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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°17, 30 avril 2012  >  Tranche de vie commune et aléas du destin [Imprimer]

Tranche de vie commune et aléas du destin

«… appeler mon ami Bibi Netanyahou et lui demander: ‹Serait-ce utile que je dise cela? Qu’aimerais-tu que je fasse?›»

par Michael Barbaro

hd. On a posé la question à Obama s’il était soumis à un chantage par Israël, respectivement par les voix des électeurs juifs aux USA, de donner carte blanche à Netanyahou pour une attaque nucléaire préventive contre l’Iran (cf. Horizons et débats, no 13, p. 4). Au cas où le mormon Mitt Romney deviendrait candidat républicain pour la présidence, les relations avec Israël, respectivement Netanyahou, auront une toute autre qualité – active. Cette candidature serait un signal d’alarme extrême pour tous les pays pacifiques de la terre.
Après le désastre de la Seconde guerre mondiale, le monde s’est mis d’accord de résoudre à l’avenir les conflits à la table des négociations. Il n’y a aucune raison pour s’en écarter!
Chaque historien sait que les grandes guerres ont toujours été précédées de leur ombre. Cela vaut pour le siècle dernier autant que pour la Guerre de Trente ans. Les mécanismes assurant la paix ont été affaiblis, transformés ou simplement mis hors usage. Les forces qui voulaient la guerre ont entamé une danse nuptiale fantomatique. On ne peut pas ignorer tous ces signaux d’alarme – aussi et surtout dans nos pays d’Europe, où la concurrence pour obtenir la participation active et la couverture médiatique bat son plein. La démocratie ne doit pas sombrer dans la permissivité de manipulations avec des «spin doctors» et de l’incitation à la guerre. Et pas non plus dans la politique émotionnelle des grandes puissances, une technique bien maîtrisée par les partisans de l’écologie profonde, comme cela semble être le cas avec le nouveau Président d’Allemagne.

L’amitié entre Mitt Romney, le probable candidat présidentiel républicain et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou est peu connue des personnes extérieures, mais cependant riche en intrigues politiques.
Les deux jeunes gens avaient bien peu de choses en commun: l’un est un riche mormon du Michigan, l’autre un Juif d’Israël issu de la classe moyenne.
En 1976 cependant, les voies de Mitt Romney et de Benyamin Netanyahou se croisèrent brièvement, mais de façon indélébile, dans les bureaux du 16e étage du Boston Consulting Group (B.C.G.), où tous les deux avaient été engagés comme consultants. Durant la période la plus marquante de leur carrière ils se testaient mutuellement pendant les séances de brainstorming hebdomadaires de leur entreprise et absorbaient la même vision profondément analytique du monde.
Cette expérience commune d’il y a des dizaines d’années entraîna une chaleureuse amitié peu connue des personnes extérieures, mais cependant riche en intrigues politiques. Netanyahou, le Premier ministre israélien, s’engage pour une action militaire contre l’Iran, alors que Romney, le probable candidat présidentiel des républicains, attaque le gouvernement d’Obama parce que ce dernier ne soutient pas Netanyahou assez vigoureusement.
La relation entre Netanyahou, âgé de 62 ans, et Romney, 65, entretenue lors de repas communs à Boston, New York et Jérusalem, renforcée par un réseau d’amis communs et confortée par leurs idéologies conservatrices, mena à un échange d’une franchise peu habituelle de conseils et d’aperçus sur des sujets tels que la politique, l’économie et le Proche-Orient.
Quand Romney était gouverneur du Massachusetts, Netanyahou lui a offert des conseils de première main sur la façon de réduire la taille du gouvernement. Quand Netanyahou voulut inciter des fonds de pension de rompre avec des entreprises ayant des relations avec l’Iran, Romney lui dit quels fonctionnaires américains il devait rencontrer. Et quand Romney posa en premier sa candidature pour la présidence, il demanda d’abord à Netanyahou s’il croyait que Newt Gingrich allait s’engager dans la course.

Des expériences communes et une vision similaire

Le 6 mars, Netanyahou téléphona à Romney un briefing personnel concernant la situation en Iran. Dans une interview, Romney dit: «Nous pouvons presque parler en mots-clés, nous partageons des expériences communes et nous avons une façon de voir et une base qui sont similaires.»
Netanyahou attribua leur «communication simplifiée» à ce qu’il appela «le camp d’éducation intellectuelle rigoureux de B.C.G.». Par un conseiller personnel, il fit savoir que «malgré notre origine différente, j’ai l’impression que nous utilisons les mêmes méthodes pour analyser les problèmes et pour leur trouver des solutions».
Les liens entre Romney et Netanyahou frappent, car il n’y a probablement pas de précédent de deux politiciens de leur format dont l’entrée au gouvernement fut précédée d’une pareille histoire commune. Et cette histoire pourrait très bien exercer une influence sur la prise de décision, lorsque les Etats-Unis se trouveront confrontés à la question cruciale s’ils doivent attaquer les installations nucléaires de l’Iran ou s’ils doivent soutenir Israël dans une action de ce genre.

