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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°3, 23 janvier 2012  >  Fondements de la prévention du harcèlement moral [Imprimer]

Fondements de la prévention du harcèlement moral

par Françoise D. Alsaker

Pour la prévention du harcèlement moral, un certain savoir de ce phénomène tout comme une prise de conscience personnelle de ses propres principes éthiques sont certes indispensables, mais cela ne suffit pas. Pour faire bouger quelque chose, il faut que la volonté d’agir existe et qu’on agisse concrètement. Les deux prochains chapitres traitent de la réalisation du programme de prévention et de la manière dont les lectrices et lecteurs peuvent concrètement continuer à travailler sur celui-ci. Pour terminer ce chapitre de base, je présenterai les principes de base de la prévention pratique, sur lesquels reposent beaucoup de programmes contre le comportement agressif et le harcèlement moral et tout particulièrement le «Programme de prévention bernois contre le harcèlement moral dans les écoles».
Entre les principes et les formes de la prévention et de l’intervention contre la violence en général et ceux contre le harcèlement moral en particulier, il existe de nombreux chevauchements. Cependant, il existe une différence fondamentale selon laquelle le harcèlement moral est abordé principalement dans les groupes d’enfants mais ni en thérapie ni en consultation individuelle. C’est pourquoi, la motivation des enfants et des enseignants est particulièrement importante. […]

Renforcer les capacités d’agir des enseignants

Comme le harcèlement moral se déroule souvent au sein de la classe, respectivement à l’école ou dans l’entourage scolaire, les enseignants doivent savoir s’y prendre avec ce phénomème. Apprendre à aborder le harcèlement moral n’est pas une sorcellerie. Il semble que de nombreux enseignants ne manquent pas d’idées, mais plutôt d’une assurance nécessaire pour juger quelles réactions seraient bonnes et lesquelles seraient contre-productives. C’est pourquoi, je trouve particulièrement important, d’activer les ressources des enseignants. Le harcèlement moral n’est pas un problème qui ne peut être résolu que par les spécialistes, mais il faut avoir confiance en sa propre capacité d’agir et sa compétence, pour savoir s’y prendre de manière efficiente. Car il faut garder à l’esprit que les enfants et les adolescents qui harcèlent, connaissent exactement les faiblesses des autres – aussi celles des enseignants, une incertitude est tout de suite remarquée.
La prévention du harcèlement moral devrait se faire en grande partie à l’école. Je suis aussi d’avis que chaque intervention contre le harcèlement moral devrait être pratiquée en coopération avec les enseignants pour que la même procédure puisse être appliquée plus tard sans être obligé d’engager des spécialistes.

