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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°26, 26 août 2013  >  Une armée de milice est la seule armée valable pour notre pays [Imprimer]

Une armée de milice est la seule armée valable pour notre pays

Interview de Jakob Büchler, conseiller national

thk. L’esprit de résistance de la Suisse, telle que nous le connaissons dans l’histoire, forme le fondement de l’indépendance de notre petit Etat qui, bien qu’entouré de puissants voisins, a pu s’imposer au cours des siècles. Même dans une situation de menace grave, comme du temps du national-socialisme en Allemagne, l’objectif principal restait de sauvegarder la souveraineté et l’indépendance du pays et le cas échéant de les défendre par les armes. Le conseiller fédéral Obrecht exprima cette volonté en déclarant: «Nous n’irons pas en pèlerinage à l’étranger», rejoignant par là la volonté de la grande majorité de la population: pas de soumission et pas de flatterie à l’égard de la grande puissance, à l’époque le «Grand Reich allemand». Et aujourd’hui? Nous nous trouvons une fois encore devant la question: voulons-nous abandonner notre souveraineté et notre indépendance, nous soumettre aux puissants, ou voulons-nous défendre par tous les moyens à notre disposition, donc dans le pire des cas aussi par les armes, notre liberté et notre indépendance contre les influences et les tentatives de conquêtes? Pour ce faire, il nous faut une armée efficiente et dissuasive, en l’occurrence une armée de milice.
Dans l’interview ci-dessous, le conseiller national Jakob Büchler, président de l’association «Pour une Suisse en sécurité» – association qui compte près de 400 000 membres – expose l’importance d’une armée de défense compétente.

Horizons et débats: Quelle est la tâche fondamentale de notre armée?

Jakob Büchler: L’armée suisse a pour tâche fondamentale de défendre le pays et de protéger la population. Cette mission est ancrée dans la Constitution et clairement définie dans la loi. Il est important de prendre en considération et de poursuivre cette tâche aussi à l’avenir. L’initiative demandant la suppression de l’obligation générale de servir, dénommée de ce fait «initiative contre la sécurité», veut s’en prendre à ces principes fondamentaux, ce qui est inacceptable. La sécurité du pays et de la population ne serait plus assurée.

Quelles sont les menaces actuelles pour notre pays?

Ces menaces sont beaucoup plus importantes que ce que la population en perçoit. Par exemple, le «printemps arabe» en Egypte et en Syrie a démontré à quel point des pays relativement stables peuvent être bouleversés. Et le risque existe toujours que de tels désordres se répandent dans d’autres pays, même en Europe. La Suisse n’a pas d’alliés pour se défendre. Nous devons donc organiser nous-mêmes notre défense et la mettre en place. Le peuple suisse sait que nous vivons en principe dans un pays sûr. Mais l’histoire nous a montré que cela peut changer rapidement. Lorsque la sécurité est menacée, il faut pouvoir réagir rapidement pour y remédier. Ce n’est possible que grâce à nos réserves de sécurité, c’est-à-dire notre armée. C’est pourquoi nous devons prendre soin d’elle en temps de paix, afin d’être prêts pour toutes les éventualités en cas de détérioration de la situation.

Certains préconisent la théorie de la «montée en puissance», c’est-à-dire qu’on prendrait conscience suffisamment tôt d’éventuelles menaces pour pouvoir à ce moment-là renforcer l’armée.

C’est parfaitement irréaliste. Il ne faut pas s’imaginer qu’on peut renforcer l’armée en l’espace de quelques semaines, quelques mois, voire une ou deux années, lorsque la situation civile ou militaire se dégrade. Une comparaison: un ouvrage paravalanche doit se construire en été afin de pouvoir servir en hiver. Nous devons maintenir constamment un équipement et un approvisionnement militaire de base. Nous devons pouvoir nous entraîner pour l’engagement réel avant qu’il soit trop tard. C’est pourquoi il faut être bien préparé en temps de paix. On conclut toujours des assurances pendant les bonnes années, afin d’être protégé pendant les mauvaises en cas de nécessité. Il en va de même pour l’armée.
A quoi il faut ajouter que la liberté et la sécurité sont étroitement liées. Si nous voulons rester libres, il nous faut un système de sécurité fiable, particulièrement en temps de paix.

Outre la sécurité, l’armée est importante dans d’autres domaines encore.

L’armée de milice en Suisse est un modèle qui a fait ses preuves. Chaque citoyen suisse est citoyen et soldat. En entrant dans l’armée, il y amène ses connaissances et ses compétences de citoyen, ce dont l’armée profite grandement. Mais il en va de même pour l’économie, car en revenant à la vie civile, le soldat ou l’officier y apporte tout ce qu’il a appris au cours de son instruction militaire. Ce sont des synergies qui se soutiennent mutuellement, renforçant les capacités du monde économique. Nous devons conserver cela.
Nous sommes un pays neutre et le peuple le veut ainsi. C’est ancré dans la Constitution fédérale. Nous ne pouvons nous permettre d’appeler au secours quelque allié en cas d’agression. Nous ne sommes membres ni de l’UE ni de l’OTAN et nous ne tenons pas à le devenir. Le peuple tient à la neutralité, car elle s’est avérée avantageuse pour notre pays. Ce qui signifie que nous voulons et devons assurer nous-mêmes notre sécurité.

Que se passerait-il si nous n’avions plus d’armée de milice?