«Bibi … qu’aimerais-tu que je fasse?»

Romney a attiré l’attention sur le fait qu’il ne prendrait aucune décision fondamentale concernant Israël sans avoir consulté Netanyahou – un degré d’empressement qui, au vu de la réputation de dur de Netanyahou, pourrait faire froncer quelques sourcils, alors que les néo-conservateurs et les chrétiens évangélistes se plaisent à prendre violemment parti pour Israël.
En décembre, lors un débat révélateur, Romney critiqua une remarque méprisante que Gingrich avait faite sur les Palestiniens et il déclara: «Avant d’émettre une prise de position de ce genre, je prendrais mon téléphone pour appeler mon ami Bibi Netanyahou pour lui demander: ‹Est-ce que ça t’aiderait que je dise cela? Qu’aimerais-tu que je fasse?›»

La politique proche-orientale des USA en sous-traitance à Israël

Martin S. Indyk, l’ambassadeur des USA en Israël sous le gouvernement de Clinton, dit que l’affirmation de Romney impliquait, sciemment ou non, qu’il «remettait la politique proche-orientale en sous-traitance à Israël». Et il ajouta: «Cela ne serait évidemment pas indiqué.»
Concernant la nomination du président, Netanyahou insiste pour rester neutre, mais avec le Président Obama, il a dans le meilleur des cas une relation tendue. Durant des années, le Premier ministre a habilement mobilisé bien des groupes juifs et des députés au Congrès républicains pour pousser le gouvernement Obama à pratiquer une attitude plus tranchée envers l’Iran.
Indyk ajouta: «Dans la mesure où leur relation personnelle fournirait à Netanyahou un accès à la Maison Blanche sous Romney, comme il ne l’a pas maintenant sous Obama, le Premier ministre considérerait cela sûrement comme un avantage important.»
D’abord, que les deux hommes se rencontrent relève d’un caprice de l’histoire. Dans les années 1970, les deux décidèrent de fréquenter la faculté des sciences économiques de Boston – Romney à Harvard, Netanyahou au Massachusetts Institut of Technology. Après avoir terminé en tête de leur volée, ils purent choisir un emploi dans les plus grands et les plus renommés cabinets de consultants US. Le Boston Consulting Group ne s’était pas encore qualifié ni pour l’un, ni pour l’autre. Son fondateur, Bruce D. Henderson, passait pour un homme brillant, mais original; ses théories pas très orthodoxes – de mesurer le succès d’une firme à sa part de marché et de classer les entreprises en poules aux œufs d’or et n’ayant pas de succès («cash cows» et «dogs») – passaient alors pour être situées à l’écart du courant dominant du conseil d’entreprises.
Romney se souvient que les étudiants se moquaient régulièrement des affiches de recrutement de la firme. «Boston Consulting était alors une maison qui semblait être en état de siège», dit-il. Mais que la position de la firme en tant que parvenu pionnier talonnât les plus grandes maisons blue chip telles que McKinsey et Boos Allen, favorisa une profonde camaraderie entre les jeunes employés qui parcouraient les Etats-Unis et conseillaient des clients tels que General Foods et Mead Corp.
Même dans une maison avec cent détenteurs d’un MBA, Romney et Netanyahou parvinrent à se distinguer autant en ce qui concerne leur biographie que leur intellect. Quelques années auparavant, le père de Romney, un ancien gouverneur du Michigan, avait posé sa candidature chez les républicains à l’élection présidentielle. Netanyahou avait son propre curriculum vitae exotique: il venait de terminer une période de service militaire dans une unité d’élite spéciale de l’armée israélienne.
«Les deux étaient entourés d’une aura», dit Alan Weyl qui a travaillé de 1975 à 1989 dans l’entreprise.
Bien qu’ils n’aient jamais collaboré étroitement pour un projet, Romney et Netanyahou, se faisant concurrence par leurs origines, exerçaient une profonde impression l’un sur l’autre, qui ne semble avoir fait que grandir depuis.
Romney, pas vraiment connu pour un manque de confiance en soi, se rappelle aujourd’hui encore du sentiment de jalousie qu’il éprouvait en observant Netanyahou qui, lors des réunions du lundi matin de l’entreprise, s’entretenait de façon décontractée avec tout le monde – quand les conseillers présentaient leur travail et paraient les questions des collègues. Les séances étaient connues pour leurs interrogatoires souvent extrêmement pointus.
«C’était une personnalité forte avec un point de vue marqué», dit Romney. «Je m’efforçais de suivre le même genre de perspective.»
Des conseillers personnels racontent que Netanyahou a révélé sa propre profondeur de comptage de points quand il dit en plaisantant, avec une déception en grande partie feinte, que Romney était le favori de Henderson. «Son étoile» dit le Premier ministre en parlant de son temps chez Boston Consulting, «s’était déjà levée.»
Romney travailla de 1975 à 1977 dans l’entreprise; Netanyahou y était de 1976 à 1978. Mais un mois après y être arrivé, Netanyahou retourna en Israël pour y fonder une espèce de fondation antiterroriste, en souvenir de son frère qui avait perdu la vie comme officier commandant l’unité de libération des otages à Entebbe, en Ouganda.
Romney retourna plus tard chez Bain & Co, une maison concurrente de Boston Consulting. Mais ils maintinrent une relation importante: chez Bain, Romney collabora étroitement avec Fleur Cates, la deuxième femme de Netanyahou. Fleur Cates divorça de Netanyahou au milieu des années 80, mais elle resta en contact avec Romney.