Communication ouverte et directe sans accusation

Le «silence» est un élément important du harcèlement moral. A travers le silence et la dissimulation, toutes les personnes directement ou indirectement impliquées font en sorte que les modèles du harcèlement moral se maintiennent. On ne doit pas dissimuler, excuser ou minimiser le harcèlement moral. Le harcèlement moral est odieux. Le harcèlement moral signifie violence et la violence doit être désignée en tant que telle. Que l’on parle du harcèlement moral est un objectif et un moyen de prévention contre celui-ci. Mais il est inutile de chercher des coupables. Les accusations ont leur place dans les salles d’audience. Dans la vie quotidienne, dans les relations humaines, elles conduisent uniquement à des sentiments de culpabilité destructeurs ou à des contre-attaques augmentant l’agressivité. Combien de fois entend-on les enseignants dire que les parents sont coupables de cette misère et en même temps les parents se plaignent que les enseignants ne remplissent pas leurs devoirs. Pendant que les deux parties se renvoient la responsabilité mutuellement et cherchent des preuves, ce sont avant tout les enfants qui en pâtissent et subissent les dommages.
Quand on recherche les coupables, on suppose que tout a un début et une cause. Cette recherche de l’origine appartient implicitement à la compréhension humaine du monde (Flammer, 1997). Les événements sont souvent le résultat de nombreuses conditions simultanées et il existe rarement un début précisément définissable et une seule origine pour une dynamique déterminée dans une relation humaine. Pour Flammer (1997, p. 156), la recherche humaine d’une origine évidente et d’une causalité multiple effective montre qu’il «s’agit d’une décision arbitraire ou conventionnelle», d’après laquelle nous désignons un événement comme l’origine. On pourrait dire aussi que les interactions humaines peuvent être considérées comme enchaînement d’évènements et que nous décidons arbitrairement de ce que nous percevons être le début de celui-ci (dans le domaine de la communication, on désigne ceci par «interponction»; Watzlawick, Beavin & Jackson, 1969).
Les malfaiteurs ne sont dans la grande majorité des cas pas prêts à avouer leur responsabilité quant au harcèlement moral. Les forcer à un aveu devrait en conséquence rester sans succès. J’ai déjà mentionné que les êtres humains agressifs ont tendance à interpréter des situations ambivalentes plutôt comme provocation ou atteinte éventuelles à leur personne. Par conséquent, dans certaines situations, les auteurs pourraient être convaincus que la victime (socialement beaucoup plus faible) les a provoqués à agir de manière ignoble. D’une manière ou d’une autre, que ce soit chez les adultes ou les enfants: Quand on recherche l’origine et la responsabilité, il arrive souvent que finalement tous se sentent frustés, déçus, blessés et sont remplis de sentiments hostiles. Les accusés éprouvent de l’hostilité envers les accusateurs, ils n’ont pourtant pas vraiment perdu ce qu’ils perçoivent éventuellement comme succès. Les accusateurs sont déçus, peut-être le plus d’eux-mêmes, parce qu’ils n’ont pas obtenu le succès auquel ils aspiraient. Il n’est pas évident qu’ils interviennent de nouveau car un certain sentiment d’insuccès perdure encore longtemps. Les victimes se sentent encore plus abandonnées qu’auparavant; quelqu’un s’est interposé, mais l’intervention n’a pas été couronnée de succès. Elles ont peur de la colère des accusés, supposent que personne ne s’engagera plus pour elles et pensent que les accusés ont eu plus de succès avec leur version de l’histoire qu’elles-mêmes.
Comme la désignation d’un acte en tant qu’origine d’un enchaînement d’autres actes est arbitraire, chacun est libre de considérer ce qu’il est en train de voir comme le début d’un nouvel enchaînement. Quand deux enfants se moquent d’un autre, au lieu de dire: «Pourquoi vous moquez-vous de lui ou d’elle?», on pourrait par exemple leur poser la question: «Que faisons-nous maintenant, pour que cela ne se reproduise pas?»

