Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2015  >  N° 20/21, 10 août 2015  >  Montrer aux enfants le chemin de la vie [Imprimer]

Montrer aux enfants le chemin de la vie

La tâche des parents est de guider et d’éduquer les enfants

Interview du Dr Michael Winterhoff, pédopsychiatre et psychothérapeute

Horizons et débats: Monsieur Winter­hoff, Vous avez écrit plusieurs ouvrages dont le dernier est intitulé: «SOS-âme d’enfant. Qu’y a-t-il aujourd’hui de si alarmant concernant le développement de nos enfants?»

Michael Winterhoff: Regardez, en Allemagne, nous avons actuellement déjà 60% de jeunes inemployables à la fin de leur scolarité. Personne ne veut en entendre parler ou en discuter. L’industrie est la seule qui en parle, mais on ne l’écoute pas. On l’envoie sur les roses en proclamant: «Adaptez-vous à la jeunesse d’aujourd’hui!» La réalité est autre. Une grande partie des jeunes sortant de l’école manquent totalement d’éducation face au travail, de sens de la ponctualité, de capacités à reconnaître les structures et les procédés – ils ne savent pas accorder de priorités; l’émission de la sonnerie de leur portable est plus important que la présence du client en face d’eux. Et ils ne savent pas réinvestir ce qu’ils ont appris au cours de leur scolarité.

Cela signifie-t-il que la façon dont aujourd’hui nos enfants sont préparés à la vie créera d’énormes problèmes insolubles pour notre économie et notre démocratie à l’avenir?

Oui, cela conduira notre société droit dans le mur. Ce sont des situations inimaginables en tant que phénomène de masse. Et politiquement, on ne veut pas le voir. En Allemagne, la politique de la formation est imprégnée d’idéologie. Les idéologues actuellement à l’œuvre sont des anciens soixante-huitards ou des théoriciens restés accrochés à cette époque. Ils s’acharnent idéologiquement pour que tout reste ouvert et libre. C’est-à-dire qu’on laisse tomber toutes relations, tout travail centré sur la personne. Le résultat est que les enfants et les jeunes gens ne sont pas capables de se développer au niveau social et émotionnel.

En Suisse, nous constatons les mêmes phénomènes. Nous avons beaucoup de jeunes ne trouvant pas de place d’apprentissage à la fin de leur scolarité. Ce n’est pas parce qu’il n’y en a pas assez mais parce qu’ils ne présentent pas les conditions requises. D’un côté, ce sont les connaissances des matières et de l’autre côté, c’est l’attitude face au travail. Nous avons un excellent système de formation duale qui va être ruiné de cette manière. Concernant l’Allemagne, vous parlez de 60% de jeunes inemployables; il y a quelques mois, la directrice du Département de la formation du canton de Zurich a parlé d’un taux de 20%.

Actuellement, on parle aussi de 20% en Allemagne. Mais il faut savoir qu’il n’y a pas de chiffres exacts. De nombreux jeunes se trouvent dans des structures alternatives, telles une année d’école professionnelle de base ou une année de préparation professionnelle, et ne sont donc pas comptabilisés bien qu’ils ne soient pas dans le processus de travail normal et seraient normalement au chômage. Ces structures sont onéreuses. Dans mon cabinet, je vois des patients recevant 400 euros pour passer un certain nombre d’heures par semaine dans une telle structure de formation professionnelle. Les hommes politiques continuent cependant à pavoiser en affirmant avoir le taux de chômage juvénile le plus bas d’Europe. On trompe les enfants et on trompe le pays tout entier. Et on ne pourra jamais demander des comptes aux responsables causant ce tort.

Où voyez-vous les causes principales?

