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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°15, 20 avril 2009  >  Quel ordre sécuritaire pour l’Europe? [Imprimer]

Quel ordre sécuritaire pour l’Europe?

Leçons à retenir de la guerre du Kosovo

par Reinhard Mutz, Institut de recherches sur la paix de l’Université de Hambourg

Lorsque le 24 mars 1999, l’OTAN attaqua ce qui restait de la Yougoslavie après les conflits armés en Slovénie, en Croatie et en Bosnie, elle était sûre de la victoire. Quelques frappes aériennes énergiques et l’affaire serait réglée. Or on se trompait: la guerre dura 78 jours. A la fin, le plus puissant appareil militaire de l’histoire, dont le nombre de soldats représentait presque la moitié du nombre d’habitants de la Serbie, était venu à bout d’un petit Etat. Pour y parvenir, il lui avait fallu 37 000 opérations aériennes bombardant des rues, des ponts, des usines, des raffineries, des stations de radio 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Au bout de onze semaines, Slobodan Milosevic finit par capituler, ce qui lui valut l’auréole d’un homme d’Etat responsable. «Sinon, l’OTAN aurait continué à bombarder jusqu’à leur anéantissement total les infrastructures, l’industrie alimentaire, les centrales élec­triques. Nous aurions tout fait pour y arriver», a déclaré Wesley Clark, commandant en chef de l’OTAN. C’était une guerre pour laquelle on avait forgé l’étiquette toute nouvelle d’intervention humanitaire.
Les préliminaires de la guerre du Kosovo et son résultat illustrent les défauts de l’ordre sécuritaire européen. Afin d’enrayer durablement un conflit ethno-national d’une grande violence, il faut recourir à toute une palette d’instruments efficaces: prévention des crises au niveau politique, médiation et conciliation, arbitrage dans le domaine civil et mesures économiques post-conflit. L’Europe disposait sans aucun doute de tous ces instruments plus un large éventail de sanctions positives et négatives. Cependant, au seuil d’un nouveau siècle, ni l’ONU ni l’OSCE ni la Russie, membre du Groupe de contact Balkans, ne disposaient d’une autorité et d’une marge de manœuvre indépendante face à l’Alliance occidentale omnipotente. En revanche, l’OTAN disposait d’un seul moyen, mais à l’excès: la puissance militaire. En tant qu’Alliance, elle raisonnait et agissait d’après les critères d’une lutte efficace contre un adversaire. Elle n’était pas capable de réfléchir de façon pondérée dans un conflit politique. Elle n’était pas à sa place en tant qu’instance suprême pour maîtriser cette crise en Europe.
Pour l’OTAN, venir à bout de la crise du Kosovo voulait surtout dire intervenir militairement. En 1998, elle effectua des ma­nœuvres dans l’espace aérien macédonien. En août, elle combina des manœuvres na­vales, aériennes et terrestres en Albanie. Elle renforça ses escadrilles de combat sur ses bases aé­riennes en Italie et rassembla ses forces navales dans les ports de la Méditerranée. Entre septembre 1998 et mars 1999, elle augmenta quatre fois son degré de mobilisation. Le fait qu’on ait choisi la solution militaire de manière si délibérée soulève la question de savoir si, au Kosovo, il s’agissait vraiment de l’objectif déclaré de résolution d’un conflit. Malgré toutes les affirmations officielles, on ne manquait pas d’alternatives politiques à l’intervention militaire. Or on ne les a pas utilisées ou on les a rejetées. On avait décidé très tôt de soutenir les intérêts des Albanais du Kosovo à l’aide d’interventions asymétriques tout en faisant semblant de rester neutre. L’opinion publique était constamment et délibérément confrontée aux images trompeuses de crimes commis par des gens qui n’avaient pas été provoqués contre des victimes sans défense. Mais les informations fournies au petit cercle des décideurs des capitales étaient différentes.
Le 24 avril, quand les bombardements étaient les plus intenses, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’OTAN adoptèrent leur nouveau concept stratégique, qui est toujours valable. Il a remplacé la défense du droit par celle de l’intérêt. Or le droit international n’autorise ni des Etats ni des coalitions d’Etats à poursuivre leurs intérêts comme bon leur semble. Ils ne sont pas libres d’agir, et surtout pas de recourir à la force, comme ils l’entendent. Comment une alliance militaire veut-elle engager des acteurs poli­tiques à suivre les règles valables pour tout le monde et à renoncer à la violence quand elle-même ne les respecte pas? Le droit international représente le degré de civilisation atteint par la communauté des Etats. C’est un bien aussi précieux que l’état de droit des sociétés démocratiques. Sans s’inscrire dans le système de relations internationales, la sécurité européenne restera fragmentaire.
Peu importe si l’OTAN voulait vraiment la guerre contre Belgrade ou si, voulant sauver la face, elle ne savait plus comment l’éviter. De toute façon, elle l’avait projetée, préparée, elle avait menacé tant et plus de la faire et elle avait fini par la mener. C’est ce qui compte. Le message transmis ne laissait pas le moindre doute sur la question de savoir qui lance les ultimatums en Europe et quels ordres il faut suivre. La noble maxime qui veut que la guerre ne soit plus un instrument politique a été enterrée.    •

(Traduction Horizons et débats)