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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N° 49, 26 novembre 2012  >  «La défense de la souveraineté des Etats nations est la tâche actuelle de ceux qui ne veulent pas renoncer à la liberté du citoyen en tant qu’être humain» [Imprimer]

«Le souverain c’est l’ensemble des citoyens, et non pas leurs représentants dans les organismes de l’Etat. La souveraineté en tant que liberté ne peut donc pas être retirée aux citoyens sans porter atteinte à leur dignité.»

«La défense de la souveraineté des Etats nations est la tâche actuelle de ceux qui ne veulent pas renoncer à la liberté du citoyen en tant qu’être humain»

par Karl Albrecht Schachtschneider, professeur de droit public

hd. Il y a quelques semaines, le nouveau livre de Karl Albrecht Schachtschneider, professeur universitaire de droit public allemand, a paru. Cet ouvrage intitulé «Die Souveränität Deutschlands. Souverän ist, wer frei ist» [La souveraineté de l’Allemagne. Souverain est celui qui est libre]. Sur 350 pages, il élucide, sur la base de l’histoire et de la systématique du droit, les notions de base qui sont en relation avec la notion de souveraineté. L’auteur explique notamment que la liberté politique est incompatible avec la domination d’hommes sur d’autres hommes.
Le livre analyse les diverses théories de la souveraineté qui ont été formulées et mises en pratique au cours des siècles et comment, au siècle des Lumières, l’idée de la souveraineté citoyenne s’est imposée. A partir d’études historiques l’auteur développe une notion de souveraineté libérale pour ensuite se consacrer à la question de savoir à quel point l’Allemagne actuelle est souveraine. Les dernières 150 pages de cet ouvrage démontrent clairement, pourquoi l’Union européenne, son Union monétaire et notamment le MES sont en contradiction avec la souveraineté et constituent ainsi une attaque contre la dignité de l’homme, contre sa liberté politique et contre «l’humanité de l'homme».
Le livre de Karl Albert Schachtschneider traite avant tout l’exemple allemand, ses réflexions fondamentales sont néanmoins de grande importance pour tout pays. Avec l’aimable autorisation de l’éditeur nous publions ci-dessous les avant-propos et l’introduction du livre.

La souveraineté est sur toutes les lèvres. La défense de la souveraineté des Etats nations est la tâche actuelle de ceux qui ne veulent pas renoncer à la liberté du citoyen en tant qu’être humain. La souveraineté est synonyme de liberté. Elle ne peut se réaliser que dans les Etats de droit, dans les démocraties, dans les Etats sociaux, donc dans les républiques.
Actuellement on tente d’abolir la souveraineté des peuples européens par l’intégration européenne et globale. Pour le Tribunal constitutionnel fédéral la souveraineté de l’Allemagne représente la limite de l’intégration. Il constate cependant que cette réserve relative à la souveraineté n'est pas assez explizite dans la Loi fondamentale allemande. La notion républicaine de la souveraineté n’est ni clarifiée, ni même suffisamment discutée. Il reste donc à donner une base solide à la souveraineté libérale.
La science du droit public allemande n’a pas vraiment pris en compte la révolution de 1918. Elle continue à concevoir la souveraineté comme le pouvoir de l’Etat, tout en le séparant de la société. Elle traite les citoyens comme des sujets de l’autorité, qui ne disposent que de peu de libertés.

Le souverain ce sont les citoyens

La souveraineté du peuple est souvent limitée au pouvoir constituant. Mais souverain est uniquement celui qui est libre, donc le citoyen. C’est lui qui façonne sa vie et son Etat avec tous les autres citoyens, et de cette manière il est homme politique. Le souverain c’est l’ensemble des citoyens, et non pas leurs représentants dans les organismes de l’Etat. La souveraineté en tant que liberté ne peut donc pas être retirée aux citoyens sans porter atteinte à leur dignité. Elle ne peut pas non plus être transférée à l’Union européenne. La souveraineté a des limites aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Elle peut être violée, et en réalité elle l’est profondément, par l’Union européenne dans sa forme actuelle, notamment par l’Union monétaire et économique. Qui veut priver les Allemands de leur souveraineté doit créer un nouveau peuple et un nouvel Etat, le peuple de l’Union et l’Etat de l’Union. Cela ne peut se faire ni contre la volonté de l’ensemble des peuples de l’Union, ni contre celle des Allemands. C’est précisément cette volonté que craint la classe politique, et c’est la raison pour laquelle elle vide la souveraineté insidieusement de son contenu. Il faut que les citoyens s’y opposent, pour leur dignité et leur liberté.
Tous mes procès devant la Cour constitutionnelle concernant la politique européenne avaient pour but de défendre la liberté et les droits des Allemands, c’est-à-dire leur souveraineté, avec un succès modéré, mais non pas sans succès. Ce livre soumet au lecteur une théorie de la souveraineté libérale, démocratique, civique, fondée sur le droit, une théorie citoyenne de la souveraineté qui fait partie de la théorie sur la république. Il traite également des enfreintes contre la souveraineté de l’Allemagne.

