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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°1/2, 14 janvier 2013  >  Y a-t-il une souveraineté sans souveraineté énergétique? [Imprimer]

Y a-t-il une souveraineté sans souveraineté énergétique?

Le tournant énergétique, une voie vers un avenir pacifique?
Analyse du livre de Daniele Ganser «Europa im Erdölrausch. Die Folgen einer gefährlichen Abhängigkeit»

par Tobias Salander, historien

Quelle est la relation entre la dignité humaine, la justice sociale, l’indépendance nationale, la souveraineté alimentaire, la sécurité énergétique, l’historiographie obligée à la vérité et la question de la guerre et de la paix? Y a-t-il la paix sans l’Etat de droit démocratique? L’Etat de droit démocratique sans souveraineté alimentaire? La souveraineté alimentaire sans sécurité énergétique? La sécurité énergétique sans paix? Ou vice versa: la justice sociale sans l’indépendance nationale? L’indépendance nationale sans sécurité énergétique? La sécurité énergétique sans l’Etat de droit démocratique? L’Etat de droit démocratique sans paix? La paix sans une historiographie obligée à la vérité? On pourrait ainsi combiner les différents éléments dans d’autres chaînes causales, élargir aussi les éléments par les termes du droit humanitaire international, des droits de l’homme, la marche verticale, le courage civique etc. – en bref, il s’agit de la totalité des aspects de la charte de l’ONU de 1948 en tant que document phare pour un monde meilleur, plus humain et en tant que contrepoint à la guerre, la haine, la destruction vécues pendant la Seconde Guerre mondiale et dont le monde a tiré la conclusion: Plus jamais la guerre!
Toutes les questions soulevées plus haut et les tentatives d’y répondre se trouvent dans le nouveau livre d’un historien suisse qui avait déjà attiré l’attention par des recherches antérieures – plus précisément en raison de son intrépidité, de son amour de la vérité et de son incorruptibilité absolue qui lui ont coûté ainsi des épreuves professionnelles et quelques attaques personnelles tranchantes – un processus qui ne peut qu’ennoblir un chercheur qui se base sur le droit international humanitaire et la tradition de la démocratie directe de la Suisse sans chanceler – cet exemple démontre quand même que son travail met dans le mille, découvre des énergies criminelles d’oligarchies élitistes et mérite donc une discussion plus large.
Daniele Ganser, historien et fondateur du SIPER, du Swiss Institute for Peace and Energy Studies, rassemble dans son œuvre «Europa im Erdölrausch. Die Folgen einer gefährlichen Abhängigkeit» [L’Europe dans la fièvre du pétrole. Les conséquences d’une dépendance dangereuse] des recherches faites méticuleusement sur la base de données et de faits, qui aboutissent à la conclusion suivante: Face au pic pétrolier mondial, c’est-à-dire le maximum d’exploitation de pétrole, atteint en 2006, et de sa régression depuis ce moment-là, la population mondiale a seulement une issue: se focaliser à 100% sur des énergies renouvelables et résoudre dans le dialogue les conflits liés à la sécurité énergétique de certains pays. La guerre, la violence ou la terreur, donc les moyens bien connus de la politique de pouvoir qui foulent aux pieds la dignité de l’homme, la souveraineté des Etats nationaux et le vivre ensemble pacifique des peuples, seraient les alternatives que personne ne peut vouloir.

Les temps sont révolus où des chercheurs qui ont souligné la limite des sources d’énergie fossiles ne sont plus pris au sérieux. Le fait que le pétrole conventionnel, c’est-à-dire le pétrole qui est facile à extraire, a atteint mondialement le pic en 2006, est aujourd’hui le fondement des analyses du Fonds monétaire international (FMI), mais aussi de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) ayant son siège à Paris. Il est remarquable que l’AIE, fondée en 1974 comme pendant à l’OPEP et au service de l’OCDE, en a longtemps douté à l’époque et a dû corriger, dans son œuvre standard annuellement publiée, le World Energy Outlook (WEO), le quota possible d’exploitation vers le bas, jusqu’à ce qu’elle fixe le moment du pic pétrolier également en 2006 dans l’Annuaire 2010.
Ce que Ganser réussit à présenter dans son livre et ce qui le qualifie pour l’école à partir du secondaire, est son approche à plusieurs perspectives: au lieu de prendre une position lui-même, sauf dans les cas où la situation est absolument claire, il laisse toujours parler des personnes affectées et des acteurs – des témoignages qui invitent dans leur clarté, en partie dans leur insolence, chacun à réfléchir de manière approfondie à la matière. Ou pour formuler son engagement avec Friedrich Nietzsche qu’il cite: «Il n’existe qu’une vision perspective, une ‹connaissance› perspective; et plus notre état affectif entre en jeu vis-à-vis d’une chose, plus nous avons d’yeux, d’yeux différents pour cette chose, et plus sera complète notre ‹notion› de cette chose, notre ‹objectivité›.» (Ganser, p. 320. Cité d’après: Nietzsche, Friedrich, La Généalogie de la morale, Mercure de France, 1900).

George W. Bush: «Les USA sont dépendants du pétrole»

L’extraction du pétrole, qui a commencé en 1859 à Titusville, en Pennsylvanie, et qui a entraîné une prospérité incroyable pour beaucoup de gens, bien sûr surtout dans le premier monde, est devenue une véritable fièvre du pétrole depuis la Seconde Guerre mondiale avec toutes les circonstances respectives d’un comportement de dépendance. Si, en 1945, 6 millions de barils (à 159 litres) ont été consommés mondialement par jour, nous sommes arrivés en 2012 au nombre difficilement imaginable de 88 millions de barils, une quantité que transportent 44 superpétroliers quotidiennement à travers les océans!
Les plus grands dépendants sont les USA avec 20 millions de barils de consommation quotidienne, ensuite la Chine avec 9 millions de barils. Moins au premier plan des médias, mais d’autant plus central pour nous, les Européens: l’Europe est placé loin avant la Chine avec 15 millions de barils par jour.
Ces chiffres et le fait que les USA ont eu leur pic pétrolier déjà en 1970, la Chine en 1994, la Grande-Bretagne et la Norvège en 2000, montrent de manière compréhensible qu’il existe une concurrence acharnée dans la question énergétique entre la Chine, les USA et, bien que de manière plus cachée, aussi l’Europe. Comment George W. Bush le disait-il en avril 2006 dans son discours sur l’état de l’Union? «Les USA sont dépendants du pétrole. Et ce pétrole doit être importé souvent de régions instables du monde.» Et Barack Obama, réélu maintenant, a déclaré selon le journal «Neue Zürcher Zeitung» du 5 août 2008: «Briser notre dépendance du pétrole est un des plus grands défis auquel notre génération devra faire face.»

