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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°15, 20 avril 2009  >  Jalons sur le chemin de la guerre [Imprimer]

Jalons sur le chemin de la guerre

A propos du conflit du Kosovo

par l’ex-général de brigade allemand Heinz Loquai

Précipitation de l’Allemagne

Au vu des violences du Kosovo, l’OTAN, à Bruxelles, s’est préoccupée de ce conflit. Lors de la séance du Conseil du 14 mai 1998, l’Allemagne a adopté une position qui a suscité des questions de partenaires de l’Alliance inquiets. Selon l’Allemagne, «il conviendrait non seulement de prendre des mesures de soutien mais également des mesures qui concernent le cœur du problème.» Elle semblait plaider en faveur d’une intervention militaire. «Différents collègues m’ont demandé à l’issue de la séance si nous voulions vraiment intervenir nous-mêmes au Kosovo. GBStv [ambassadeur britannique auprès de l’OTAN] s’est montré surpris, après la séance, de nos propositions ambitieuses. (Rapport de l’ambassadeur allemand auprès de l’Alliance du 14/5/1998)

Ce qui comptait pour Washington

Rapport de l’ambassade allemande de Washington du 2/10/1998:
Appréciation. Ce qui n’est pas dit, c’est que la tactique rapide souhaitée présente, aux yeux du gouvernement, des avantages qui n’ont rien à voir avec la question: détourner l’attention de l’affaire Lewinski grâce à une crise de politique étrangère, espoirs placés dans un effet de «ralliement autour du drapeau» au moment précis des élections au Congrès, preuve de la qualité persistante du leadership américain au sein du système international. On se préoccupe moins du coût de l’opération: les USA sont prêts à s’accommoder de l’opposition d’une Russie affaiblie économiquement et politiquement. Si la précipitation des USA dans la question du Kosovo devait bouleverser les négociations au sein de la coalition entre les sociaux-démocrates et les Verts, à Bonn, cela ne provoquerait que des larmes de crocodile à Washington.»

Changement de régime

Séance du Bundestag du 16 octobre 1998
Député Joschka Fischer: «Le problème n’est pas seulement la catastrophe humanitaire, toute grave qu’elle est. Le problème, c’est que la politique de la République fédérale de Yougoslavie représente un danger durable de guerre en Europe. Nous ne pouvons pas tolérer ce danger.»

Solution politique du conflit en vue?

D’intenses efforts politiques visant à mettre fin au conflit aux allures de guerre civile entre le gouvernement yougoslave et les rebelles kosovo-albanais ont conduit aux accords suivants:
• La Yougoslavie retire sa police spéciale et son armée du Kosovo. Les deux camps respectent un cessez-le-feu et mènent des négociations sur un règlement pacifique du conflit dans un cadre international.
• L’OTAN effectue une reconnaissance aérienne permanente à l’aide d’avions et de missiles de reconnaissance.
• Une mission de l’OSCE comportant un maximum de 2000 vérificateurs surveille le cessez-le feu.

Camp de réfugiés pour les médias?

Rapport du 25/10/1998 de l’ambassade allemande de Belgrade:
«Personnellement, nous n’avons constaté au Kosovo la présence d’aucune troupe n’appartenant pas au Corps de Pristina. L’UÇK revient, profite du retrait des forces serbes, se regroupe et sa volonté de se battre jusqu’à ce qu’elle ait obtenu l’indépendance est inentamée. Elle utilise un camp de réfugiés comme protection et terrain de repli. Elle essaie, par des attaques entraînant des réactions des forces serbes, de contraindre l’OTAN à intervenir.
L’auteur du présent rapport a trouvé atypique le camp de réfugiés situé près de Kisna Reka qui est commandé par l’UÇK. Ces réfugiés, bien qu’ils soient censés vivre dans les montagnes depuis plus de deux mois, ont l’air étonnamment soignés, bien nourris et calmes. L’auteur du rapport ne peut s’empêcher de penser que l’UÇK utilise ces réfugiés (dont le nombre est passé de 3500 à moins de 1000) comme un gage politique, comme un bouclier pour assurer sa propre sécurité et également comme camp modèle à l’intention des médias. Certains parmi les journalistes présents se sont montrés également sceptiques.»