Le ministre des Finances allemand fait la révérence au capitalisme illimité

Le 18 novembre 2011, Wolfgang Schäuble, ministre fédéral des Finances, affirme devant les banquiers réunis au Congrès bancaire européen que l’Allemagne «depuis le 8 mai 1945, n’a été, à aucun moment, pleinement souverain». Voilà la révérence de l’Etat devant le nouveau souverain, le capitalisme illimité. Il semblait vouloir justifier ainsi le fait que les Allemands devaient accepter une restriction supplémentaire de la souveraineté de l’Allemagne suite à une Union budgétaire européenne qu’il croyait pouvoir ériger en 24 mois. En «Europe», continua-t-il, la souveraineté se trouvait depuis longtemps «conduite vers l’absurdité». La souveraineté de l’Allemagne est un problème central de l’intégration de l’Allemagne dans l’Union européenne, mais elle crée toujours encore le débat concernant la position de l’Allemagne dans la communauté des Etats.
Par contre, Vladimir Poutine a déclaré le 27 février 2012, peu de temps avant sa réélection à la présidence russe, dans les colonnes du quotidien russe «Moskovskie Novosti», concernant la «Russie face au monde en transformation»: «Les nombreux conflits armés, éclatés ces derniers temps et justifiés par des buts humanitaires, violent le principe sacré de la souveraineté des Etats qui prévaut depuis des siècles. Dans les rapports internationaux on crée ainsi un nouveau vide, de caractère moral-juridique. On entend souvent dire que les droits humains prévalent devant la souveraineté étatique. C’est certainement juste – tout crime contre l’humanité doit être sanctionné par les tribunaux internationaux. Mais lorsque sous de tels prétextes la souveraineté des Etats est facilement violée, lorsque les droits humains sont défendus de manière sélective par des forces extérieures, lorsque par cette «défense des droits humains» les droits de beaucoup d’autres individus sont violés, y compris le droit sacré à la vie, il ne s’agit pas d’une cause noble mais de démagogie pure et simple.»1 Le juriste russe semble apparemment mieux comprendre ce qu’est la souveraineté que le juriste allemand.
Depuis des siècles, la notion de souveraineté, aussi lourde en conséquences que contestée, était plutôt une notion de combat en politique constitutionnelle qu’une notion constitutionnelle prête à la subsomption. Elle changeait selon les circonstances politiques qui prédominaient. Une fois elle désignait le pouvoir suprême du prince, mieux son droit de l’exercer, puisqu’il était le représentant de Dieu sur Terre, ou le représentant du peuple (souveraineté princière), une autre fois elle était synonyme de celle du peuple lui-même (souveraineté du peuple), dans la plupart des cas limitée par le droit naturel, le droit international, le droit constitutionnel ou par l’existence d’accords, mais souvent aussi entièrement illimitée.
Hans Boldt, Werner Conze, Görg Haverkate, Diethelm Klippel et Reinhart Kosseleck nous ont soumis – dans le Historisches Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, tome 6, Geschichtliche Grundbegriffe, St-Vert, 1990, sous l’entrée «Staat und Souveränität», p. 1–154 (cité par la suite sous le nom de «Geschichtliche Grundbegriffe») – une présentation complète et utile de l’histoire de la notion de souveraineté et en même temps de l’histoire de la souveraineté même. Helmut Quaritsch, dans Staat und Souveränität, tome 1: Die Grundlagen, paru en 1970, en a posé les fondements, et a retravaillé l’histoire de la notion dans Souveränität. Entstehung und Entwicklung des Begriffs in Frankreich und Deutschland vom 13. Jahrhundert bis 1806, paru en 1986.
La notion de souveraineté a donc connu une histoire bien agitée. Son contenu est lié à la situation du pouvoir et à la situation du droit qui prévalent, et il s’adapte à ces situations. Quant aux théories du droit, elles sont elles-mêmes largement liées aux conditions de la vie et à celles des puissances établies. Les changements des paradigmes du monde réel, déclenchés par les religions, les philosophies, les techniques, les sciences, les politiques, les bouleversements ou les révolutions ont également leurs répercussions sur la notion de souveraineté, particulièrement sur elle. Mais le droit à l’humanité de l’homme – ce droit né avec lui, avec chaque individu –, la liberté et, inséparablement liés avec elle, les droits humains, sont au-dessus des circonstances, au-dessus de la situation historique du moment. Même si le droit ne défini que rarement la réalité, il faut que le droit guide l’idée de l’humanité de l’homme, l’action des hommes, leurs réalités. C’est la tâche éternelle de la théorie du droit, de servir les hommes. Mais dans la plupart des cas, elle sert le pouvoir, auquel trop de spécialistes du droit aiment participer.
La souveraineté comprend, comme guère une autre notion, l’état des communautés humaines. Ainsi le théisme du christianisme et la religion vécue pendant des siècles avec le pouvoir spirituel et réel de l’église ont engendré une autre théorie de la souveraineté que l’athéisme ou même le déisme du siècle des Lumières qui a formé le monde réel d’une manière plus ou moins laïciste.