Fixer des limites et agir

Renoncer à des accusations ne signifie pas qu’on déclare acceptable toutes formes de comportements. Au contraire: Un élément central de la prévention contre le harcèlement moral est le fait qu’on distingue très clairement entre les comportements acceptables et inacceptables et que cette distinction soit explicite en réagissant de manière conséquente. Pour Olweus (1996), la détermination des adultes à intervenir dans des situations de harcèlement moral, est une des conditions préalables importantes pour une prévention efficiente.
De nombreux enfants et adolescents connaissent aujourd’hui seulement des limites très vagues et diffuses. Certains croient que presque tout leur est permis et possible, pour d’autres, une fois on leur permet tout et l’autre fois, tout leur est interdit, selon la situation et l’humeur des adultes. Au grand jour, de moins en moins d’individus osent réprimander les enfants et les adolescents, même si ceux-ci se comportent de toute évidence contre la norme, fautivement ou même de manière dangereuse. Cela ne vous regarde pas, c’est ce que certains enfants dès leur jeune âge répondent du tac au tac. Cela ne regarde personne, c’est ce qu’entendent dire même certains enseignants de la part de leurs collègues, quand ils s’interposent aux comportements de leurs élèves. Pourtant, on ne peut pas assez souligner l’importance des limites et des structures pour la socialisation et le développement des enfants. Le fait de fixer des limites était mal vu, parce qu’on l’a confondu avec un style d’éducation autoritaire. Cependant, ceci ne va pas forcément de pair avec une éducation autoritaire. Le mieux c’est d’expliquer de discuter et de négocier des règles en commun. Toutefois, c’est la tâche des adultes de définir les limites et de les imposer, quand les enfants ne sont pas capables de comprendre ou de discuter celles-ci.
Le développement est un processus à vie. Les petits enfants déjà tentent, pas à pas d’aller plus loin. Ils cherchent leurs propres limites dans la mesure du possible et essaient de surmonter celles-ci. Dans leur relation avec les autres êtres humains, ils cherchent aussi les limites dans la mesure de ce qui est acceptable, les limites des autres et par conséquent aussi leurs propres limites. Si nous ne leur mettons pas de bornes, nous les privons aussi d’éléments importants dont ils ont besoin pour s’autodéterminer. Un enfant qui ne connaît pas de limites, ne développe pas une personnalité solide mais plutôt diffuse.
La plupart des sociétés occidentales actuelles offrent à leurs enfants déjà très tôt une quantité énorme de possibilités. Les enfants sont confrontés en partie à des possibilités de choix dont ils ne sont pas à la hauteur. Cela commence déjà lors du choix des vêtements ou des cornflakes. Je me souviens d’une fille américaine d’école maternelle, qui devait se décider tôt le matin sur ce qu’elle voulait emmener comme casse-croûte à l’école. Il y avait quatre boissons au choix et cinq sortes de biscuits etc. … C’était trop pour la petite fille et elle ne pouvait plus choisir. Finalement, la mère et la fille étaient toutes deux frustées. Ce petit épisode reflète – peut-être de manière un peu exagérée – la réalité actuelle de nombreux enfants.
Les enfants doivent apprendre à gérer cette liberté de choix dans une société pluraliste, cela signifie avant tout qu’ils doivent apprendre que chaque choix est lié au renoncement d’une autre possibilité. C’est l’apprentissage de la tolérance à la frustation. Mais c’est justement cela que de nombreux enfants n’apprennent pas et au lieu de se réjouir du nouveau jeans, ils ressentent éventuellement de la frustation parce que l’autre jeans aurait peut-être été «mieux».
Pour savoir s’y prendre avec les limites et les possibilités de choix, les enfants doivent être entourés d’adultes prêts à fixer des limites et à veiller à ce qu’elles soient respectées.
Fixer des limites va de pair avec des sanctions positives et négatives. Cela veut dire dans le cadre de la prévention du harcèlement moral, que les adultes doivent être prêts à prendre position, à intervenir et à réagir de manière conséquente.

Impliquer les personnes non concernées

Comme on vient de constater déjà, une grande partie des institutrices qui ont participé à l’étude bernoise dans les écoles maternelles n’étaient pas conscientes du rôle important des enfants non directement impliqués. Rares sont également les enseignants qui reconnaîssent de leur plein gré le potentiel que ces enfants représentent. Dans plusieurs programmes existants, on recommande toutefois clairement que ce potentiel soit utilisé (cf. Charach et al., 1995; Olweus, 1991).
L’implication des personnes non directement concernées va de pair avec l’apprentissage du courage civique. J’ai déjà fait l’expérience que des parents demandaient s’il était vraiment nécessaire que ces enfants soient impliqués, car ils n’avaient rien à voir avec la situation et à travers leur intervention, ils pourraient risquer quelque chose, c’est-à-dire qu’ils n’auraient qu’à perdre. Je comprends très bien la peur de ces parents. Seulement le problème est que leurs enfants participent aussi au harcèlement moral du fait de leur passivité et ils doivent reconnaître aussi leur part de responsabilité. A travers l’acceptation de leur passivité par les adultes, ils «apprennent» en outre qu’il vaut mieux ne pas intervenir en faveur d’une personne qui se trouve en difficultés. C’est bien sûr une question de valeur. La passivité de ces enfants ne les protège pourtant pas efficacement contre le harcèlement moral car dans les yeux des harceleurs, ils sont également faibles et inoffensifs, exactement comme leurs victimes. Au cas où leur passivité est due à la peur des représailles, je pense qu’eux aussi doivent être considérés dans une certaine mesure comme victimes du harcèlement moral. Dans ce cas-là, ils feraient plus pour leur propre sécurité en apprenant un engagement adéquat au lieu de persister dans leur passivité peureuse. L’engagement contre le harcèlement moral peut aussi directement aider à remplacer un certain sentiment d’impuissance par l’expérience des compétences.
Quand les adultes transmettent des messages clairs et quant au harcèlement moral prennent clairement position, et si nécessaire interviennent de manière conséquente, les enfants qui s’interposent en faveur des victimes de harcèlement ne sont pas non plus menacés.

