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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°24, 22 juin 2009  >  Le traité de Lisbonne est une loi des pleins pouvoirs [Imprimer]

Le traité de Lisbonne est une loi des pleins pouvoirs
par Eberhard Hamer, professeur à l’institut des classes moyennes Hanovre
Une nouvelle heureuse a passé récemment dans nos journaux: le Parlement tchèque a entériné à courte majorité la loi des pleins pouvoirs de Lisbonne. Il ne reste plus qu’à attendre que les Irlandais, à force de votations répétées, trouvent aussi une courte majorité qui permettra d’instaurer la plus grave modification constitutionnelle qu’aient connues les démocraties européennes.
Dans la plupart des pays de l’Union européenne on estime que beaucoup de parlementaires, lors des votes favorables à ce traité de Lisbonne, n’en connaissaient pas le contenu. En effet, lors des votes de nombreux parlements européens les députés ne possédaient même pas une version consolidée du Traité.
On peut être un chaud partisan d’une union européenne, mais avoir conscience qu’il faut combattre cette «loi des pleins pouvoirs»* qui mène la démocratie vers une dictature bureaucratique. En effet, si cette loi des pleins pouvoirs devait entrer en vigueur, nous n’aurions plus affaire à des démocraties, ni à des Etats de droit, ni à des Etats sociaux. Cette loi fondamentale serait le socle d’un capitalisme effréné en Europe, célébré par une bureaucratie de fonctionnaires irresponsables.
Le Tribunal fédéral constitutionnel
va-t-il résister à sa mise sous tutelle?
Le professeur de droit constitutionnel Schachtschneider, a, avec raison, déposé une plainte auprès du Tribunal fédéral constitutionnel, relevant que cette loi des pleins pouvoirs n’était pas compatible avec la Constitution allemande. Ce serait une raison suffisante pour que le Tribunal constitutionnel bloque l’exécution de cette loi. Mais, il se pose la question de savoir
•    si un tribunal constitutionnel constitué sur une base politique peut résister aux pressions des politiciens et des pouvoirs économiques en arrière-plan, et décider selon des critères juridiques et non pas politiques;
•    si un tribunal constitutionnel, qui s’est soumis, dans des questions relevant du droit intérieur, à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) incompétente en la matière, trouvera finalement l’énergie nécessaire pour résister une dernière fois à sa propre mise sous tutelle;
•    s’il est envisageable que le Tribunal fédéral constitutionnel puisse résister, alors que 26 Parlements des Etats membres ont déjà ratifié ce texte, qu’une vague d’approbation déferle d’une part et que d’autre part les populations européennes marquent un désintérêt prononcé envers l’UE et cette loi de Lisbonne, ce qui nous mène à un «consentement réel».
Alors que les chances juridiques d’un refus de cette loi des pleins pouvoirs par le Tribunal fédéral constitutionnel sont bonnes, il n’en va pas de même des chances politiques, vu la pression exercée «d’en haut».
Lisbonne ou la fin de
la séparation démocratique des pouvoirs
On ne peut qu’être reconnaissant aux requérants, sous la direction du professeur Schachtschneider, d’avoir mis en évidence le caractère unique du traité des pleins pouvoirs de Lisbonne. Cette attaque contre nos démocraties doit être conspuée vigoureusement. Il est clair que ce traité est conçu comme une nouvelle constitution pour l’Union européenne, sur laquelle les populations n’ont pu s’exprimer. De plus, elle ne prévoit pas de séparation des pouvoirs – le fondement même d’une démocratie. Seule la Commission y aurait le droit de présenter des lois et des directives. Du fait qu’elle seule est l’exécutif, et même dans certains domaines importants l’instance première de la jurisprudence, il va de soi qu’il n’y a aucune séparation des pouvoirs, principe si important en démocratie.
Diktats de commissaires politiques
au lieu de processus parlementaires
Le Parlement de l’UE n’a pas son mot à dire en matière de politique étrangère, de défense et de politique nucléaire. En aucun cas, il ne peut présenter des projets de directives et de prescriptions. Il peut tout au plus voter de pair avec le Conseil des ministres sur les projets de ce dernier, dans la mesure où sa participation est sollicitée. On assiste ainsi à un retournement du précepte fondamental de notre Loi fondamentale qui veut que tout le pouvoir et la souveraineté viennent du peuple, alors qu’ils sont en réalité le fait d’une bureaucratie de l’UE, en réalité d’un «bureau politique». Il ne reste au peuple plus qu’à accepter. Plus de 80% de nos lois ne sont rien d’autre qu’une adaptation au droit national des décisions de l’UE qui s’étendent pratiquement à tous les domaines de la vie quotidienne. En effet, les directives et prescriptions de l’UE ont priorité sur la Loi fondamentale allemande. Cette dernière, vieille de 60 ans, et ayant fait ses preuves, est ainsi pratiquement abrogée, de même que celles de tous les autres pays-membres de l’UE.