La notion de souveraineté de l’Etat moderne

Suite à l’évolution de l’Etat moderne, qui se définit par la territorialité du système politique, à la différence de la personnalité des conditions politiques, la notion de souveraineté est devenue la notion conductrice de la politique et ainsi de la théorie de l’Etat. C’est pourquoi la théorie moderne de la souveraineté se développe surtout en France, le premier Etat marqué par la domination territoriale après l’Empire médiéval caractérisé, lui, par la seigneurie personnelle. La pacification de la guerre civile des confessions exige un homme fort, un prince souverain, le princeps, principe ou prince, qui décide du droit et du tort, et capable d’imposer le droit qu’il définit lui-même. Les conditions préalables techniques de la domination territoriale suffisent à un tel concept de souveraineté.
Le maître penseur le plus influent de cette théorie de la pacification, motivée par la guerre civile sanglante entre les catholiques et le protestants en France, est Jean Bodin avec son œuvre intitulé Les six livres de la République, paru en 1576. Son enseignement reste, quoique dirigé contre l’influence politique des états, notamment celui de l’Eglise, lié à la religion. La limite de la souveraineté, conçue comme «suprema potestas» du prince, est le droit naturel, le droit divin et, par là, tous les traités. Le prince doit respecter cette limite pour ne pas être soumis à la punition divine. Aucun homme ne peut le contraindre. La répartition des pouvoirs est opposée à la souveraineté.

Les théories de souveraineté de Jean Bodin et Thomas Hobbes

Avec le développement des Etats territoriaux aussi en Allemagne après la guerre de Trente Ans, la théorie de la souveraineté de Bodin s’impose aussi en Allemagne et finalement dans toute l’Europe. L’absolutisme monarchique apparaît. 75 ans après Bodin, Thomas Hobbes écrit en 1651 le Leviathan comme réponse aux frayeurs de la guerre civile en Angleterre entre Charles I., le Parlement et Oliver Cromwell. Son œuvre soutient l’absolutisme par contrat dogmatique et sert jusqu’à aujourd’hui de justification pour de nombreux penseurs concernant l’autorité de l’Etat. Niccolo Machiavel, lui-même républicain, avait déjà justifié la raison d’Etat affirmée par tous les moyens dans les cités de l’Italie comme nécessité d’un régime pacifiant dans son œuvre Il Principe, de 1513, publié à titre posthume en 1532. Le machiavélisme marque encore aujourd’hui les méthodes d’un grand nombre d’hommes politiques.
Le Renascimento, la Renaissance, la réincarnation de l’antiquité et par elle des Lumières grecques, se transforme en une conception des Lumières, critique envers la religion, des temps modernes. Celle-ci postule la liberté de l’homme et elle change le monde politique. Le pouvoir ne peut plus être justifiée par la volonté de Dieu, le monarque n’est plus le représentant de Dieu sur terres, il ne l’est déjà plus chez Hobbes, dont le «Leviathan» est un représentant du peuple. De plus en plus, la communauté est conçue libéralement telle une république.

