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Horizons et debats  >  archives  >  2014  >  N° 30, 22 décembre 2014  >  «La Suisse a contribué au processus de détente» [Imprimer]

«La Suisse a contribué au processus de détente»

Négociations communes avec la Russie, l’Ukraine, l’UE et les Etats-Unis

Interview du conseiller aux Etats Filippo Lombardi, PDC Tessin, président de l’Amicale Suisse–Ukraine

Horizons et débats: Vous avez récemment rendu visite à plusieurs pays membres de l’ancienne URSS, y compris la Russie. Or, la Biélorussie et la Russie sont soumises aux sanctions de l’UE. Qu’est ce que cela signifie actuellement pour les pays concernés?

Filippo Lombardi: Ces sanctions diffèrent les unes des autres. La Biélorussie est soumise à des sanctions depuis plusieurs années, suite aux élections présidentielles et à l’arrestation d’une série d’opposants au président Loukachenko. Lors de ces sanctions, la Suisse s’est jointe à l’UE. Ces derniers temps, la Biélorussie a émis des signes d’une amélioration de la situation, notamment par la libération de quelques-uns de ces prisonniers. Les derniers de ces prisonniers devraient être libérés prochainement. La Biélorussie espère que l’UE lèvera les sanctions, suite à ces évolutions en cours. Il y a déjà eu quelques facilitations, mais pas de levée totale des sanctions, ce que le gouvernement biélorusse n’a évidemment pas compris. Un problème supplémentaire est que la Biélorussie n’est pas membre du Conseil de l’Europe et ne reconnaît pas la Convention sur les droits de l’homme puisque ce pays connaît toujours la peine capitale clairement confirmée par la population lors d’un référendum. C’est un problème objectif difficile à résoudre. Suite aux sanctions, le pays est soumis à de fortes restrictions de son développement économique. La Biélorussie dispose d’un grand potentiel d’expansion et se trouve déjà dans une situation de croissance. C’est un pays bien géré, mais certes de manière autoritaire. Dans le pays, il y a peu de corruption et une bonne conscience professionnelle. Voilà une des raisons pour laquelle une entreprise de l’importance de «Stadler-Rail» a transféré à Minsk sa chaîne de production pour le continent euro-asiatique.

Quelle est la situation de la Russie?

Elle est totalement différente. Là, on a pris des sanctions à la suite de l’occupation de la Crimée, donc suite à une violation du droit international. Elles n'ont été prises qu’en 2014. La Suisse n’y a pas participé tout en empêchant cependant que les sanctions puissent être contournées par la Suisse, ce qui a débouché sur un éventail de mesures que les Russes ressentent comme des sanctions.

Qu’est-ce que cela veut dire?

Que la Suisse a adopté une attitude formelle de neutralité.

Quelles sont les conséquences de ces sanctions pour la Russie?

L’impact est réel, la situation monétaire est très instable. Au cours de six mois, le rouble a perdu presque la moitié de sa valeur. On le ressent et cela a de graves conséquences.

Le fait d’empêcher les affaires de contournement, est-ce une forme indirecte de sanctions?

C’est ainsi que le ressentent les Russes. Personnellement, je pense que le Conseil fédéral a bien agi. Il faut maintenir l’équilibre et expliquer aux Russes, aux Européens et aux Américains que nous considérons la situation actuelle comme étant un conflit de pouvoir dans lequel nous refusons de prendre parti. Il y a certes des violations du droit international par les Russes, mais ils font valoir qu’ils s’engagent en faveur de l’autodétermination des peuples. Dans ce contexte, il y a une certaine similitude, invoquée avec insistance par les Russes, à savoir le problème du Kosovo.
Les Russes insistent non sans droit sur le fait que lors de la dissolution de l’ancienne Yougoslavie, on avait affirmé pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, que la valeur suprême n’était plus l’intégrité territorial d’un Etat mais qu’il y avait – en tant que droit fondamental – le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Si les puissances occidentales ont utilisé ce droit, dans le cas du Kosovo, au détriment de la Serbie, alors il faut bien appliquer ce droit aussi dans d’autres situations. C’est ainsi que la Russie voit cette question.

