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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2016  >  No 14, 27 juin 2016  >  Pour des relations raisonnables entre l’ OTAN et la Russie [Imprimer]

Pour des relations raisonnables entre l’ OTAN et la Russie

par Dario Rivolta*

Il y a quelque temps, je discutais avec un ami travaillant pour une certaine entreprise – nécessairement non transparente – à propos d’un politicien dont je savais qu’il était quelqu’un de vraiment très bien. «Si des services secrets voulait piéger quelqu’un – me dit-il – il n’est pas nécessaire que cette personne ait commis des actes répréhensibles. Les témoignages à charge s’achètent et se manipulent et les preuves, on peut les fabriquer.»

Mensonges décisifs pour lancer des guerres

Il m’est alors revenu à l’esprit les «preuves» théâtralement exhibées par le Secrétaire d’Etat américain de l’époque, Colin Powell, démontrant que Saddam Hussein était en possession d’armes de destruction massive et qu’il s’apprêtait à les utiliser. Plusieurs mois après la chute du dictateur, on découvrit que ces affirmations n’étaient que des sornettes artificiellement créées mais qu’entretemps, sur la base de ces «preuves», les opinions publiques occidentales, épouvantées, avaient appuyé la décision d’entrer en guerre de leurs gouvernements. Quelque chose de semblable s’était déjà produit à l’occasion de la guerre contre la Serbie. Les journaux américains et européens étaient remplis de photographies aériennes montrant de soi-disant fosses communes où les Serbes auraient enterré en vrac des centaines de pauvres Kosovars sans défense. Dans ce cas également, tout cela s’est révélé être un canular, mais seulement à la fin du conflit. Les médecins légistes de diverses nationalités, envoyés sur place pour recueillir les preuves des crimes commis, ont dû écrire dans leurs rapports que presque toutes les «fosses» n’étaient en réalité que de la terre remuée et qu’aucun cadavre n’y avait été enterré: seules quelques-unes d’entre elles ont restitué des corps. Ils ont ajouté qu’il était impossible d’établir s’il s’agissait vraiment de Kosovars ou de Serbes et que, très probablement, leur mort pouvait être fixée à la période suivant le début des bombardements.

«Un facteur important de la politique internationale est la propagande mensongère»

Que cela plaise ou non, un facteur important de la politique internationale est la propagande mensongère et plus celle-ci est sournoise, plus elle devient efficace. Un moyen essentiel si l’on veut mobiliser l’opinion publique en sa propre faveur et agir contre les intérêts d’un possible ennemi est de le dépeindre sous un aspect agressif, méchant, corrompu, dangereux, et j’en passe et des meilleures. Cette propagande, utilisée à toutes les époques, mais dont les effets sont aujourd’hui multipliés par les medias de masse, sert souvent à dissimuler les intérêts propres de celui qui l’emploie et à convaincre les pays «amis» qu’en réalité, ce sont leurs intérêts à eux qui sont en danger.

Diabolisation de la Russie

Quand je lis dans la presse ou que j’entends un politicien parler de la menace que représente la Russie d’aujourd’hui pour l’Europe, je suis saisi d’un doute, celui de me trouver face à un cas semblable. Poutine se prépare-t-il à envahir les Etats de l’ex-Pacte de Varsovie? L’agression contre l’Ukraine et l’«occupation» de la Crimée sont-elles véritablement un banc d’essai? Avons-nous à faire à un dictateur sans scrupules assoiffé de pouvoir? L’OTAN (y compris Erdogan) est-elle le dernier rempart de la démocratie à pouvoir protéger le «monde libre»?

L’OTAN et la Russie renforcent les manœuvres militaires

Tant l’OTAN que la Russie renforcent les manœuvres militaires à leurs frontières respectives. Cette situation augmente de façon préoccupante les occasions de «rencontres rapprochées» engendrant ainsi le risque que celles-ci échappent à leur contrôle. Toutefois, on ne sait pas clairement, si ce sont l’expansion de l’OTAN et ses manœuvres qui entrainent une riposte russe ou vice-versa, si ce sont les «provocations» de Moscou, qui imposent une réaction de l’OTAN, c’est-à-dire d’«encercler» la Russie de façon préventive.

