Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°16/17, 26 avril 2011  >  Une collaboration avec l’UE ne peut se réaliser qu’au travers de traités internationaux [Imprimer]

Une collaboration avec l’UE ne peut se réaliser qu’au travers de traités internationaux

Interview du conseiller national Rudolf Joder, UDC Berne

thk. Dans la présente interview, le conseiller national Rudolf Joder explique que l’idée d’un accord de libre-échange n’est pas venue de l’UE, mais a été une proposition du Conseil fédéral – contre la résistance d’une grande partie du Parlement et des associations agricoles.
Lorsqu’en janvier, le Conseil fédéral déclara que l’accord de libre-échange serait présenté en commun avec d’autres sujets dans les Bilatérales III, la critique fut vive. En effet, dans une telle situation, le peuple n’a plus la possibilité de s’exprimer au cas par cas, mais ne peut qu’accepter ou refuser le tout en votation. C’est bien la raison pour laquelle une collaboration avec l’UE ne peut se faire que sur la base d’accords d’Etat soumis au référendum, dont les contenus sont clairs et ne sont pas soumis à un développement ultérieur qui échapperait entièrement à la population. Pas d’acceptation automatique, mais uniquement des négociations honnêtes et sur pied d’égalité, qui seules permettent une collaboration pour le bien de tous.

Horizons et débats: Le Conseil fédéral prétend sans cesse que la Suisse serait isolée sans accord de libre-échange agricole. Est-ce réel?

Rudolf Joder: Non, actuellement 40% des produits agricoles sont importés, ce qui signifie que le commerce agricole de la Suisse est déjà libéralisé. En ce qui concerne le fromage, nous bénéficions depuis le 1er juillet 2007 d’une libéralisation totale et le résultat en est nettement négatif, car nous y avons perdu en deux ans 4 700 000 kilos en parts de marché. Les exportations ont certes augmenté de 13%, mais les importations de 40%, ce qui veut dire que nous avons perdu, en quantités, de grandes parts de marché. Les difficultés survenues dans le domaine du lait en montrent l’ampleur. Si la stratégie de qualité menée par le Conseil fédéral était vraiment valable, nos produits laitiers devraient conquérir le marché européen de 500 millions de personnes, car nos produits sont d’excellente qualité. Alors nous n’aurions plus de problème de lait, nous n’aurions tout simplement plus de lait et de fromage dans notre pays du fait que toute l’Europe se les arracherait. Mais ce n’est pas le cas. Le fromage suisse est dans le segment de tête, mais les chiffres de vente se basent sur les prix et nous manquons terriblement de capacité de concurrence. Notre topographie resserrée, les importantes contraintes de la production telles que la protection animale, la protection de la nature, celle de l’environnement, celles concernant l’aménagement du territoire, la législation de la construction, ainsi que les coûts élevés dans notre pays ne permettent pas d’avoir les mêmes conditions. Il faut bien le reconnaître, la Suisse agricole ne peut pas augmenter ses parts de marché au sein de l’UE, il faut abandonner cette idée.

La commission chargée de l’examen préalable du Conseil des Etats (Commissions de l’économie et des redevances CER-E) a refusé votre initiative parlementaire. Pour quelle raison?

1.    Aucun représentant de la CER du Conseil national n’était présent lors de la séance de la Commission. C’est un malheureux faux-pas lorsque la Commission du Conseil national ne vient pas représenter l’opinion du Conseil national.
2.    On n’a probablement pas compris la dimension politique de ce sujet.
3.    On se retient en vue des élections afin de ne pas se brûler les doigts.
Mais en juin, lors de la session d’été, le sujet sera traité en plénum. Le PDC [Parti démocarte-chrétien] avait déjà déclaré au cours de l’été dernier ne pas vouloir de libre-échange agricole; or, au Conseil des Etats, il y a 15 représentants du PDC. Je suis assez curieux de suivre la situation.

Le Conseil fédéral argumente que de nouveaux marchés seront ouverts.

La réalité est tout autre. Il s’agit du mandat de négociations. On recherche une solution globale, ce que je refuse. Si l’agriculture est incluse avec l’ensemble des Bilatérales III, il sera plus difficile de combattre le libre-échange agricole. Il y aura certes des aspects positifs et négatifs, mais le Parlement y est opposé. L’idée a été avancée par les conseillers fédéraux Micheline Calmy-Rey et Johann Schneider-Ammann, et j’ai le sentiment que l’EU n’y est pas intéressée. Ce qu’elle veut en premier lieu, c’est régler les questions institutionnelles, le reste suivra. Le blocage des négociations facilite la mise en attente du libre-échange agricole. L’UE voudrait naturellement la reprise automatique du droit européen et augmenter les compétences de sa cour de justice. Tant que ce ne sera pas le cas, ils ne progresseront pas.

Que cela signifie-t-il pour la Suisse? Une adaptation supplémentaire au droit de l’UE?

