Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°23, 13 juin 2011  >  Une marche silencieuse vers Bruxelles? [Imprimer]

Une marche silencieuse vers Bruxelles?

 par Reinhard Koradi

Autour de la politique européenne un silence bizarre s’est fait en Suisse. Les grands thèmes discutés de façon controversée en public comme les accords bilatéraux, l’accord-cadre, les négociations sur le libre-échange agricole avec l’UE ne font pour la plupart plus les gros titres. Cette impression pourrait être corrigée à partir du 9 juin 2011 à cause de la session extraordinaire «Politique européenne et bilatérales III» des Chambres fédérales. Le fait reste cependant que la recherche de nouvelles informations et dossiers sur Internet donne très peu de résultats dans les sites du DFAE (Département fédéral des Affaires étrangères), du Seco (Secrétariat d’Etat à l’économie) et du bureau de l’intégration. Il semble presque que les Euro-turbos de Berne aient retiré consciemment leur pied de l’accélérateur. Peut-être que, pendant l’année des élections, des débats orageux devraient être évités et les vagues apaisées, telle que déclenchées par les pays voisins avec leurs démarches intempestives envers la Suisse. Mais cela pourrait aussi être une réponse de politique d’Etat de la Suisse aux sons peu amènes de Bruxelles, des sons qui signalent un refus de la discussion et doivent être interprétés comme une menace envers notre pays. Peu importe l’interprétation, le calme autour de l’adhésion à l’UE doit nous rendre attentif, réveiller notre attention et aiguiser notre perception politique.

Beaucoup de chemins mènent à Bruxelles

Si on suit le comportement des représentants à Bruxelles et à Berne en ce qui concerne la question de l’Europe, on peut se rendre compte que la politique de l’accaparement de l’UE envers la Suisse s’est déplacée à un niveau «plus bas». Le Vorarlberg, le Bade-Wurtemberg, Milan (Lombardie) etc. prennent actuellement le rôle de Bruxelles. L’Etat fédéré autrichien de Vorarlberg et le Land allemand de Bade-Wurtemberg veulent déterminer la politique nucléaire de la Suisse, Milan veut bannir la Suisse de la prochaine exposition mondiale car le canton du Tessin ose représenter la libre-circulation comme problème pour la population tessinoise en relation avec les frontaliers de l’Italie. Les exigences de Stuttgart en ce qui concerne le stockage définitif de déchets nucléaires à Benken (canton de Zurich) et en ce qui concerne la politique de l’aéroport de Zurich-Kloten représentent également une attaque contre la souveraineté de la Suisse. Une attaque qui a pour but d’obliger finalement la Suisse à se plier aux exigences et de la rendre compatible avec l’UE.
La politique de l’aménagement du territoire, de l’environnement et des régions sont d’autres chevaux de Troie pour rattacher de plus en plus la Suisse à Bruxelles, et cela sans grands débats politiques mais insidieusement et sans bruit. Déjà aujourd’hui, la Suisse est devenue vulnérable suite à l’adhésion à différentes organisations internationales. Avec les accords bilatéraux I et II, les accords de Schengen et Dublin, l’OMC (Organisation mondiale du commerce), l’OMS (Organisation mondiale de la santé), le FMI (Fonds monétaire international) ainsi que le PPP (Partenariat pour la paix), nous nous sommes laissés intégrer dans un réseau transnational qui porte considérablement préjudice à la souveraineté de la Suisse. Nous avons créé des brèches qui invitent l’étranger à se mêler activement de notre politique.
Dans son discours du 14 décembre 1914 (cf. Horizons et débats no 16/17 du 26/4/11), Carl Spitteler met en garde contre les alliances à l’encontre de la neutralité: «Le jour où nous nous aviserions de conclure une alliance ou d’avoir des intrigues secrètes avec l’étranger, ce serait le commencement de la fin de la Suisse.»
Une prophétie qui nous a peut-être déjà rattrapés comme le montre notre présent.

