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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°45, 29 octobre 2012  >  «Il faut arrêter de penser que les Grecs sont des paresseux, ils sont parmi ceux qui travaillent le plus en Europe» [Imprimer]

«Il faut arrêter de penser que les Grecs sont des paresseux, ils sont parmi ceux qui travaillent le plus en Europe»

Entretien d’«Horizons et débats» avec Josef Zisyadis (1ère partie)

hd. Dans l’interview ci-dessous Josef Zisyadis, un excellent connaisseur de la Grèce, s’exprime sur les raisons de la crise dans ce pays. Au cours des vingt dernières années et pendant ses réguliers séjours en Grèce, il a observé l’orientation toujours plus prononcée de l’économie vers le tourisme de masse aux dépens de l’agriculture et des populations locales. Il ne s’est jamais borné à analyser les dysfonctionnements, mais s’est toujours engagé pour développer de nouveaux projets, entre autres celui qu’il a nommé Patoinos qui montre une voie pour sortir de la crise. Partant de l’idée qu’il y quelques dizaines d’années la Grèce possédait une agriculture florissante avec notamment d’excellent vin qui était exporté dans diverses régions du monde, il a créé le projet Patoinos qui renoue avec ce temps-là.
Sur l’île de Patmos dans la mer Egée, Josef Zisyadis a lancé avec des amis un projet agro-écologique d’ensemble au centre duquel se trouve le développement et la réhabilitation de la viticulture en accord avec le renouveau de la viticulture grecque en général. Il s’agit de reconstituer un vignoble et de créer en collaboration avec une école de viticulture suisse une cave qui sera en même temps un lieu de rencontre et de communication pour la population locale et les visiteurs. Grâce à une banque de graines insulaires, les habitants de l’île pourront aussi recommencer à travailler la terre, à cultiver des légumes et des fruits et grâce au nouveau pressoir, récolter les olives pour en faire de l’huile. Dans une édition ultérieure d’«Horizons et débats», nous présenterons de manière plus complète ce projet encourageant et orienté vers l’avenir.

Horizons et débats: Dans les grand medias on peut lire que c’est la faute des Grecs qu’ils ont cette crise. Où voyez-vous les raisons pour cette crise en Grèce?

Josef Zisyadis: Il y a plusieurs raisons. D’abord, ce ne sont pas tous les Grecs qui sont responsables. Ce sont certains Grecs, qui ont mis la population en crise. Ce n’est pas un peuple qui est prédestiné à être mauvais ou à vivre dans la crise. Il faut arrêter de penser que les Grecs sont des paresseux, ils sont parmi ceux qui travaillent le plus en Europe aujourd’hui.
Il faut connaître l’histoire de la Grèce. Ce pays a été occupé jusqu’en 1912 par l’empire ottoman. Le pays a vécu une guerre contre le fascisme et une guerre civile.
En 1967, la Grèce a vécu un putsch organisé par la CIA avec ensuite une dictature militaire jusqu’en 1974. Chaque fois c’étaient des périodes très difficiles. Le pays a toujours été très pauvre.
Le problème principal, c’est que depuis plusieurs années, on a fait des choix politiques. Les élites grecques, qui ont voulu mené la Grèce vers la grande mondialisation, pensaient faire d’Athènes une capitale européenne comme Paris, Londres ou Berlin. L’exemple typique ce sont les Jeux olympiques d’été de 2004. Ils ont amené des dettes que la population va payer pendant toute une génération.
Je crois que tous les choix politiques qui ont été fait cette année, amènent à cette crise. Elle était de toute façon préparée d’avance. Aujourd’hui, la situation est très sérieuse parce que les banques ont décidé que la population n’avait qu’à payer. Pourquoi avoir des taux de 7% pour la Grèce alors que la Banque centrale européenne prête à d’autres pays à un taux de 1%? Il n’y a pas de raisons. Si on prêtait à 1%, il n’y aurait pas de crise en Grèce aujourd’hui. Le problème c’est qu’il faut rembourser les banques. Tout cet argent qui n’est pas disponible pour aider la population à repartir de l’avant, sert à rembourser les banques et à financer les dépenses militaires. Il faut savoir que la Grèce est par tête d’habitants le deuxième pays dans le monde en ce qui concerne les dépenses militaires.

Le budget de l’armée est si énorme?