D’autres guerres du pétrole – ou tournant énergétique pacifique?

Un baril de pétrole a coûté constamment 2 dollars entre 1950 et 1960, en 1999, il a déjà été de 10 dollars. En 2008, il a coûté 148 dollars, une somme inimaginable jusque-là! Même si le prix a de nouveau baissé un peu aujourd’hui, il continue à rester à un haut niveau qui contredit des modèles des prix courants et qui est unique dans l’histoire de l’extraction du pétrole. En 2008, l’AIE a dû publier l’avertissement sérieux que dans beaucoup d’endroits la production serait en baisse et ceci au moment d’une demande globale croissante: un problème non résolu!
En raison de ces faits incontestables et en connaissance du courant sombre de l’histoire de l’humanité, d’une histoire qui, d’un côté est certes si riche de déroulements, de personnalités et de communautés s’activant pour la cause humaine – on ne rappellera que les travaux sur les coopératives d’Elinor Ostrom et l’Année internationale des coopératives de l’ONU en 2012, sans parler de la construction coopérative du modèle de paix de la Suisse –, mais qui, de l’autre côté, présente de la bassesse humaine, un rapport déficitaire de l’homme envers la nature humaine, qui culmine dans la cupidité pour l’argent, pour le pouvoir et pour la perversion sexuelle: compte tenu de cet arrière-plan, Daniele Ganser avance la thèse, et il la prouve avec des documents innombrables, que les USA et les pays européens mènent aujourd’hui, après l’effondrement de l’URRS, des guerres pour s’emparer du pétrole – et en aucune façon pour des raisons humanitaires.
Ou alors comment les troisièmes plus grandes réserves de pétrole sont-elles arrivées à nouveau dans la main des trusts occidentaux? Voir la guerre d’Irak en 2003. Comment la plus grande réserve de pétrole de l’Afrique est- elle arrivée à nouveau dans les mains des descendants des sept sœurs, des grands trusts pétroliers occidentaux comme de ceux des maisons  Rockefeller et Rothschild? Voir la guerre de Libye en 2011. Et la Syrie sera-t-elle poussée dans une guerre du gaz?
Ganser fait remarquer que nous, en Occident, aimerions refouler que l’on tue pour le pétrole. Ses documents soigneusement recherchés rendront cependant un refoulement impossible à l’avenir. Et c’est exactement l’intention de l’auteur: provoquer un changement de conscience, car sans celui-ci, le tournant énergétique ne sera pas possible, et surtout pas du tout avec les vieilles méthodes barbares de la guerre et de la violence. Les quatre sources d’énergie non renouvelables – le pétrole, le gaz naturel, le charbon et l’uranium – devraient être remplacées par les six sources d’énergie renouvelables à savoir le soleil, l’eau, le vent, la biomasse, le gaz biologique, la chaleur de la terre. Selon le WWF Suisse, un tournant énergétique à cent pour cent est faisable jusqu’en 2050.

Notre époque est uniquement un intermède fossile

Après un regard dans le domaine de la géologie et de l’histoire des 2000 dernières années, qui se lisent passionnément, car écrit de manière compréhensible, et qui conviennent parfaitement aux élèves à partir du secondaire, Ganser conclut ainsi: aujourd’hui, nous vivons dans une fièvre de l’énergie fossile et nous avons oublié que l’énergie a été rare autrefois et qu’elle a été très chère! Au cours des 200 dernières années, l’Europe a consommé des sources d’énergie fossiles qui sont limitées – cependant, les inconvénients ont été négligés!
Du point de vue historique, notre époque est seulement un «intermède fossile» qui, toutefois, a apporté à beaucoup de gens une mobilité qui n’a même pas été possible pour les rois du Moyen-Age!
A part la description de l’origine des grands trusts intégrés comme Standard Oil, Royal Dutch Shell, British Petroleum, Total et Eni, dans une phase ultérieure aussi des trusts publics des Etats de l’OPEP comme Saudi Aramco etc., Ganser apporte cependant aussi une contribution attendue depuis longtemps: intégrée dans l’histoire de «l’or noir», il y a aussi une histoire de la Suisse qui contient un exposé objectif bénéfique de la situation géostratégique de la Confédération, en particulier aussi pendant les deux grandes guerres du XXe siècle.

Des moyens d’extorsion: le charbon et le pétrole – une réfutation implicite de Bergier

Ganser montre très clairement que non seulement pendant la catastrophe la plus grande de l’histoire de l’humanité jusqu’à présent, la Seconde Guerre mondiale, mais encore pendant les massacres de la Première Guerre mondiale, les belligérants tenaient l’étau serré sur la Suisse qui subissait au début les extorsion des Britanniques et des Français, puis plus tard des Etats-Unis, mais aussi des nationaux-socialistes. Tous les belligérants ont pensé que la petite Suisse neutre pourrait devenir un problème de sécurité en faisant passer ses produits péniblement importés à l’ennemi. Que la souveraineté économique de la Suisse ait été perdue au cours de la Première Guerre mondiale, parce que les Britanniques et les Français ont dicté le commerce à leur idée les citoyens suisses n’aiment pas le lire – compte tenu notamment de la situation actuelle de la Suisse, entourée par une UE secouée par la crise et en tant que voisin d’une Allemagne qui prend un ton insolent et une attitude de puissance qui rappelle un passé désagréable. L’étau double pendant la Seconde Guerre mondiale, les mesures d’économie rigoureuses dues à la guerre, les appartements sombres et froids, le pouvoir du roi charbon, à l’époque encore moins celui de l’«or noir» –, l’exposé de Ganser permet une reconstitution de ces événements qu’un rapport Bergier rendait impossible, et qui la combattait même en raison de son objectif idéologique. Sans jamais mentionner le nom de Bergier – un exemple à suivre, car le rapport Bergier, sous-produit des services secrets, ne vaut pas le papier sur lequel il a été imprimé –, la présentation objective de Ganser est comme un antidote, comme un contrepoison, qui élucide la pensée, démêle l’esprit et montre nettement: sans des négociations obstinées, les Suisses auraient été morts de froid ou de faim. En outre, des auteurs comme Charles Higham («Treading with the Ennemy»), Herbert Reginbogin («Hitler, der Westen und die Schweiz»), Alberto Codevilla («Eidgenossenschaft in Bedrängnis») et d’autres l’ont déjà clairement montré (cf. également Horizons et débats no 38/39 du 17/9/12): sans la livraison du pétrole et de ses dérivés comme des antidétonants et autres, Mussolini aurait dû interrompre son agression éthiopienne après une semaine, et les armées blindées d’Hitler, avec leur tactique de guerre éclair, se seraient rapidement arrêtées en raison d’un manque de carburant. Mais on a livré tant qu’on avait besoin d’Hitler pour saigner Staline à blanc, et au moment où Rommel devait avancer vers Bakou, les réserves de carburant ont tiré soudainement à leur fin, parce que la flotte britannique a coulé les bateaux-citernes allemands en Méditerranée.
La Seconde Guerre mondiale, vu du point de vue du pétrole, est une guerre bien différente de celle des livres d’histoire jusqu’à présent.