«Trouble-fête»

Général à la retraite Klaus Naumann, émission de la 2e chaîne allemande (ZDF) du 21/9/1999: «Chronique d’une guerre annoncée. Bilan du conflit du Kosovo»
«A vrai dire, l’UÇK a joué un rôle qui nous a gâché le succès de l’automne 1998. Elle a occupé le vide laissé par le retrait des Serbes et s’est répandue d’une manière que probablement personne, dans aucun de nos Etats, n’aurait acceptée. Je ne peux pas imaginer qu’en Allemagne, on accepte que quelqu’un qui pense pouvoir se rebeller contre l’Etat élève des barricades, établisse des postes frontières, se mette à porter l’uniforme …»

Le «diplomate» américain W. Walker, loup dans la bergerie

La ministre américaine des Affaires étran­gères Albright a pris une décision très importante pour la suite des événements. Elle a imposé au président de l’OSCE, le ministre des Affaires étrangères polonais proaméricain Geremek, la nomination d’un de ses hommes de confiance, le diplomate américain W. Walker au poste de chef de la mission de l’OSCE au Kosovo. Cette décision violait toutes les règles de l’OSCE. Walker s’est avéré être un représentant de l’OSCE extrêmement partisan, antiserbe qui a défendu et adopté une attitude agressive envers les Serbes. Au lieu de développer la mission, il a fait obstacle à l’arrivée de personnel.
En outre, à partir du 1er janvier 1999, la Norvège a repris la présidence de l’OSCE à Vienne. Le ministre norvégien des Af­faires étrangères Vollebeek était l’instrument de l’OTAN au sein de l’OSCE.
James P. Rubin, ancien porte-parole du ministère américain des Affaires étrangères, estime que la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie était une guerre très personnelle, «la guerre de Madeleine», une guerre de la ministre américaine des Affaires étrangères Albright. (Financial Times, septembre/octobre 2000)

Vérités concurrentes lors du «tournant»

«Racak, déclare Joschka Fischer, a constitué pour moi le tournant. 45 civils ont été liquidés dans ce village le 15 janvier 1999.» (Gunter Hofmann, «Comment l’Allemagne est entrée en guerre», die Zeit, 12/5/1999)
«A Racak, des experts de l’OSCE au­raient trouvé aussi bien des preuves d’un massacre que d’une manipulation des lieux du crime. Ils auraient constaté des modifications sur le terrain qui laissent penser qu’une partie seulement des victimes ont été tuées à l’endroit où on les a trouvées. […].» (Communiqué du G2A2)

Propagande mensongère

«En outre, de nombreuses victimes étaient mutilées, leur crâne avait été fracassé, leur visage criblé de balles, leurs yeux arrachés. Un homme avait été décapité.» (Frankfurter Allgemeine Zeitung, 18/1/1999)
«Les corps de six victimes avaient subi des dommages post mortem, très probablement infligés par des animaux. Il n’y avait pas de signes de mutilations post mortem.» (médecin-légiste finlandais in: Forensic Science International, 2000)
«J’ai insisté sur l’affirmation centrale du Rapport [de l’OSCE sur Racak] selon laquelle seule une enquête criminelle approfondie pourrait donner une idée d’ensemble de ce qui s’est vraiment passé à Racak.» (Rapport du représentant allemand auprès de l’OSCE du 18/3/1999)

Bilan intermédiaire

Lors d’une rencontre des attachés à la défense de l’OTAN à Belgrade, on en est arrivé aux conclusions suivantes:
• L’UÇK mise sur l’effet médiatique du massacre de Racak bien que de nombreux détails restent obscurs.
• L’UÇK a amplement profité des quelque trois mois dont l’OSCE avait besoin pour devenir opérationnelle et amélioré sa position initiale alors que les forces armées serbes se montraient plus ou moins disposées à coopérer.
• L’UÇK est persuadée qu’il suffira d’un petit nombre de provocations ciblées avant l’intervention de l’OTAN et qu’elle aura bientôt atteint son objectif.
• Tous les participants doutent de l’opportunité de frappes aériennes de l’OTAN.
(Rapport de l’ambassade allemande de Belgrade du 21/1/1999)

Influence des médias – situation avant le début de la guerre

Mission de l’OSCE:
17/3/1999: «La situation générale dans la région reste tendue mais calme.»
18/3/1999: «La situation dans la région reste tendue mais calme.»

