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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°36, 21 septembre 2009  >  Peut-on résoudre le conflit fiscal dans le cadre de l’ordre mondial libéral? [Imprimer]

Peut-on résoudre le conflit fiscal dans le cadre de l’ordre mondial libéral?

Le banquier privé Konrad Hummler plaide en faveur de l’impôt à la source et prend ses distances par rapport aux Etats-Unis

par Werner Wüthrich

«Horizons et débats» a présenté récemment le secret bancaire suisse comme étant l’expression d’une conception libérale de l’Etat qui repose dans une certaine mesure sur la confiance. En d’autres termes, les citoyens ne se considèrent pas comme des sujets qui doivent être surveillés et contrôlés (W. Wüthrich, Le système fiscal suisse, fédéraliste et proche des citoyens, no 32 du 17/8/09). En outre, le secret bancaire n’est pas en Suisse un principe constitutionnel. Les modèles financiers de la «Banque alternative suisse» d’Olten ou la «Freie Gemeinschaftsbank» de Bâle prévoient que les clients qui obtiennent un crédit renoncent volontairement audit secret. Ils sont d’accord pour que leur projet soit publié dans le rapport d’activité. Ainsi, chacun sait comment la banque investit l’argent de ses clients («Horizons et débats» des 13 et 27 juillet). C’est là également une solution juridique qui mérite le respect.

Au cours des dernières semaines, Horizons et débats a présenté différentes banques suisses particulières: banque Raiffeisen, banques coopératives, caisses d’épargne, Banque WIR, Banque alternative suisse de Bâle. Les lignes qui suivent donnent un aperçu du monde des banques privées. Konrad Hummler, associé-gérant de la Banque Wegelin & Co de Saint-Gall, est sans doute la personnalité la plus connue du secteur.
En 1984, les citoyens se sont prononcés sur le secret bancaire. 72% d’entre eux ont refusé d’assouplir la protection de la sphère privée dans ce domaine. Il existe des pays qui ont une autre «philosophie de l’Etat», si bien que des conflits sont apparus qui se sont accentués dans l’actuelle crise financière. Konrad Hummler est sans doute la personne la mieux à même de nous renseigner sur la question de l’impôt à la source. Il s’est exprimé récemment à ce sujet dans une interview accordée à la Neue Zürcher Zeitung.

Stratégie d’avenir pour la Suisse?

Entre-temps, la présidence de l’Association des banques étrangères en Suisse a décidé de prôner la création d’un impôt à la source et ce projet est également discuté dans les rangs de l’Association suisse des banquiers (ASB). Le projet a été baptisé Rubik. La NZZ am Sonntag du 6 septembre estime que ce pourrait être une stratégie officielle d’avenir pour la Suisse. La semaine dernière, le Conseil des Etats a débattu de la question.

Comment fonctionne l’impôt à la source

Les banques suisses prélèvent un impôt à la source sur les intérêts des avoirs que des étrangers font gérer ici et le rétrocèdent anonymement aux administrations fiscales des pays des clients. Le taux d’imposition est conforme aux pratiques fiscales desdits pays. On pourrait prélever également un impôt sur la fortune. Le secret bancaire serait ainsi sauvegardé et aucune surveillance ne serait plus nécessaire. C’est important car aujourd’hui la surveillance des citoyens augmente d’une manière générale.
L’importance économique du projet est considérable. Les banques gèrent actuellement en Suisse pour quelque 2,2 billions de francs d’avoirs (Bulletin mensuel de statistiques économiques de la Banque nationale suisse). Cela représente 30% du marché de la gestion de fortune internationale et les banques suisses sont leaders dans ce secteur. Elles contribuent pour 15% à l’économie suisse. Cette situation a été favorisée par une longue stabilité politique et économique et une monnaie solide.

