats membres peuvent garder, d’après le principe de la subsidiarité, un maximum de leur compétences, qu’une cohabitation en liberté est possible. Tout autrement que dans l’UE, dont les politiciens de premier rang sont persuadés que l’UE ne serait «pas gouvernable» sur la base du principe de l’unanimité, les Confédérés se sont accommodés dès le début de leur histoire du fait qu’ils n’étaient souvent pas d’accord entre eux, et ils ont appris à négocier et à trouver des solutions.
Ainsi les conflits guerriers avec les puis­sances étrangères n’étaient pas du tout des engagements militaires décidés par une instance centrale, mais chaque canton décidait lui-même s’il voulait y participer ou non. Les décisions étaient prises par la «Tagsatzung» qui n’était cependant pas un parlement imposant les décisions majoritaires à la minorité. Dans les guerres de Bourgogne par exemple, Berne a informé les Confédérés en 1476 de l’approche des Bourguignons, ensuite les autres Confédérés et les lieux associés étaient appelés à s’y joindre. Cela veut dire que chaque canton avait sa propre armée qu’il engageait sur une décision autonome. D’après le devoir d’assistance mutuelle, retenue dans tous les pactes fédéraux, habituellement les Confédérés se sont entraidés dans les situations difficiles. Lorsque cependant les Bernois, qui étaient dans ces temps-là une véritable grande puissance, eurent des envies d’expansion après les victoires remportées ensemble sur les Bourguignons, les cantons de Suisse centrale ont refusé de soutenir Berne: «… ils ne voulaient pas lui donner du soutien car ils craignaient déjà son influence trop grande; cette Berne-là leur était trop puissante.»
Ces événements historiques permettent de comprendre que le système fédéral a aussi empêché qu’aucun des cantons ne puisse devenir trop puissant: bien que Berne et Zurich aient eu parfois tendance à faire une politique de grande puissance, ils ont été remis à leur place par les Confédérés.

Médiateur neutre comme condition de base de solutions pacifiques de conflits

Ces événements ne se sont pas toujours dé­roulés de façon pacifique, il y a eu aussi parmi les Confédérés des périodes agitées avec de graves tensions. Mais malgré tous ces conflits jusqu’à des guerres civiles au cours des siècles, le plus important pour les cantons confédérés a toujours été d’établir des ponts et de trouver des voies de réconciliation afin que la Confédération puisse être sauvée. En plus, selon les pactes fédéraux du Moyen-Age, le devoir lors d’un conflit entre deux cantons était tout d’abord «stillezusitzen» [de ne pas bouger, c’est-à-dire de ne pas prendre parti] et de s’en tenir au rôle d’un arbitre médiateur, au besoin défini par écrit. De diverses manières les hommes d’Etat remplissaient ce rôle spontanément ou bien après une délibération commune lors de la «Tagsatzung».
Et le pacte des Confédérés a en fait perduré, même pendant les tensions confessionnelles durant trois siècles entre les cantons catholiques et protestants – depuis la Réformation jusqu’à la fondation de l’Etat fédéral en 1848 – grâce à la volonté de tous de toujours chercher la voie commune en tant que confédération libre et indépendante et de venir, si nécessaire, à la rencontre de l’autre.
Aujourd’hui un retour à ces valeurs est primordial.

Une cohésion à l’intérieur est nécessaire

Dans la politique intérieure suisse, il est nécessaire que nous les Suissesses et les Suisses remettions au centre le devoir du maintien de cette Confédération indépendante et neutre, et celui de prendre soin de trouver des solutions pacifiques aux conflits intérieurs, au lieu de promouvoir l’adhésion de la Suisse à des alliances de grandes puissances, à l’économie mondialisée et aux pactes de guerre, en négligeant de la sorte l’esprit de réconciliation entre Confédérés.

Politique de paix neutre au lieu d’engagements militaires

Dans la politique étrangère, nous devons retrouver notre rôle de médiateur des bons offices. Certains politiciens n’auraient certes pas l’occasion de se mettre en avant, mais au lieu de cela ils auraient la satisfaction d’apporter une vraie contribution à la paix. Seul un arbitre neutre et impartial peut contribuer à une solution pacifique. Les arbitres médiateurs ne doivent avoir aucun intérêt politique, économique ni personnel à un accord entre deux parties en conflit. L’indépendance et la neutralité de la Suisse ne servent donc pas seulement le pays. Au contraire: Le monde actuel avec ses guerres et ses misères humaines a un besoin urgent d’Etats indépendants qui ne soient pas liés à des alliances politiques et militaires.     •

1    Dürrenmatt Peter, Schweizer Geschichte, (Schweizer-Druck- und Verlagshaus AG) Zürich 1963 / Peter Dürrenmatt, Histoire illustrée de la Suisse, adaptation française d’Aldo Dami, Payot, Lausanne 1958–1960