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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°41, 25 octobre 2010  >  Pas de juges étrangers ni d’ambassadeurs de l’UE [Imprimer]

Pas de juges étrangers ni d’ambassadeurs de l’UE

par Michael Schewski, journaliste satirique

Les Confédérés sont un peuple qui sait se défendre. Les Habsbourg déjà en firent l’expérience. Les pères fondateurs ont chassé les baillis étrangers. Les Autrichiens ont été battus à plate couture à Morgarten, malgré toutes leurs troupes.
Les Confédérés n’ont pas non plus laissé entrer Hitler, bien que certains, à l’époque, rêvassent d’une annexion, mais les Confédérés avaient un général aimé du peuple. Le peuple n’aimait pas Pilaf Gola. On s’en tint à la fondue, aux röstis, au Merlot del Ticino et à la viande séchée des Grisons.

Une Europe made in USA

A peine le Troisième Reich était-il anéanti qu’une nouvelle Europe made in USA fut édifiée sur les ruines de l’ancienne: l’Union européenne du capital financier réuni (UECFR). Le capital financier aime les beaux tissus, les attachés-cases et les ordinateurs portables. Cela doit faire oublier les chars. Il achète tout ce qu’il peut acheter et avant de se réveiller, les peuples ne possèdent plus rien: plus une banque, plus une usine, plus un hôpital, plus de services publics, plus d’eau, plus d’électricité, plus de transports publics, plus de poste, de journaux, plus de radio ni de télévision, plus rien du tout. Les indemnités de chô­mage ont remplacé le travail. Quand les peuples seront devenus pauvres et que les salaires seront assez bas, le capital financier construira peut-être, si cela lui plaît, de nouvelles usines, mais qui n’appartiendront pas au pays.
Et si un pays ne vend pas de plein gré tout ce qu’il possède, le capital a recours à d’autres moyens: En ex-Yougoslavie, il a commencé par étrangler l’économie. En­suite, il a dressé les peuples les uns contre les autres et finalement il a bombardé le pays, le ramenant à l’âge de pierre. Et maintenant les nouveaux Etats libérés demandent l’adhésion. S’il le faut vraiment, on s’en accommodera.
Cela a commencé avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier, puis est née l’UECFR. Un agent américain du nom de Jean Money avait pour mission de rassembler sous une autorité les vassaux européens. Le capital financier devait circuler librement et l’Allemagne être réarmée le plus vite pos­sible. Pendant la guerre froide, elle devait être au service des Etats-Unis en tant que membre actif de l’Alliance atlantique.

Une concurrence indésirable et ses conséquences

Lorsque certains pays se rassemblèrent au sein de l’Association européenne de libre-échange (AELE) pour améliorer le commerce et la coopération économique entre les pays européens et le monde, et donc la croissance et la prospérité des Etats membres, sans restreindre leur marge de manœuvre politique, le capital financier, organisé de manière centraliste, n’était pas enthousiaste.
Il engagea des négociations avec l’AELE et, à l’issue du Processus de Luxembourg, naquit l’Empire économique européen (EEE). Les pays de l’AELE qui adhérèrent à l’EEE durent participer aux paiements directs destinés aux régions européennes «structurellement faibles» sans pourtant obtenir la participation politique. En outre, ils durent adopter automatiquement le nouveau droit européen. A l’exception de la Suisse, tous les pays de l’AELE adhérèrent à l’EEE. Les Confédérés votèrent non. On en resta au principe «Pas de juges étrangers».
Cela a coûté cher à la Suisse. Sans raison extérieure et en l’absence de faits nouveaux, elle se vit soudain, 50 ans après la fin de la guerre, clouée au pilori. Avec l’aide de quelques sénateurs et avocats américains stipendiés et de la presse guidée par l’intérêt, le capital financier mena une campagne de calomnies dont l’objectif fut, dès le départ, de salir l’image de la Suisse dans le pays et à l’étranger. A la fin, on eut l’impression que la Suisse était responsable de la guerre et des crimes du Troisième Reich.
Sous la pression de l’étranger, on réécrivit l’histoire suisse: 25 volumes, 12 000 pages furent remplies qui ne nous apprirent rien de vraiment nouveau. Ce n’était certainement pas une entreprise aisée, mais pour les 22 millions qu’a coûté le Rapport Bergerie, on pouvait faire quelque chose.
Le résultat de la commission d’enquête sur les banques qui, pour un milliard de francs, a examiné en long et en large le moindre document, n’était absolument pas en rapport avec le coût et le travail occasionnés. Lorsque le montant, et même un peu plus, eut été payé, plus personne ne s’y intéressa. Et ce sont les victimes nécessiteuses de la guerre qui reçurent le moins d’argent. Il faut comprendre que les avocats ne pouvaient pas travailler gratuitement.
C’est alors que commença l’époque de la grande reprogrammation neurolinguistique. Le disque dur de tous ceux qui n’avaient pas d’antivirus efficace fut reprogrammé. On associa des idées positives à l’UECFR et des idées négatives à la Suisse. L’UECFR était bonne, progressiste, ouverte au monde, sociale, pacifique (inutile de dire qu’on ne parlait pas des guerres contre l’ex-Yougoslavie, l’Irak et l’Afghanistan) et la Suisse était mauvaise, rétrograde, étroite d’esprit, égoïste, mesquine, profiteuse, etc.
Furent atteints par le virus avant tout ceux qui avaient perdu le sens des réalités, les politiques, les écrivains, les artistes, les gens des médias qui aiment à se considérer comme l’avant-garde de la nation. Ils sont vaniteux et, quand le capital les flatte un peu, ils deviennent très dociles.
En revanche, le système immunitaire du peuple fonctionne très bien.

