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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°3, 26 janvier 2009  >  Des jardins au sein de nos villes [Imprimer]

Des jardins au sein de nos villes

L’économie de subsistance peut contribuer à l’autosuffisance alimentaire et au dialogue interculturel

par Elisabeth Meyer-Renschhausen

Bien que depuis l’année dernière, pour la première fois, plus de 50% des êtres humains vivent dans les villes, nous sommes confrontés à une évolution quelque peu paradoxe car elle témoigne en même temps d’un développement contraire. Puisque les pays riches ne veulent pas accorder aux habitants des pays du Sud les mêmes salaires et les mêmes conditions de vie qu’ils se permettent à eux-mêmes, le progrès se retourne aujourd’hui d’une certaine manière contre eux: Nos emplois sont décentralisés dans le cadre de la mondialisation vers ce qu’on appelle les périphéries. En outre, la rationalisation et la nouvelle répartition du travail au niveau international font que de plus en plus d’individus sont sans emploi. Tandis que chez nous ce sont surtout les ouvriers et les agriculteurs qui perdent leur travail ou doivent l’abandonner, dans les pays du tiers-monde, ce sont plutôt les universitaires qui ne trouvent pas d’emploi. Mais là aussi les agriculteurs sont en détresse.

Les Länder de l’ancienne RDA sont particulièrement touchés par le chômage. Certes, le taux de chômage est largement plus élevé dans les autres pays en mutation tels que la Pologne, l’Ukraine ou la Roumanie. Une émigration massive et des logements abandonnés dans les villes en sont les conséquences. Bien qu’en Allemagne de l’Est, le nombre d’appartements vides ait pu être réduit grâce à leur démolition, dans beaucoup de villes 20% des appartements sont toujours vides.1 L’effet positif en est que les appartements ici restent abordables. Là où les démolitions ont eu lieu, des endroits en friche apparaissent en plein milieu des villes. Des prés vides. Comme dans certaines villes le long de la frontière est-allemande où il y a depuis les bombardements de 1945 de grandes surfaces en friche en plein milieu des villes.
Effectivement, on se trouve dans le monde entier devant le phénomène d’une réduction des villes. Les grandes villes des pays riches du Nord, de l’Occident, de l’Amérique du Nord et de l’Europe s’appauvrissent. Les villes perdent leurs habitants parce que ceux qui gagnent bien, préfèrent partir vers des endroits privilégiés où ils peuvent élever leurs enfants dans leur propre maison avec jardin à l’intérieur d’un espace vert. Les villes perdent leurs habitants à la suite de la désindustrialisation. Le taux de chômage n’est pas seulement élevé en Allemagne de l’Est, mais il est également en train de monter dans le bassin de la Ruhr. L’ancienne ville de l’automobile et la capitale de l’empire de Ford, Détroit abrite aujourd’hui presque uniquement des noirs démunis, des Afro-Américains. Philadelphia, ville la plus riche d’Amérique du Nord au moment de la déclaration de l’indépendance en 1776, est devenue aujourd’hui l’une des villes les plus pauvres des USA.
Dans son beau film à propos de l’attitude créative vis-à-vis de la dépopulation, Holger Lauinger déclare que c’est seulement en avouant ce nouveau vide sans vouloir embellir ce processus régressif que les lieux en friche ainsi nés et appelés «Nouveau monde» se développeront en une chance.2
On peut particulièrement bien le voir aux USA. La société d’Amérique du Nord est peut-être plus proche de la fin de son histoire qu’il n’y paraît de l’extérieur. Quand on traverse à pied ou à vélo les ghettos et les bidonsvilles à l’intérieur des villes, on voit dans une mesure stupéfiante le délabrement, la pauvreté et la misère, la laideur. Le désert dans ces quartiers ne se distingue en rien des quartiers semblables remplis de décharges dans beaucoup de villes du «Sud», du «tiers-monde». La pauvreté est pour bientôt un tiers de la population américaine une dure réalité. 10% de la population américaine souffrent de la faim selon les statistiques. Ni le gouvernement fédéral de Washington, ni les communes ne font aucun effort pour développer des concepts afin de combattre la détresse des démunis.