Agir en commun

Plus les individus travailleront en commun contre la violence, plus le travail sera efficace. Cela signifie: Les enseignants et les enseignantes ainsi que les élèves doivent entreprendre quelque chose en commun. Les enseignants devraient s’entraider et la direction scolaire elle-aussi devrait prendre clairement position face au phénomène du harcèlement moral. En outre, l’implication des parents est considérée comme un élément très important pour l’efficacité des programmes de prévention.
Le point essentiel du programme de prévention pratiqué à Sheffield, en Angleterre dans 23 écoles (Sharp & Smith, 1993; Smith & Sharp, 1994) consistait dans le développement d’une stratégie commune contre le harcèlement moral par toute l’école (culture d’établissement scolaire). L’édification d’un réseau contre le harcèlement moral, la transmission de savoir sur les différents genres spécifiques de celui-ci, l’implication des parents, des élèves dans la culture d’établissement et l’élaboration de stratégies pour préserver une culture d’établissement positive en fait partie. L’objectif principal de la culture d’établissement globale consistait dans l’augmentation de la motivation, dans le fait de modifier quelque chose, et dans la mobilisation des personnes actives dans cette école. Smith et ses collaborateurs en ont conclu que le développement d’une culture d’établissement était primordiale: les écoles dans lesquelles l’ensemble du corps enseignant était impliqué dans le processus du développement du programme (par exemple à travers la signature d’une «charte contre le harcèlement moral»), ont enregistré la plus forte diminution de harcèlement moral au cours de la durée du projet.
Outre la coopération des enseignants à l’école, la nécessité d’impliquer les parents est évidente. En particulier au niveau de l’école maternelle où les contacts entre les parents et l’enseignant peuvent être très intensifs, l’implication conséquente des parents dans le processus de prévention est assez bien praticable.
Il est important que les parents sachent que les enseignants s’engagent pour le bien-être social de leurs enfants. Il est important qu’ils sachent quels accords ils ont conclus avec leurs enfants et pour quelles raisons. Une coopération plus étroite serait bien sûr souhaitable, car il est important, que les enfants fassent concrètement l’expérience que l’école et les parents travaillent en commun. Il s’agit ici de renforcer aux yeux des enfants aussi bien l’autorité parentale que celle des enseignants.     •

Le texte est un extrait du chapitre 9 (p. 181–199) du livre de Françoise Alsaker, Quälgeister und ihre Opfer. Mobbing unter Kinder – und wie man damit umgeht. (Les harceleurs moraux et leurs victimes. Harcèlement moral chez les enfants – et comment on peut le traiter) Berne. 2003/2004. Verlag Hans Huber. 1re réimpression 2004, ISBN 3-456-83920-0. Reproduction avec l’aimable autorisation de la maison d’édition.
(Traduction Horizons et débats)

Chaque travail contre le harcèlement moral doit avant tout renforcer les enseignants et les rendre capables de s’y prendre et d’agir eux-mêmes contre le harcèlement moral.