Le pétrole et le coup de feu de Sarajevo, le pétrole et Pearl Harbor

Si, après la Première Guerre mondiale, le Lord britannique Curzon avait déclaré: «Les Alliés ont nagé sur une vague de pétrole vers la victoire», Staline de son côté, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a porté un toast à l’industrie pétrolière américaine envers Churchill en disant: «C’est une guerre des moteurs et de l’indice d’octane.» D’autre part, Hitler avait constaté déjà très tôt: «Afin de nous battre, nous avons besoin de pétrole pour nos machines.» Et: «Si nous n’obtenons pas le pétrole près de Bakou, la guerre est perdue.»
Ganser souligne que le rôle du pétrole est fortement sous-estimé, non seulement pour la Première Guerre mondiale, mais aussi pour la Seconde: se battre avec les Etats-Unis signifiait avoir assez de pétrole – et gagner.
A l’aide des sources et des descriptions, Ganser éclaire de près divers événements qui sont autant que possible contournés dans les manuels scolaires d’histoire:
Bien sûr, le coup de feu célèbre dans le monde entier est parti à Sarajevo – mais le fait que c’est justement la Serbie qui était le seul maillon de la chaîne où les Britanniques pouvaient encore empêcher les efforts de l’Allemagne de transporter le pétrole d’Irak via le chemin de fer Berlin-Bagdad afin d’assurer leur puissance mondiale et de maîtriser les routes du pétrole avec leur flotte, est plausiblement démontré – et permet de nouvelles conclusions …
En ce qui concerne Pearl Harbor, Ganser passe la parole à Robert Stinnett, actif dans la marine américaine entre 1942 et 1946: selon lui, Roosevelt a provoqué consciemment le Japon avec l’embargo pétrolier afin de faire entrer en guerre les Etats-Unis pouvant prétexter être victimes d’une agression. Le président «a été contraint de recourir à des moyens aberrants et sales afin de convaincre une Amérique isolationniste de participer à un combat pour la liberté.» Le livre de Stinnett est la meilleure et la plus complète étude sur Pearl Harbor.

La prise en compte du pétrole montre maints événements sous un jour nouveau …

La richesse de l’ouvrage de Ganser ne peut être appréhender immédiatement à sa juste valeur. Il convient de mentionner ici d’autres trésors de son travail sous forme des titres de chapitres:
«La montée de l’Arabie saoudite et Saudi Aramco», «Le renversement du gouvernement iranien par les Etats-Unis en 1953», «La crise de Suez et la crainte des ruptures d’approvisionnement», «La construction de pipelines aux Etats-Unis et en Europe», «Le trust pétrolier italien ENI et la mort d’Enrico Mattei», «La construction du pipeline de l’Europe centrale (CEL) à travers les Alpes», «La construction de l’oléoduc transalpin TAL à travers l’Autriche», «Le pouvoir des cartels», «Les sept sœurs et le cartel d’Achnacarry», «Les gains de milliards des trusts pétroliers», «La fondation de l’OPEP en 1960», «Le premier choc pétrolier de 1973», etc., etc.
Et cela continue avec le Club of Rome, le deuxième choc pétrolier, les guerres du Golfe, le 11-Septembre et les guerres récentes jusqu’à la guerre en Libye. Les personnes d’un certain âge vivent un déjà-vu en lisant dans l’un ou l’autre chapitre et sont peut-être une fois de plus choqués vu l’activité criminelle des acteurs de l’Occident, alors que les jeunes lecteurs, qui se trouvaient au moment du 11-Septembre encore à l’âge de la maternelle, peuvent se faire une image de ce temps qui a marqué leur enfance et leur adolescence sans qu'ils aient été en mesure, vu leur âge, de pouvoir analyser la situation.

Le choc pétrolier de 1973: mis en scène par les Etats-Unis sur le fond du pic pétrolier

De la richesse des révélations qu’on peut tirer de l’ouvrage de Ganser, voici quelques mots-clés pour décrire le choc pétrolier de 1973. De quoi s’est-il encore agi? Pénurie de pétrole? Pas du tout. Il s’est agi d’une crise des prix, et pas du tout d’un manque de quantité. Et, selon la thèse de Ganser, la crise du dollar précédente s’est trouvée à l’arrière-plan. Et derrière celle-ci, le pic pétrolier aux Etats-Unis.
Mais prenons une chose après l’autre: En conséquence de la guerre coûteuse du Vietnam, davantage de dollars étaient en circulation que d’or stocké dans le sous-sol de la FED, la banque d’émission privée des Etats-Unis. C’est pourquoi beaucoup de banques d’émission ont donc exigé de l’or pour leurs dollars. Lorsque la France, en 1969, a voulu échanger ses réserves de dollars en or, les Etats-Unis n’ont pas été en mesure d’y répondre! Car les réserves d’or des Etats-Unis ne couvraient que le quart des dettes extérieures américaines. Donc, ce n’était pas le pétrole qui a été épuisé, mais l’or pour couvrir les dollars avec lesquels on a voulu acheter du pétrole. Dans cette situation, Henry Kissinger – conseiller de sécurité national depuis 1969, à partir de 1973 secrétaire d’Etats – a conseillé avec d’autres à Nixon de lever la couverture or du dollar. Et le 15 août 1971, Nixon a annoncé à la télévision la suspension de la couverture or du dollar et déclenché ce qui est entré dans l’histoire comme le «choc Nixon». L’Europe s’est montrée contrariée, les exportateurs de pétrole ont reçu alors moins pour leur pétrole; pour les Etats-Unis, en revanche, cette étape a présenté de grands avantages: jusqu’aujourd’hui, la FED peut imprimer des dollars à partir de rien et les échanger contre du pétrole!
Ben Bernanke, directeur de la FED, en est venu à l’essentiel plus tard: «Le gouvernement américain possède une technologie, appelée la planche à billets (ou aujourd’hui sa version électronique) qui lui permet d’imprimer autant de dollars qu’il veut et cela pratiquement gratuitement.»
Ou pour prendre les termes de Walter Witt­mann, de l’Université de Fribourg en 2008: «La FED produit, si nécessaire, des coupures en dollars comme l’entreprise Hakle du papier-toilette.»

