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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°50, 15 décembre 2008  >  Qui construit des ponts, aide les hommes [Imprimer]

Qui construit des ponts, aide les hommes

Le 23 novembre, à 10 heures, deux personnalités impressionnantes étaient présentes dans l’émission «Persönlich» de la radio suisse alémanique DRS 1. Cet entretien fort intéressant, modéré par Esther Schneider, a donné un aperçu de la philosophie du médecin sexagénaire Martin Vosseler, qui s’engage pour les énergies renouvelables, ainsi que des activités de Toni Rüttimann, un constructeur de ponts.
Les deux hommes ont en commun qu’ils s’engagent pour leur cause du fond du cœur. On est très vite frappé par l’intérêt mutuel qu’ils développent l’un pour l’autre.
Toni Rüttimann habite là où habitent les plus pauvres, et, au cours de sa vie, il a construit environ 400 ponts. Le tout a commencé par un séisme en Equateur. Le jeune homme de 19 ans, qui avait grandi en Engadine, venait de terminer son baccalauréat et il désirait faire quelque chose d’utile. Ainsi il se rendit en Equateur pour y aider des semblables. Il constata que des populations entières vivaient sans ponts. Ainsi il se décida, sans connaissances précises, avec un peu d’argent de sa patrie, à construire des ponts pour faciliter la vie des gens. Parfois des gens meurent parce que le chemin vers l’Hôpital est trop fatigant et qu’aucun pont ne permet d’atteindre l’autre rive. Au début, un ingénieur local l’aida. Ils utilisèrent les matériaux qui étaient à leur disposition sur place. La population y collabora, jusqu’aujourd’hui. Partout, les gens écoutent, et ils coopèrent volontiers. Souvent, ils reçurent des cadeaux pour la construction des ponts: des câbles, des tuyaux. Des enfants en Suisse jouent de la flûte et récoltent de l’argent pour acheter ce dont on a besoin en plus. Ainsi naissent de petits ponts suspendus qu’on peut traverser à pied, de véritables ponts qui relient les individus.
Martin Vosseler est impressionné par ces ponts jetés entre les hommes par «Toni, el Suizo», comme on l’appelle. Lui aussi, le médecin universitaire, mène aujourd’hui une vie simple. Chargé de peu de bagages, il a fait à pied le trajet de Los Angeles à Boston. «En marchant, on fait aussi des rencontres», explique-t-il. Il est certain que les problèmes face auxquels nous nous trouvons pour sauvegarder la nature et la planète, doivent être résolus en commun, et qu’il faut surmonter des abysses et former des réseaux pour arriver à réaliser quelque chose.
Martin Vosseler a-t-il atteint quelque chose par ses marches? «Aux Etats-Unis, si quelqu’un est en route tout seul, cela étonne les gens» déclare-t-il. Beaucoup de gens lui demandent s’il désire monter dans leur voiture, pourquoi il est en route, s’ils peuvent l’aider d’une manière ou d’une autre. Et il a l’occasion de leur expliquer qu’il s’agit de faire quelque chose par ses propres forces, sans gaspiller ses énergies. Une vendeuse lui a dit qu’après avoir lu un article de journal sur ses exploits elle eut pour la première fois dans sa vie l’idée d’aller à pied à son travail qui se trouve tout proche de son domicile.
Toni Rüttimann sait qu’il faut vivre ses convictions. Il est toujours en route, toujours en dialogue avec les gens. S’ils comprennent qu’il n’a pas de but caché, qu’il n’est pas là pour une organisation ou chargé par un gouvernement, mais uniquement pour aider la population, alors tous collaborent, même les généraux de Birmanie dont on dit qu’ils sont très durs. Tout le monde l’avait averti en disant que, dans ce pays-là, il n’aurait jamais accès. Mais «Toni le Suisse», est persuadé que si une chose vous importe vraiment, il suffit de faire sept démarches au maximum pour trouver la personne qu’il faut. La condition, c’est de ne pas diviser les hommes en bons et mauvais, mais il faut être prêt à entrer en contact avec tout le monde.
Ainsi, lui aussi, il a réussi à construire le premier pont international entre le Honduras et Le Salvador, deux pays qui ont été en guerre pendant plusieurs années. Bien sûr qu’il y a eu des résistances. Les uns disaient: faire chose commune avec ceux qui avaient tué une partie de leur famille, jamais! Les autres n’ont pas abandonné l’espoir de ne plus devoir entreprendre un voyage de huit heures pour transporter leur enfant à l’hôpital. Ainsi Toni traversa plusieurs fois la rivière à la nage pour négocier avec les deux parties. Aujourd’hui, ce pont long de 140 mètres est construit avec la bénédiction des deux gouvernements.
Toni Rüttimann a étudié un semestre à l’Ecole polytechnique universitaire de Zurich, puis il a cessé ces études pour ne pas s’habituer à une vie confortable. Ce qui lui importe, c’est d’agir. Il déclare: «Nous pouvons parler longtemps, mais ce qui importe, c’est d’agir». Il accompagnerait la construction de ponts même si sa maladie, qui l’avait passagèrement paralysé, n’avait pas été guérie. Il n’a jamais perdu courage.
Martin Vosseler n’a pris le chemin de la vie simple que depuis quelques années. Il a abandonné sa carrière militaire, sa vie bourgeoise en tant que médecin. Il a quitté la politique des partis, parce qu’il s’est rendu compte qu’il ne s’agissait pas d’un travail dédié à une vraie cause. Aujourd’hui, ce sont les jeunes qui l’enthousiasment, ceux qui font bouger quelque chose, par exemple ce paysan d’Elm (un village dans les montagnes de la Suisse centrale) qui veut vivre sans machines et qui est parti en train en Sibérie pour voir comment ils y travaillent la terre. Ou cet Américain qui tente d’abaisser la consommation d’essence de sa Toyota Prius en dessous de 1,5 litres par 100 kilomètres.
Il met tout en oeuvre pour que le monde reste habitable. Il est d’accord avec son interlocuteur Toni que cela demande un énorme travail, et beaucoup de coopération. Il faut aussi beaucoup d’enthousiasme pour continuer, pour préserver ses convictions.
En réponse à la question concernant sa motivation, Martin Vosseler nomme le chant. Il a toujours trouvé de la force dans le chant, souvent aussi avec son ami Bruno Manser. Les poèmes sont tout aussi importants pour lui. A l’âge de 15 ans, il a découvert que les per­sonnes qu’il avait pris pour modèle, tels Bonhoefer, Gandhi, Mandela, avaient tous fait de la prison au cours de leur vie. Eux tous, s’en tenaient aux poèmes pour supporter leur situation. Personne ne peut vous prendre les poèmes qu’on a en mémoire, ni les pensées à ses amis. Ce sont aussi là des énergies renouvelables.
Cette émission du dimanche matin a donné aux auditeurs une impression de la force qui peut venir à un individu qui avance de manière inébranlable sur son chemin humain, tout en s’associant à d’autres humains. Laissons-nous donner courage par ce qu’exprime Toni Rüttimann: Se concentrer sur les choses essentielles, car la vie est courte; et en tirer les conséquences: les actions actuelles, pour lui c’est l’amour en action.

Rita Brügger