De nouvelles bases de l’OTAN en Roumanie et en Pologne

Le 12 mai dernier, à Deveselu en Roumanie, on a inauguré une nouvelle base balistique américaine dont l’objectif déclaré est de défendre l’Europe contre de possibles attaques de missiles balistiques iraniens. Le jour suivant, ont débuté les travaux de construction d’une base semblable en Pologne, qui sera opérationnelle d’ici la fin de l’année 2018. Il est dommage que – aux dires des experts occidentaux – les missiles en possession de Téhéran n’aient pas une capacité supérieure à deux mille kilomètres, ce qui veut dire que même s’ils le voulaient, ils ne réussiraient pas à atteindre le moindre pays européen. Et tant qu’on y est, il faut noter également que les postes de commande de «nos» missiles polonais ne sont pas situées dans les bases de l’OTAN mais à Ramstein, une base aérienne purement américaine en Allemagne. Entretemps, on annonce l’envoi en Allemagne de cinq mille tonnes de munitions transportées dans 415 containers et de dizaines de chars destinés aux exercices militaires en Géorgie et dans la neutre Moldavie. Comme si cela ne suffisait pas, le secrétaire à la Défense des Etats-Unis Ashton Carter veut délocaliser quatre nouveaux bataillons en Europe orientale et le 7 juin se tiendront en Pologne des exercices auxquels participeront 25?000 soldats de diverses origines. Faut-il vraiment s’étonner que Moscou se sente assiégée et qu’elle menace de recourir à des représailles?

Tentatives de dissuasion

Le nouveau commandant des forces armées de l’Alliance atlantique, un certain général Curtis Scaparotti (nom italien mais de nationalité américaine) affirme que notre ennemi est «une Russie résurgente qui s’efforce de se repositionner en tant que puissance mondiale».
Même Obama a déclaré que «nous maintenons un dialogue ouvert et cherchons à collaborer avec la Russie mais nous voulons aussi être sûrs d’être préparés et forts, et nous voulons encourager (sic) la Russie à maintenir ses activités militaires en accord avec les engagements internationaux». Mais les Etats-Unis n’ont-ils pas eux-mêmes révoqué unilatéralement le Traité sur les missiles antibalistiques signé depuis 1987? Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, ajoute que devant la menace russe nous serions «prêts à combattre même ce soir, si la dissuasion n’y suffisait pas …» Malheureusement, Moscou met en œuvre sa propre «dissuasion» et riposte sur le même ton, avec des manœuvres tout près des frontières et la délocalisation de nouveaux missiles dans l’enclave de Kaliningrad.
Certes, nous espérons tous qu’il ne s’agit que de dissuasion quand on envoie des bâtiments de guerre américains en «croisière» dans la mer Baltique et qu’on se plaint que des avions russes passent «dangereusement près». De fait, de dissuasion en dissuasion, nous nous trouvons face à une escalade d’armements et de provocations réciproques, dont nous avions pensé qu’elles appartenaient au passé.
S’il ne s’agit cependant que de simples «avertissements», jusqu’à quand cela va-t-il continuer ainsi? Sommes-nous vraiment certains que dans tout ce déploiement de forces et d’accusations réciproques, il ne puisse se produire un incident dont chacun s’empressera de rejeter la faute sur l’autre? Et avec quelles conséquences?

«Moscou représente-t-elle aujourd’hui réellement un danger pour la sécurité européenne?»

Je ne suis pas, et je n’ai jamais été, un pacifiste à tout prix. Je sais, en tout cas, que pour justifier une guerre ou seulement une simple hostilité entre Etats, il faut des motifs valides et compréhensibles. A part la propagande, plus ou moins stipendiée, répandue à pleines mains par les deux fronts, quel est le véritable motif du litige? La Russie renaît-elle de ses cendres? Souhaite-t-elle encore se positionner en tant que puissance mondiale? Et alors? Quel pays ne voudrait «ressurgir» de l’abysse économique et politique dans lequel il s’est trouvé? Et les dimensions de ce pays-continent, pourvu d’une abondance de matières premières qui nous sont très utiles, ne l’autorisent-elles pas à demander, et obtenir, un rôle sur la scène mondiale? Moscou représente-t-elle aujourd’hui, réellement un danger pour la sécurité européenne?