Liberté et souveraineté au temps des Lumières

Les grands maîtres penseurs de la liberté sont Jean-Jacques Rousseau avec son Contrat social, 1762, et Emmanuel Kant avec ses publications Critique de la raison pure, 1781/87, Fondation de la métaphysique des mœurs, 1785/86, Critique de la raison pratique, 1788, Métaphysique des mœurs, 1797/98, Projet de paix perpétuelle, 1795/96, et encore d’autres textes sur la critique. Mais aussi John Locke, Les deux traités du gouvernement civil, 1690, et Charles Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748, ont beaucoup contribué à la diffusion de la conception d’une république empreinte de liberté.
Après que Napoléon ait transformé la maxime «liberté, égalité, fraternité» en un nouveau césarisme et soumis l’Europe, l’idée de liberté et le principe national ont fait leurs preuves dans les guerres de libération. Mais, la Restauration de Metternich et le romantisme ont repoussé efficacement la liberté politique et avec elle la souveraineté du peuple. La révolution douce de 1848 a échoué en Allemagne.

De Hegel à Carl Schmitt: contre la liberté

Le philosophe du constitutionalisme restaurateur est Georg Wilhelm Friedrich Hegel. Son ouvrage Principes de la philosophie du droit, ou droit naturel et science de l’Etat en abrégé, 1821, prône le dogme d’Etat basé sur une métaphysique historisante qui comprend l’Etat comme la réalité de la raison et de la moralité et qui le sépare de la société en tant que système des besoins. L’Etat est à l’intérieur et à l’extérieur une domination consciente d’elle-même et autonome. Sa volonté n’est pas seulement raisonnable, l’expression du Weltgeist, mais elle est aussi le Droit. Hegel se moque par l’ironie de la liberté politique des citoyens dans le sens de Kant à cause de ses «pensées insipides». Hegel met la souveraineté extérieure au-dessus du droit. La victoire décide sur le droit et le tort. Hegel a diminué la force du mouvement de la conception de la liberté rationaliste en Allemagne jusqu’à aujourd’hui, et il a justifié la domination par l’Etat. Cela a eu des conséquences dévastatrices, mais Hegel était le philosophe déterminant de l’Allemagne du XIXe et de la première moitié du XXe siècle. Cependant, les textes constitutionnels de l’Allemagne, déjà la Constitution de Weimar et plus encore la Loi fondamentale, sont conçus dans l’esprit de Kant. Hegel pourtant a toujours beaucoup d’adeptes.
Le plus frappant est Carl Schmitt, dont la théorie de la souveraineté n’est pas seulement existentialiste mais elle est majestueuse et dictatoriale. Son texte le plus important au sujet de la souveraineté outre la Théorie de la constitution, 1927, et La dictature, 1923/1927, est la Théologie politique. Quatre chapitres concernant la théorie de la souveraineté, 1922. La première phrase de ce texte est souvent citée: «Est souverain celui qui décrète l’état d’exception.» Cette position est très éloignée du droit. Schmitt refuse la liberté comme principe de forme politique. Aujourd’hui encore, Carl Schmitt a beaucoup d’adeptes en Allemagne et dans le monde. Dans la théorie régnante du droit de l’Etat, il y a des notions centrales qui proviennent toujours de Schmitt, notamment l’idée majestueuse de la représentation.
Hans Kelsen se prononce contre la souveraineté sur la base de son irréaliste Théorie pure du droit qu’on retrouve dans Das Problem der Souveränität und die Theorie des Völkerrechts. Beitrag zur reinen Rechtslehre, 1920, 2e édition 1928. Hermann Heller aussi s’est penché intensément sur la souveraineté, notamment dans La souveraineté, 1927, et auparavant dans Hegel und der nationale Machtstaatsgedanke in Deutschland, 1921. Sa théorie de la souveraineté ne s’éloigne pas de Hegel, malgré sa rude critique, et reste une théorie dominatrice.

