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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°13/14, 11 avril 2011  >  «L’homme est la mesure de toutes choses» [Imprimer]

«L’homme est la mesure de toutes choses»

Le principe de pouvoir est étranger à l’esprit coopératif

par Helmut Faust

ts. La Suisse humanitaire telle qu’elle est présentée dans les pages précédentes part de l’homme, le place au centre de tous ses efforts et refuse d’en faire un moyen pour atteindre un but. Cet esprit, que notre pays met en œuvre également à l’étranger, est lié directement à l’histoire du pays et à sa création issue du principe coopératif. Celui-ci repose sur la dignité de l’homme et sur la collaboration dans un esprit éthique. A notre époque ébranlée par les guerres, il vaut la peine de jeter un coup d’œil sur les fondements de cet esprit. Les lignes qui suivent, qui n’ont rien perdu de leur actualité, sont tirées de l’ouvrage fondamental d’Helmut Faust.

«Il existe des valeurs éthiques qui donnent de l’élévation à la vie en société et sub­liment les relations entre les hommes: les bonnes mœurs, la justice, l’honnêteté, l’accomplissement du devoir, la fiabilité, la fidélité, la reconnaissance, l’humilité, l’esprit de sacrifice, la tolérance, la compassion, le respect d’autrui, sans oublier la solidarité. Ces valeurs ne sont pas le privilège des coopératives. Elles devraient dicter l’action dans le reste de l’économie. Mais elles sont très souvent appliquées uniquement par respect pour ‹les autres›, parce que l’on pourrait subir soi-même un préjudice. Ce qui importe, ce sont les mobiles qui donnent aux valeurs éthiques leur importance dans les comportements économiques. Ce n’est que lorsqu’elles n’ont pas une origine égoïste, calculatrice et économique mais qu’elles naissent d’un sentiment authentiquement moral, autrement dit lorsqu’elles sont reconnues et appliquées pour elles-mêmes, qu’elles sont l’expression d’un esprit économique particulièrement élevé. Depuis toujours, les responsables et les élites des coopératives sont appelés à insuffler cet esprit à leurs membres et à donner à ces associations leur style économique propre. Ces fondateurs et responsables des coopératives ont aujourd’hui encore la haute mais lourde mission d’influencer moralement l’activité économique et celle des membres de manière cohérente et dans le sens d’une éthique purement économique et sociale. Il est donc évident qu’en matière de postulats éthiques, il faut s’en tenir constamment à ce qui est accessible. Mais, pour ne prendre qu’un exemple, l’atteinte au principe d’égalité des droits par l’exercice du pouvoir de quelques-uns est incompatible avec l’esprit coopératif.
De tous les théoriciens de la coopérative, c’est Karl Munding qui a exprimé cette idée avec le plus de netteté: ‹Il faut bannir du monde coopératif ceux qui recherchent le pouvoir. Ils représentent l’écueil contre lequel vient s’échouer la nef de l’amour et de la confiance réciproque. Le principe de pouvoir est étranger à l’esprit coopératif et partout où il se manifeste, il aboutit à la dépravation et à la dissolution. L’autorité coopérative prend sa source dans les profondeurs de la foi coopérative, dans le sens actif du devoir, dans le respect de soi et dans l’autonomie. Elle reste identique à elle-même dans toutes ses nu­ances.›
Il est évident qu’il faut appliquer les valeurs éthiques toujours valables dans les activités des coopératives, faire de celles-ci des organismes où l’on cultive l’esprit social et humaniste. Il s’agit de favoriser sciemment les relations humaines au sein de l’entreprise en moralisant les rapports de travail, comme le demandait Wilhelm Kalveram dans une perspective chrétienne: ‹Respecter l’homme en tant que collaborateur, comprendre les revendications dictées par un sens authentique de l’honneur et de la liberté, éviter le ton froid et cassant et une attitude dominatrice absolutiste.‹ Le lieu de travail doit être pour chaque collaborateur ‹une source de satisfaction, de maturation morale et de développement de la personnalité.›
Mais ce qu’on exige des responsables d’une coopérative va plus loin. Ils doivent appliquer l’éthique sociale coopérative également dans les relations de la coopérative avec les partenaires économiques qui ne font pas partie du système coopératif, dans la mesure où ce n’est pas contraire à la mission fondamentale de promotion des intérêts des membres. En effet, quand on est favorable à l’esprit coopératif, on ne saurait le diviser ou le limiter. Une éthique dualiste qui ne promeut la morale qu’envers les membres de la coopérative et s’autorise un arbitraire total envers les personnes extérieures ne correspond pas à l’esprit coopératif. Cela peut paraître curieux à certains pragmatiques qui cherchent à s’imposer dans la dure compétition actuelle, voire les inciter à s’y opposer, mais c’est une vérité qu’il faut admettre.