Kissinger et les Bilderberg voulaient des prix plus élevés pour le pétrole

Ces procédés ne sont pas tout à fait inconnus, mais Ganser va un pas plus loin pour révéler les arrière-plans, il tire pour ainsi dire un autre rideau qui cache les vrais faits: derrière la suspension de la couverture or de 1971 se cache l’effondrement de la production pétrolière aux Etats-Unis en 1970. Cela signifie que les Etats-Unis ont dû désormais importer plus de pétrole qui est beaucoup moins cher sans couverture or, car de cette façon, la quantité de dollars peut facilement être augmentée.
Dans sa présentation des dessous de l’année 1973, Ganser suit un conseil du cheikh Ahmad Zaki Yamani, en sa qualité de ministre du Pétrole de l’Arabie saoudite entre 1962 et 1986, nommé l’homme de l’année 1973 par le magazine américain Time et également traité de «stratège de l’arme pétrolière». C’est ce Yamani qui recommande maintenant le livre du journaliste américain William Engdahl, «Mit der Ölwaffe zur Weltmacht» [Un siècle de guerre: la politique pétrolière anglo-américaine et le nouvel ordre mondial], étant la seule vraie description concernant le développement du prix du pétrole de l’année 1973.
Il en ressort qu’avant la crise, du 11 au 13 mai 1973, en Suède, eut lieu une rencontre des Bilderberg, ce groupe à l’arrière-plan qui s’était rencontré en 1954 pour la première fois à l’Hôtel Bilderberg en Hollande.
Lors de la réunion de 1973, Henry Kissinger, Lord Greenhill de BP, David Rockefeller de la Chase Manhattan Bank, George Ball de Lehman Brothers et Zbigniew Brzezinski auraient parlé de la dégradation du dollar et de la hausse du prix du pétrole. On aurait parlé de 400%. Et effectivement, comme résultat du choc pétrolier, le prix du pétrole est monté de 400% et a ainsi décrispé la crise du dollar!

Sur ordre des Etats-Unis, Reza Pahlavi pousse l’OPEP dans le rôle du bouc émissaire

Le plan du groupe de conspirateurs était le suivant: un embargo pétrolier global de l’OPEP raréfierait radicalement l’approvisionnement en pétrole, par la suite les prix du pétrole augmenteraient dramatiquement, avec ça aussi la demande de dollars, ce qui soutiendrait ensuite la valeur du dollar! Ainsi, les Etats-Unis auraient profité malgré la récession aux Etats-Unis. La colère de la population se reporterait contre les cheiks, les vrais instigateurs resteraient inconnus et pourraient se faire passer comme victimes.
Ganser regrette que cette thèse de Yamani et d’Engdahl ne soit que peu discutée, en plus les réunions des Bilderberg se passent en secret. C’est la raison pour laquelle cette thèse ne peut pas être prouvée.
Mais en réalité tout s’est passé ainsi: l’OPEP décide le 16 octobre 1973 – lors de la guerre du Kippour – de plus que doubler le prix du pétrole, de raréfier l’extraction et de réaliser un boycott total des Etats-Unis et des Pays-Bas, tout en appliquant des réductions de livraisons pour les pays industrialisés, jusqu’à ce qu’Israël se retire des territoires occupés en 1967.
Le mot «boycott pétrolier» a eu un effet énorme: les gens ont pensé que le pétrole devenait rare, les médias occidentaux se sont acharnés sur l’OPEP – mais tout s’est révélé être un mythe!
En décembre 1973 eut lieu la conférence de l’OPEP à Téhéran. On a discuté sur un prix juste du pétrole. Finalement, le prix du pétrole s’est multiplié par six en seulement trois mois!
Selon le chercheur pétrolier Yergin, c’était le schah Reza Pahlevi qui s’est prononcé de manière la plus agressive pour une augmentation du prix du pétrole, davantage que Yamani, qui ne voulait pas voir s’effondrer l’Occident, parce qu’ensuite l’OPEP disparaîtrait également.
Le fait que ce soit le schah, gouverneur mis en place par l’Occident – soutenu par les Britanniques et les Etats-Unis après leur renversement de Mossadegh –, qui s’engage pour une augmentation du prix du pétrole semble être paradoxe, car cela a nui aux Etats-Unis. Mais en 2001, Yamani s’est prononcé là-dessus: le schah lui a dit que Kissinger voulait un prix du pétrole plus élevé.
Aujourd’hui, Yamani n’en doute pas: les Etats-Unis ont mis en scène le choc pétrolier de 1973 et l’augmentation du prix de pétrole de 2 à 12 dollars. L’OPEP a joué le rôle de bouc émissaire.