Nous devons mettre plus fortement en avant notre importance économique envers l’UE. La Suisse est, après les Etats-Unis, la Chine et la Russie, le plus important partenaire commercial de l’UE. En 2009, la Suisse fut le deuxième marché de l’UE au niveau mondial.
Nous ne pouvons que suivre le chemin bilatéral qui nous permet de réfléchir aux domaines où nous voulons coopérer et à ceux où nous ne le voulons pas. Cela ne peut se conclure que par des traités internationaux permettant à la population de se prononcer. Toute autre voie serait une transformation complète de notre ordre juridique et une perte supplémentaire de souveraineté. A mon avis, il n’y aura jamais de majorité dans notre pays dans un tel sens.
Nous avons déjà des accords bilatéraux dont on peut dire qu’ils fonctionnent à peu près correctement. Mais nous avons aussi d’autres exemples, p. ex. en aviation, notre entrée dans l’Agence européenne de la sécurité aérienne. La Suisse s’est déclarée disposée à accepter le droit qui dans ce domaine serait décidé à l’avenir. C’est aujourd’hui un vrai problème.

Pouvez-vous nous fournir un exemple concret permettant de se rendre compte des conséquences dans ce domaine?

Par exemple des opérations de sauvetage par hélicoptère. Selon le droit européen, ces vols ne peuvent être accomplis que par des hélicoptères à deux moteurs, ce qui nous crée de grosses difficultés. De ce fait, il y a un certain nombre de sauvetages qui ne peuvent plus être entrepris. Un hélicoptère à deux moteurs est beaucoup plus lourd, ne peut monter aussi haut, manque de souplesse face aux parois rocheuses, notamment lors d’hélitreuillages.

Il me semble pourtant que c’est d’une grande importance pour notre pays du fait que chaque année il y a une grande quantité de tels sauvetages.

Certes, la Suisse est le pionnier au niveau mondial en ce qui concerne les sauvetages par hélicoptères. Nous ne pouvons pas continuer de cette façon. Si la Suisse se voit proposer des accords dont le contenu est défini, nous pouvons accepter ou refuser et l’expliquer à la population. Mais si nous nous engageons dans un processus ouvert et devons l’accepter tel qu’il est présenté, nous nous trouverons face à un dilemme. Nous nous détruirions nous-mêmes et cela ne peut pas être notre avenir.

Cela ne peut être. Qu’en est-il maintenant de l’exemple de l’hélicoptère?

Cela demande un grand effort. Nous nous sommes approchés de Madame Leuthard pour engager le dialogue. Elle s’est montrée compréhensive et a promis d’en parler dans le cercle des ministres des Transports de l’UE. C’est certes compliqué.

Est-ce déjà valable pour les vols par hélicoptères?

Si la loi de l’UE est acceptée, alors elle entrera en vigueur.

Donc aussi pour la Suisse

Oui, aussi pour la Suisse. Nous tenterons de la combattre, mais l’Office fédéral de l’aviation civile devra en principe intervenir auprès des entreprises d’hélicoptères au cas où ces dernières contreviendraient à la règle.

Quelle en est concrètement la signification?

Cela peut, dans le pire des cas, entraîner un retrait de l’autorisation d’entreprise. En ce cas, le droit européen aurait alors priorité sur le droit suisse et nous devrions nous y adapter.

Est-ce valable depuis que nous avons conclu les Accords bilatéraux?

Oui, dans le cadre de l’Accord sur les transports aériens de l’année 2000. A cette époque, quand le Parlement avait accepté cet accord, personne ne savait ce qu’il en adviendrait. Aujourd’hui cela cause de sérieuses difficultés à «Swiss», à «Skyguide» et à tout ce qui a affaire à l’aviation.

N’a-t-on vraiment rien vu venir?

Non, on a accepté l’Accord, mais sans règles précises. On pensait alors les préciser plus tard et ce n’est que maintenant qu’on s’y met. La Suisse n’est bien sûr qu’un pion dans cet ensemble.

Si l’on comprend bien, les besoins individuels d’un pays ne sont plus pris en considération, même si cela devait être plus sensé et intelligent.

C’est exactement cela, et nous ne pouvons le tolérer dans aucun domaine.

Revenons à l’argumentation du Conseil fédéral concernant le libre-échange agricole. Le Conseil fédéral prétend que l’Union européenne refuserait de poursuivre les négociations si les discussion sur le libre-échange agricole devaient être interrompues. Est-ce vrai?

C’est une prétention. La Suisse est allée d’elle-même au-devant de l’UE dans ce dossier. Ce ne fut pas un souhait de l’UE et ce n’est pas une priorité pour elle de conclure un dossier agricole avec la Suisse. C’est la Suisse qui l’a voulu. L’UE n’y voit pas grand intérêt. Ce fut confirmé lors d’un entretien avec l’ambassadeur de l’UE, Michael Reiterer. Pour l’instant, l’UE n’y voit aucun intérêt.

Le Conseil fédéral argumente, en ce qui concerne votre initiative parlementaire et votre motion, qu’il se trouve sous pression et ne peut admettre aucun délai.