Office du renseignement de la Bundeswehr, 22/3/1999:
• «On ne peut pas confirmer le début d’une grande offensive coordonnée des forces armées serbo-yougoslaves contre l’UÇK au Kosovo.»
• «On n’observe toujours pas de tendances au nettoyage ethnique.»
23/3/1999:
• «Contrairement à ce que prétendent certains médias, on n’observe toujours pas de grande offensive des forces armées yougoslaves au Kosovo.»
• «Pour le moment, on ne peut pas confirmer l’arrivée de renforts armés. Les heurts ne dépassent pas la mesure de violence constatée jusqu’ici.»

Division d’état-major FüS II, ministère allemand de la Défense, 24/3/1999:
«Les forces armées serbo-yougoslaves ne sont pas encore capables de lancer une grande offensive dans tout le Kosovo. Pour cela, il faudrait renforcer considérablement l’infanterie […].
Il faut compter ces prochains jours sur de nouvelles opérations des forces armées serbo-yougoslaves contre l’UÇK. De son côté l’UÇK va probablement continuer d’essayer, au moyen d’opérations-éclairs, de provoquer les forces serbo-yougolaves à réagir massivement, cela dans l’espoir que les destructions et le nombre de réfugiés seront tels qu’ils entraîneront des bombardements immédiats de l’OTAN.»

Ministère des Affaires étrangères, SO-BOS-HUG
Situation humanitaire au Kosovo dans le contexte de la violation de l’Accord Holbrooke-Milosevic:
19/3/1999
Tous les groupes de population vivant au Kosovo sont également touchés par les destructions et les expulsions. Environ 90 villages habités auparavant par des Serbes ont été abandonnés.
A la différence de l’automne et du début de l’hiver 1998, aucune menace de catastrophe en matière de ravitaillement. […] KVM parle plutôt d’un problème de distribution.»
Ce qu’écrivent les médias s’oppose de manière flagrante aux constatations des experts des ministères des Affaires étrangères et de la Défense. On peut y lire les gros titres suivants: «Grande offensive serbe au Kosovo» (Die Welt, 23/3/1999), «Avancée serbe» (Frankfurter Allgemeine Zeitung, 23/3/1999), «Une nouvelle série de combats et d’expulsions a commencé après la Conférence de Paris» (Süddeutsche Zeitung, 22/3/1999), «Les Serbes commencent une nouvelle offensive au Kosovo» (Frankfurter Rundschau, 22/3/1999), «Les Serbes entrent au Kosovo avec 40 000 soldats et des armes lourdes» (Die Welt, 22/3/1999).

Instrumentalisation et banalisation de la Shoah

Depuis le 24 mars 1999, l’OTAN bombardait la Yougoslavie avec la participation de la Bundeswehr au cours d’une guerre non sanctionnée par l’ONU. L’objectif était de protéger les habitants du Kosovo. Lors d’une visite de la Bundeswehr à Auschwitz, le ministre de la Défense Scharping déclarait: «La Bundeswehr opère au Kosovo pour empêcher un nouvel Auschwitz.» Le 7 avril 1999, le ministre des Affaires étrangères Fischer déclarait: «Je n’ai pas seulement appris: plus jamais la guerre; j’ai également appris: plus jamais Auschwitz.»
«Les victimes des nazis ont dû considérer le parallèle entre le Kosovo et Auschwitz comme un nouveau «mensonge d’Auschwitz», car cela revenait à nier le caractère unique du crime d’Auschwitz et de la rupture de civilisation qu’il représente. On a instrumentalisé Auschwitz.» (Arno Lustiger, «Un survivant d’Auschwitz parle», Frankfurter Allgemeine Zeitung, 27/1/2007)
Patrick Bahrens, «Le poison sournois – la guerre au Kosovo, cas typique de pragmatisme débridé», Frankfurter Allgemeine Zeitung, 20/4/2001): «Que Scharping déclare qu’il était devenu plus décontracté produit un effet comique. En effet, à son heure historique, il n’était pas du tout décontracté. Il n’a jamais fait pénitence pour son excès rhétorique, pour son hallucination du deuxième Auschwitz.» (Christoph Albrecht, «Scharping et Fischer banalisent Auschwitz», Frankfurter Allgemeine Zeitung, 27/8/2001)