En même temps, cette crise permanente observée depuis les années 70 conduit cependant à des paradoxes étonnants. Depuis le début des années 70, on a fondé partout dans les villes des «Community Gardens», des jardins communautaires. Alors qu’il s’agissait au début d’une sorte de mouvement d’aide à l’autonomie contre la dégradation déprimante des terrains en ruines, il s’agit depuis 20 à 25 ans davantage de potagers au sein des villes. Depuis les années 90, on observe une deuxième vague de création de «Community Gardens»: au milieu de quartiers citadins en déshérence, de nouveaux  mouvements «verts» d’aide au voisinage et à l’autonomie naissent maintenant en grande quantité, des mouvements qui sont maintenant dominés par les marginaux et les exclus eux-mêmes. Les «Community Gardeners», les jardiniers communautaires ont peut-être autant de succès parce qu’ils repartent pour ainsi dire à zéro. Des aventuriers sociaux, ceux qui aimeraient être «artistes» et ceux qu’on appelle «activistes», des artistes et des activistes donc, cultivent avec des enfants issus des bidonvilles des légumes dans les champs en friche au sein des villes. Les adolescents sont en majorité des adolescents de couleur ou des enfants d’immigrés. Ils fondent en commun des marchés de légumes locaux pour la population pauvre qui est insuffisamment approvisionnée en produits frais.
A travers leur activité les Afro-Américains et les habitants des bidonvilles se découvrent soudain en tant que partie d’un mouvement écologiste mondial. Cela les rend extrêmement fiers de pouvoir contribuer à leur manière à la préservation du seul monde. Grâce à cette forme de «jardinage communautaire» («Community Gardening») et d’«économie de subsistance citadine», beaucoup d’adolescents issus de minorités défavorisées sortent mentalement et dans la plupart des cas aussi pratiquement pour la première fois de leur vie de leurs ghettos. La crise permanente est comprise comme une chance. Ce nouveau mouvement de jardinage, ce nouvel engagement pour la subsistance en faveur de la protection de l’environnement et de l’approvisionnement en légumes frais des démunis, contribuent probablement davantage au rétablissement de la paix citadine que mille programmes de prévention.
Cette culture commune de champs en friche existe aussi dans d’autres pays, en Amérique latine et partout dans le monde. En Afrique du Sud, des travailleuses sociales enseignent aux habitants des cités pauvres comment cultiver avec succès autour de la maison des pommes de terre, des haricots et des tomates. Partout, les exilés ruraux jardinent dans les villes puisque dans les villes africaines par exemple ils gagnent très rarement suffisamment leur vie. Dans la plupart des cas, ils jardinent «sauvagement» sur les champs en friche au bord des fleuves et des routes et dans les arrières-cours. Sur la bande du milieu, ils font paître les vaches, les moutons et les chèvres. Il s’agit d’une économie informelle, à laquelle l’Etat et les communes ne s’intéressent pas parce qu’elle n’est pas imposable et qu’elle va à l’encontre de l’aspiration à une réputation de l’élite citadine.
Depuis le milieu des années 90, un nouveau mouvement de jardinage est né également chez nous en Europe Il s’agit presque d’«un nouveau mouvement social», celui des «jardins interculturels» et des «jardiniers de guérilla». C’est justement au moment où les bon vieux  jardins d’ouvriers, maintenant déjà très anciens, avaient perdu leur réputation – bien qu’ils aient été peut-être le meilleur résultat de la Révolution de Novembre de 1918! – que chez nous, les premiers jardins communautaires ont été créés. En 2000 lorsque nous avons tenu à l’Université de Humboldt une «conférence internationale sur le jardinage», on ressentait malgré les circonstances défavorables telles que les vieilles salles grinçantes et la mauvaise qualité des micros, une ambiance excitante d’un renouveau mystérieux.3 En permanence, on demandait aux organisateurs et à la «Société des petites exploitations agricoles» fondée à cette occasion, si l’on ne pouvait pas participer ici et là au jardinage plus ou moins sauvage, s’ils avaient des conseils quant à comment se procurer un terrain cultivable ou aborder tel et tel problème de jardinage. Une «Fondation Interculture» issue de cette «impulsion» a été créée fin 2002 à Munich dans le seul but de favoriser ces nouveaux jardins. Elle coordonne depuis lors l’interconnexion de ces jardins et favorise chaque nouveau jardin au moyen d’un petit crédit de départ de 1000 à 3000 euros afin que les jardinières et jardiniers qui forment un groupe débutant dans le jardinage puissent se procurer du terreau, des bêches, des clôtures et des arrosoirs.     •

1    Selon une information de la Frankfurter Allgemeine Zeitung du 4/1/08
2    On peut voir une bande-annonce du film sur internet sous www.neuland-denken.de
3     cf. http://userpage.fu-berlin.de/~garten/