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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°24, 20 juin 2011  >  Le bleuet, une source de nectar pour nos abeilles [Imprimer]

Le bleuet, une source de nectar pour nos abeilles

par Helmut Hintermeier, Gallmersgarten, Allemagne

Celui qui se rappelle les prairies fleuries d’antan le reconnaît de loin: le bleuet avec ses fleurs d’un bleu intense. Il présente un grand intérêt en tant que fournisseur de nectar et de pollen.
La vraie patrie du bleuet (Centaurea cyanus) est le pourtour méditerranéen, de la Sicile à l’Asie mineure, en passant par le sud de la péninsule balkanique. La culture des céréales l’a répandue presque sur tout le globe, mais elle ne s’est pas introduite dans la flore naturelle d’Europe centrale. Elle pousse essentiellement parmi les céréales d’hiver, avant tout dans les champs de seigle. Comme elle ne possède que de petites feuilles poilues et une tige rigide, elle s’accommode bien de sols sablonneux secs. Pendant assez longtemps, elle s’était faite rare en raison du recours excessif aux engrais, du triage des semences et des herbicides à base d’hormones. Mais aujourd’hui on la trouve de nouveau plus souvent, avant tout dans les champs de cultures biologiques et extensives.

Pollinisation croisée

Les splendides fleurs bleues du bleuet (le colorant bleu est l’antocyanin) se composent exclusivement de fleurons en forme de tubes (ceux situés à la périphérie sont stériles). Ils sont disposés en étoiles à 5 branches et servent uniquement à attirer l’attention des in­sectes parce qu’ils grossissent la surface colorée du capitule de 2 à 5 cm. Seuls ces quelque huit fleurons périphériques reflètent les rayons ultraviolets visibles par les insectes. Le nectar est sécrété par les fleurons hermaphrodites. Ce sont des fleurons qui forment au sommet une petite cloche à 5 pointes. Comme chez le tournesol, l’anthère entoure le style. Quand un insecte touche avec sa trompe les poils des filets, ils se contractent. Les anthères ­s’abaissent et le pollen qu’elles contiennent est brusquement tiré par le style et va se loger dans les poils du visiteur. Dans les fleurs les plus anciennes, le style sort du fleuron, les stigmates s’écartent et peuvent être alors fécondés par du pollen qu’un insecte a prélevé sur des fleurs plus jeunes.
Qu’il s’agisse d’abeilles, de bourdons, de mouches ou de papillons, les bleuets offrent à leurs hôtes beaucoup de nectar et énormément de pollen. On a observé l’aspiration du nectar par le gamma diurne (Autographa gamma), la piéride du chou (Pieris brassicae ou Artogeia rapae), la piéride du navet (Pieris napi) et la vanesse de l’ortie (Agiais urticae). Cette dernière est très belle à voir avec ses ailes d’un orange vif sur les fleurs d’un bleu azur. L’éristale des arbustes (Eristalis arbustorum) et la Ringhia rostrata se servent également à ce «bar à nectar». Mais la majorité des hôtes du bleuet est constituée par les hyménoptères: le bourdon terrestre (Bombus terrestris), le bourdon des pierres (Bombus lapidarius), le bourdon des jardins (Bombus hortorum), le bourdon des champs (Bombus pascuorum) et le bourdon des forêts (Bombus sylvarum). Sept espèces d’abeilles sauvages nourrissent leurs larves avec du pollen de bleuet: l’Anthophora bimaculata, l’Andrena nigriceps, l’Halictus scabiosae, le Lasioglossum convexiusculum, la Ceratina callosa et la Ceratina cynaea ainsi que le taxon (Osmia papaveris, Westrich 1990). Ce dernier tapisse la galerie d’entrée et les cellules de son nid souterrain de fragments de pétales qui proviennent souvent du bleuet.