Il n’y aura plus d’Etats nationaux ni de citoyennetés nationales – il ne restera qu’un Etat de l’Union européenne et une «citoyenneté UE». Seuls les commissaires et le «bureau politique» lui-même pourront décider dans quelle mesure une réelle démocratie, venant de bas en haut dans cet océan sans limites, sera possible.
On ira jusqu’à des
guerres d’agression dans le monde entier
Ce traité de Lisbonne assurant les pleins pouvoirs, autorise même son «bureau politique» à déclencher des guerres d’agression. Car, il sera possible d’entreprendre des missions militaires pour «la défense des valeurs de l’Union et assurer ses intérêts», de même que des missions de guerre et un réarmement militaire. Aucun parlement, ni celui de l’UE ni celui de l’Allemagne ne pourrait s’opposer à cette décision ni même la modifier. C’est le «comité politique» de l’UE qui prendrait le commandement politique de tels engagements guerriers. Il ne serait pas nécessaire d’informer les Parlements nationaux, quant au Parlement de l’UE ce serait à bien plaire. «De hauts représentants pour la politique extérieure et de sécurité», donc les «commissaires politiques supérieurs» sont compétents pour la politique extérieure et de sécurité, y compris donc pour des interventions militaires dans le monde entier. Schachtscheider a raison de mettre le doigt sur la plaie (Horizons et débats n° 14 du 14/4/09, pages 3/4): «L’Union européenne est une région de capitalisme global: le libre-échange international dépourvu de tout aspect social est la véritable loi fondamentale de nos conditions de vie. Or la constitution économique de l’Allemagne est, compte tenu de l’importance constitutionnelle du principe social, l’économie sociale de marché. Ce ne sont pas seulement des critères d’efficacité mais également des droits fondamentaux économiques qui justifient l’économie de marché. Mais elle doit se soumettre au principe social. L’économie, surtout le capital, ne doit revendiquer qu’une fonction de service à la communauté.»
Le marché européen
n’a pas de conscience sociale
En s’intégrant à l’Union européenne, l’Allemagne a renoncé à sa constitution économique au profit «d’une économie de marché ouverte, fondée sur la libre concurrence». En clair: l’économie sociale de marché, de conception européenne, est remplacée, du fait du traité des pleins pouvoirs, par une libre concurrence illimitée sans tenir compte des aspects sociaux. C’est ce que réclame la ploutocratie américaine pour elle-même dans le monde entier. Que les responsables syndicaux et les politiciens en charge des affaires sociales ne se soient pas manifestés dans cette situation est dû soit à l’ignorance soit au résultat d’une «pression d’en haut».
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’on a eu droit à une loi des pleins pouvoirs obtenue de manière pseudo-démocratique, ayant mis fin à la démocratie et à la liberté dans le pays, provoquant d’énormes dommages pour la population. Après la guerre, les étrangers nous ont adressé le reproche: «Pourquoi n’avez-vous pas empêché cela?»
Nous voici de nouveau placés devant une loi des pleins pouvoirs, qui anéantit notre démocratie de manière pseudo-démocratique et est censée la remplacer par un système de commissaires politiques non élus. Et si nous ne réagissons pas, nos enfants aussi nous demanderons à juste titre: «Pourquoi n’avez-vous pas empêché cela?». En fait, nous n’avons pas réussi à nous y opposer politiquement. Seul le Tribunal fédéral constitutionnel peut encore empêcher la disparition de notre démocratie et la prise de pouvoir d’un «bureau politique» antidémocratique à Bruxelles – notre avenir ne tient qu’à un cheveu.     •
*    La «loi du 24 mars 1933 visant au soulagement de la détresse du peuple et de l’Etat», dite «loi d’habilitation» ou «loi des pleins pouvoirs», est une loi allemande adoptée le 24 mars 1933 et qui donna à Adolf Hitler le droit légal de gouverner par décret, c’est-à-dire de promulguer des lois sans en référer au Reichstag. La loi était promulguée pour une durée de quatre ans renouvelables. Après la Reichstagsbrandverordnung, ce fut la deuxième étape de l’instauration d’un système totalitaire, supprimant la séparation des pouvoirs. (ndlr., cf. Wikipédia)