Le Conseil fédéral a déclaré qu’il souhaite soumettre l’accord au Parlement en 2013. C’est lui qui le dit. Lors d’une rencontre avec Monsieur Reiterer et le vice-directeur des négociations de l’UE en Suisse, il est ressorti clairement que l’UE veut d’abord régler les questions institutionnelles, avant toute autre chose. Et Monsieur Reiterer a bien insisté que la balle est dans le camp de la Suisse, et non de l’UE.

Quelle en est la signification pour la Suisse?

La Suisse doit décidément savoir ce qu’elle veut. Nous ne sommes pas vraiment sous pression. L’UE a clairement laissé entendre qu’elle n’est plus intéressée à poursuivre le chemin des accords bilatéraux, c’est son point de vue. Ils veulent régler les questions institutionnelles. Si la Suisse n’en veut pas, elle doit soumettre des contre-propositions.

Quelle serait maintenant une contre-proposition raisonnable?

Dans le domaine de l’électricité par exemple, on pourrait conclure un accord bilatéral, un traité international. On peut l’évaluer, en débattre, et finalement l’accepter ou le refuser, on peut aussi le soumettre au référendum. Nous ne sommes pas membres de l’UE et pouvons donc décider nous-mêmes notre façon de coopérer. Cela sous forme de traité. Autrement, il ne reste plus que la voie de l’adhésion.

Quelle est, à votre avis, la principale difficulté dans ce contexte?

En premier lieu la reprise toujours plus poussée du droit européen, ce qui est déjà notre problème. L’imposition du fait accompli en dehors de la volonté politique. Par exemple dans des domaines techniques pour notre économie. Les grandes fabriques d’hélicoptères, et essentiellement ces dernières, estiment que pour obtenir des commandes d’envergure, il faut que la Suisse se soumette aux normes de l’UE. Mais c’est là une question à régler sur le plan bilatéral.

Quels sont alors les obstacles à surmonter?

En premier lieu, il faudrait retirer la demande d’adhésion déposée par le Conseil fédéral. Nous avons demandé cela à plusieurs reprises. Le Conseil fédéral prétend que c’est juste une option. Mais de quel genre? On ne peut véritablement pas conclure des accords bilatéraux si en même temps se trouve déposée une demande d’adhésion. C’est paradoxal.

Revenons à la souveraineté alimentaire. Le Conseil fédéral prétend qu’un accord de libre-échange renforcerait l’agriculture suisse.

Mais non, c’est insensé. Nous observons déjà que c’est une complète perte de revenus et finalement la fin de l’agriculture suisse. Pour moi, c’est une question à voir d’un point de vue purement politique et non pas économique. Si nous abordions la question du libre-échange agricole uniquement du point de vue économique, alors c’en serait fait de l’agriculture suisse. Nous pouvons tout acheter à meilleur prix qu’en Suisse quelque part ailleurs dans le monde …

… dans la mesure où c’est livrable en Suisse et tant que les autres pays sont prêts à nous le fournir.

… tant que c’est disponible et naturellement – pour parler de l’actualité – pas contaminé, car cela personne ne le veut. Il s’agit donc véritablement d’une question politique. Notre Constitution fédérale contient des articles qui sont sans équivoque en ce qui concerne notre agriculture. Nous vivons déjà un exode de la campagne, alors que la Constitution prévoit une agriculture paysanne et non pas industrielle. Il s’agit maintenant de respecter la Constitution.

Qu’en est-il de l’avenir de ces projets?

L’initiative parlementaire va être transmise au Conseil des Etats. Puis la motion sera traitée. J’aimerais que le conseiller fédéral Schneider-Ammann nous dise, avant les élections, ce qui va se passer dans le domaine de l’agriculture.
Si ce sujet devait passer en votation, ce que voudrait le peuple, il n’y aurait aucun doute sur la volonté de la population. Nous devons être tenaces, et cela jusqu’à la conclusion de cette affaire. Nous avons un article constitutionnel et depuis des années l’affaire traîne en longueur. Plus de mille paysans par année abandonnent leurs terres. Si nous voulons y mettre un terme, nous devons renoncer au libre-échange agricole sans tarder. On ne peut pas non plus modifier les conditions- cadre tous les deux ou trois ans. Personne ne sait s’il vaut la peine d’investir, par exemple de construire une grange, parce que les conditions changent à tout moment. Les paysans ne peuvent donc pas se conduire en entrepreneurs comme on l’exige constamment d’eux.
Pour en terminer, j’aimerais préciser que nous devons mettre au clair nos relations avec l’UE et conclure avec elle des accords. Si nous devions reprendre le droit européen, par exemple dans des domaines techniques, cela devrait se faire dans le cadre de notre procédure législative. Les Etats-Unis procèdent de la même façon. Les traités internationaux sont repris dans la législation du pays, le processus législatif passant tant devant la chambre des représentants que devant le sénat. Nous devrions procéder de la même façon. Nous reprenons des dispositions techniques, mais elles doivent suivre le chemin du processus législatif, avant d’être intégrées dans le droit national. C’est alors une décision consciente, quelque chose que nous voulons réellement. Nous ne voulons pas de reprise automatique. Comme le droit international prime sur le droit national, le peuple doit avoir le droit d’en décider par votation.

Monsieur le conseiller national, merci pour cette interview.•