J’aimerais revenir sur ce que vous venez de dire il y a un instant. Vous avez dit que le conflit ukrainien était un combat entre les grandes puissances. Est-ce un combat entre égaux?

Il s’agit d’un combat asymétrique. Poutine tente de réorganiser un peu son pays et de maintenir son rôle de puissance régionale pour éviter, si possible, d’avoir l’OTAN sur ses frontières. De l’autre côté, il y a les Etats-Unis qui tentent d’élargir leur rôle de puissance mondiale pour pouvoir dominer les autres en tant que seule grande puissance mondiale. Dans ce sens, le tout est évidemment totalement asymétrique.

Ne faut-il donc pas voir l’annexion de la Crimée sous cet aspect? Une tentative de la Russie de ne pas laisser les Etats-Unis s’approcher jusqu’à ses frontières afin de ne pas devoir finalement abandonner à l’OTAN son seul port maritime accessible toute l’année?

Naturellement, cette réaction est claire. J’ai dit une fois que je ne pouvais justifier l’annexion de la Crimée mais que je comprenais les Russes d’avoir fait ce qu’ils ont fait, pas seulement pour les raisons historiques, pas seulement parce qu’ils avaient le soutien de la majorité de la population. L’avance stratégique de la marine américaine en direction de Sébastopol a également provoqué des inquiétudes chez les Russes, ce qui est compréhensible. Voilà pourquoi ils ont entrepris cette initiative. La seule chance qu’ils avaient était de réagir avant. S’ils ne l’avaient pas fait, la flotte américaine aurait été accueillie par les autorités ukrainiennes. Après coup, cela aurait été bien difficile de faire marche arrière. Au niveau stratégique et quant à l’histoire et la population de la Crimée, on peut bien comprendre l’attitude russe. On peut également comprendre la pression temporelle qui régnait. Mieux aurait-il valu de régler la question de la Crimée lors de la dissolution de l’Union soviétique. Au début, cela était en discussion, puis Eltsine ne voulut plus en parler. Ni Gorbatchev ni Chevardnadze s’en sont souciés. Donc, à l’époque, on a manqué l’occasion. Et actuellement, avant l’annexion, on aurait peut-être pu résoudre le problème correctement par un accord interétatique entre la Russie et l’Ukraine et en organisant un référendum sous contrôle international. Cela aurait mieux valu mais, comme toujours, il n’est pas possible de réécrire l’histoire.

Quelles possibilités voyez-vous pour stabiliser à nouveau la région?

La seule possibilité que je vois est que les adhérents aux lobbies bellicistes, existant à Washington comme à Moscou, perdent leur influence et que les présidents, les gouvernements et les politiciens de bonne foi aient la possibilité de favoriser la dégradation de la situation. Tant que la crise est accentuée par les deux parties, nous n’avons aucune chance de trouver une solution sur le terrain. Certes, on peut négocier un peu, on peut entreprendre quelques activités humanitaires, créer un cessez-le-feu d’une certaine durée, mais on ne résoudra pas le conflit. A la Maison blanche, ceux qui tiennent le haut du pavé, ce sont les conseillers qui utilisent le conflit primo pour prouver la force des Etats-Unis et secundo pour remettre sur les rails l’OTAN dans son ensemble, ce qui n’était plus le cas jusqu’à présent. Ces derniers temps, l’OTAN était devenue un peu trop désinvolte. Maintenant on dispose à nouveau d’un ennemi ce qui lui permet de rappeler ses membres à la discipline. Puis, il y a bien sûr ceux qui préconisent la confrontation pour des raisons historiques ou idéologiques ou bien, tout banalement, pour vendre des armes ou poursuivre d’autres intérêts personnels.

Comment cela se passe du côté russe?

Un tel parti existe aussi au Kremlin. Il est faux de croire que Poutine règne en maître absolu. Il lui incombe également de maîtriser différents courants. Il y a eu aussi au Kremlin un groupe cherchant la confrontation. Ses militants cherchent à discipliner la Russie et à impressionner les peuples voisins, afin qu’ils comprennent que l’ordre établi doit être maintenu.