L’hôte le plus fréquent du bleuet est l’abeille

Le bleuet constitue une abondante source de nectar pour nos abeilles, bien qu’il faille maintenant peut-être le considérer comme une plante mellifère rare, car les grands champs de bleuets disparaissent de plus en plus. Dans le Sud, l’Ouest, l’Est et le Nord de l’Europe, les abeilles se posent encore sur les bleuets et en tirent un miel légèrement liquide jaune clair, très aromatique et agréablement épicé. Les connaisseurs prétendent qu’avant la récolte, il est d’un bleu verdâtre dans les alvéoles. Le nectar est déjà jaune au moment de sa sécrétion par les glandes. Quand on dissout le miel dans l’eau et que l’on filtre le pollen, la solution reste jaune. La sécrétion de nectar par les fleurs se produit toute la journée avec un pic vers 11 heures. Les abeilles recueillent le pollen dans de petites poches vert clair. En moyenne, la proportion de pollen provenant des bleuets oscille entre 13 et 25% mais elle peut atteindre quelque 60%.

Une plante symbolique très appréciée

La «fleur bleue» est un symbole romantique important. Il représente la nostalgie, l’amour et la recherche métaphysique de l’infini. On l’a souvent incarné dans des fleurs bleues, comme la chicorée sauvage ou le bleuet. Ce dernier était autrefois si répandu que sa couleur est devenue proverbiale («des yeux couleur de bleuet»). Mauvaise herbe très commune au départ, elle devint le symbole d’un nouveau naturel et, au moment de la formation du mythe autour de la reine Louise morte jeune en 1810, elle devint la «fleur prussienne». C’est le fils de Louise, le futur empereur Guillaume Ier qui donna l’impulsion décisive au culte du bleuet du ­XIXe siècle: En souvenir de sa jeunesse, il proclama le bleuet «bleu de Prusse» sa fleur préférée. En ­Autriche, il était même devenu le symbole des partis «nationalistes-germaniques». En France également, le bleuet fut le symbole d’un parti politique.

Jardins séduisants

L’attitude des hommes à l’égard de cer­taines fleurs des champs comme le coquelicot (Papaver rhoeas), la nielle des blés (Agrostemma githago) ou le bleuet a toujours été plus tolérante qu’à l’égard d’autres mauvaises herbes. Le bleu intense du bleuet ne devait manquer dans aucun bouquet de fleurs des champs et lorsque les moissonneurs tressaient des couronnes d’épis d’or, ils y intégraient des bleuets. Les jeunes filles aimaient se tresser des couronnes de bleuets. Ce culte s’est maintenu jusqu’à nos jours. Il y a quelques années, lors du mariage d’une star du show-business, il a absolument fallu que la mariée porte un bouquet de bleuets. Aussi ne s’étonnera-t-on pas qu’on cultive des bleuets depuis des siècles dans les jardins. Les horticulteurs ont créé des variétés aux fleurs blanches, roses, rouge cerise, marron et bleu foncé. Les bleuets semés au printemps ou en automne peuvent pousser partout dans les jardins. Avec le rouge des coquelicots et le blanc de la camomille romaine (Chamaemelum nobile), ils offrent un magnifique tableau.

