Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°48, 19 novembre 2012  >  Les rebelles syriens perdent leur supériorité morale [Imprimer]

Les rebelles syriens perdent leur supériorité morale

Leurs partisans en ont assez de l’arrogance, des crimes et des actes horribles

par Anne Barnard

«Ils auraient dû être la force vive sur laquelle nous voulions nous appuyer pour construire une société civile.»

Après vingt mois de guerre civile en Syrie, la violence et la désintégration sociale ne cessent de s’amplifier, du fait que tant le gouvernement que les rebelles utilisent des tactiques toujours plus brutales sans pouvoir avancer. Les Syriens en ont assez, saisis d’horreur et de désespoir et craignent qu’aucune des deux parties ne puisse mettre une fin à ce conflit.
Même les partisans du gouvernement du président Bashar al-Assad semblent prendre conscience du non-sens de cette violence extrême qui n’offre aucun succès. Mais le plus fort revirement s’est fait parmi les partisans des rebelles qui avaient longtemps accaparé la supériorité morale du combat contre la dictature, mais se voient contraints de condamner l’arrogance, le comportement criminel et les exécutions commises par leurs propres troupes.
Les derniers cris de protestation ne se dirigent pas contre le gouvernement, mais contre les forces armées des rebelles. «Nous voulons une réforme de l’Armée libre syrienne, nous vous aimons, mais corrigez votre route», tel était le cri des foules.
Les derniers faux-pas, voire horreurs commis par des rebelles ont réduit l’enthousiasme de nombreux partisans civils, alors que leur dévouement avait été un soutien important pour les combattants dans leur lutte contre une force supérieure. Des offensives mal menées ont provoqué des mesures de rétorsion et des destructions, notamment dans la plus grande ville syrienne, Alep, une ville historique, qui perpétuait un fier héritage de tous les Syriens depuis des siècles.
Les nombreux échecs subis par les rebelles se sont étendus du fait de la modification du caractère de l’opposition qui s’est transformée d’une force militaire composée de personnes civiles et de déserteurs, qui ont saisi les armes pour s’opposer à la violence meurtrière du gouvernement contre les foules qui manifestaient paisiblement, à une force menée de plus en plus par des djihadistes islamiques extrémistes.
Cette radicalisation de l’opposition a aussi incité les capitales occidentales à plus de retenue, notamment dans leurs fournitures d’armes nécessaires pour vaincre. Elles se sont efforcées donc, mais avec peu de succès, de trouver une autre voie pour en finir avec cette guerre d’usure. Washington s'est engagé à aider pour la formation d’un gouvernement en exil et la Turquie a envisagé d’instaurer de-facto une zone d’interdiction de vol dans le nord de la Syrie.
Des comportements isolés provoquant des destructions insensées et le fait d’humilier stupidement, de même que l’exécution de sang-froid de prisonniers ont donné l’impression aux Syriens que de nombreux rebelles ne valaient pas mieux que le gouvernement qu’ils combattaient. La semaine dernière a paru une vidéo montrant des rebelles forçant à terre des soldats syriens enchaînés pour ensuite leur tirer dessus; les Nations Unies ont déclaré cela comme étant une preuve d’un crime de guerre.
«Ils auraient dû être cette force vive sur laquelle nous voulions nous appuyer pour construire une société civile», s’est exclamé un militant civil à Sargeb, une ville du Nord, dans laquelle cette vidéo avait été filmée ce dernier jeudi. Selon lui, il avait observé des rebelles, ce jour-là, qui avaient chassé des soldats d’une fabrique de lait avant de la détruire, alors même que la population avait besoin de ce lait et avait une bonne relation avec le propriétaire. «Ils ont tiré des obus sur la fabrique et ont tout dérobé, ce sont des actes répugnants» a déclaré le militant.
Certains des partisans les plus convaincus de la rébellion commencent à craindre que les souffrances de la Syrie – les pertes humaines, la destruction des liens sociaux, l’anéantissement de l’héritage – sont vaines.
«Nous pensions que la liberté était à ­portée de main» avait déclaré un combattant, du nom d'Abu Ahmed et dont la voix était recouverte d’un voile d’amertume alors qu’il s’exprimait par Skype, le mois dernier, à partir de Maaret al-Noaman – une ville stratégique près de l’importante route menant d’Alep à Damas. Quelques heures plus tard, la victoire des rebelles s'est terminée en désastre lorsque des tirs aériens du gouvernement ont tué des civils qui avaient cru pouvoir revenir dans un lieu sécurisé.
«Ce qui montre que c’était un gros mensonge», s’exprime Abu Ahmed à propos du rêve d’un gouvernement autonome qui l’avait incité à prendre la commande d’un petit groupe de rebelles venant de Sinbol, son village qui se trouve à proximité. «Nous ne pouvons pas l’obtenir. Nous ne pouvons pas même imaginer la démocratie – nous serons affligés pendant des années. Nous déplorons des victimes des deux côtés.»
Comme le démontrent les nombreuses interviews de Syriens, une série de catastrophes suscite le dégoût et la frustration des deux côtés.
En juillet, une attaque à la bombe des rebelles a tué quatre hauts fonctionnaires dans un bâtiment fortement gardé à Damas, ce qui a provoqué une nouvelle insécurité parmi les partisans du gouvernement. L’utilisation accrue par les rebelles de bombes de gros calibre qui tuent les badauds et la prolifération d’attaques de commandos aux programmes religieux extrémistes ont éveillé des deux côtés des inquiétudes.