Bilan d’une guerre «réussie»

Il n’est guère contestable que la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie a marginalisé l’opposition au président Milosevic. Avant la guerre, Milosevic était politiquement au bout du rouleau. 20 à 25% seulement de la population le soutenaient. La guerre a fait monter ce soutien à 80%. «Sans la guerre au Kosovo, le dictateur aurait été renversé avant le 5 octobre 2000.» (Frankfurter Allgemeine Zeitung, 19/1/2001)
Les bombardements de l’OTAN prirent surtout pour cible les infrastructures civiles de la Yougoslavie. Selon Gernot Erler, ont été endommagés, voire complètement détruits 200 usines, 1909 écoles, 50 hôpitaux, 50 ponts, 5 aéroports civils, d’innombrables habitations et exploitations agricoles. (IFDT, p. 19). Le fait que ces destructions aient été absurdes même du point de vue militaire est confirmé par le général allemand Reinhardt, commandant en chef de la Kfor, troupe de l’OTAN: «En ce qui concerne de nombreux ponts que nous avons dû réparer nous-mêmes avec nos troupes du génie, mes spécialistes et moi-même n’avons pas compris l’intérêt stratégique et opérationnel de leurs bombardements. Cela vaut encore bien davantage pour la destruction de pylônes des lignes électriques vers la Macédoine et l’Albanie dont la réparation nous a donné beaucoup de travail. Un grand nombre d’infrastructures dont la Kfor aurait eu un urgent besoin plus tard ont été détruits par ces bombardements.» (IFDT, p. 19)
«Ce n’est que ces derniers mois que l’Alliance a mené avec succès des attaques aériennes intensives. […] Les bombardements avaient pour seul objectif de réduire la terrible politique de nettoyage ethnique du régime de Belgrade.» Javier Solana, Secrétaire général de l’OTAN In: NATO-letter no 2, 1999)

Débat démocratique

Les ministres Scharping et Fischer qualifient les députés au Bundestag qui critiquent leur politique de «naïfs», de «bêtes», de «mal­faisants» et de «malintentionnés» (Bundestag, 97e séance, 5/4/2000). Dieter Lutz, spécialiste réputé en recherches sur la paix, et son collaborateur Reinhard Mutz ont, dans une lettre ouverte de mars 2001 adressée aux députés du Bundestag, réclamé un examen du conflit du Kosovo («Deux ans après le conflit du Kosovo, plus de problèmes que de solutions, plus de questions que de réponses»). Ces deux chercheurs se sont fait sonner les cloches par le Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Gernot Erler: «[…] En ce qui concerne vos propositions, vous ne vous attendiez sans doute guère à ce que les députés si vertement attaqués vous aident maintenant à mettre sur pied des forums publics où vous pourriez donner libre cours à votre penchant pour la protestation. […] Nous n’avons que faire de procureurs autoproclamés.»

Héros de guerre

La presse allemande a fêté ses héros de guerre, le ministre de la Défense Scharping et le ministre des Affaires étrangères Fischer qui éclipsait tous les autres. Dans Die Zeit, on lit que c’est Fischer «qui a non seulement donné à la guerre sa dimension morale mais l’a élevée au rang de guerre «européenne» et a réussi un coup de maître en faisant entrer les Balkans dans l’Europe.» (Manfred Gleis, «Fischer, la guerre et sa vision d’avenir, die Zeit, 27/9/2000)    •

(Traduction Horizons et débats)