Des conférences transfrontalières comme soutien occulte pour la compatibilité avec l’UE

Il n’y a certainement aucun canton frontalier en Suisse qui ne soit pas lié avec un Etat fédéré (Autriche), un Land (Allemagne) un département (France) ou une province (Italie) dans une commission gouvernementale transfrontalière. Il existe par exemple la Commission consultative qui mène le canton de Genève avec la Haute-Savoie à la table de négociations. Le Valais négocie entre autre dans le Groupe de travail de Sempione et le «Conseil Val d’Aoste et Valais» avec les régions voisines. A mentionner encore le Comité régional franco-genevois, la Conférence du Mont-Blanc (France, Italie, Suisse), la Conférence allemande, française et suisse du Rhin supérieur, le «Rat der Regio TriRhena» ou la Conférence internationale du Lac de Constance (la liste est incomplète).
Il n’y a rien à dire contre le fait que les voisins se parlent. Mais ces discussions ont généralement des conséquences qui vont bien plus loin que de s’écouter mutuellement. Précisément de nos jours, dans un entourage politique modifié, des contacts transfrontaliers influencent l’agenda de la politique courante mais aussi des futures stratégies politiques des gouvernements concernés des deux côtés des frontières.
Depuis lors, à partir des conventions libres, en sont issus des plates-formes institutionnalisées de communication, de planification et certainement aussi de décision qui vont à l’encontre, au moins en Suisse, de l’entendement politique en matière de démocratie directe et qui doivent pour cette raison être sérieusement mises en question.
Ce qui est très impressionnant, c’est l’histoire du développement de la Région métropolitaine trinationale du Rhin supérieur (RMT). En 1975, le Bonner Abkommen (accord de Bonn) a été conclu sur «la formation d’une commission pour l’examen et la solution de questions de voisinage» et ensuite, en l’an 2000, la Basler Vereinbarung (accord de Bâle) sur «la coopération transfrontalière dans le Rhin supérieur» a été signé. Fondé sur un partenariat de longue date, un document de stratégie d’aspect assez définitif a été scellé en 2010 sous la forme de la Déclaration d’Offenbourg.
Cette déclaration a été signée le 9 décembre 2010 par: Werner Hoyer, ministre d’Etat du ministère des Affaires étrangères (Allemagne), Philippe Richert, ministre pour les collectivités territoriales auprès du ministre de l’Intérieur, des Territoires outremer et de l’Immigration (France) et Peter Maurer, Secrétaire d’Etat du Département fédéral pour les Affaires étrangères (Suisse). La politique régionale a manifestement été enlevée des mains de politiciens régionaux et transmise à un niveau supérieur ce qui valorise la politique régionale de façon décisive au goût de l’Union européenne.
La Déclaration d’Offenbourg découvre sans le cacher de quoi il s’agira à l’avenir dans le Rhin supérieur: «Ces dix dernières années, la coopération transfrontalière a donné des impulsions importantes au niveau local et a bénéficié du soutien financier de l’Union européenne. Les Eurodistricts Pamina, Strasbourg-Ortenau, Région Fribourg/Alsace moyenne et sud ainsi que l’Eurodistrict trinational de Bâle rendent la coopération directement concevable pour les citoyennes et les citoyens et éveillent le souhait de former ensemble leur avenir. La mondialisation […] exige un développement de la coopération transfrontalière, […] L’espace du Rhin supérieur doit […] se positionner comme site d’excellence dans la concurrence européenne et internationale et maintenir son rôle comme région pionnière de la coopération transfrontalière en Europe.
[…] La politique, l’économie, les sciences et la société civile devraient coopérer étroitement. Cela correspond aux recommandations au niveau européen telles qu’elles ont été adoptées dans ‹l’Agenda territorial›, de l’Union européenne voté en mai 2007. […] Avec cette nouvelle forme de coopération, la région crée un réseau transfrontalier politique, économique, scientifique et avec la société civile, ce qui […] doit procurer de nouvelles impulsions à la région et une dynamique ajoutée.»