Le long bras de Netanyahou dans la politique américaine

Peu après que Romney fut devenu gouverneur du Massachusetts en 2003, les deux hommes reprirent contact. Netanyahou lui rendit visite, brûlant d’envie d’échanger des histoires concernant la vie du gouvernement. Netanyahou qui avait démissionné peu avant comme ministre des finances d’Israël, entretint Romney avec des histoires qui racontaient comment il avait, dans la tradition de Margaret Thatcher et Ronald Reagan, provoqué des ouvriers organisés en syndicats en contrôlant leurs rentes, diminué les impôts et privatisé des entreprises auparavant dirigées par l’Etat en réduisant l’influence de l’Etat sur des entreprises privées.
Il encouragea Romney à chercher des moyens de faire la même chose. Romney se souvient que Netanyahou lui raconta un souvenir préféré de la formation de base d’un soldat qui court, avec un gros homme sur les épaules, pour parier avec ses camarades à qui court le plus vite. Bien entendu, il perd. Romney se souvient que Netanyahou lui a dit: «Le gouvernement, c’est le type sur tes épaules.»
En tant que gouverneur, raconte Romney, il répétait souvent cette histoire en parlant aux chefs de différents départements et il leur rappelait que leur travail en tant qu’autorité de régulation consistait à «attraper les méchants, mais aussi à encourager les bons et à faire en sorte que les affaires de notre Etat soient plus souvent couronnées de succès».
Quelques années plus tard Romney était invité à dîner chez Netanyahou dans sa résidence privée dans le quartier juif de la vieille ville de Jérusalem et au cours du repas, les deux discutèrent durant des heures de l’économie des USA et d’Israël. Lorsque Netanyahou informa Romney de sa campagne personnelle visant à convaincre des fonds de retraite américains qui avaient des liens avec des entreprises travaillant avec l’Iran de retirer leurs investissements, Romney sacrifia son rolodex (classeur rotatif).
Avant de quitter Israël, il arrangea pour son ancien collègue plusieurs rencontres avec des fonctionnaires du gouvernement des Etats-Unis. «Je compris tout de suite la sagesse de sa pensée», dit Romney.
De retour au Massachusetts, Romney envoya des lettres à des députés, dans lesquelles il leur demandait de se défaire de leurs investissements dans des fonds de pension d’entreprises faisant des affaires avec l’Iran.
Même si Netanyahou, qui suit assidûment la politique US, a essayé d’éviter toute remarque concernant une préférence lors de l’élection du président, durant cette campagne électorale il accorde, d’après des amis, une attention toute particulière au destin politique de Romney.
Et le Premier ministre maintient ouverts les canaux de communication avec le candidat. Lorsque dans les sondages Gingrich prit la première place, un article qui expliquait pourquoi Sheldon G. Adelson, un directeur de casinos milliardaire et grand contributeur d’Israël avait consacré des millions de dollars au soutien de Gingrich, fit sursauter Netanyahou. L’article qualifiait Netanyahou et Adelson d’amis proches. Le bureau de Netanyahou transmit une information extrêmement urgente à Dan Senor, un conseiller dirigeant de Romney: Le Premier ministre n’avait joué aucun rôle dans la décision de Adelson de financer le rival de Romney.     •

Source: The International Herald Tribune du 9/4/12
(Traduction Horizons et débats)