En septembre, les rebelles ont déclenché une offensive à Alep qui a provoqué des combats sanglants dans une région auparavant calme, cela sans apporter l’amélioration promise ou du moins espérée.
Tentant de réduire les désertions et de diminuer la charge pesant sur les militaires, le gouvernement a maintenu les troupes dans leurs bases pour, en revanche, engager de façon plus conséquente l’aviation et l’artillerie, ce qui a fait que des quartiers entiers ont été rasés. Toutefois, ce changement de stratégie n’a amené ni contrôle ni sécurité. La capitale Damas ressemble à Bagdad lorsque cette dernière était en mains américaines et en mains rebelles; les bâtiments officiels sont entourés de remparts les protégeant des explosions et les points de contrôle réduisent le commerce et empêchent une vie normale.
Après avoir été témoin d’une attaque à la bombe des rebelles et d’une attaque aux armes légères contre un bâtiment gouvernemental situé au centre de la ville, le chauffeur d’un commerçant aisé a remarqué que les mesures de sécurité visible lui faisaient peur – sans pour autant être efficaces.
«J’aimerais que quelqu’un du gouvernement me donne une réponse, dit-il, le gouvernement n’est pas capable de protéger les principaux bâtiments de l’armée et de la sécurité, comment peut-il nous protéger et diriger le pays?»
Même dans la plus solide base d’Assad, la minorité des Alawites, le mécontentement se fit jour lors d’une échauffourée dans un café à Qardaha, la ville des aïeux du président. Certains Alawites se plaignent d’être marginalisés et maltraités par des milices alawites fidèles au gouvernement.
Selon Fadi Saad, qui tient une page Facebook sous le nom de «Alawites dans la révolution syrienne», le nombre important de victimes parmi les Alawites, qui représentent le gros des troupes gouvernementales et des milices, inquiète fortement.
Du côté des rebelles, la bataille d’Alep a provoqué de fortes frustrations parmi les partisans civils qui se sentent dominés par les gens armés. Une militante d’Alep raconte avoir discuté avec des combattants pour savoir comment s’y prendre pour interrompre les voies de ravitaillement du gouvernement sans détruire la ville – en vain. Selon elle, les rebelles veulent la gloire et la publicité, même au risque de pénétrer dans la vieille ville et d’y provoquer les tirs du gouvernement qui ont ensuite déclenché un incendie qui a détruit leur marché datant du Moyen-Age.
«A quoi bon risquer la vie des gens?», s’est demandé cette activiste. «L’Armée libre syrienne ne fait que couper les ongles du régime – nous aimerions voir des résultats.»
Un autre militant d’Alep, Ahmed, rapporte qu’il avait prié les rebelles de ne pas camper dans l’office des télécommunications. Ils n’en ont pas tenu compte et les attaques du gouvernement ont eu pour résultat de détruire les communications.
Il se souvenait aussi qu’un autre combattant a tiré en l’air parce qu’on ne le laissait pas passer dans la file d’attente devant une boulangerie. Un autre a piqué une colère, du fait qu’un homme qui lavait sa voiture, l’avait par erreur arrosé. «Il lui a tiré dessus, mais par chance il était un mauvais tireur, ce qui a sauvé l’homme.»
Les dirigeants de l’organisation faîtière «Armée syrienne libre» prétendent s’en tenir aux standards éthiques et affirment que la plupart des excès viennent du camp du gouvernement, mais quant à ceux des rebelles, ils ne seraient dus qu’à certains groupements aux comportements criminels.
Puis, la semaine dernière a apparu la bande vidéo: des hommes qui se tordent par terre, leurs regards fixés vers le haut et criant d’épouvante. Des rebelles se tiennent au-dessus d’eux et hurlent des ordres et des injures dans une totale cacophonie. Certains portent des habits de combat, mais ils se conduisent comme une bande de voyous et non pas comme une unité militaire: ils se bousculent, se poussent, envoient des coups de pieds aux prisonniers et les obligent à se mettre en tas. Tout à coup on entend le bruit d’armes automatiques, et on voit de la poussière monter du tas, puis le silence.
«Toutes ces horreurs que commettait auparavant le régime, c’est maintenant l’A.S.L. qui les commettent» précise Anne, une employée des finances à Damas au sujet de ces comportements récents.
Elle accuse le gouvernement pour le comportement fâcheux de la société, mais estime que les rebelles ne valent pas mieux. «Ce sont des ignorants avec des armes».
Après les attaques aériennes à Maaret al-Noaman, le combattant déçu Abu Ahmed déclara que les Syriens pleureraient s’ils voyaient la destruction de la ville «de notre célèbre poète et philosophe» Abu al-Ala al-Ma’arri.
Ce poète du Xe siècle, un sceptique et rationaliste, enterré dans cette ville actuellement détruite, s’est souvent exprimé sur la désillusion et les faiblesses de ceux qui se prétendaient des héros: «Combien de fois nos pieds se sont-ils posés sur de la poussière/Les sourcils d’un arrogant, le crâne de quelqu’un de charmant?»
Abu Ahmed confia avoir vu le musée des mosaïques pillé d’abord par les soldats, puis par les rebelles, le tout recouvert de détritus. «J’ai vu des cadavres tant des rebelles que des troupes gouvernementales, j’y ai aussi vu des bouteilles de bière. Vraiment, j’en ai perdu la parole.»    •