L’extension de l’OTAN n’est pas un acte amical

Soyons sérieux! Si les Russes désiraient réellement se réapproprier les Etats de l’ex-Pacte de Varsovie, ils ne pourraient pas se le permettre. La crise économique intérieure, le retard dans les infrastructures et, globalement, dans les armements ne leur permettraient aucune guerre offensive contre l’OTAN ou n’importe lequel de ses membres. Par contre, la Russie pourrait très bien affronter une guerre défensive: son territoire est tellement vaste et sa population, tellement patriote, que toutes les tentatives pour la soumettre dans les deux siècles passés ont échoué. Mis à part l’Oural et le Caucase, la Russie est une immense plaine sans frontières naturelles. Tant Napoléon qu’Hitler se sont perdus dans ces territoires en un clin d’œil et il est compréhensible qu’ils prétendent que les pays frontaliers ne constituent pas une menace pour leur propre sécurité. Evidemment, l’OTAN étant une organisation militaire dont la Russie ne fait pas partie, l’extension de l’Alliance dans les pays limitrophes de la Russie ne peut guère être interprétée par Moscou comme un acte amical.

Du caractère et du bon sens sont de rigueur

Aujourd’hui, pas plus que de songer à d’improbables expansions, les Russes préfèrent clairement se focaliser sur leur développement intérieur, peut-être aussi grâce à notre «savoir-faire» et à notre coopération, plutôt que d’assumer les coûts et la responsabilité de gérer des pays rebelles et dans ce cas, sûrement hostiles. Leur ministre des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, a récemment déclaré: «Je répète que nous ne cherchons l’affrontement ni avec les Etats-Unis, ni avec l’Union européenne, ni avec l’OTAN. Au contraire, la Russie est ouverte à la plus large coopération possible avec les partenaires occidentaux. Nous continuons à croire que le meilleur moyen pour garantir les intérêts des peuples vivant sur le continent européen serait la formation d’un espace économique et humanitaire commun qui s’étende de l’Atlantique au Pacifique, de façon à ce que l’Union économique eurasiatique nouvellement créée puisse jouer le rôle de passerelle d’intégration entre l’Europe et la Région asiatico-pacifique.»
Ment-il? Ce serait absurde parce que ce qu’il dit correspond exactement et de façon très rationnelle à l’intérêt de son pays.
Au lieu d’écouter ceux qui continuent à cultiver un présumé danger russe, je crois plutôt aux paroles d’Henry Kissinger, le dernier grand expert de politique internationale ayant dirigé la politique étrangère américaine depuis la Seconde Guerre mondiale: «La Russie devrait être vue comme un élément-clé pour tout équilibre mondial, plutôt que comme une menace pour les Etats-Unis.» Si cela est dit par celui qui a rétabli les relations diplomatiques avec la Chine populaire justement pour contrer l’Union soviétique pendant la guerre froide, on ne peut certainement pas le suspecter, ni de naïveté, ni d’«entente avec l’ennemi».
Pour nous Européens, il serait temps de nous soustraire à l’influence néfaste d’un quelconque docteur Folamour et de considérer avec désenchantement et réalisme quels sont nos véritables intérêts. Y a-t-il à Bruxelles et peut-être à Washington quelqu’un qui ait encore un peu de caractère et de bon sens?    •
(Traduction de l’italien par Horizons et débats)

*    Dario Rivolta est chroniqueur pour les informations politiques internationales et conseiller en commerce extérieur. Il est spécialiste des sciences politiques, spécialisé dans le domaine de la psychologie sociale. De 2001 à 2008, il a été député au Parlement italien et vice-président de la Commission des Affaires étrangères. Il a représenté le Parlement italien au Conseil de l’Europe et à l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale. Puis, il était également responsable des relations internationales de son parti.