Des citations qui devraient intéresser le Procureur en chef de la CPI …

On ne pointe ici que quelques propos aigus des politiciens de l’alliance de guerre américano-britannique – la génération âgée les connaît tous d’une certaine manière, mais c’est le mérite de Ganser de les avoir recueillis pour la plus jeune génération: au niveau de leur densité, de leur effronterie et de leur chutzpah; ils répondent à proprement parler à la question de savoir qui devrait être interpelé devant la Cour pénale internationale (CPI) pour s’expliquer à propos des violations flagrantes des Principes de Nuremberg. A l’époque, à l’occasion de la condamnation des criminels de guerre nazis, le procureur en chef américain, Robert Jackson, avait dit qu’à l’avenir, les Etats-Unis voudraient se faire mesurer d’après les mêmes principes. Et comme le pire de tous les crimes est représenté par une guerre d’agression – et comme Kofi Annan avait désigné la guerre en Irak en 2003 en tant que telle – des armées entières, à commencer par les chefs de gouvernements occidentaux jusqu’aux simples soldats, devraient peupler les cellules de détention provisoire à La Haye. Rappelons-nous: l’officier allemand Florian Pfaff, qui avait refusé d’obéir pendant la guerre d’agression contre l’Irak violant le droit international, obtint gain de cause en Allemagne en se référant aux Principes de Nuremberg et à la Charte de l’ONU, particulièrement à l’article 51. Et pourtant, il fut dégradé militairement …
La série des citations est ouverte par des phrases d’Henry Kissinger. Le 22 septembre 1980, lorsque l’Irak attaque l’Iran (avec l’aide des Etats-Unis), Kissinger dit: «J’espère qu’ils se tueront mutuellement, c’est trop dommage que tous les deux ne puissent pas perdre.» Aujourd’hui on sait, depuis l’affaire Iran-Contra, que les Etats-Unis ont également soutenu l’Iran avec des armes – tout à fait dans le sens du propos du prix Nobel de la paix Kissinger …
Le 12 mai 1996, Madeleine Albright, l’ancienne ambassadrice à l’ONU et plus tard ministre de l’Extérieur des Etats-Unis, a dit dans l’émission «60 Minutes» de CBS lors d’une interview à la question de savoir si l’embargo valait les 500 000 enfants déjà morts en Irak, davantage qu’à Hiroshima: «Je crois que c’est une décision difficile, mais le prix – nous croyons que cela vaut ce prix.»
La conclusion de Ganser: Cela prouve que les Etats-Unis sont prêts à tuer pour le pétrole, même des enfants!
John Bolton, ambassadeur à l’ONU sous Bush et Senior Fellow de PNAC, a dit sur Fox News en 2011 que le Proche-Orient était «la région de production de pétrole et de gaz critique où nous avons mené tant de guerres, afin de protéger notre économie des conséquences négatives d’une perte de l’approvisionnement en pétrole, ou de ne le recevoir qu’à des prix très élevés». Tout d’un coup, Al-Qaïda n’est plus mentionné par Bolton – a-t-on pressé l’orange et jeté l’écorce?
En novembre 1999, lors d’un discours à Londres, Dick Cheney, CEO de Halliburton, met explicitement en garde contre le pic pétrolier. La demande va monter et en même temps la production va diminuer. Où alors se procurer le pétrole, à savoir 50 millions de barils supplémentaires par jour en 2010?
Sa réponse prophétique: «Bien que d’autres régions du monde offrent de grandes capacités d’extraction de pétrole, le Proche-Orient reste, avec deux tiers des réserves pétrolières et des coûts de production bas, la région du gros lot. Les sociétés pétrolières aimeraient avoir un meilleur accès à ces régions.» Ne faudrait-il là pas seulement un «événement catalyseur» pour pouvoir envoyer des troupes? Comme le commandant en chef de l’OTAN au Kosovo, le général Wesley Clark, l’a mentionné à différentes occasions, les guerres contre l’Irak, la Libye, la Syrie et autres étaient planifiées déjà bien avant le 11-Septembre par le Pentagone …

Interdiction de recherche par rapport au 11-Septembre?

En janvier 2001, Dick Cheney a fondé le National Energy Policy Development Group (NEPDG), un groupe d’experts sur des questions de pétrole et d’énergie. Il a tenu ses réunions en secret jusqu’en mai 2001, et a planifié l’avenir énergétique des USA. Des membres des lobbies de trusts, les ministres américains des Affaires étrangères, de l’Energie et des Finances en faisaient partie. Ils ont passé leur résultat au président Bush, qui va en mai 2001 devant les médias et dit: «Ce que les gens doivent entendre haut et fort, c’est qu’ici en Amérique, l’énergie s’épuise. Nous devons trouver des sources d’énergie supplémentaires.»
Malgré les efforts de parlementaires démocrates, les documents des réunions et la plupart des participants sont restés secrets, mais le rapport final a été publié le 17 mai 2001: on a pu y apprendre que les Etats-Unis avaient trop peu de pétrole et que cela menaçait la sécurité nationale, l’économie et le niveau de vie. Ainsi, les Etats-Unis deviendraient de plus en plus dépendants de l’étranger. Comme au Proche-Orient se trouvaient deux tiers des ressources, la région du Golfe restait très importante pour les intérêts américains.
Pourquoi est-ce que nous, citoyens d’aujourd’hui, et déjà les contemporains de septembre 2001, nous sommes à peine conscients de ces faits-là? Le choc du 11-Septembre a complètement supplanté, dans les médias, le sujet du pic pétrolier. Auparavant, il était encore clair qu’on menait des guerres à cause du pétrole, désormais les guerres à venir auraient lieu sous le label de «guerres contre la terreur» et pour la «propagation de la démocratie» – un slogan qu’Edward Bernays, auteur de l’œuvre «Propaganda» et l’un des premiers spin-doctors, avait déjà créé pour l’entrée en guerre des Etats-Unis dans la Première Guerre mondiale.
Bush et Cheney avaient tout de suite rendu responsable Al-Qaïda et Oussama ben Laden. Le 10 novembre 2001, Bush a fait front devant l’ONU à la soi-disant «théorie de complot», d’après laquelle les Etats-Unis auraient manipulé les attentats pour pouvoir mener des guerres pour leurs ressources.
Il est étonnant que les Européens s’en soient tenus gentiment à la version officielle de Bush, bien que chacun s’intéressant tant soit peu à l’histoire sache que le passé est bourré de mensonges, d’accords secrets et de conspirations. Par exemple l’assassinat de César, l’attaque contre l’Egypte en 1956 par la France, la Grande-Bretagne et Israël, l’Affaire des couveuses au Koweït en 1990, les armées secrètes de l’OTAN, l’incendie du Reichstag etc.
Ganser relève dans sa critique le fait que Bush aurait exigé, par sa déclaration publique devant l’ONU, que sa propre théorie de conspiration soit crue; ainsi il aurait édicté une véritable interdiction de recherche par rapport au 11-Septembre – un fait qui, du point de vue scientifique, ne tient pas debout, parce que la recherche devrait toujours pouvoir poser des questions et analyser des théories. On ne connaît du reste des interdictions de recherche seulement sous les dictatures.