La banque Wengelin & Co

La NZZ (9 août) a récemment interrogé Konrad Hummler sur l’impôt à la source. Humm­ler est, depuis 1991, associé-gérant de la banque Wegelin & Co de Saint-Gall. Cet établissement a été fondé en 1741 non pas en tant que caisse d’épargne mais pour faciliter les opérations de paiement de l’industrie textile saint-galloise axée à l’époque déjà sur l’exportation. Il passe pour la plus ancienne banque suisse. Wegelin & Co emploie aujourd’hui 600 salariés et possède 10 agences en Suisse. La clientèle est constituée par des particuliers et des institutions suisses et étrangères.
Hummler est président de l’Association des banquiers privés suisses. Cette association créée en 1934 regroupe 14 banques privées «véritables» qui emploient au total 6000 salariés. Ces établissements sont privés en particulier parce que leurs associés constituent une société de personnes jouissant des mêmes droits et responsables de leur banque solidairement et de manière illimitée sur leur fortune personnelle. Wegelin & Co compte aujourd’hui 8 associés liés personnellement à leur banque pour le meilleur et pour le pire. Il n’y aurait probablement pas eu de crise financière si ce type de responsabilité avait été la règle dans le secteur.
Sont membres de l’Association des banques genevoises réputées comme Pictet & Cie, Mirabeaud & Cie, Lombard Odier & Cie, qui plongent leurs racines dans la tradition calviniste et qui ont également été fondées à la fin du XVIIIe ou au début du XIXe siècle. On trouve aussi des banques de ce type à Bâle, à Zurich et à Lucerne. Leur solidité pendant plusieurs générations et leur taille raisonnable contrastent avec les grandes banques de notre monde globalisé. La plupart de ces établissements ont survécu aux crises des deux siècles passés. Ajoutons une autre cause de leur pérennité: Ces sociétés de personnes ne connaissent ni actions ni cours boursiers ni résultats trimestriels ni OPA ni fonds spéculatifs.
Depuis 2004, Hummler fait partie du Conseil de la Banque nationale suisse. Il plaide depuis assez longtemps en faveur d’un impôt à la source. Il estime que cette solution est préférable à l’«échange d’informations en matière fiscale» tel que le souhaite l’UE et qui a été défini par les pays du G-20 lors de leur rencontre d’avril dernier, mais qui ne fonctionne pas.

«Goodbye USA»

Depuis 1909, Wegelin & Co publie des «commentaires d’investissement». Dans le dernier, datant du 24 août, Hummler analyse la situation aux Etats-Unis et tire la sonnette d’alarme. Il n’évalue pas les accords passés entre la Suisse et les Etats-Unis en ce qui concerne UBS de manière aussi positive que le Conseil fédéral. Leur insécurité juridique est énorme, pas seulement pour les Américains. Il s’agit d’un acte de déloyauté. On ne doit pas prendre parti à la légère pour le fisc et condamner les Américains qui placent leur argent à l’étranger. Il faut également voir comment les autorités américaines dépensent l’argent des contribuables. Hummler trace le portrait d’une grande puissance de moins en moins attractive, très endettée et qui a d’énormes problèmes. «Les USA sont de loin le pays qui a provoqué le plus grand nombre d’opérations militaires, une fois sous mandat de l’ONU mais la plupart du temps sans mandat. Elle a violé le droit international de la guerre, entretenu des prisons secrètes, soutenu des régimes douteux […].» Les Etats-Unis font preuve de duplicité en entretenant de très importants «paradis fiscaux» dans le Delaware, en Floride et dans d’autres pays. Sa banque d’émission est contrainte de racheter la moitié de toutes les nouvelles créances avec des billets fraîchement imprimés.
Hummler conclut son analyse en disant que les centres de l’économie mondiale se déplacent vers l’Asie et des pays comme le Brésil. Les doutes sur le dollar vont s’amplifier. Ce déplacement a également des conséquences pour les relations entre la Suisse et les Etats-Unis. «Les processus de restructuration recèlent un potentiel agressif car ils sont douloureux et que l’on préfère rejeter la faute sur les autres.» Hummler conseille de se détourner des Etats-Unis et de vendre les titres américains. Ces déclarations ont rencontré un large écho médiatique.