D’un côté, les causes se trouvent dans une société que nous ne supportons plus. Les adultes manquent de calme et n’ont donc plus l’intuition nécessaire pour accompagner le développement des enfants. Ce sera le sujet de mon prochain livre.
Notre société est devenue de plus en plus difficile et ne donne guère d’orientation. Très souvent ce sont les structures qui manquent. Nous vivons dans une époque d’incertitudes, pensez aux assurances maladies ou aux assurances vieillesse. Notre société manque de plus en plus d’une perspective positive pour l’avenir. Nous, en tant qu’êtres humains, en avons besoin pour vivre, sinon il nous manque des aspects vitaux, tels que le bonheur, le contentement, la capacité de se réjouir de quelque chose. C’est-à-dire que dans notre société, les adultes deviennent de plus en plus déficitaires et l’enfant s’offre en tant que compensation inconsciente, non voulue, ce qui crée des transformations dans les relations humaines.

Comment faut-il comprendre cela?

Il n’y a plus beaucoup de personnes qui perçoivent les enfants en tant qu’enfants et leur donnent ce dont ils ont besoin, c’est-à-dire du temps, du calme, une orientation et beaucoup d’accompagnement. Les enfants deviennent de plus en plus des partenaires et les adultes croient qu’ils peuvent les élever par des paroles et des explications. Pourtant, les enfants doivent pouvoir s’exercer, s’entraîner, apprendre dans un grand nombre de domaines. Il faut aussi les protéger de certains thèmes. Ce sont toutes des choses qui s’accomplissaient encore tout naturellement au cours des années 90. De nombreux adultes sont fiers d’avoir leurs enfants comme partenaires et les mettent en position d’adultes. C’est pourquoi, aujourd’hui, à l’école, les enfants sont responsables d’eux-mêmes, par exemple au «comptoir de l’apprentissage» où chaque enfant choisit ce qu’il veut faire et doit en assumer lui-même la responsabilité. S’il ne se met pas à apprendre, c’est sa faute à lui.

Voyez-vous cela comme une tendance sociétale se manifestant également dans l’enseignement?

Oui, car on rencontre de plus en plus souvent l’idée que les enfants apprennent beaucoup par eux-mêmes et que l’enseignant n’a plus qu’une fonction d’accompagnateur.

Mais ce n’est qu’une petite partie de la population …

S’y ajoute le grand groupe de ceux qui veulent à tout prix être aimés par les enfants. C’est, par exemple, la génération des grands-parents. Dans le passé, la grand-mère aurait préparé le plat préféré de son petit-fils et l’aurait gâté. Mais elle aurait exigé: «Va te laver les mains, reste assis à table.» Une grand-mère qui veut être aimée n’est plus en état d’exiger cela parce qu’elle craint qu’autrement son petit-fils ne vienne plus la voir. C’est ce qu’on appelle une «projection». L’enfant est inconsciemment utilisé pour compenser ce qui manque à l’adulte. Ainsi se fait un renversement du pouvoir, l’adulte est nécessiteux, glisse dans la position de l’enfant et l’enfant glisse dans la position de parents de substitution.

Depuis quand observez-vous ce développement?

C’est un trouble qui a commencé à me frapper au début 2000. J’ai mis longtemps pour comprendre les liens: de nos jours, l’enfant est devenu, chez de nombreux parents, une part d’eux-mêmes. Ils se sentent comme leur enfant, pensent à la place de leur enfant et vont à l’école à sa place. Ils ne représentent plus de vis-à-vis et se font dominer et guider par leur enfant tout le long de la journée. Eux-mêmes ne le réalisent même pas, car ce processus se déroule inconsciemment. Mais ils empêchent ainsi le développement des enfants. Ceux-ci, dans leur développement, s’arrêtent à l’âge de 10 à 16 mois et vivent dans l’idée de pouvoir tout dominer et guider tout un chacun. En tant qu’hédonistes, ils ne tournent qu’autour d’eux-mêmes et évitent toute exigence. Ainsi, ils ne sont bien sûr pas capables d’entretenir des relations avec autrui. Suite à ce retardement de développement, ils n’ont aucune conscience de leur comportement illicite, malgré l’éducation subie. Pris dans des conflits, ils ne peuvent pas reconnaître les liens entre effets et causes, ce qui les empêche d’en tirer des conséquences et d’apprendre. L’empathie leur manque. Ils ne reconnaissent ni les structures ni les procédés, par exemple la différence de comportement en cours et pendant la récréation.

C’est-à-dire qu’il leur manque la maturité correspondant à leur âge?