Quel rôle Dick Cheney a-t-il joué?

Selon Ganser, l’Europe aurait la possibilité de se rallier à la discussion sur la géostratégie aux Etats-Unis qui y est menée beaucoup plus ouvertement. En particulier, on devrait poursuivre l’analyse du rôle de Dick Cheney.
Ainsi le Project for the New American Century (PNAC), un think-tank néoconservateur, a par exemple exigé déjà en janvier 1998 un changement de régime forcé en Irak: les Etats-Unis doivent commander le monde, aussi par le contrôle du pétrole. Les cosignataires étaient Cheney, Rumsfeld et Wolfowitz. Le président d’alors, Clinton, n’y a pourtant pas prêté l’oreille.
C’est seulement sous le président Bush que Cheney comme vice-président et Wolfowitz comme ministre de la Défense avaient une influence. Dans ce contexte, Ganser cite un passage du discours de Wolfowitz à Singapour en 2003: «La différence la plus importante entre la Corée du Nord et l’Irak est qu’avec l’Irak nous n’avions du point de vue économique tout simplement pas le choix. Le pays nage sur une mer de pétrole.» (Iraq War Was About Oil. In: «The Guardian» du 4/6/03) Wolfowitz dit ouvertement: Le contrôle des réserves de pétrole au Golfe est essentiel pour les Etats-Unis. Et Al-Qaïda?
Ganser rend particulièrement hommage à un auteur américain, qui voit un lien entre le 11-Septembre et le pic pétrolier: c’est Michael Ruppert, ancien agent de police de Los Angeles. Sa thèse est la suivante: entre 1998 et 2000, les élites aux Etats-Unis sont devenues conscientes du problème du pic pétrolier. A partir de janvier 2001, Cheney et d’autres ont décidé de manipuler des attentats terroristes. En mai 2001, Bush aurait donné à Cheney la responsabilité en ce qui concernait le terrorisme, quant au 11-Septembre, Cheney aurait eu le contrôle absolu. Ils auraient approuvé l’intervention criminelle, car il s’est «seulement agi de quelques milliers de vies d’hommes». (Source: Michael C. Ruppert. «Crossing the Rubicon: The Decline of the American Empire at the End of the Age of Oil.» Gabriola Island 2004.)

D’après des témoins américano-britanniques de haut rang de l’époque: Il y allait de la question du pétrole!

Et de nouveau on fait appel au général Wesley Clark comme témoin: Wolfowitz lui avait déjà expliqué ces plans en 1991, ce qui l’avait choqué. Wolfowitz lui avait dit: «Ce que nous avons appris de la guerre du Golfe, c’est que nous pouvons envoyer nos forces militaires dans cette région – le Proche-Orient – et les Soviétiques ne nous arrêtent pas. Nous avons donc maintenant environ cinq ou dix ans pour renverser ces vieux régimes soviétiques – la Syrie, l’Iran et l’Irak – avant que la prochaine grande superpuissance ne vienne nous défier.» (Discours de Wesley Clark du 3 octobre 2007 devant le Commonwealth Club à San Francisco. Cité in: Wes Clark and the neocon dream. In: «Salon News» du 26/11/11)
Et un témoin également de haut rang de l’époque, éventuellement le plus gradé, car il fut membre de la Cheney Energy Task Force, Paul O’Neill, ministre des Finances sous Bush, explique qu’il n’y a jamais eu de relation entre l’Irak et les attentats terroristes, et encore: la guerre contre l’Irak a été déjà depuis longtemps planifiée, bien avant le 11-Septembre.
Et sous quels aspects a été considérée la thématique de la Grande-Bretagne, l’allié le plus proche? Là-bas, le ministre de l’Environnement, Michael Meacher, a préparé son licenciement en critiquant Tony Blair comme suit: «La guerre contre le terrorisme est une fumisterie, le but des Etats-Unis est l’hégémonie mondiale. Pour cela ils ont besoin du contrôle des réserves pétrolières.» La réalité est que «les Etats-Unis et la Grande-Bretagne arrivent à la fin de leurs réserves fossiles.» De même, la Grande-Bretagne n’est «pas désintéressée à cette course aux réserves d’énergies fossiles restantes, ce qui explique partiellement pourquoi nous autres Britanniques, nous participons à cette action militaire des Etats-Unis.» (This war on terrorismus is bogus, in: «The Guardian» du 6/9/03)
Des sources actuelles, disputées après le Freedom of Information Act par Greg Muttitt, donnent raison à Meacher: en octobre et novembre 2002, six mois avant l’invasion, des représentants des trusts et du gouvernement britannique se sont concertés au sujet de l’accès au pétrole irakien.
Ou encore avec les mots de l’auteure américaine Antonia Juhasz: Le but de la guerre d’Irak a été de privatiser le pétrole de l’Etat et de le rendre accessible aux trusts. Car: dans les 15 prochaines années, les réserves des trusts seront épuisées, par conséquent la mainmise sur les réserves des pays de l’OPEP est une question de survie.

Et si de plus Alan Greenspan l’avoue…

Pour terminer, nous citons un homme qui peut absolument tenir le rôle de témoin principal, car il avait la presse à dollar en main: Alan Greenspan, directeur de la Federal Reserve. Ganser le cite avec la déclaration toute révélatrice suivante: «Je trouve regrettable qu’il ne soit pas politiquement correct d’avouer ce que tout le monde sait: dans la guerre d’Irak il s’est agi avant tout du pétrole.» (Alan Greenspan cité in: Greenspan admits Iraq was about oil. In: «The Guardian» du 16/9/07.)
Qu’avec de tels témoins de première classe, les recherches dans d’innombrables pays ne soient pas plus avides de dissiper ce flou, en dit long.