Des professeurs de droit public allemands véhiculant une notion douteuse de la souveraineté

Aucune dogmatique sérieuse de la souveraineté n’a été développée dans le contexte de la Loi fondamentale. Les différents écrits sont déterminés par un hégélianisme peu conscient, et sont toujours orientées vers la domination. Martin Kriele accepte dans son Einführung in die Staatslehre. Die geschichtlichen Legitimationsgrundlagen des demokratischen Verfassungsstaates, 1975/2003, uniquement la souveraineté du peuple comme pouvoir constituant, mais il la récuse dans l’Etat constitutionnel du pouvoir constitué parce qu’il ne voit la souveraineté uniquement comme droit de domination sans séparation des pouvoirs. Une théorie libérale de la souveraineté, qui cherche à se rattacher à Rousseau et Kant, n’a pas encore été développée. Werner Mäder ne l’a pas non plus développée dans ses publications Kritik der Verfassung Deutschlands. Hegels Vermächtnis 1901 et 2001, 2002, et Vom Wesen der Souveränität. Ein deutsches und ein europäisches Problem, 2007. A juste titre inquiet, il juge la souveraineté de l’Allemagne prioritairement selon les notions de souveraineté de Bodin, Hobbes, Hegel, Heller et Schmitt et il critique l’intégration européenne de manière justifiée comme étant une perte de souveraineté.
Le Tribunal constitutionnel fédéral utilise la notion de souveraineté de manière fondamentalement correcte, il la concrétise par certaines réserves relatives à la souveraineté, mais il n’a pas tenté de définir cette notion. Le débat actuel souffre surtout du fait qu’on ne définit pas suffisamment ce qui est à entendre par souveraineté. La souveraineté est devenue un terme polémique. Mais, c’est une notion juridique, autant dans le droit international que dans le droit public, dont la définition est lourde de conséquences. Le droit ne peut être considéré que comme réalité de la liberté. La souveraineté est donc une catégorie de la liberté, c’est-à-dire la liberté de l’homme et du citoyen, à savoir la liberté du peuple en tant qu’entité citoyenne. C’est ce qu’il faut définir avant de débattre des limites et des violations de la souveraineté intérieure et extérieure et des aspects particuliers de la souveraineté de l’Allemagne.

Souveraineté libérale

Dans ma publication Freiheitliche Souveränität, j’ai présenté les diverses théories de la souveraineté mentionnées ci-dessus et j’ai notamment analysé de manière critique les théories dominatrices de Bodin, Hobbes, Hegel, Heller et Schmitt mais aussi de Kriele. Je m’appuie sur Rousseau et sur Kant. Je renvoie à cette publication, je ne peux cependant pas épargner au lecteur quelques phrases concernant ces théories de la souveraineté, à cause des effets qu’elles ont aussi de nos jours.
Dans cet ouvrage, il s’agit d’exposer la souveraineté de l’Allemagne, ses limites et ses violations, notamment celles survenues par l’intégration à l’Union européenne. Pour cela, la théorie de la souveraineté libérale, la souveraineté des citoyens, doit être définie comme fondement. La souveraineté est aussi une notion centrale du droit public et du droit international dans et pour la république, le régime de la liberté générale. Les distinctions essentielles de la théorie de la souveraineté doivent cependant être discutées, à savoir celles entre la souveraineté de domination et de liberté, entre la souveraineté du pouvoir et du droit, mais aussi entre la souveraineté du peuple – où le peuple est considéré comme une entité politique distincte des citoyens – et la souveraineté du citoyen. Dans le texte publié par la maison d’édition berlinoise Duncker & Humblot sur la souveraineté libérale [«Freiheitliche Souveränität»], il y a dans les chapitres qu’on retrouve dans les deux publications, des citations de références originales en d’autres langues, souvent complétées par des renvois critiques qui pourraient intéresser les lecteurs qui désirent se plonger dans la théorie de la souveraineté, mais qui ne sont pas absolument nécessaires pour comprendre le raisonnement soumis dans cette publication-ci. L’abondance de matière sert à l’invulnérabilité scientifique, elle peut cependant aussi compliquer le cours de la lecture.
Pour éviter des malentendus concernant les termes utilisés, qui peuvent tous avoir un sens différent selon le système politique et juridique dans lequel ils sont employés et qui, selon leur poids politique sont souvent sciemment utilisés de manière idéologique, j’en présente les plus importants, avant de développer ma théorie de la souveraineté sur le fondement de laquelle je discute les limites de la souveraineté intérieure et extérieure et les violations de la souveraineté. Les termes que j’utilise suffisent d’ailleurs à la Loi fondamentale qui, en tant que Constitution des Allemands, suffit à la constitution mentionnée de «l’humanité de l’homme» et qui n’est, dans son noyau constitutionnel, pas à disposition de la politique.    •

1 Le texte complet se trouve dans Horizons et débats, no 13 du 2/4/12, p. 9 sqq.

Extrait de Karl Albrecht Schachtschneider, Die Souveränität Deutschlands. Souverän ist, wer frei ist.
Editions Kopp 2012, ISBN 978-3-86445-043-3, pp. 9–16.
(Traduction Horizons et débats)