Oui, on peut dire que nous avons de plus en plus d’enfants et de jeunes gens parfaitement équipés d’une bonne intelligence mais avec la conception du monde d’un bébé. C’est comme si vous aviez un très bon ordinateur avec Windows 95 et que vous vous étonniez que les logiciels ne fonctionnent pas. Vous pouvez y trafiquer tant que vous voulez, cela ne servira à rien. Avec ces enfants, vous pouvez faire des exercices de concentration ou d’affirmation de soi ou quoi que ce soit – c’est le système d’exploitation qui n’est pas le bon.

Vous avez beaucoup d’expérience avec de tels enfants. Que peut-on faire?

On pourrait sauver de tels enfants dans un délai d’un an ou d’un an et demi. Cela ne poserait aucun problème avec les connaissances analytiques de la psychologie des profondeurs. C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’écris mes livres. Le principe est que l’âge du développement définit la manière dont je vois le monde et dont je me comporte. Un enfant de cinq ans effectue toutes les tâches que sa mère lui demande avec grand plaisir, et si elle le loue, il rayonne. Un écolier du primaire ramasse un bout de papier si sa maîtresse le lui demande; non pas par obéissance mais parce qu’il comprend qu’elle a quelque chose à lui dire. Jusqu’au milieu des années 90, les enfants se développaient ainsi en Allemagne. A trois ans, ils étaient mûrs pour aller au jardin d’enfants, à six ans, ils avaient la maturité pour entrer à l’école et à seize ans, ils étaient mûrs pour la formation professionnelle. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, parce qu’ils s’arrêtent à des niveaux antérieurs.

Qu’est-ce qui a changé?

Au milieu des années 90, l’adulte était encore calme et disposait d’une certaine intuition. On voyait les enfants comme enfants. En conséquence, on leur donnait au jardin d’enfant déjà tout naturellement l’orientation dont ils ont besoin. L’enfant était intégré dans un groupe, avait la même personne de référence, la même réaction, les mêmes procédés. Aujourd’hui, nous avons des jardins d’enfants ouverts et libres. Les enfants choisissent eux-mêmes ce qu’ils veulent faire. De mon point de vue professionnel, cela crée une négligence au niveau émotionnel.
C’est la réalité actuelle. En 1995, si vous aviez dit: «Un enseignant n’est qu’un accompagnateur et les enfants doivent se servir au ‹comptoir de l’apprentissage› et s’enseigner autant que possible eux-mêmes le savoir» on vous aurait traité de fou. Et de même, si vous aviez exigé de supprimer l’écriture cursive – c’est ce que les enseignants du primaire doivent faire maintenant –, on aurait réagi avec effroi. Dans la société de l’époque, cela ne valait pas même un débat.

Tout cela a des conséquences pour la vie de nos enfants …

Il faut se rendre compte que nous empêchons ainsi à nos enfants de se développer mentalement vers l’âge adulte. Ils resteront dépendants et nécessiteux toute leur vie et ne sauront pas se débrouiller. En tant qu’adultes, nous disposons d’une grande richesse, notamment dans la diversité de nos émotions. Nous sommes capables de nous adapter à autrui. Nous sommes capables de supporter une situation difficile, de patienter. Prenez, par exemple, le fait de faire des économies. A un moment donné, j’aurai réussi et je pourrai m’offrir quelque chose. C’est un sentiment génial. Imaginez-vous le sentiment d’un enfant qui a travaillé par exemple à bien écrire les lettres de l’alphabet ou à faire une bonne dictée. Nous privons nos enfants de ces sentiments enrichissants en les orientant uniquement vers la satiété, vers l’immobilisme en leur donnant tout, tout de suite. Portable, tablette, tout pour qu’ils nous laissent en paix, qu’ils soient tranquilles.

Quelles sont vos appréciations concernant le développement de l’école?