Oui. Les sous-marins sont livrés par la France. Les pays, qui livrent les armes, veulent que la Grèce rembourse les coûts. Est-ce qu’on arrête les dépenses militaires? Non! Cela continue!
En Grèce, il y a deux partis politiques qui se sont partagé la Grèce depuis 1974. Ces deux partis, quand ils ont pris le pouvoir, ils ont engagé 50 000 fonctionnaires. 4 ans après, c’est l’autre parti qui est arrivé au pouvoir et il a engagé 50'000 fonctionnaires.

50'000 fonctionnaires de plus?

De plus! Les partis politiques veulent garder leur clientèle électorale.
Une autre raison pour la crise sont les armateurs grecs, ils ont une des plus grandes flotte marchande au monde. Les impôts qu’ils payent, ce n’est rien, absolument rien. Souvent, ils ont en plus leur pavillons dans d’autres pays: au Panama, au Chili etc. Et même ceux qui sont en Grèce ont des baisses d’impôts très importantes depuis des années. Il y aussi l’église qui ne contribue pas aux impôts. L’Eglise possède environ 10% du territoire et a une fortune immobilière colossale. Elle ne paye aucun impôt foncier. Si ces trois choses étaient réglées, la Grèce ne serait pas dans la situation dans laquelle elle se trouve actuellement.

Alors il faudrait réduire les dépenses militaires, exiger des impôts des riches armateurs et de l’Eglise qui devrait aussi payer des impôts fonciers.

Cela serait la base. Ce serait déjà une politique différente.

Ne faudrait-il pas réintroduire la drachme?

L’actuelle politique européenne ne peut que mener à l’arrivée de la drachme. Moi, je vois une arrivée rapide. J’ai beaucoup apprécié l’autre jour le Premier ministre bulgare. C’est l’Europe qui leur a dit, vous pouvez entrer dans l’euro. Ils ont dit: «Non, non, on ne veut pas entrer dans l’euro.» Car actuellement, les Bulgares n’ont quasiment pas de dettes. Tandis que la Grèce est étranglée par les puissances bancaires qui ne lâcheront pas prise.

Il n’y a pas de raisons que Goldman Sachs abandonne ses affaires. Cela rappelle le procédé du Fonds monétaire international (FMI) face aux pays du Tiers-monde. Il a octroyé d’énormes crédits à ces pays pour après pouvoir en dominé la politique.
Le gouvernement grec sous Antonis Samaras est maintenant en train de vendre la propriété du peuple?

C’est ce qu’ils sont en train de faire, ils vendent la loterie nationale, la poste, l’électricité, le gaz, les îles, les ports et aussi les chemins de fer. Ils vendent tout. Ça va être acheté par les Français, les Allemands et diverses autres puissances étrangères.

Toute la propriété du peuple, tout ce que le pays a développé.

Si les Grecs avaient leur propre porte-monnaie, ce serait différent. Pour nous en Suisse c’est important que nous gardions notre indépendance.

Absolument!

Je préfère faire des projets comme celui de Patoinos. Ce sont des petits projets, mais ce n’est pas le seul. En Grèce, il y a aussi d’autres petits projets de ce genre. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de ventes directes entre les agriculteurs et les habitants des villes. La Grèce, c’est un pays qui devrait repartir complètement dans un autre sens. Aujourd’hui, il y a trois villes qui ont ensemble 7 millions d’habitants sur un total de 10 millions. Trois villes: Athènes, Pirée, Thessaloniki. 70% de population habitent dans ces trois villes. Tout y est concentré. Les campagnes sont vides, désertifiée. Il faut faire des programmes de retour à la campagne, il faut encourager la décentralisation. De la part de l’UE, je ne vois pas venir de tels projets pour la Grèce. De toute façon, elle ne le veut pas. Elle ne sait pas ce qu’elle veut: une année elle dit au Grecs, vous devez éliminer tous les oliviers, et, il y a 20 ans, ils ont vraiment arraché des oliviers! Maintenant l’UE donne des subventions pour replanter des oliviers. Parce qu’actuellement on dit que l’huile d’olive, c’est extrêmement sain… C’est vrai. Les oliviers, l’agriculture paysanne, le tourisme local qui respectent l’environnement et le tout solaire, cela serait magnifique pour la Grèce.

Quelle importance ont des projets comme celui de Patoinos pour la population?

