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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°12, 29 mars 2010  >  La mission pédagogique de l’école – rapport d’expérience [Imprimer]

La mission pédagogique de l’école – rapport d’expérience

par Ruth Schwarz

Quelle est aujourd’hui, la mission pédagogique envers nos enfants et notre jeunesse? Comment pouvons-nous nous opposer à la montée de la sauvagerie, renforcer, protéger et immuniser nos enfants?
Pour commencer, il y a les réformes scolaires qui s’étendent, souvent avec à la base de fausses théories, dont les conséquences sont durables pour les enfants.
Je me propose de présenter mes expériences et mes réflexions en prenant comme exemple ma classe primaire.
Il y eut beaucoup de difficultés au cours des deux premières années, dues à l’indiscipline et à des interventions désagréables de parents, à tel point que celle qui m’avait précédée voulait renoncer à cette classe. Elle aimait les enfants, mais se voyait empêchée dans son travail. De ce fait, elle-même et le directeur me prièrent de reprendre cette 3e classe.

Quand on abandonne les enfants à eux-mêmes

Qu’ai-je découvert? Un groupe de 28 élèves, assez désordonnés et agités et impatients de voir qui était leur nouvelle institutrice. Ce groupe d’enfants n’était pas solidaire et les disputes n’étaient pas rares. C’était à moi à régler tous les problèmes. J’aurais même dû inscrire les devoirs dans chaque cahier ­d’élève. Environ la moitié des élèves tenait mal le crayon pour écrire – l’écriture s’en ressentait naturellement.
J’ai donc commencé par leur inculquer la façon de tenir le crayon et d’améliorer l’écriture à l’aide de nombreux exercices. De plus, nous avons exercé l’écriture des lettres et leur liaison que peu d’élèves maîtrisaient. (programme des 1re et 2e années).
Après chaque récréation, nous avions de quoi nous entretenir, du fait que les enfants se disputaient souvent. Ils s’adressaient à moi, se plaignaient, mais ne se parlaient pas entre eux et n’écoutaient vraiment ni moi ni eux-mêmes.
La répartition des places était cause de conflits, auxquels, semblait-il, les parents avaient participé. «Mon père m’a défendu d’être assis à côté d’Adrien.»
Du fait que j’avais enseigné pendant de nombreuses années des branches spécialisées dans des classes supérieures, j’ai été, en un premier temps, effarée de l’état de l’instruction. Pourtant, j’ai immédiatement décidé de le prendre comme base de travail pour avancer pas à pas, sans me laisser pousser par le programme de 3e.

Vision pathologisante des enfants

Il arrive souvent qu’au bout de deux ans déjà les enfants soient soumis à des épreuves, des diagnostics et des thérapies, ce qui ne ­manque pas de peser sur leurs esprits, leur enlevant leurs propres possibilités de développement en fonction de leur âge. Nous partions de l’idée que les enfants n’avaient tout simplement pas encore acquis certaines capacités et habiletés, ce qui était la raison pour la plus grande partie de leur nervosité et manque de concentration. Nous avions donc pour tâche de leur transmettre ces connaissances et ces habiletés qui leur manquaient.

Forger une communauté de classe

Lors de la première rencontre de classe avec les parents, je leur donnais connaissance de ma vision et les priais d’y participer de façon constructive. Je louais l’aspect soigné des enfants et développais l’idée d’une communauté dans laquelle chacun aurait sa place, et où les difficultés seront surmontées avec mon aide, le cas échéant aussi à l’aide des parents. Je les assurais aussi de ne pas consulter de dossiers pendant les premières semaines, mais de laisser chaque enfant se présenter et profiter de ce nouveau départ. J’en fis de même avec les élèves.
Pour commencer, j’ai placé les enfants de manière à faciliter une communauté d’apprentissage et me suis entretenu avec eux du comportement social devant servir à la matinée passée ensemble. Les enfants devaient pouvoir se réjouir de venir à l’école, sans craindre d’être exclus, chicanés ou distraits d’une autre façon de l’apprentissage. Auparavant, il y avait toujours eu des disputes entre les enfants et même les parents.
J’avais remarqué un comportement désagréable, notamment de la part de trois garçons. J’observais attentivement, tentant d’en trouver les raisons.
Mais en même temps j’exigeais de la part des enfants un comportement correct, devant permettre un enseignement dans la coopération. Nous sommes trois (dont deux enseignants spécialisés) à enseigner dans cette classe, nous rencontrant et échangeant régulièrement nos idées. Nous nous entretenons sur les bases de l’apprentissage, sur la façon de créer un esprit de groupe afin de favoriser la coopération, un comportement social et de créer une atmosphère permettant à chacune et chacun de poser des questions et de se tromper.
Nous échangions régulièrement nos observations et nos réactions en toute con­fiance et tentions de forger un portait des enfants.