Prenez, par exemple, les formes d’enseignements modernes, elles ne fonctionneraient pas même avec les adultes. Admettons que vous voulez apprendre à jouer au tennis; enseignons le de «manière moderne»: il y a donc une station d’apprentissage «coup droit», une station «revers», une autre «comment bouger». Puis, nous avons un «bistro» au cas où vous voudriez vous reposer. Au début des années 90, il y avait un Suisse, Jürg Reichen, qui faisait le tour des pays germanophones, en disant que les enfants devaient apprendre à écrire selon leur propre idée comment cela devait se faire. Copié sur l’exemple du tennis, on ferait cela de la façon suivante: les deux premières années, vous jouez la balle par-dessus le filet à votre propre manière afin de préserver votre plaisir du tennis. Ensuite, on commence l’entraînement. Cela va de soi que ce n’est pas ainsi qu’on devient un bon joueur, sauf si vous êtes un génie. Mais c’est la façon dont on traite nos enfants aujourd’hui. Ce n’est pas une simple discussion des méthodes d’apprentissage! Le psychisme émotionnel et social est l’instrument le plus important dont l’être humain a besoin. Il comprend tout ce qui se passe au niveau relationnel entre les hommes. Il ne peut se développer uniquement lors d’échanges avec un vis-à-vis. S’il n’y a plus de vis-à-vis dans les jardins d’enfants et les écoles, les enfants n’ont plus aucune chance. Nous aurons une société d’autistes et de narcissiques ne tournant qu’autour de soi et vivant uniquement selon le plaisir au jour le jour.

Tout cela à cause de fausses théories …

 Il est difficilement supportable que toute une génération d’adultes avance dans la mauvaise direction, tout en étant persuadée que tout est au mieux. Elle ne permet aucune réelle discussion mais impose de force des théories allant à l’encontre des besoins de l’enfant. C’est difficile à supporter. A mon avis, nous sommes en bonne voie de devenir un pays en voie de développement où les connaissances et le sentiment pour les enfants et pour ce dont ils ont besoin se sont complètement perdus. A l’avenir, nous devrons à nouveau enseigner des adultes analphabètes dans tout ce qui touche aux besoins réels des enfants. Mais cela viendra, j’en suis convaincu. Sinon, je ne m’impliquerai comme je le fais. Je ne peux pas changer la société mais je fais tout ce que je peux en tant que médecin. J’explique, j’éclaire et j’insiste.

Dans ce contexte, on fait souvent des reproches …

Il ne s’agit pas de cela. Je ne juge pas, je ne fais qu’analyser la situation. Au début, je n’aurais jamais pensé qu’une analyse de la famille aboutirait dans une analyse de la société. Cependant, la société est en train de se défaire parce que les nouvelles générations ne sont plus capables d’affronter l’existence. Je ne cherche pas du tout à brosser une image sombre, car aujourd’hui, nous avons encore la possibilité de nous opposer à ce développement. Nous avons la possibilité d’amener les enfants, au niveau d’âge en un an et demi.

Que faut-il donc faire?

La politique de la formation ne doit plus être une idéologie. Il faut demander l’avis d’experts. Il faut y associer avant tout les enseignants ayant vécu quotidiennement avec les enfants. Je souhaiterais la participation de groupes d’experts très divers.
En outre, il serait souhaitable de tester ces méthodes pédagogiques, dans le cadre d’une étude randomisée à double insu, avec des centaines d’enfants enseignés avec ces méthodes et des centaines d’enfants enseignés sans elles afin de prouver si elles mènent à une véritable amélioration. Mais ce n’est pas le cas. Prenons à nouveau l’exemple de la méthode d’apprentissage de lecture de Jürg Reichen. Là, une certaine personne invente quelque chose dans le domaine pédagogique. Par hasard, on a analysé cette méthode après 20 ans, pour savoir si elle s’est avérée concluante. Les résultats sont désastreux: on a transformé toute une génération en élèves dyslexiques. Dans ce cas, on a fait des erreurs terribles parce qu’on a pas eu l’idée d’analyser cette méthode.
Je souhaiterais aussi que les enseignants cessent de se laisser bâillonner. Les enseignants devraient s’associer et s’engager par le biais de leurs associations professionnelles pour des changements substantiels. Les enseignants doivent assumer leurs responsabilités. Nous pouvons tous faire changer les choses. Je peux, par exemple, continuer à faire un enseignement centré sur la personne. Je peux également me décider à rechercher des alliés. Tout cela ne changera que si nous avons des alliés, et là j’ai de l’espoir.