Le conseiller fédéral Couchepin et Kofi Annan: la guerre d’Irak enfreint la Charte de l’ONU

Et comment ont été commentés ces événements dans la Suisse neutre? Ganser met en avant une déclaration qui est déjà oubliée et qui surprend peut-être aussi de par l’appartenance politique du locuteur. Le 20 mars 2003, le conseiller fédéral Pascal Couchepin (PLR) a dit devant l’Assemblée nationale: la guerre contre l’Irak n’a pas été autorisée par le Conseil de sécurité de l’ONU et représente de ce fait un précédent dangereux. Les Etats-Unis et la coalition ont outrepassé les valeurs de la Charte de l’ONU. Il est impératif que la Charte de l’ONU soit à nouveau davantage respectée. La Suisse se porte solidaire avec la population civile irakienne qui souffre des sanctions économiques depuis 1990.
Des déclarations qui ont été confirmées au plus haut niveau de l’ONU: le 16 septembre 2004, le Secrétaire général de l’ONU de l’époque, Kofi Annan, a déclaré que la guerre contre l’Irak était illégale d’après le droit international.
Ganser fait remarquer qu’avec tout l’argent dépensé pour ces guerres illégales au niveau du droit international, on aurait pu sans problème investir en masse pour le développement des énergies renouvelables. Il regrette qu’il n’y ait pas eu de débat sur les guerres lancées pour s’emparer des ressources. Et que bien au contraire ces pillages de pétrole par l’Occident n’ont pas diminué les risques de terrorisme, au contraire, ils les ont augmentés.
Ganser avance comme témoin l’intellectuel algérien Rachid Boudjedra: l’Occident est dans son avidité flanqué de souverains arabes corrompus. Ce n’est pas l’Islam en tant que tel, mais les plaies qui lui sont portées par la violence occidentale, qui poussent les jeunes hommes dans les bras des islamistes radicaux!
Et pour résumer avec un propos d’actualité de Michel Chossudovsky de l’Université d’Ottawa au Canada: La guerre en Libye fut, comme la guerre en Irak, une chasse au pétrole. Il était question de privatiser l’industrie pétrolière du pays.

Tournant énergétique ou guerres sans fin pour s’emparer des ressources, mensonges, chagrin et misère?

Le bilan de Ganser: malheureusement, le monde d’aujourd’hui investit davantage dans l’armement que dans un tournant énergétique. Les dépenses militaires mondiales s’élèvent en 2012 à 1600 milliards de dollars. Les grands consommateurs de pétrole sont à la tête: les Etats-Unis avec 700 milliards, la Chine avec 120 milliards de dollars. Ganser en dit: «Celui qui est prêt à exercer la violence et qui est prêt à tuer pour s’emparer du pétrole et du gaz naturel, peut se procurer des avantages stratégiques. Mais on ne peut jamais résoudre par la violence le problème principal, à savoir que l’extraction de pétrole s’écroule dans les différents pays. Il faut donc éviter des guerres pour s’emparer des ressources, résoudre les conflits, partout où c’est possible, sans violence, et employer les moyens disponibles pour le tournant énergétique. Seules les énergies renouvelables arriveront finalement à nous faire sortir de la pénurie, car elles seront disponibles pour des générations.» (cf. Ganser, p. 322)
A la fin de son œuvre, l’auteur résume: «Après avoir étudié pendant des années le développement de l’extraction du pétrole, des dépenses pour l’armement et les mensonges et les tromperies autour des guerres pour s’emparer des ressources, j’espère aujourd’hui que le tournant énergétique réussira et je soutiens cette transformation par le Swiss Institute for Peace and Energy Research (SIPER). Je suis bien conscient que le chemin est encore long et le risque d’échec est grand. Le tournant énergétique réussira-t-il? Je ne le sais pas, mais je l’espère. Ou bien des guerres dites «de ressources», des récessions, le changement du climat et la pénurie d’eau attendent nous, nos enfants et petits-enfants? L’avenir le montrera et documentera notre capacité de transformation.» (p. 362)
Une approche qui mérite vraiment le soutien de tous les citoyens pacifiques et disposés envers la démocratie, avant tout dans les petits pays qui autrement pourraient facilement devenir les victimes d’extorsions de l’avidité des grandes puissances.    •

Source: Daniele Ganser. Europa im Erdölrausch. Die Folgen einer gefährlichen Abhängigkeit. Zurich 2012. ISBN 978-3-280-05474-1.

La question énergétique, un danger pour la souveraineté des Etats nationaux

ts. Dans ses chapitres concernant l’histoire énergétique suisse, Daniele Ganser montre clairement qu’un petit pays sans ressources dépend fortement du bon vouloir des acteurs globaux et des Etats plus grands. En cas d’urgence, ils ferment l’apport d’énergie au petit Etat. Sauf si un Etat national, avant tout un petit Etat, entreprend tout pour atteindre le plus grand degré d’autosuffisance énergétique. Cela n’est certainement pas possible avec de l’énergie fossile. Ce n’est que le tournant énergétique vers l’énergie renouvelable qui peut aider.

La première crise du pétrole de 1973 et la Suisse

Afin de classer la crise de 1973, il y avait dans les médias suisses, mais aussi dans la politique, des voix critiques: ainsi on pouvait lire qu’en première ligne ce n’était pas les cheiks, mais les entreprises multinationales occidentales et les Etats-Unis qui étaient intéressés à une augmentation du prix du pétrole. La raréfaction était artificiellement attisée. C’est une estimation qui s’appuyait sur le chef de syndicat américain, Charles Levinson.
Le conseiller national du PdT, Jean Vincent, s’est exprimé au Parlement en disant qu’il n’y avait point de crise du pétrole, mais seulement des «pratiques criminelles des monopoles du pétrole». Le conseiller national du PDC, Edgar Oehler, a fait référence à un double chantage par des émirats arabes et les entreprises multinationales, pendant que le conseiller national du PS, Otto Nauer, a constaté que la souveraineté d’un pays devenait une farce, vu les prix dictés par les entreprises multinationales. Mais l’exécutif s’est aussi exprimé: le conseiller fédéral Ernst Brugger a admis de fausses estimations en décembre 1973 et a constaté: «Ce marché pétrolier international est peu transparent, c’est vraiment une science à part.» Les Etats-Unis n’y voyaient pas clair non plus, dit-il. (cf. Ganser, p. 188 sqq.)
En 1978, le rapport final de la Commission fédérale pour la conception globale de l’énergie, laquelle avait été instituée par le Conseil fédéral, a demandé entre autres le renforcement des énergies renouvelables – même si l’on attachait à l’époque encore beaucoup d’importance à l’expansion de l’énergie nucléaire. (cf. Ganser, p. 205 sqq.)