Cela donne la possibilité à la population d’être indépendante et de pouvoir compter sur ses propres forces. Parce que de toute façon, quoi qu’il arrive, ça va être le désastre. Depuis 2 ans, presque chaque semaine, j’ai des coups de téléphone d’amis qui me disent: «Quand est-ce que tu viens en Grèce? N’oublie pas de prendre ce médicament-ci ou ce médicament-là. Il n’y a presque plus de médicaments dans le pays. Comme les pharmaciens doivent tout payer à l’avance, ils n’obtiennent plus de médicaments. Les gens n’ont pas les moyens de se les payer. Aujourd’hui, il y a plein de gens qui ont des maladies de cancer ou de cœur, sans compter les maladies psychosomatiques. Ils n’ont pas même de quoi de se payer les médicaments. C’est terrible. On est revenu au temps, où on prend dans sa valise dix, quinze ou vingt différents médicaments pour les amener à ses amis.

La situation en Grèce est-elle actuellement un peu comme dans les pays du Sud?

Tout à fait. Les gens font les poubelles. Ils se suicident, le taux de suicides a beaucoup augmenté. Auparavant, les Grecs ne se suicidaient pas, ce n’est pas dans la tradition des Grecs de se suicider. Pour les orthodoxes c’est dur; ils avaient toujours le sentiment qu’on ne se suicide pas. Tandis qu’en Suisse, on en a plus l’habitude. On y a toujours eu un taux de suicides important. En Suède aussi, mais pas en Grèce. Maintenant les gens n’ont pas d’avenir, ils préfèrent ne pas être un poids pour leurs enfants. Ils laissent leur bien, une maison à leurs enfants, et ils se disent, au moins moi, je suis parti. C’est terrible.

En tant qu’Européens, nous ne pouvons pas accepter une telle situation. Il faut vraiment trouver des alternatives.

C’est important. Parce que les alternatives ce n’est pas seulement de faire des grands discours politiques. Les gens ont besoin d’avoir des petits coins, dont ils sont fiers. Je fais cela dans mon coin. Parce que quand on a réalisé quelque chose, on le défend. Tandis que les grandes idées politiques, c’est pour le lendemains qui chantent …

Nous avons compris que des projets comme Patoinos pourraient réellement montrer une voie pour sortir de la crise.

Oui, on peut dire cela. L’ancienne organisation du pays, qui faisait que l’agriculture grecque était très productive, a été détruite. La Grèce est un pays très fertile, ce n’est pas normal qu’on aille chercher les tomates en Hollande. La Grèce ne produit presque plus rien aujourd’hui.
Il faut absolument redévelopper l’agriculture locale. C’est pourquoi, il ne faut pas laisser entrer les produits OGM. Parce que cela c’est le désastre, les graines qui ne peuvent pas se multiplier. J’ai été en Tunisie il y a deux ans, quand il y avait la révolution. On était la première délégation parlementaire. Moi d’habitude, quand je vais dans un pays, je vais toujours chercher des graines locales, partout. Je suis allé au marché central de Tunis: «Est-ce que vous avez des graines de tomates? J’aimerais en ramener en Suisse.» – «Elles ne sont pas arrivées.» – «Comment, elles ne sont pas arrivées?» – «Eh bien, elles arrivent toujours au mois de mars de Hollande.» – «Ah bon, alors il n’y a plus de graines ici.»

Plus rien de local?

Bien sûr, je pense qu’à la campagne, il y a encore des gens qui conservent des choses. Mais évidemment dans les grandes productions, cela a complètement changé. En Grèce, aussi. C’est pour cela que les organisations écologiques qui préservent les semences sont très importantes. On a de la chance en Suisse, parce que nous ne sommes pas dépendants. Si nous étions dans l’UE, nous aurions la même situation.

Votre projet de Patoinos prouve qu’avec de l’empathie, de l’énergie et de la détermination chacun peut contribuer à résoudre les problèmes sociaux et économiques les plus urgents de notre temps. Merci infiniment de cet entretien.    •

Josef Zisyadis est né en 1956 à Istanbul. Il possède la double nationalité suisse et grecque. Il a fait des études de théologie à Lausanne et a travaillé comme pasteur à Paris de 1979 à 1983. Avec quelques interruptions, il a été de 1983 à 2008 secrétaire cantonal du Parti ouvrier et populaire (POP), section vaudoise du Parti suisse du Travail (PST).
De 1996 à 1998, il a été chef du Département de Justice, Police et Affaires militaires du canton de Vaud. De 1999 à 2011, il a siégé pendant trois législatures au Conseil national.