Egalement au niveau politique?

J’ai rencontré les porte-paroles de la politique d’éducation de la CDU en Allemagne qui commencent à se rendre compte que très souvent les adolescents n’entrent pas dans la vie réelle. Ils commencent maintenant à s’engager pour un enseignement fondé sur l’attachement, c’est-à-dire que l’enseignant doit développer des relations personnelles avec ses élèves. Cela commence à se redévelopper, mais il est probable que les dégâts continuent malheureusement à s’agrandir. Je vous prie, de vous liguer contre toutes ces fantaisies d’«ouverture et de liberté». L’enseignement ne fonctionne que lorsqu’il est centré sur la personne de l’enseignant, jamais autrement.

Quel pourrait être le point de départ pour un changement chez les parents?

Les parents se trouvant en symbiose ne se rendent très souvent pas compte qu’ils soutiennent un développement erroné de leurs enfants. C’est le problème central. Ils vivent dans une symbiose avec l’enfant qui est devenu une partie d’eux-mêmes. Il fait partie d’eux, comme leur bras. Tant que ce bras ne leur fait pas mal, ils ne perçoivent rien. 90% des parents viennent me voir à la demande de l’école. Et alors je les interroge: Etes-vous étonnés que votre enfant ne participe pas à l’enseignement ou que celui-ci le perturbe?» Alors ils répondent: «Oui, car je n’ai aucun problème avec mon enfant.» Ces parents ne comprennent pas ce qui ne fonctionne pas à l’école. Ils font tout pour leur enfant et ne voient pas qu’ils se trouvent dans un système erroné. Lorsque je leur dis: «Votre enfant n’écoute pas!», ils répondent: «Si, il écoute!», et lorsque j’insiste: «Mais pas à la première fois? Lorsque vous dites: ‹Mets la table!› alors il vous répond: ‹Pourquoi toujours moi?›» Et les parents de répondre: «C’est vrai, mais je ne suis pas venu vous voir pour cela!» Ce n’est que lorsque je dis: «Eh bien, s’il ne vous écoute pas à la première fois, il ne le fera pas non plus chez son institutrice.» Et c’est là que la conversation commence. Voilà le problème. Les parents ne réalisent pas que l’enfant est devenu une partie d’eux-mêmes. C’est pour cela qu’ils n’arrivent pas à reconnaître la problématique, qu’ils ne voient pas qu’ils causent eux-mêmes cette perturbation.

Faut-il donc briser ce système?

Oui. Je l’appelle le «système du bras». Lorsque j’ai des douleurs au bras, je me demande tout de suite: «Quelle en est la cause?» Alors, je vais voir un collègue et j’ai déjà une vague idée de la cause: «C’est probablement dû au tennis. Que puis-je faire pour que ça s’améliore?» Chez les parents vivant en symbiose avec leur enfant, c’est tout différent. Dans le meilleur des cas, ils cherchent un diagnostic, une thérapie, des directives, et il y en a une quantité. Les enfants ont alors un TDAH, ADH ou bien une dyscalculie, une dyslexie, ou alors ils sont surdoués. Ils reçoivent donc de la Ritaline ou quelque autre thérapie. Tout cela ne peut cependant pas résoudre le problème d’un enfant à troubles du développement, car le problème se trouve ailleurs. C’est-à-dire que chez nous les enfants sont de plus en plus catalogués et enfermés dans une pathologie. Cela doit également changer.

Nous faisons les mêmes expériences. De nombreux enfants ont des diagnostics: TDAH, syndrome d’Asperger et une quantité d’autres. Depuis peu, on nous parle souvent de syndromes liés à l’autisme.

