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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°11, 19 mars 2012  >  «Une dévalorisation de l’être et de la dignité de l’homme» [Imprimer]

«Une dévalorisation de l’être et de la dignité de l’homme»

A propos de la déclaration du ministre de la Justice américain Holder concernant la mise à mort de présumés terroristes

par Rainer Rothe, avocat

S’il vous plaît, ne vous y habituez pas, mais indignez-vous! Résistez à la manipulation par le recours à la raison!
L’affirmation du ministre de la Justice américain Eric Holder, rapportée par la presse allemande du 6 mars 2012, disant que la mise à mort ciblée de personnes était légale, n’est pas seulement révoltante et fausse sur le plan juridique. Elle représente la tentative – ratée – d’annuler le droit international public existant et solide, sur lequel s’est quand-même mis d’accord la communauté mondiale après deux guerres mondiales cruelles, avec l’arrogance de la puissance et en dévalorisant l’être et la dignité de l’homme.
La répétition constante de théories fausses est une stratégie de manipulation et de propagande qui a été développée durant des décennies, pour modifier des opinions et des systèmes, sans passer par l’intellect de l’homme. Le «spindoctoring», la PNL [programmation neuro-linguistique, ndt] ne sont que quelques-unes de ces méthodes. Ainsi ces méthodes sont hostiles à la démocratie et à l’Etat de droit. Jour après jour, on en voit bien des exemples. L’affirmation du ministre de la Justice américain en est un. Sa déclaration est contraire au droit international public et aux droits de l’homme. Les principes du droit international public sont clairs et compréhensibles pour chacun.
En droit international public, il n’y a aucun droit à tuer des individus. Rien que l’utilisation de la violence contre d’autres Etats hors du droit à la légitime défense des peuples, ou de décisions correspondantes de l’ONU, est inadmissible. A l’avenir, les Etats-Unis ne veulent même pas respecter cette condition préalable. Mais avant tout, en droit international public, le recours autorisé à la violence ne se rapporte qu’à des conflits entre Etats.
Le droit de légitime défense d’un Etat n’autorise pas le meurtre d’individus. Le droit de la guerre, qui n’existe d’ailleurs plus selon la Charte des Nations Unies, ne justifie pas la violence étatique dans des conflits armés avec des groupes extérieurs. Cela reste l’affaire de l’Etat national en question et de son système juridique. Tout le reste constitue une atteinte à la souveraineté d’autres Etats et une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures d’autres Etats. C’est aussi une des conclusions à laquelle la communauté mondiale et tous les Etats sont parvenus par une longue lutte, après les cruelles guerres et leurs morts innombrables.
Holder parle de terroristes présumés. Il serait donc légal de tuer des hommes sur la seule base d’une supposition. C’est une lourde atteinte aux droits fondamentaux de l’homme, à savoir: la présomption d’innocence, le droit à une procédure correcte et l’interdiction de la peine de mort. Les justifications de Holder sont pires qu’au Moyen Age et très éloignées d’Etats de droit civilisés, libéraux et démocratiques.
L’autre distinction «[…] même s’il s’agit de citoyens étatsuniens […]» est méprisante pour le genre humain. A l’encontre de l’art. 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui dit: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité», le ministre de la Justice américain affirme en disant cela qu’à son avis – qui est faux – certains hommes et certaines vies humaines valent plus que d’autres.
En revanche, le Tribunal constitutionnel allemand a par exemple fondé l’anti-constitutionnalité de la Loi sur la sécurité aérienne, selon laquelle, en cas d’attaque terroriste, des avions civils et donc tous les passagers auraient pu être abattus afin de protéger d’autres hommes, entre autres sur le principe que toutes les vies humaines se valent et que personne n’avait le droit de comparer leur importance entre elles.
Juste pour être complets, mentionnons encore ceci: en droit pénal, le droit de légitime défense comme justification suppose une attaque actuelle, immédiate, persistante, violente sur des biens juridiques pertinents. De plus, il convient de respecter la proportionnalité des moyens de résistance. Selon le communiqué de presse, Holder déforme (devant des étudiants en droit)  aussi ce principe général de droit de l’humanité, lorsqu’il prétend qu’il est déjà légitime de tuer des hommes qui constituent une menace d’attaque immédiate. En droit, une menace ne constitue justement pas encore une attaque actuelle et immédiate. Une menace ne justifie précisément pas la violence contre des hommes.
 La confiance s’en trouve détruite et la violence provoquée par anticipation. Selon Holder, le citoyen devrait en permanence s’attendre à être abattu, juste parce que l’Etat le ressent comme une menace. Il s’armera en conséquence. Mais ceci n’est précisément pas le principe de la paix et de l’Etat de droit libéral-démocratique, qui doit non seulement respecter et défendre la dignité humaine en tant que principe suprême, mais qui doit également la promouvoir.
L’homme n’est pas un loup pour l’homme. Défendez le droit pour le bien de l’humanité, pour garantir la paix et la justice sociale!    •