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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°19, 17 mai 2010  >  Nous devons nous entraîner à la paix [Imprimer]

Nous devons nous entraîner à la paix

par Alfred de Zayas*

La dignité humaine est la source des droits humains. Mais la source de la dignité humaine se trouve ailleurs, soit dans la métaphysique de l’homme, dans la religion, dans la spiritualité ou dans l’éthique. Les normes du droit des gens ne sont que le mode d’emploi de la mise en œuvre des droits humains. Le positivisme normatif ne nous fournit donc pas toutes les solutions. C’est l’éducation à la dignité et au respect d’autrui, à la paix et à la solidarité qui sauveront l’humanité de la barbarie. Il faut une véritable rééducation pour nous éloigner de l’actuelle culture de la guerre, de la culture de la violence, de la culture des jeux vidéo pleins de violence et d’agression, de ces jeux qui intoxiquent les jeunes d’aujourd’hui.
Le développement normatif de la protection des femmes et des enfants dans les conflits armés est ample et complexe. La Convention de La Haye de 1907 (IVe Convention de La Haye) déjà s’oriente dans les articles 46–52 vers la protection de la population civile, tout aussi bien que la Clause de Martens dans le préambule. La IVe Convention de Genève de 1949 et les Protocoles additionnels de 1977 ont fortement renforcé cette protection. Mais le développement normatif ne se limite pas au droit international humani­taire, puisque les droits humains sont en vigueur en temps de paix comme en temps de guerre. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques pendant un conflit armé (aux articles 3, 6, 17, 24) ainsi que la Convention contre la torture et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale sont de bons exemples. Ces conventions ont mis en place des organismes de spécialistes qui examinent les rapports périodiques des Etats membres et qui jugent des demandes individuelles. Depuis plus de 30 ans, une jurisprudence valable a été créée et il existe même un mécanisme du suivi.
Je suis personnellement allé en Jama­ïque avec le rapporteur spécial sur la mise en œuvre de ces droits, Andreas Mavrommatis, et nous y avons eu une bonne coopération avec le gouvernement local. Les déclarations du Comité des droits de l’homme ne sont malheureusement pas contraignantes au sens strict du terme. La plupart des Etats membres de ce protocole facultatif acceptent toutefois les décisions du comité. Le problème est ailleurs – souvent ils n’ont pas à leur disposition un mécanisme national pour la mise en pratique. Il faudrait créer des lois spécifiques, comme par exemple la loi 288 de 1996 en Colombie.
Le viol des femmes est un crime dans toutes les juridictions. Malheureusement il se produit de façon endémique dans le cadre de conflits armés. Le code pénal international reconnaît qu’il s’agit là non seulement d’un crime de guerre, mais même d’un crime contre l’humanité. Cette qualification est reconnue par la jurisprudence de la Cour pé­nale internationale pour l’Ex-Yougoslavie et la Cour pénale internationale pour le Rwanda.
Il ne faut pas oublier que l’on rencontre beaucoup de «soft law» et de droit «lege ferenda» (une situation juridique qui n’est va­lable que sous une loi qui doit encore être mise en vigueur). C’est le cas entre autres de la Déclaration de Luarca sur le Droit humain à la Paix de 2006 et de la Déclaration de Bilbao de 2010 qui reconnaissent les femmes et les enfants comme groupes spécialement vulnérables. Ces déclarations visent la violence structurelle et la guerre, grands fléaux de l’humanité. Mais «si vis pacem, cole justitiam» (si tu veux la paix, soigne la jus­tice). L’université de Berkeley a lancé un Projet 2048 qui aborde les droits humains d’une façon holistique, y compris le droit humain à la paix, et qui préconise la création d’un tribunal international pour les droits humains. Les Objectifs du millénaire exigent, aux ar­ticles 3, 4 et 5, la protection de la femme et la réduction de la mortalité enfantine.
Nous constatons que les normes et les mécanismes existent déjà. Bien sûr, il faut mieux les connaître, il faut les enseigner dans les écoles et les renforcer dans la pratique. Ce qui nous manque encore, c’est une garantie pour leur mise en œuvre. Il faut donc ren­forcer la mobilisation de la société civile. Les victimes doivent exiger leurs droits. C’est un devoir civil que de protester contre les violations des droits humains. Si l’on tolère les abus, on encourage les tortionnaires. Il faut avant tout un changement de paradigme qui rejette la culture de la guerre et qui exige à la place une culture de la paix. Il faut donc nous entraîner à la paix.     •

*    Alfred de Zayas, docteur en droit et ès lettres, est américain, ancien secrétaire de la Commission des droits de l’homme, ancien chef de la section des plaintes au bureau du Haut-commissaire des droits de l’homme de l’ONU.