Redonner sa place à l’humain

L’homme est la mesure de toutes choses. S’il y a un endroit où cette valeur sociopolitique est valable, c’est bien dans les coopératives.
En ces temps de réification, il faut presque être courageux pour écrire de telles phrases, mais elles ne sont pas faites pour l’instant présent mais pour le long terme. Elles doivent être valables pour toutes les époques. C’est pourquoi on ne devrait pas essayer de les taxer d’émotionalisme.
Aujourd’hui, lorsqu’on examine la réalité des coopératives, on ne peut s’empêcher de constater partout le déclin de l’esprit économique coopératif. Au vu de ce ‹processus de sécularisation›, certain théoriciens croient devoir se résigner à constater que l’idéologie coopérative a perdu de son efficacité à la suite de la modification du contexte socioéconomique. Selon eux, les relations entre les membres d’une part et entre les membres et la coopérative d’autre part sont devenues plus objectives, plus économiques. Ils constatent que les coopératives ‹passent par un processus de transformation qui fait des structures à l’origine fondamentalement sociales qu’elles étaient des organismes instrumentaux liés à des personnes› dans lesquels les tâches économiques prédominent.
Ces constatations et ces réflexions s’en tiennent à ce qui est alors que nous avons à l’esprit ce qui devrait être. A un pessimisme inspiré par notre époque, nous opposons l’espoir. C’est pourquoi nous pensons qu’il est de notre devoir de redire que la coopérative n’est pas un phénomène passager, changeant, mais éternel qui, dans sa structure intellectuelle, dans son essence, en tant qu’idée, s’est perpétué au fil du temps sans modifications. Le fait qu’aujourd’hui la plupart des coopératives aient plutôt des structures de sociétés que de communautés, comme le constate Weippert, est certainement fréquent et est dû notamment à ce que beaucoup de leurs responsables n’obéissent pas à des motivations spirituelles et morales. Draheim l’a écrit en termes très clairs: ‹L’incapacité à réaliser des prestations sociales provient souvent du fait que les directions manquent de personnes capables de combiner de manière optimale le rendement économique et les comportements sociaux.› La transformation des coopératives dans le sens d’une plus grande objectivation, d’une plus forte économisation, son éloignement par rapport à leur forme primitive ne signifient cependant pas qu’elles soient, de par leur origine et dans leur essence, une forme économique comme les autres. C’est le contraire qui est vrai: l’exercice de leur fonction économique ne satisfait pas les coopérateurs dans leur être. Ce qui reste, malgré les temps qui changent, le fondement de l’édifice coopératif, c’est le fait qu’ils soient persuadés d’être porteurs d’un esprit communautaire et de convictions qui les poussent à refuser d’accorder, dans le processus économique, la primauté à la recherche du profit et à l’intérêt personnel, à exiger une solidarité fondée sur l’éthique et à chercher à redonner sa place à l’humain,

Renaissance de l’esprit coopératif traditionnel

Seule une telle vision des choses est de nature à sortir l’homme actuel de son aliénation dans le monde technicisé et à lui rendre son humanité, à mettre un terme à la dépersonnalisation de sa vie. Mais cet esprit, qu’il faut opposer aux conceptions économiques déliquescentes de notre époque, a besoin d’être constamment encouragé, d’autant plus que le système coopératif dépend du principe de bénévolat. Or il existe une abondance de moyens d’influencer les coopérateurs, en particulier pour tenter de resserrer leurs liens avec la communauté. Il s’agit notamment, répétons-le, de chercher et d’utiliser les forces intégratrices inhérentes à la coopérative. Les responsables ont une mission importante: réunir à nouveau les membres à un niveau spirituel supérieur pour former une ligue unificatrice. Les liens spirituels qui unissent tous les membres d’une coopérative doivent être les hautes valeurs éthiques, sociales et spirituelles communes.
Il est possible de soutenir ces efforts avant tout en intensifiant le travail de formation dont les coopératives reconnaissent la valeur depuis qu’elles existent et qui est devenu une condition du succès des activités coopéra­tives. Mais à ce propos, il faut mentionner la sauvegarde du patrimoine spirituel historique. L’éveil de la conscience historique peut à lui seul conférer aux coopérateurs l’attitude spirituelle qui satisfait à l’intention morale de la coopérative parce qu’elle peut constamment se nourrir de ce que nous appelons la tradition. Si on la conçoit comme un devoir, la tradition représente une force considé­rable. Il est faux de la considérer comme une ennemie du progrès. La tradition et le progrès peuvent très bien aller de pair. L’objectif de ce livre devrait être de conserver les témoignages d’un héritage historique mémorable et de contribuer à entretenir la conscience historique de l’esprit coopératif.
Je suis persuadé que l’on pourrait animer, activer et dynamiser les coopératives si l’on réussissait à réanimer l’idée forte dont étaient pénétrés dès le début les partisans du mouvement, idée selon laquelle ce n’est pas seulement la solidarité des intérêts économiques qui réunit les coopérateurs mais également la solidarité des intérêts humains qui fait d’eux des membres d’une communauté. Si, en outre, on fait comprendre aux coopérateurs qu’une communauté spirituelle supérieure constitue non seulement la forme de coexistence la plus noble mais qu’elle peut influencer l’activité économique en l’imprégnant d’une authentique solidarité, ils ne jetteront pas par-dessus bord l’idéologie traditionnelle, autrement dit la pensée traditionnelle ou les anciens idéaux. Ils essayeront plutôt de se les réapproprier et, là où c’est judicieux, de les opposer, sous une forme adaptée, à l’économie et à la société de notre temps. Ce faisant, ils ne pourront pas s’empêcher de se souvenir de l’exemple donné par ces hommes qui croyaient profondément au progrès et qui ont œuvré en faveur de la grande idée coopérative. Alors, l’étincelle que ces pionniers ont fait jaillir autrefois va développer un feu nouveau et la coopérative renaîtra de l’esprit qui animait ses pères fondateurs.»    •

Source: Helmut Faust, Geschichte der Genossen­schaftsbewegung, Frankfurt a. M., 1977, pp. 701–704
(Traduction Horizons et débats)