Employer des instruments de l’économie de guerre

Lors du début de la guerre entre l’Irak et l’Iran en 1980, le conseiller fédéral Fritz Honegger a attiré, en septembre 1980, l’attention sur le fait que la fermeture du détroit d’Ormuz serait très dangereuse pour l’Europe et pour la Suisse, vu qu’on perdrait un quart du pétrole occidental. La Suisse se serait préparée et pourrait employer des instruments de l’économie de guerre, à savoir des rationnements, des interdictions de circuler etc.
La mise en garde du Conseil fédéral en mars 1981 de réduire la dépendance unilatérale du pétrole est restée sans conséquences, et en novembre 1985, contre toute attente, le prix du pétrole s’est effondré de manière radicale, à savoir de 32 à 10 dollars, parce que l’Arabie saoudite avait tout d’un coup recommencé à extraire beaucoup plus de pétrole. (cf. Ganser, p. 225 sqq.)

Il faut un changement de paradigme

«Le changement ne peut réussir que si les entreprises du secteur énergétique peuvent gagner de l’argent en économisant de l’énergie; pour cela il faut un changement de paradigme qui n’a pas encore commencé.» (cf. Ganser, p. 333)

Le pétrole non conventionnel peut-il remplir la lacune? Non, puisque le TRE est négatif!

Le CEO de Shell, Jeroen van der Veer, a admis qu’en 2006, le pétrole conventionnel avait atteint le pic. Pourtant il y aurait encore des réserves importantes de pétrole non conventionnel et de gaz, qui sont plus difficiles à exploiter. Ganser ne donne pas de signal de fin d’alerte, car il faut savoir une chose: le temps investi, les coûts et la rapidité d’extraction du pétrole conventionnel et du non conventionnel, c’est le jour et la nuit.
On peut comparer le pétrole conventionnel au coca cola qui, après avoir été secoué, gicle tout seul de la boîte. Le pétrole non conventionnel, au contraire, doit être extrait d’une grande profondeur de la mer, de plus de 500 mètres sous la surface de l’eau; le sable bitumeux, qui n’est pas liquide, doit être excavé; l’extraction a besoin de plus d’énergie que pour le pétrole conventionnel. C’est-à-dire que le rapport entre l’énergie dépensée et l’énergie acquise se détériore. On parle ici du «taux de retour énergétique» ou TRE. Si le TRE d’Easy Oil est de 1:100 (dépenser 1 baril pour en extraire 100), le TRE pour le schiste bitumineux non conventionnel est de 1:5 ou même de 1:2!
En d’autres termes, d’après Ganser, l’utilisation de pétrole non conventionnel sert seulement à repousser le moment du pic un peu plus loin.
En plus: Cela pollue beaucoup plus l’environnement!
Pour le profane, la chose se complique, puisqu’aujourd’hui, dans les statistiques, le pétrole conventionnel et le non conventionnel sont souvent mélangés. Ainsi, les chiffres de l’OPEP et de BP se distinguent: l’OPEP désigne le pic de 2006 à 70 millions de barils par jour. BP, en revanche, enregistre une croissance annuelle de 83 millions de barils par jour en 2011. Et la solution de l’énigme? BP mentionne tous les produits pétroliers, aussi les non conventionnels, et pour la consommation, BP compte les biocarburants. Ganser demande aux grands journaux d’afficher cela plus exactement, et de même à la «NZZ» et à la «FAZ», qui ne le font pas jusqu’à présent.
Il n’empêche: Aujourd’hui, ExxonMobil confirme également que le pétrole conventionnel est en stagnation, alors que d’autres firmes admettent déjà une baisse. (cf. Ganser, p. 266 sqq.)

La situation de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale

«Notre situation était devenue comparable à celle d’une souricière. Il a fallu des efforts incessants au niveau diplomatique et de la politique commerciale, pour préserver notre peuple de périr lentement d’inanition.»
Tiré du rapport du Conseil fédéral sur la situation de la Suisse après la défaite de la France en mai 1940, encerclée par des Etats fascistes. (Source: Rapport du Département fédéral de l’économie publique (Ed.): «L’économie de guerre en Suisse 1939–1948.» Centrale fédérale de l’économie de guerre, Berne 1950, p. XV)

Leçons en Suisse: la possession de pétrole éveille la convoitise des grandes puissances

ts. En Suisse, également, on a suivi attentivement le putsch de la CIA en Iran en 1953. Ainsi, Emil Klöti, conseiller aux Etats socialiste, fit remarquer que la possession de pétrole n’était pas sans danger, car elle éveillait la convoitise des grandes puissances. C’est pourquoi la Suisse devait aussi garder en main la recherche de son propre pétrole. Et Paul Kunz, conseiller national PRD, ajouta en mars 1953: avoir son propre pétrole pourrait mettre en danger l’indépendance et la neutralité – en raison de la soif de pétrole des autres pays.
Comme en Suisse ce sont les cantons qui attribuent les concessions pour la recherche de pétrole, sur la base de ce qu’on nomme la régale des mines, des trusts étrangers comme Shell ont dû déposer des demandes de concessions dans 17 cantons à la fois en 1951. Lorsque le canton de Fribourg a voulu tomber d’accord avec la firme d’Arcy, une filiale de BP, la Confédération, en grand souci, a invité les cantons à une conférence sur le pétrole à Berne, le 6 novembre 1952: la Confédération y a annoncé que l’attribution de concessions à des trusts étrangers était une menace pour la sécurité extérieure, l’indépendance et la neutralité, puisque BP était dans les mains de la marine britannique et avec ça dans celles de l’Etat de la Grande-Bretagne.
En juin 1959, la Swisspetrol Holding AG fut fondée, une société faîtière à majorité d’actions suisse, pour contrôler la recherche de pétrole en Suisse. Mais les mesures sismiques du sous-sol du plateau par une filiale de Swisspetrol, de la Schweizerische Erdöl AG (SEAG), furent peu fructueuses. Les forages profonds subséquents furent également sans succès, ce qui fit plaisir à beaucoup de citoyens suisses, convaincus que le pétrole n’attirait que des guerres. (cf. Ganser, p. 90 sqq.)