Le secret bancaire dans les accords internationaux

En mars 2009, la Suisse et l’Autriche, à la suite de fortes pressions, ont abandonné leurs réserves à l’égard de l’article 26 de la Convention modèle de l’OCDE. Elle stipule que des renseignements peuvent être fournis, mais uniquement au cas par cas et sur la base de soupçons fondés de fraude fiscale. Le Département fédéral des Finances insiste sur le fait que le secret bancaire subsiste et que la situation juridique n’est modifiée que pour les clients étrangers. C’est dans cet esprit que différents accords de double imposition ont été renégociés ces dernières semaines. Les négociations avec l’Allemagne ont commencé. Ces accords devront être ratifiés et feront peut-être l’objet d’une votation.
Différents Etats important, comme l’Allemagne, militent en faveur de l’«échange automatique d’informations» et voudraient l’introduire dans l’UE. Cela sonnerait le glas du secret bancaire. Les autorités fiscales nationales auraient accès aux données bancaires de leurs citoyens et procéderaient à des échanges d’information transnationaux. Dans ce domaine important, la sphère privée ne serait plus protégée et le citoyen responsable et autonome deviendrait un citoyen «transparent», surveillé et contrôlé.
Ce modèle rappelle le roman 1984 de George Orwell. Dans cet ouvrage écrit en 1948, l’auteur évoque une vision d’horreur, un Etat de surveillance totale qui pourrait devenir réalité dans un avenir pas tellement éloigné. Cette époque a-t-elle commencé?

Contradiction?

Certains lecteurs sont peut-être d’un autre avis et pensent que c’est bien fait pour ces riches qui placent leur argent à l’étranger et fraudent peut-être le fisc. Les revendications de solidarité, de justice fiscale paraissent justifiées mais elles conduisent souvent à des résultats tout à fait différents ce qu’elle promettent. Le ministre Peer Steinbrück ne cesse de les évoquer pour obtenir l’échange automatique d’informations. La surveillance transfrontalière et la chasse à l’argent des contribuables ne se limiteront certainement pas aux riches. La prochaine étape sera l’harmonisation et l’internationalisation des systèmes fiscaux et une augmentation des impôts pour tous. Cela parce que les plans de sauvetage et de relance très onéreux ne peuvent pas être financés autrement, à moins de faire fonctionner la planche à billets. Cela met en péril le modèle de société libéral et la souveraineté de chaque Etat.

Coopérer, mais avec qui?

Le modèle de société suisse est en contradiction avec l’«échange automatique d’informations» tel que certains politiques le prônent. Un «nouvel» ordre constitué de davantage de pouvoir et de contrôle des citoyens se dessine à l’horizon.
Quelle solution la Suisse et d’autres pays pourraient-ils proposer pour respecter la sphère privée? L’actuelle récolte de signa­tures en faveur de l’initiative populaire visant à inscrire le secret bancaire dans la Constitution en est une. Avec qui le gouvernement suisse va-t-il coopérer? Avec ceux qui sapent la souveraineté nationale et sont favorables à un «nouveau» régime transnational? Ou avec ceux qui défendent un ordre mondial libéral?
Le principe de consensus reste inscrit dans les statuts de l’OCDE. Des listes noires, grises ou blanches et la rhétorique qui les accompagne ne doivent pas faire oublier qu’on ne peut contraindre aucun pays à quoi que ce soit. Une convention qui engage tous les pays membres doit être respectée par tous les membres.
L’impôt à la source est une solution qui satisfait financièrement les administrations fiscales, également à l’étranger, et qui sauvegarde la liberté et la sphère privée des citoyens.    •
(Traduction Horizons et débats)