Rétrospective: des incidents qui ne se produisent plus

 

1er exemple:

Je suis en train de distribuer les tâches à accomplir à la maison et de donner quelques explications quand Léon glisse soudain de sa chaise et se retrouve assis sous la table, hurlant «Je ne comprends pas!». Ses camarades se contentent de remarquer qu’«il agit toujours ainsi quand il est en colère.»
Quelque peu surprise par ce comportement, je m’agenouille près de lui et lui dit: «Pour me comprendre, tu dois cesser immédiatement de pleurer et de crier. J’ai quelque chose d’important à te dire.» J’attends qu’il ait cessé de crier pour lui dire: «Léon tu dois savoir que je t’expliquerai tout ce que tu dois savoir. Tu peux tranquillement me poser des questions lorsque tu ne comprends pas. C’est la dernière fois que tu t’es mis à crier et te vautrer sous la table, cela ne te convient pas et je ne le souhaite pas.»
Il m’écoute attentivement, se calme et me dit «d’accord».
Ces explosions de colère étaient un appel au secours, du fait qu’il n’avait pas eu suffisamment d’instruction et qu’il avait un tempérament très pointilleux. Il est maintenant un élève studieux, précis et sans accès de colère.

2e exemple:

Florian a l’air absent, déboussolé et manquant de structure; il travaille sans soin, ne cesse de dessiner et de vivre dans son monde à lui; il ne soigne pas le contact avec les autres, y compris dans les récréations. Les parents nous prient de lui noter les devoirs, du fait qu’il s’en montre incapable; de plus ils nous écrivent souvent pour nous dire quel doit être notre comportement envers lui. Florian fuit tout contact avec nous autres enseignants et il a l’air peu sûr de soi. Ce n’est qu’après nous être informés auprès des parents que nous avons appris qu’ils lui imposaient de la Ritaline à titre prophylactique, afin qu’il soit plus calme et concentré. Je leur ai fait part de mon opinion sur ce produit et les ai priés de cesser immédiatement ce traitement. Je les ai informés, également de l’initiative ita­lienne «Ne touchez pas à nos enfants» et leur ai fourni des informations venant du site Internet www.adhs.ch. Deux semaines plus tard, les parents nous ont fait savoir que Florian ne prenait plus de Ritaline.
Après trois ans, il travaille maintenant sans difficultés et en bonne coopération. Il aime venir à l’école, a trouvé des amis dans sa classe et les parents ont retrouvé leur calme.

3e exemple:

Kevin m’interpelle, du fait qu’il ne me regarde jamais franchement en face. J’interroge mes collègues qui me confirment mon observation. Il a l’air très peu sûr de lui, légèrement désorienté et fuyant; il parle de façon à peine audible. Lorsqu’il vient poser une question, il n’attend pas la réponse, mais se détourne aussitôt.
Lors d’une rencontre, son père me demande des nouvelles de son fils. Il mentionne que son fils n’a pas la vie facile du fait de ses divers handicaps (p.ex. difficulté d’orientation spatiale par l’ouïe et la vue). Surprise, et devenue attentive, je l’assure – sans parler de handicaps – que son fils est un gentil garçon de huit ans, se développant fort bien. Le père me parle de tests que je le prie de m’apporter, mais d’assurer son fils que son institutrice l’aime bien.
A la suite de cet entretien, Kevin est apparu plus ouvert; de temps en temps il me lançait un regard, se lançait à poser l’une ou l’autre question.
Les parents me remettent un rapport de plusieurs pages d’un institut. (Diagnostic: difficultés de se situer spatialement, notamment par l’ouïe, ce qui provoque des difficultés d’orientation dans la vie scolaire. De ce fait il est nécessaire d’établir sans tarder des programmes spéciaux en étroite collaboration entre l’institut et l’école!)
Cette lecture m’exaspère et je suis étonnée que Kevin soit encore venu à l’école. Je fais part aux parents que je ne reconnais pas Kevin au travers de ce rapport.
Il possède une bonne orientation spatiale et est capable de suivre les leçons du point de vue acoustique. Nous exerçons l’écriture jusqu’à ce qu’elle soit lisible et remisons les directives de l’institut.

Réflexions

Quel est notre comportement envers un enfant gaucher, connaissant donc quelques difficultés dans l’écriture? Nous l’envoyons passer des tests, mesurons les flux cérébraux, et à la fin, l’enfant sait avec quelque certitude qu’il n’est pas normal, qu’il est différent des autres enfants. Je ne sais pas accomplir ceci ou cela, c’est indéfectible puisqu’on m’a mesuré le cerveau.
Un enfant, ne peut-il plus connaître des difficultés et poursuivre normalement son développement sans tomber dans les mains de prétendus savants spécialistes des tests ou de thérapeutes?
Entre temps, Kevin est devenu gai et plein de vie; il pose des questions à voix haute, parle de façon claire et écrit lisiblement.

Situation actuelle et perspectives

Ma classe est maintenant une petite communauté heureuse, au sein de laquelle chacune et chacun a trouvé sa place. Les enfants règlent leurs conflits eux-mêmes et font des projets ensemble. Chacun peut s’asseoir auprès de qui il veut et coopérer. Les parents ont, eux aussi, cessé de se disputer et, bien au con­traire, nous soutiennent dans nos efforts.
Il reste encore bien à faire, notamment dans le domaine de la responsabilité envers la société, de savoir voir plus loin que le bout de son nez et de ne pas se contenter de ramener de bonnes notes à la maison.    •

Katharina Rutschky, éditrice d’une anthologie de textes pédagogiques des XVIII et XIXe siècles intitulée «Schwarze Pädagogik» (1977) résume très clairement ces idées dans une interview récente: «Nous avons une dictature des experts […] et une vision pathologisante de l’enfant, des parents et des familles qui ne correspond absolument pas à la réalité, mais aux besoins de ces légions de psychologues, pédagogues qui veulent faire valoir leur savoir.»