Ce qui ne simplifie pas la situation …

… non, et c’est regrettable. Car l’idée de Poutine de créer une Union économique eurasiatique sous forme d’un espace économique commun, entre d’un côté la Chine et de l’autre l’Union européenne, était bonne. Du côté de l’UE, on aurait très bien pu collaborer à un tel projet. Il n’y a aucune contrainte de continuellement élargir l’OTAN et l’UE. L’UE a un besoin urgent de réformes. Elle doit avant tout se consolider. Elle n’a pas vraiment besoin de pays-membres ayant des cultures, des économies et des règles du vivre-ensemble fondamentalement différentes des siennes. Certains de ces pays, telle l’Ukraine, sont très corrompus. L’UE a suffisamment de problèmes de corruption au sein de la Roumanie et de la Bulgarie, tout comme elle a, dans le domaine des finances publiques, une série de pays membres lui causant suffisamment de problèmes. Ces pays auraient mieux fait de soutenir l’idée de l’Union économique eurasiatique. Autant que je sache, il y a des rencontres annuelles entre l’UE et la Russie, des «sommets économiques», mais cette question n’a, jusqu’à présent, jamais été soulevée, ni de l’un ni de l’autre côté. Poutine a développé son idée et s’est mis au travail avec le Kazakhstan, la Biélorussie et l’Ukraine. De son côté, l’UE a élaboré les plans d’un Partenariat oriental, donc d’un accord d’association comprenant entre autres la Biélorussie, l’Ukraine et la Géorgie. Les deux protagonistes n’ont jamais réellement discuté de leurs plans, bien qu’ils se rencontrent régulièrement à l’occasion de leur Sommet économique UE–Russie. Ce bon projet commun aurait pu être discuté de manière pacifique. Là, les deux parties ont manqué de lucidité et de vision à long terme.

La Suisse est largement reconnue en tant que médiatrice. Etant donné qu’elle n’est membre ni de l’UE ni de l’OTAN, elle est, grâce à sa conception étatique prédestinée à jouer un rôle important. Quel a été son impact?

La Suisse a bien rempli son rôle à la présidence de l’OSCE. Cette année, il était très important d’avoir la présidence. La Suisse avec M. Burkhalter a bien travaillé en œuvrant pour que le conflit ne dégénère pas davantage. Au cours de cette année, l’OSCE a regagné en importance. Elle avait été un peu négligée et a maintenant gagné en crédibilité. Cependant, ce qui me préoccupe est de savoir quelle va être la suite. A partir du 1er janvier, la Serbie reprendra la présidence. Cela pourrait créer quelques difficultés. La Suisse perd donc son rôle privilégié et je ne suis pas sûr que les parties en conflits l’accepteront encore en tant que médiatrice. Je ne suis pas sûr qu’ils continueront à consulter la Suisse.

Qui d’autre pourrait alors prendre ce rôle?

Un autre pays ayant aussi essayé de jouer un tel rôle est la Biélorussie. C’était habile de la part de Loukachenko. Il a tenté de bâtir un pont et avec le plan de Minsk, ils ont joué un rôle important. Il y a quelques semaines, je me trouvais à Minsk, où j’ai eu des entretiens avec les présidents des Commissions de politique étrangère des deux Chambres ainsi qu’avec le président du Parlement. Ils partagent l’idée qu’ils ont été capables d’ouvrir cette fenêtre mais en sachant que cette fenêtre ne restera pas ouverte bien longtemps. Ils craignent qu’elle pourrait de nouveau se refermer. Aussitôt que le processus de Minsk sera interrompu, ils ne voient pas comment ils pourraient continuer à jouer leur rôle. Evidemment, dans de telles situations, il y a toujours une partie de théâtre. Le président Poutine et Petro Porochenko peuvent se téléphoner quotidiennement, sans devoir recourir à un médiateur. Même sur le champ de bataille, on sait qu’il y a des contacts quotidiens entre les états-majors russe et ukrainien. A mon avis, le conflit pourrait être résolu, si de part et d’autre, les bellicistes perdaient en importance.

Où voyez-vous une solution?

