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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°3, 23 janvier 2012  >  Parc naturel du Doubs, les méandres d’une gestation [Imprimer]

Parc naturel du Doubs, les méandres d’une gestation

par Serge Jubin

hd. Les citoyens du XXIe siècle doivent connaître et aimer le paysage jurassien et en même temps se souvenir de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale pour savoir ce que la profonde vallée du Doubs a représenté en tant que frontière naturelle et ce que cela signifiait de défendre cette frontière contre les bombardements allemands. C’est s’attaquer à la conscience historique et à la souveraineté de la Suisse que de vouloir, au moyen d’une Charte de parc en gestation, relier les communes suisses situées sur le haut plateau avec le territoire français au nord-ouest et de vouloir ainsi effacer la frontière. Dans son article intitulé «Rattachement à la toile d’araignée globale», Marianne Wüthrich révèle l’existence d’un projet d’aménagement du territoire concocté dans le dos de la population et montre que les partisans farouches de l’UE de l’Office fédéral du développement territorial ne songent pas encore à revenir en arrière, pas non plus à propos de la vallée du Doubs.

Le projet de parc naturel régional du Doubs serait-il à l’image de la rivière dont il a emprunté le nom: a priori enchanteur dans un environnement préservé, tour à tour traînassant et impulsif mais, la faute aux multiples atteintes et à la pollution, agonisant? Peut-être bien.
Le parc du Doubs devait être un modèle. Le WWF lançait l’idée en 1997. Celle qui était alors secrétaire du mouvement écologiste, aujourd’hui conseillère d’Etat neuchâteloise, Gisèle Ory, créait l’Association du parc naturel régional du Doubs en 1999. Une action pionnière en Suisse, qui a incité la Confédération à légiférer en matière de parcs naturels.
Le projet s’est enlisé dans des luttes idéologiques, lobbyistes et personnelles. Au tournant de l’an 2000, le programme estampillé WWF a été torpillé par les agriculteurs. Bien qu’ayant investi des centaines de milliers de francs, le WWF a dû se retirer. Ministre jurassien alors sur le départ, Pierre Kohler devait prendre le relais en 2002. Il a claqué la porte le jour de son élection, vexé par les critiques des écologistes. L’agriculteur, bûcheron et député vert des Brenets Gilbert Hirschy a courageusement sauvé la barque du naufrage, s’appuyant à partir de 2006 sur un nouveau directeur, le biologiste Martin Liberek.
Sans faire de bruit, il a construit un dossier avalisé par la Confédération. Pourtant, la population reste indifférente. Des communes des Franches-Montagnes refusent d’adhérer. Seul un traitement de choc peut sortir le projet de l’ornière.
L’association fait appel à un duo d’ex-ministres, le Jurassien Jean-Pierre Beuret à la présidence et le Neuchâtelois Bernard Soguel à la vice-présidence. Ancien paysan, se targuant de bien connaître les Francs-Montagnards qui résistent, Jean-Pierre Beuret rue dans les brancards, affirmant au Temps, en octobre 2009: «Ce projet a besoin de gouvernance et de réorientation.» Il met l’accent sur des projets économiques, préconise des centres d’interprétation du cheval ou de l’horlogerie, éclipsant de fait les programmes nature. Et Jean-Pierre Beuret fait le ménage. Il promeut à la direction un «manager», Gérard Cattin. Au détriment du biologiste Martin Liberek, qui refuse une voie de garage et quitte le projet en février 2010, contraignant Jean-Pierre Beuret à lui verser une indemnité de départ en raison de la rupture d’un contrat qui courait jusqu’à fin 2011. «J’ai tourné la page», commente aujourd’hui Martin Liberek. Mais il n’a pas compris «le virage à 180 degrés opéré par Jean-Pierre Beuret. La substance d’un parc naturel, c’est la valorisation de son patrimoine. Nous avions aussi proposé des projets économiques.»
Le revirement a eu un double effet positif. Les milieux agricoles, hostiles au parc à sa genèse, sont aujourd’hui partenaires. Et, surtout, la méthode Beuret a permis de réaliser une condition sine qua non: le périmètre du parc du Doubs est désormais homogène, les deux dernières communes récalcitrantes du Bémont et de Muriaux, aux Franches-Montagnes, ont adhéré. Même si «ce n’est pas de gaîté de cœur, mais il fallait bien desserrer le frein à main», affirme le maire de Muriaux, Pierre-André Gigon, qui avait conditionné sa participation au parc à l’octroi du permis de construire pour les trois éoliennes qui tournent désormais sur sa commune.
«Il a dû y avoir des pressions sur Muriaux», analyse Philippe Riat, secrétaire jurassien du WWF, membre du bureau du parc sous l’ère Hirschy, qui a claqué la porte une fois Jean-Pierre Beuret aux commandes. Tout en restant membre du comité. «J’étais écœuré par les méthodes de Jean- Pierre Beuret, autoritaire, qui a imposé Gérard Cattin et dénigré le travail de Martin Liberek.» S’il a rallié les communes et les agriculteurs, Jean-Pierre Beuret a braqué les défenseurs de l’environnement.
Par ailleurs président du comité de fusion des communes des Franches-Montagnes, il quitte le parc du Doubs en mars 2011, remettant la présidence à un autre ex-ministre, Laurent Schaffter: «Le parc sera une réussite s’il y a équilibre entre les principes du développement durable, dit-il. Ne miser que sur l’écologie, c’est l’enterrer, car la population n’y souscrira pas.»
Reste que le recentrage peine à susciter l’enthousiasme. La fête du parc, le 31 juillet à Goumois, greffée sur d’autres festivités, a connu une participation mitigée. «J’en ai davantage entendu parler comme fiasco que comme succès», ironise Philippe Riat.
Gérard Cattin ne s’en laisse pas compter. Il sait le projet à bout touchant, à condition que les parlements des 19 communes membres ratifient, au printemps 2012, la convention et versent 4 à 6 francs par habitant. «J’ai rencontré les maires, l’accueil est plutôt positif.» S’il n’y a plus d’anicroche, le Doubs sera un parc labellisé en 2013. En parallèle, sur la rive française du Doubs, le Pays horloger prépare un projet similaire, avec l’ambition de faire du Doubs un parc transfrontalier, symbolisé par 250 kilomètres de chemins de contrebande.
La rivière s’en portera-t-elle mieux? Pas sûr. Jean-Pierre Beuret et Laurent Schaffter estiment qu’il n’appartient pas au parc de se substituer aux services cantonaux pour faire respecter les lois. «Mais le parc est un partenaire des défenseurs du Doubs, dit Laurent Schaffter. Car si le Doubs meurt, le parc mourra avec lui.»    •

Source: Le Temps du 20/8/11