Dans ce cas, l’armée se retrouverait rapidement en situation de ghetto. Nous n’aurions plus que des soldats professionnels qui ne seraient préoccupés que des affaires militaires, perdant de plus en plus le contact avec la vie professionnelle et la vie civile. Ce serait un énorme désavantage tant pour l’armée que pour l’économie du pays. De plus, notre armée est à l’image du peuple suisse avec ses quatre langues, ses cantons et les caractéristiques régionales du pays. C’est très important pour notre pays, et représente une aide importante pour résoudre des tâches difficiles. Il faut protéger cela et le maintenir, afin de pouvoir continuer sur cette voie. La cohésion au sein de l’armée est tributaire du système de milice. Nous ne voulons pas d’une armée de métier. L’armée perdrait ses liens avec la population et l’économie. Le peuple suisse n’en veut en aucun cas.

Les différentes régions linguistiques ne seraient guère représentées dans une armée de métier.

Oui, il est important que la diversité du pays se reflète dans l’armée. C’est vital pour la cohésion et cela permet de mieux se comprendre entre la Romandie, le Tessin, la Suisse alémanique et la Suisse romanche. C’est dans l’armée qu’on se rencontre et qu’on travaille ensemble et tout un chacun qui a fait du service militaire en a bénéficié. On fait la connaissance de gens des différentes parties du pays et on se met ensemble à la tâche. C’est particulièrement important pour nos jeunes gens. L’armée est une école de vie, qui représente un avantage pour la vie professionnelle et pour la vie sociale en général. Nous tenons à conserver ces avantages et le peuple suisse l’a déjà démontré à plusieurs reprises. Une armée de métier ne peut pas compter sur une majorité.

Jusqu’à présent l’armée de milice a fait ses preuves. Pourquoi changer?

L’histoire a démontré que ce système s’est avéré performant au cours des années et décennies passées. Il est vrai que nous avons procédé à des changements au sein de l’armée, qui n’ont pas toujours été positifs. Des changements de cap sont nécessaires et importants, mais ils doivent tenir compte de la réalité et non pas relever de vagues désirs, quels qu’ils soient. A l’avenir aussi, nous devrons continuer à organiser nous-mêmes notre sécurité, également à l’intérieur du pays, dans les cantons, où les corps de police arrivent rapidement à leurs limites lors de situations d’exception. Lorsqu’il s’agit d’assurer la sécurité du pays sur une plus longue durée l’armée et la protection civile, que je considère comme tout aussi importante, doivent pouvoir intervenir en renfort rapidement.

Au cours du temps, le monde politique a souvent mal évalué les situations de menaces auxquelles la Suisse a été confrontée. Y a-t-il actuellement des parallèles?

Oui, on retrouve des parallèles, surtout du fait que le monde politique n’est plus disposé à fournir les ressources financières nécessaires. On part de l’idée que la Suisse est sûre, que notre sécurité est assurée et on se demande s’il est nécessaire de prévoir de nouveaux programmes d’armement. Mais bien sûr qu’ils sont nécessaires. C’est une erreur de penser que parce que nous vivons actuellement en paix la sécurité est assurée et qu’il est superflu de fournir les moyens nécessaires à l’armée. Je me suis toujours battu pour qu’on réserve 1% du PIB (produit intérieur brut) pour la défense. Malheureusement, nous en sommes loin en comparaison avec d’autres pays; nous sommes à 0,8% et donc derrière l’Autriche. Il serait bon de clarifier les choses. Même notre gouvernement fédéral à Berne s’imagine qu’on peut avoir une armée pour un morceau de pain. Ce n’est pas ma façon de voir. Il nous faut au moins 100 000 hommes, aussi à l’avenir. Il nous faut les ressources financières nécessaires pour nous procurer les équipements pour la troupe et assurer notre sécurité.

De quoi avons-nous besoin pour notre sécurité?

D’une armée de milice bien équipée et bien formée. Une armée de métier est beaucoup trop grande en temps de paix et trop petite en cas de guerre. Que faire en temps de paix d’une armée de 30 000, 50 000 ou même 80 000 hommes? Ils seront là au quotidien et devront avoir une occupation. Actuellement, il y a environ 4000 à 5000 soldats en mission, sans compter les recrues et les officiers de carrière. Au bout de trois semaines les soldats rentrent chez eux et sont à la disposition de leurs entreprises, c’est-à-dire du monde professionnel et de l’économie du pays. Mais, lorsqu’on a des dizaines de milliers de soldats qui doivent être entretenus et à qui il faut assigner des tâches, cela devient difficile et risque de peser sur leur motivation et leur moral. C’est trop cher, rien qu’en coûts de personnel, ce qui remet en question les fournitures et l’exploitation. Bref, on ne pourrait le financer. Une armée de milice sur la base du volontariat n’est pas possible. Cela n’existe nulle part dans le monde. Soit on a une armée de métier soit une armée de milice. Il n’y a pas d’autre possibilité. Certes tant qu’il ne s’agit que d’exercices, il est envisageable d’avoir une armée de volontaires, mais en cas d’engagement réel personne ne viendrait et nous nous trouverions confrontés à un immense problème. Je me bats pour que nous puissions, en période d’instabilité, garantir notre sécurité avec une armée de milice bien équipée et bien formée. On ne peut imaginer autre chose pour notre pays, c’est pourquoi il faut refuser cette «initiative contre la sécurité».

Monsieur le conseiller national, nous vous remercions de cet entretien.    •