Michael Reiterer, ambassadeur de l’UE à Berne

Et maintenant, l’UECFR vient d’envoyer un ambassadeur à Berne. Oui, vous avez bien lu, un ambassadeur, Reiterer, un homme qui dispose de réseaux, qui domine les médias et peut faire plus de dégâts dans les esprits que toute une armée.
Manifestement, il se plaît à Berne. Sa porte est toujours ouverte à ceux qui attendent l’adhésion avec impatience. Soit dit en passant: Avez-vous remarqué que les conseillers fédéraux ne sont plus des chefs de département mais des ministres? En tout cas, Reiterer n’a plus aucun scrupule à débiter les pires sornettes en public. Récemment, lors d’un débat sur l’Europe organisé par un grand quotidien suisse, il a déclaré que l’UE était organisée comme la Suisse, que leur fondement commun était la démocratie et que les deux systèmes étaient imprégnés d’une «culture du compromis». Il a comparé le Conseil européen à notre Conseil des Etats, le Parlement européen à notre Conseil national et la Commission européenne à notre Conseil fédéral. Un proverbe ne dit-il pas: «je chante les louanges de celui qui me nourrit»? Reste à savoir qui nourrit le journal pour qu’il imprime de telles sottises.
Reiterer a confié au supplément Magazin du Tages-Anzeiger ce qu’il n’aimait pas: «les longues déclarations sur ce qui ne marche pas, la lâcheté, la peur du risque, la passivité, la faiblesse de caractère, l’étroitesse d’esprit, la rigidité, l’hypocrisie, l’indifférence, la poli­tique à courte vue, le ras-le-bol de la politique, le populisme, la xénophobie, le mépris des gens, l’asservissement d’autrui, la pollution de l’environnement.» Je n’ar­rive pas à concevoir qu’un homme aux prin­cipes aussi nobles fasse de la propagande pour l’UECFR.

Grondements de tonnerre et susurrements amoureux

Lors du grand krach banquier, nos deux grandes banques ont fait la une des journaux américains. Bien qu’elles ne soient plus «Swiss» que de nom, les Etats-Unis ont profité de l’occasion pour tomber à bras raccourcis sur la Suisse et ses institutions démocratiques. Nos voisins du Nord ont même menacé de nous envoyer leur cavalerie et ont été approuvés par nos médias champions de la pensée unique. Quel vacarme!
Imaginez qu’un de ces journaux modèles se soit exprimé de manière à peu près aussi primitive et offensante sur un petit pays méditerranéen, je pense qu’on aurait interdit le journal et emprisonné le journaliste. On aurait parlé d’incitation à la haine! Mais faire cela contre la Suisse était possible. Après tout, elle était responsable de toute la crise financière et de la faim dans le monde par dessus le marché.
Je suis sûr que l’idée de Kadhafi de dissoudre la Suisse et de la répartir entre les pays voisins lui a été soufflée.
Quelques politiques partisans de l’annexion ont craint pour celle-ci si Steinbrück continuait à faire tant de tapage. Ils ont envoyé une délégation chez nos voisins du Nord pour leur expliquer que ça n’allait pas, que s’ils continuaient à tempêter, le peuple suisse se serrerait les coudes, ce qu’ils ne souhaitaient pas. Steinbrück n’a pas été réélu et le ton s’est adouci.
Wolfgang et Angela ont parlé de bonnes relations de voisinage, ils ont même reconnu que c’était une erreur de faire tant de ta­page. Wulff, loup revêtu d’une peau d’agneau, a parlé d’amitié, d’intérêts commerciaux communs, de compétitivité, de l’histoire similaire des deux pays (à vrai dire, il n’est pas historien!). Il a fait un éloge appuyé de la Suisse, disant qu’elle pouvait apprendre des choses à l’Allemagne: la créativité, le don d’apporter des réponses géniales à des questions diffi­ciles. Il a déclaré qu’il était venu ici chercher des idées pour le débat allemand sur la démocratie directe. Il m’a vraiment fait pitié. Il avait l’air tellement compassé.
Nous ne savons évidemment pas ce qu’il a dit à huis clos. De toute façon, notre Présidente ne s’est pas contentée de jouer des paupières. Lors de la conférence de presse, des propos sérieux ont été exprimés.

La 5e colonne se mobilise

Lorsque la situation s’est calmée, du moins en apparence, Avenir Suisse a lancé un grand débat sur l’Europe. Le think tank de la haute finance a déclaré vouloir, avec ses analyses et ses propositions, sous la forme d’un «atelier du futur», libérer le débat de ses tabous et attirer l’attention sur de nouvelles solutions. Avec une nouvelle version de l’EEE ou une adhésion à l’UE mais en conservant le franc, la Suisse pourrait sauvegarder une grande partie de sa souveraineté, voir l’élargir. Cependant les héros d’Avenir Suisse n’ont pas expliqué comment on peut réaliser cela en adhérant à une dictature.
Depuis, la radio, la télévision et la presse ne cessent de répéter quotidiennement les mêmes clichés. En parlant d’un «désarroi palpable» de la population, on le suscite. On prétend que la voie bilatérale a atteint ses limites. L’indépendance et la souveraineté seraient un mythe, le cavalier seul ne serait plus possible (comme si nous y avions jamais été favorable!) et la volonté de faire des réformes serait nécessaire.
Tout cela me donne l’impression qu’on cherche à donner le tournis au peuple et je ne comprends pas comment certains Confédérés réussissent à associer à l’UECFR les notions de social, de pacifique et de démocratique. Mais peut-être que le problème se résoudra de lui-même, maintenant que l’UE s’est transformée en une  communauté de pays en faillite.    •