Si vous allez voir dix personnes, vous aurez dix réponses différentes. Pour l’évaluation des aspects psychiques, il n’y a pas de procédure définie. C’est un sérieux problème. Il faudrait savoir quel modèle utilise la personne à qui vous demandez conseil. Le TDAH n’est pas une maladie. C’est un modèle qui est traité comme une maladie. On n’aide en rien les enfants avec de tels diagnostics lourds en conséquences, au mieux ils soulagent peut-être les parents. Mais aucune aide sérieuse pour le développement de psychisme émotionnel et social n’est appliquée. Toute la société est submergée de ces enfants présentant de telles perturbations. Si je voulais cataloguer les enfants comme je l’ai appris j’arriverai – selon moi – aussi à de faux résultats. Si par contre on a une certaine flexibilité, on comprend que ce sont des perturbations du développement. C’est pour cette raison que j’ai écrit mes livres. Je le comprends comme un devoir médical, même si parfois c’est très fatigant. Je le fais parce que cela doit continuer, parce qu’il faut informer.

Que devrait faire l’école?

Lorsque j’ai un enfant qui perturbe les cours, alors cet enfant a le droit que l’enseignant lui fasse comprendre que c’est un mauvais comportement. Mais aujourd’hui les enseignants font eux-mêmes leur diagnostic. Nous avons de plus en plus d’enseignants qui envoient les enfants chez un thérapeute en disant: «Il a un TDAH!» sans voir que eux-mêmes ne prennent pas la position qu’ils devraient prendre et qu’ils ne remplissent pas leur tâche. Etre enseignant revient à assumer soi-même la responsabilité pour l’enfant et non pas de la déléguer à l’enfant. Il faut que je lui dise clairement, cela est juste, cela est faux, tu vas recopier cette page, là, il faut continuer à travailler. Il est bien possible qu’on risque d’être impopulaire. Mais s’il vous plaît, nous voulons mener l’enfant à l’âge adulte. Je dois donner de mauvaises notes, si c’est justifié.

Comment pourrait-on aider les enfants avec des troubles du développement?

Il serait important d’introduire une année de préparation à l’école où il ne s’agit pas d’apprendre les techniques culturelles mais d’atteindre le degré de maturité nécessaire pour l’école. Cela pourrait se faire en un an ou un an et demi. Il faut des petits groupes de 8 à 12 enfants avec lesquels on travaille de manière personnalisée. Pour que le psychisme de l’enfant se forme, je dois le guider et l’accompagner. Les adultes qui veulent être aimé des enfants ou bien qui les considèrent comme des partenaires, diront que c’est autoritaire ou réactionnaire ou paternaliste. Mais c’est un facteur décisif pour qu’un enfant puisse se développer. Le développement psychique n’est en rien automatique, il faut prendre cela en compte. Voilà ce qui donne une nouvelle tâche aux éducateurs et aux enseignants.

Nous sommes donc devant une nouvelle tâche de grande envergure qui touche toute la société?

Nous vivons dans une société qui ne pense plus qu’au moment présent qui ne se préoccupe que de symptômes. Il faut supprimer les symptômes. Personne ne réfléchit à ce qui adviendra dans cinq ans, dix ans ou 20 ans. Concernant les enfants, il faut penser dans des espaces temporels de 20 ans. Si l’on ne le fait pas, on aura pour le moment un calme trompeur. Mais tous ces enfants ne seront pas aptes à la vie. Toutefois cela ne se résout ni par de la sévérité ni par des thérapies. En réalité, nous sommes dans une époque cruelle pour les enfants, une époque donnant l’illusion que nous faisons tout pour eux. Mais le plus important que nous devrions faire pour nos enfants, nous ne le faisons pas: établir un attachement émotionnel, une relation personnelle et permettre ainsi le développement émotionnel et social de l’enfant.

Au début de notre entretien, nous avons parlé du grand nombre d’adolescents inaptes au travail, ce sont donc ces enfants qui ont grandi!

Oui. Il y a de nombreuses entreprises, où on vous dira que chez nous un grand nombre de métiers disparaissent. Dans le domaine de l’artisanat vous ne trouverez sur les chantiers – j’ai un ami électricien – plus guère de collaborateurs en-dessous de trente ans d’origine allemande et parlant l’allemand. Il n’y a plus guère de jeunes qui choisissent ces formations et si vous parlez avec des représentants de la Chambre de Commerce et d’Industrie allemande, ils vous diront qu’un apprentissage sur deux est interrompu. Nous avons également un taux élevé d’environ 30% d’interruption des études. Le nombre d’adultes avec formation professionnelle ne pouvant être gardé dans l’entreprise est également très élevé.