La politique régionale de l’UE ignore sciemment les frontières existantes des Etats

La RMT est le produit de la politique régionale de l’UE. Celle-ci devrait contribuer à égaliser les différences économiques, sociales et territoriales considérables et sécuriser quelques piliers menacés de l’UE, à savoir le marché intérieur considérable et l’euro comme monnaie commune. La RMT a un caractère de modèle. Elle est sensée se développer au niveau national, européen et international comme «Région d’excellence» et devra d’ici 2020 incarner l’espace économique transfrontalier le plus dynamique d’Europe.
La stratégie des Régions métropolitaines trinationales poursuit le but de rendre visible un centre de forces européennes et de les consolider. Les effets des frontières doivent être déconstruits pas à pas pour construire une cohésion territoriale et sociale dans le Rhin supérieur. Ainsi le Rhin supérieur, avec ses quelque six millions d’habitants, devra devenir une région modèle, un champ d’essai de l’intégration européenne.
La construction d’une «gouvernance à plusieurs niveaux» performante fait partie d’une stratégie qui poursuit de nouvelles formes de coopération à différents niveaux et exige l’introduction de mécanismes de direction et de contrôle correspondants. On parle aussi d’un «laboratoire expérimental du Rhin supérieur». La région métropolitaine trinationale a pour but le développement du Rhin supérieur en un «laboratoire d’innovation» qui assurera la réalisation des stratégies de Lisbonne et de Göteborg dans la pratique ainsi que de l’agenda territorial de l’Union européenne.
(Sources: www.metropolregion-oberrhein.org et www.regionmetropolitainetrinationale-rhinsuperieur.eu)

«Interreg» – une construction pour diviser les Etats-nations

Interreg est une initiative commune de la Commission européenne, lancée au début des années 1990. Dans le cadre de l’Interreg, des projets transrégionaux ou transfrontaliers sont soutenus qui favorisent le dialogue entre les régions dans l’Union européenne et leurs pays voisins et rapproche la population de ces régions.
Entre 1990 et 2006 (Interreg I: 1990–1993, Interreg II: 1994–1999, Interreg III: 2000–2006) 160 programmes en tout ont été réalisés par l’UE. 13000 projets ont été soutenus dans le seul cadre d’Interreg III.
En 2007, l’UE a commencé avec Interreg IV la quatrième période de ce programme. Elle devra durer jusqu’en 2013. Pour la première fois, la Suisse est aussi comprise dans ce programme. Dans le cadre de la Nouvelle politique régionale (NPR) des projets correspondants sont réalisés en Suisse.
Interreg IV sert expressément l’objectif de continuer la politique de cohésion de l’UE sous le titre de «Coopération territoriale européenne» (CTE). La Confédération (Suisse) met à disposition 40 millions de francs pour la réalisation de ce programme dans le cadre de la NPR. Interreg a le statut d’une marque qui, à cause de son haut degré de notoriété, est aussi utilisée en Suisse. Avec Interreg IV, l’Union européenne poursuit explicitement le but de renforcer la cohésion économique et sociale dans l’UE et ses pays voisins. Des projets qui encouragent la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale sont soutenus. Interreg IV comprend trois domaines de promotion. Toutes les régions européennes peuvent y participer, indépendamment de leur situation par rapport à la frontière ou à l’intérieur du pays. Le programme poursuit trois domaines auxquels la Suisse participe également.
1.    Coopération transfrontalière entre les régions appartenant à des pays différents mais ayant une frontière commune. Pour notre pays, les cantons en question sont: AG, AI, AR, BE, BS, BL, FR, GE, GL, GR, JU, NE, SG, SH, SO, TG, TI, VD, VS, ZH (donc 20 sur 26).
2.    Coopération transnationale entre les régions voisines à l’intérieur de grandes régions liées entre elles. Cela peut concerner toute la Suisse (espaces métropolitains).
3.    Coopération interrégionale entre des régions non-voisines (peut également concerner toute la Suisse).