Source: © International Herald Tribune du 9/11/12

(Traduction Horizons et débats)

Convention du CICR relative au traitement des prisonniers de guerre

Art. 13

Les prisonniers de guerre doivent être traités en tout temps avec humanité. Tout acte ou omission illicite de la part de la Puissance détentrice, entraînant la mort ou mettant gravement en danger la santé d’un prisonnier de guerre en son pouvoir, est interdit et sera considéré comme une grave infraction à la présente Convention. En particulier, aucun prisonnier de guerre ne pourra être soumis à une mutilation physique ou à une expérience médicale ou scientifique de quelque nature qu’elle soit qui ne serait pas justifiée par le traitement médical du prisonnier intéressé et qui ne serait pas dans son intérêt.
Les prisonniers de guerre doivent de même être protégés en tout temps, notamment contre tout acte de violence ou d’intimidation, contre les insultes et la curiosité publique.
Les mesures de représailles à leur égard sont interdites.

Convention de Genève
 relative au traitement des prisonniers de guerre,
conclue à Genève le 12 août 1949

***
me. La «Puissance détentrice» mentionnée dans la Convention semble être, dans le cas de la guerre de déstabilisation importée de l’extérieur en Syrie, un groupe d’Etats. En font partie tous les Etats qui soutiennent les troupes irrégulières par des armes, de la munition, de la logistique, des «instructeurs» et de l’espionnage. Selon les compte-rendus, ce sont la France, l’Angleterre, l’Allemagne, la Turquie, le Kuweit, l’Arabie saoudite, Israël et les Etats-Unis. Tous ces pays portent la responsabilité pour «leurs troupes», ils sont donc Puissances détentrices dans le sens des Conventions de Genève et peuvent donc être soumis à des sanctions.