Que deviennent-ils, ces gens-là? Sont-ils à la charge du système social?

Le problème est que le système social entre en jeu qu’une fois que les parents n’ont plus rien. En Allemagne, les parents doivent financer leur enfant jusqu’à l’âge de 26 ans, que l’enfant travaille ou pas. Et comme les parents n’y comprennent rien, ils pensent que leur enfant a un TDAH ou autre chose et que celui-ci n’y peut rien.

Pour quelques années – et après …

Aujourd’hui, peu de gens réfléchissent aussi loin.

Mais un jour, l’enfant aura 26 ans!

Oui, en 2008, quand j’ai écrit mon premier livre, il y avait au Japon déjà deux millions de jeunes gens entre 20 et 30 ans, vivant dans leur chambre, branchés 24 heures sur 24 sur Internet, avec frigidaire rempli. Ainsi, les parents ont la paix. Mais aussitôt qu’on exige quelque chose d’eux, ils pètent les plombs. Dès que le frigidaire est vide ou que l’ordinateur est en panne, ils perdent les pédales. On les appelle les Hikikomores. Le modèle d’avenir des familles allemandes sera que les «enfants» resteront assis sur les genoux de leurs parents, c’est-à-dire que nous aurons de plus en plus de personnes ayant besoin d’aide et ne pouvant pas travailler. Car, ce n’est pas un manque de volonté d’aller travailler.

Nous avons de ces jeunes aujourd’hui dans les écoles professionnelles. Souvent, ils ne peuvent ou ne veulent pas comprendre pourquoi il faut faire un effort pour passer les examens de fin d’apprentissage!

En un an et demi, vous pouvez tous les amener au niveau de leur âge! Si vous travaillez avec eux de manière personnalisée et que vous reconnaissez derrière leurs paroles et leur attitude de refus les petits enfants, vous aurez du succès. C’est la tâche que j’ai dans l’industrie. On m’invite lors de réunions au niveau fédéral de l’industrie, aussi en Autriche. On me demande ce qu’on peut faire avec ces apprenants. Si l’on connaît les dessous du problème et qu’on voit le petit gamin dans le comportement des adolescents, alors il y a une voie de sortie. Je ne m’arrête pas à leur comportement, mais je me mets tout de suite dans une position de les accompagner tout naturellement et de les guider dans les nombreuses tâches qu’ils doivent remplir. Quand on a travaillé pendant trois mois avec les adolescents toujours de manière très centrée sur l’individu, quand on les a guidés continuellement dans leurs activités, leur psychisme se développe. Plus ils avancent dans leur développement, plus ils changent de perception, plus ils s’expriment et se comportent différemment. C’est la voie qui fonctionne. Une profession artisanale est prédestinée pour cela.
Il ne s’agit pas de vouloir leur enseigner quelque chose, mais de conseiller l’adolescent afin que son psychisme puisse se former. Cette voie est pleine d’espoir. Je peux aussi sauver des jeunes de 17 ans. – Mais j’ai aussi des jeunes de 17 ans que je ne peux plus sauver aussi longtemps qu’ils restent dans leur entourage familial, parce qu’ils ne communiquent plus avec leur famille. Si les parents ont la chance de posséder 40?000 euros, j’envoie de tels jeunes en Angleterre dans un internat. Là-bas, ils ont ce qu’on appelle une barrière linguistique. Lorsqu’on dit à l’enfant de mettre la table, il répond: «Pourquoi toujours moi?» Ce n’est en réalité pas un refus, il ne fait que tester son image du monde: Toi, tu es une table, une chaise, un automate, on peut te bouger. Mais là, il y a la barrière linguistique. Lorsque l’Anglais dit: «Mets la table!», et avant d’avoir le temps de traduire «Pourquoi toujours moi?», l’adulte a depuis longtemps disparu. Dans ces écoles privées, il y a de très bons enseignants travaillant de manière très personnalisée et établissant de bons liens avec les élèves. Celui qui ne collabore pas pendant les cours travaille pendant la récréation. L’après-midi, ils vont jouer au hockey avec eux et disent: «Comme tu as joué au hockey, tu travailleras demain dans mes cours.» Ils travaillent beaucoup avec des lignes directives et des activités ritualisées. Chaque heure est clairement réglée. Le fait est qu’au bout de trois mois, ils sont déjà transformés; au bout de six mois, ils sont sortis de leur comportement gênant parce que tout est très intensif. Un jeune de vingt ans qui participerait à un projet, une année à l’étranger, une année écologique, une année sociale bénévole, il arriverait en un an aussi au niveau de son âge dans son psychisme. Vous ne le reconnaîtrez plus après. Donc, tout est possible! On ne peut résoudre ce problème ni par de la sévérité ni par de la thérapie. C’est uniquement à résoudre avec le travail centré sur la personne, comme on le fait avec de petits enfants.