Paru dans la Schweizerische Bienen-Zeitung, no 06, juin 2011, ISSN 0036-7540

* * *
ab. Depuis plus de 10 ans, on s’inquiète beaucoup de la mort des abeilles. Au début, les mystérieuses pertes d’hiver ne se produisaient que dans quelques pays puis la liste des pays touchés s’est allongée d’année en année. Actuellement, presque tous sont concernés.
Depuis quelques années, les abeilles se trouvent en Suisse sous la protection des dispositions légales sur les épizooties. Les apiculteurs reçoivent de leur association des conseils minutieux et une formation continue, les inspecteurs cantonaux surveillent l’épidémie et les aident par tous les moyens. Depuis que la Confédération a accordé un nouveau crédit à la station fédérale de recherches, des scientifiques supplémentaires ont pu être engagés: des entomologistes, des virologistes, des biologistes. Ces spécialistes de pointe travaillent d’arrache-pied. Ils sont en contact constant avec d’autres spécialistes du monde entier et leur collaboration est exemplaire. Il est faux de dire que les opinions divergent beaucoup!
L’acarien varroa transmet le virus aux abeilles. Il l’a toujours fait sans que des colonies entières soient anéanties. Avec les méthodes scientifiques actuelles, on analyse naturellement chaque virus de manière très précise. L’un d’entre eux a frappé particulièrement une équipe de chercheurs de Liebefeld car il a la même structure que le VIH! Ces chercheurs ont étudié tous les autres facteurs qui pourraient entrer en ligne de compte: les plantes génétiquement modifiées ne sont pas un facteur causal. Ils en ont conclu provisoirement qu’il y avait concomitance de nombreux facteurs environnementaux. Les apiculteurs et les agriculteurs se sont mis au travail afin d’écarter un facteur après l’autre. La loque américaine et la logue européenne, deux anciennes maladies de ces insectes sont traitées et si possible éliminées. Les faucheuses à disque qui, dans le trèfle en fleur, réduisent pendant la journée les abeilles en purée ne sont plus utilisées que tard le soir ou tôt le matin lorsque les abeilles ne sont pas encore sorties. Dans les vergers, en général, on traite moins les fruits et cela uniquement à des heures où les abeilles ne volent pas.
S’agit-il de la pollution générale de l’atmosphère? Il est difficile de le dire. Les recherches continuent. Ce qu’on sait, c’est que les abeilles meurent également dans les exploitations biologiques, dans le voisinage d’exploitations qui pratiquent une agriculture très respectueuse de l’environnement, sans monocultures à l’horizon, sans vergers, sans ville, ni autoroute ni industrie à proximité …
Ce qu’il faudrait développer avec la collaboration de tous les citoyens, c’est la mise à disposition de nourriture pour les abeilles dans le voisinage des ruches pendant tout l’été. Au printemps et au début de l’été, beaucoup de plantes fleurissent. Depuis qu’il existe davantage de prairies écologiques – qui donnent à vrai dire un foin qui ne peut guère servir de fourrage parce qu’il contient trop d’éléments lignifiés – il pousse jusqu’à la mi-juin de nombreuses variétés de graminées et de fleurs. Mais alors arrive l’été jusqu’au moment où les abeilles produisent du miel de forêt qui dépend beaucoup du temps. Et c’est là que chacun peut apporter une contribution très importante. La Suisse est un pays où abondent les magnifiques jardins fleuris autour des maisons. Il y a toujours de la place pour quelques bleuets parmi les roses et les soucis officinaux, les salades et les légumes, la menthe et la consoude officinale (que, d’ailleurs, viennent visiter non seulement les bourdons mais aussi – avant tout dans la soirée, sur le chemin du retour – nos abeilles). On peut acheter des plants de bleuets chez les jardiniers et les planter dans un endroit abrité ou semer des graines encore maintenant, car l’été va durer longtemps.
Quand un oignon s’apprête à fleurir, laissez-le faire: il donnera une fleur magnifique que les abeilles apprécient. On peut également laisser fleurir quelques brocolis. La visite des insectes vous remplira de joie. Quand les framboisiers fleurissent, ils grouillent d’insectes et lorsque les fruits sont mûrs, laissez-en quelques-uns sur les branches jusqu’à ce qu’ils soient trop mûrs et alors vous verrez les abeilles s’en régaler lorsqu’elles rentrent fatiguées de leur labeur quotidien. Aimez-vous les abricots? Offrez-en un trop mûr aux abeilles. Déposez-en deux moitiés sur une petite assiette à proximité de la ruche. Vous pouvez vous asseoir à proximité un moment dans la soirée et méditer sur le sens de la vie et des actions humaines.
Ce qui est très inquiétant, c’est que le spécialiste des abeilles Peter Gallmann de la station fédérale de recherches ­«Agroscope Liebefeld-Posieux» nous apprend qu’il n’y a plus d’abeilles sauvages. Nous pouvons apporter une certaine aide aux abeilles domestiques, mais les abeilles sauvages étaient livrées à elles-mêmes.
Et maintenant il reste quelque chose à faire qui nécessite l’engagement de tous: Nous devons mettre un terme aux guerres, aussi aux guerres économiques, aussi aux guerres qui menacent l’existence des peuples. L’humanité a développé la science afin de protéger et de maintenir la vie. Le fait que nous ayons derrière nous un siècle marqué par plusieurs événements tragiques doit nous faire réfléchir. Nous devons prendre notre courage à deux mains afin d’améliorer les choses. Le petit bleuet à fleur bleue d’antocyanin pourrait devenir un symbole discret, pour l’amour de nos abeilles et de nos enfants.    •
(Traduction Horizons et débats)