A l’exemple de l’Interreg «Alpenrhein-Bodensee-Hochrhein», la réalisation de cette promotion de la «Coopération territoriale européenne» peut très bien être exécutée. Cette région comprend à part les pays de l’UE, l’Allemagne et l’Autriche, aussi la Suisse et le Liechtenstein.
Ce qui est intéressant, c’est comment les espaces régionaux jadis indépendants du Rhin supérieur et du Lac de Constance se retrouvent soudain inclus dans un territoire unifié.
Pour la région de promotion «Alpenrhein-Bodensee-Hochrhein», il existe un programme adapté à la région. Dans ce programme sont fixées les conditions-cadre structurelles et socioéconomiques et les stratégies de réalisation de cette région. Cette réalisation de programmes est réglée et les points forts et les champs d’action pour la période de promotion sont fixés.
En vue des défis actuels exogènes et endogènes, ainsi que des objectifs primordiaux de l’Union européenne, on poursuit deux axes essentiels dans la région «Alpenrhein-Bodensee-Hochrhein».
D’un côté il s’agit de maintenir la faculté de compétition de la région et des entreprises qui y sont situées, de l’autre côté de la promotion à long terme de la région comme site attractif pour l’habitat et le travail. Cela signifie que dans le cadre de ce programme Interreg on intervient dans la politique d’économie, de formation, de santé et de planification des Etats-nations souverains. Pas moins explosif se présente le rajout à la stratégie du programme. A travers «objectifs moyens horizontaux», le développement durable (politique de l’environnement et avec cela certainement aussi la politique de l’énergie), égalité des chances des sexes et la non-discrimination devront être créés, et aussi contrôlés.
IBK – Conférence internationale du Lac de Constance – sans frontière/créatif/en réseau –, voilà ce qu’on peut lire sur le site de l’IBK. On ne pourrait pas formuler plus clairement l’emprise sur les Etats-nations.

Dans la politique européenne il se passe des choses en Suisse

L’aménagement du territoire indigène, la nouvelle politique régionale et avec cela aussi la pression renforcée sur les communes pour fusionner, voici les conséquences directes de la politique régionale européenne. La Suisse se laisse entraîner dans le cadre des programmes Interreg dans un processus qui affaiblit la cohésion de notre pays. Pour l’Etat-nation de la Suisse la question décisive se pose: Est-ce que nous voulons promouvoir la cohésion dans notre pays ou bien voulons-nous nous mettre au service de l’UE en nous laissant entraîner dans la «Coopération territoriale européenne»?
Ce ne sont plus des sons bruyants, mais des petits pas insidieux et concrets qui exposent de plus en plus notre pays à l’influence de l’UE.
Y appartient aussi la réaction de la Suisse aux conclusions du Conseil de l’UE en ce qui concerne les relations avec la Suisse. L’UE a critiqué la Suisse à cause de son interprétation non homogène et son application cohérente des accords bilatéraux. Des dissensions existent aussi en relation avec l’accord bilatéral planifié sur les impôts, la contribution de la Suisse au Fonds de cohésion de l’UE (élargissement vers l’Est) et des mesures d’accompagnement de la Suisse en ce qui concerne la libre-circulation des personnes.
A cette critique, la Suisse a réagi quand le Conseil fédéral a engagé le 18 août 2010 un groupe de travail informel CH-UE qui discutera avec la Commission de l’UE d’un règlement institutionnel horizontal si possible pour de futurs accords CH-UE. Il s’agit là d’une adaptation des plus dynamiques des accords aux développements du droit, une application cohérente et une interprétation homogène des accords futurs et un arbitrage efficient. (Source: Bureau d’intégration DEFI/EVD)
C’est sans bruit que les pas vers l’intégration de la Suisse dans L’UE doivent être accomplis. Mais tout cela restera silencieux uniquement aussi longtemps que les citoyennes et citoyens suisses se tairont. Cependant tout un chacun peut participer et combattre ces manigances – et exiger tout haut le dialogue sur l’avenir de la Suisse. Nous disposons encore des instruments de la démocratie directe et nous pouvons arrêter des développements destructifs. Déjà la seule politique régionale de L’UE prouve que l’Union européenne se développe en un monolithe centralisé et surdimensionné. Si l’on y ajoute encore les stratégies de pouvoir dans la politique européenne, alors nous comprenons la menace sérieuse que représentent Bruxelles et ses institutions pour l’agissement libre et responsable des Etats souverains. C’est un devoir de citoyen de lutter contre toute tutelle, surtout aussi si cette tutelle a ses origines à l’étranger.    •
(Traduction Horizons et débats)