En Suisse, nous pouvons aussi agir par la voie démocratique pour nous opposer à de tels développements. Par exemple, pour le Plan d’études 21, il y a plusieurs initiatives populaires cantonales qui ont été lancées pour enfin éveiller la discussion au sein de la population et empêcher l’introduction de l’application de ce plan. Il y a aussi de nombreux parents qui s’engagent. Il y a de divers côtés des activités pour faire contrepoids à ces réformes scolaires désastreuses.

C’est aussi pour cette raison que je me suis réjoui d’être invité en Suisse.
Comme vous avez dans votre pays cette possibilité de travailler avec des initiatives populaires, faites-le! Je vous mets volontiers à disposition mes connaissances. Avec tout ce que j’ai publié, vous avez d’excellentes lignes d’argumentation. Surtout le livre «SOS-Kinderseele» [SOS-âme d’enfants] montre clairement que les idées actuellement prédominantes ne peuvent pas faire du bien. Je recommanderais à tout partisan de ces idées de faire une excursion dans le Land Rhénanie du Nord-Westphalie et d’y visiter des écoles. Ils y verront dans quel désastre ils vont atterrir. Dans le domaine de l’école primaire, nous avons entre temps 80% d’enfants avec des perturbations du développement. Ce sont les indications des enseignants. Et ce n’est pas ainsi uniquement en Rhénanie du Nord-Westphalie. Dans les zones urbaines en Autriche (Vienne), les enseignants parlent de 70% et en zones rurales de 50–60%. A Zurich, vous êtes certainement aussi aux alentours de 70%. Vous reconnaissez ces enfants au fait qu’il faut toujours leur donnez les directives deux ou trois fois. Un enfant prêt pour l’école primaire sait ce qu’il a à faire: «Je suis à l’école. Si la maîtresse me dit de sortir mon livre d’allemand, je le sors, cela va de soi.» Ce n’est pas de l’obéissance, c’est un certain niveau de maturité. Un groupe donne l’impression que vous n’êtes pas présent. Ils disent «Sascha, Timmy, toi aussi, sors ton livre d’allemand!» L’autre groupe circule dans la salle de classe et discute; lorsque vous avez dit cinq fois: «Sortez votre livre d’allemand!», ils le sortent. Tous ces enfants ne sont pas malades, tous ces enfants ne sont pas développés. Si nous ne reconnaissons pas un tel groupe, et ne réalisons pas que les conceptions modernes sont totalement inadaptées à ce dont les enfants ont besoin, le groupe d’êtres humains concernés, inaptes à la vie s’agrandira toujours davantage.
Mais allez en Allemagne, c’est très convaincant: si vous allez voir dans les écoles et les jardins d’enfants des zones urbaines, si vous parlez avec les enseignants et les apprenants et si vous publiez ces interviews, alors la Suisse devrait aussi se réveiller et se dire: Non, ce n’est pas ce que nous voulons pour nos enfants!

Cher Monsieur, un grand merci pour votre engagement, vos livres et cet entretien passionnant!    •

(Interview réalisée par Eliane Gautschi et Erika Vögeli)