Le manifeste de Vienne

du 26 octobre 2012 en faveur la sortie de la République d’Autriche, perpétuellement neutre, de l’Union européenne et de tous les accords consécutifs

1.    Nous, hommes et femmes des neuf Etats de notre République, nous sommes réunis pacifiquement à Vienne, dans la capitale de notre République, pour exiger la mise en œuvre fidèle de la Loi de la fête nationale1 le jour même de cette dernière. Nous sommes présents du fait que «l’Autriche a déclaré le 26 octobre 1955 par la loi constitutionnelle concernant la neutralité de l’Autriche2 sa volonté de conserver en tous temps et en toutes circonstances son indépendance et de la défendre par tous les moyens à sa disposition, ayant déposé dans cette loi constitutionnelle sa volonté de neutralité perpétuelle» et que, de ce fait, l’Autriche a fait le serment de contribuer, «en tant que pays neutre, à la paix dans le monde.» Nous avons conscience que cette neutralité perpétuelle3, calquée sur le modèle suisse, nous a valu par le traité d’Etat de Vienne du 15 mai 1955 le retrait des forces d’occupation alliées des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale et de leurs forces militaires – ce qui nous a redonné une entière liberté au sein de la famille des peuples du monde.
57 ans plus tard, il faut reconstituer entièrement cette liberté perdue au profit de l’UE.
2.    Nous exigeons, aujourd’hui, de nos organes étatiques supérieurs de notre République, du président de l’Etat fé­déral et des membres du Conseil national et du Conseil fédéral les premiers pas pour la sortie de l’«Union européenne», et de tous les accords consécutifs, afin que le peuple autrichien puisse retrouver son indépendance dans le sens des art. 1 al. 1 des deux pactes des droits humains de l’ONU du 16 décembre 1966.4 Selon ces accords, tous les peuples ont le droit à l’autodétermination qui leur permet de décider librement de leur statut politique et de leur organisation économique, sociale et culturelle.
    L’article 1 de la Constitution fédérale autrichienne définit que «l’Autriche est une République démocratique. Son droit émane du peuple». Mais qu’est devenue l’Union européenne pour nous Autrichiens sans pouvoir de décision par votations populaires, depuis qu’une partie de la population autrichienne lui a, lors de la votation du 12 juin 1994, accordé, pour la première et la dernière fois, sa confiance? Mais ailleurs: en France (le 29 mai 2005), aux Pays-Bas (le 1er juin 2005) la «constitution pour l’Europe» de l’UE fut rejetée, en Irlande (le 12 juin 2008) ce fut, du fait de sa volonté de neutralité, au tour du traité de remplacement de Lisbonne – tout ceci du fait de l’expression de la volonté de ces populations. En revanche, en Autriche les bureaucrates politiques laissèrent les mains libres à l’UE – menant jusqu’à une «union des dettes» et un MES qui vont être une lourde charge pour les générations futures des populations européennes.  Ils ne se contentèrent pas de lui laisser toute latitude, mais ont encore apporté leur contribution.5 Il fut question au sein des bureaucrates de l’UE, à une large échelle, d’une «union fiscale européenne» et non plus seulement d’une «Fédération européenne», mais d’un collectivisme réduisant la souveraineté des peuples d’Europe.
3.    Nous pensons qu’il y en a plus qu’assez et que nous, citoyens et citoyennes d’un Etat reposant sur une neutralité perpétuelle, nous sommes redevables d’une solidarité envers les communautés humaines dont nous partageons le destin.
Nous, Autrichiens, resterons Européens aussi en dehors de l’UE – en solidarité pacifique avec tous les peuples de cette terre.

Au nom des nombreux participants à la manifestation nationale

Eva Maria Barki, avocate, Vienne

Klaus Faissner, professeur, Vienne

Hans Richard Klecatsky,

ancien ministre de la Justice, Innsbruck

Karl Socher, professeur d'université,

Innsbruck

(Traduction Horizons et débats)

1     Préambule de la Loi fédérale du 28 juin 1967. BGBl Nr. 63
2    BGBl. Nr. 211/1955
3    Moskauer Memorandum du 15 avril 1955
4    BGBl. Nr. 1978/590, 591
5    De la Loi fédérale constitutionnelle BGBl I 2008/2 aux «plans de sauvetage »et au «MES».