Il faut rêver car, pour le moment, je ne vois guère de points de départ. Des négociations communes que j’estime possibles devraient se dérouler entre la Russie, l’Ukraine, l’UE, les Etats-Unis et éventuellement l’OTAN avec l’objectif de trouver une solution conforme au droit international au sujet de la Crimée, c’est-à-dire avec le consentement des deux pays et d’éventuelles mesures de compensation. Peut-être faudrait-il également répéter le référendum sous contrôle international. Les territoires orientaux de l’Ukraine devront rester ukrainiens, mais pourvu d’un statut d’autonomie ou de structures fédérales. Il faudrait aussi trouver des solutions aux problèmes économiques en lien avec la production énergétique et les matières premières nécessaires à l’Ukraine. Il faudrait également trouver un accord pour que l’Ukraine puisse former le pont entre l’UE et l’Union économique eurasiatique dans les domaines économiques. Elle pourrait conclure des traités avec les deux parties mais ceux-ci doivent être transparents, d’un côté, il y aurait l’Union douanière et de l’autre l’UE. En outre, il faut la suspension du processus d’approchement à l’OTAN. Il faudrait convenir de ne plus en parler pour un temps indéfini. Dans un avenir lointain, l’Ukraine pourra remettre sur la table de négociation cette question si cela constituera encore un problème. Voilà quelques réflexions en vue de la résolution de cette crise.

Monsieur le Conseiller aux Etats, nous vous remercions pour cet entretien.    •

(Interview réalisée par Thomas Kaiser)

«Les Etats-Unis et leurs alliés devraient abandonner leur plan d’‹occidentaliser› l’Ukraine»

«Il existe une solution à la crise en Ukraine, cependant cela obligerait l’Occident à changer totalement sa vue concernant ce pays. Les Etats-Unis et leurs alliés devraient abandonner leur plan d’«occidentaliser» l’Ukraine et au lieu de cela œuvrer à ce que le pays devienne un pays-tampon neutre entre l’OTAN et la Russie, à l’instar de la position de l’Autriche pendant la guerre froide.» […]

Extraits de l’article de l’Américain John J. Mearsheimer: La responsabilité de l’Occident dans la crise en Ukraine, in: Horizons et débats no 22 du 15/10/14, première publication in: Foreign Affairs, édition de septembre/octobre 2014

Le peuple a décidé

par Reinhard Koradi, Dietlikon

Lors des votations fédérales des 29 et 30 novembre, les citoyens suisses ont clairement refusé trois initiatives populaires. Autant l’abolition des forfaits fiscaux que les initiatives sur l’or et sur Ecopop ont été rejetées. Les résultats sont clairs. D’autant plus étonnant sont les tentatives d’interprétation avancées par les prétendus «sages» du monde politique et médiatique.
A leurs yeux, l’initiative Ecopop s’est curieusement transformée en un vote sur l’Europe et en faveur des accords bilatéraux avec l’Union européenne. Certains «experts» pensent même que le Non à la limitation de l’immigration selon Ecopop élargit la marge de manœuvre pour la mise en œuvre de l’initiative sur l’immigration de l’Union démocratique du centre (UDC) votée début février 2014. D’autres sont d’avis que dorénavant la voie bilatérale est incontestée, ce qui pourrait mener à des stratégies de négociation totalement erronées si l’on prend en compte l’accord-cadre avec l’UE (rattachement institutionnel de la Suisse à l’UE). Car il s’agit toujours et encore de défendre l’indépendance et la liberté de notre pays.
La population suisse et les votants savent très bien différencier entre la politique de l’UE (l’Europe ne correspond d’ailleurs pas à l’UE) et les questions objectives concernant la politique d’immigration. Toute fausse déclaration au sujet du résultat de cette votation doit être rejetée.
Concernant le rapport entre la Suisse et l’Union européenne, il subsiste encore une grande nécessité d’éclaircissement – également à l’intérieur du pays. Dans le cadre de nos traditions de démocratie directe, il faut mener un débat ouvert et honnête. Sans avoir mené un tel dialogue, reposant sur une large assise avec la population, l’accord-cadre négocié à huis-clos avec Bruxelles (rattachement institutionnel de la Suisse à l’UE) ne peut être soumis ni au Conseil fédéral, ni au Parlement. Le peuple est toujours et encore l’instance suprême qu’il faut respecter – et qui ne peut être contournée dans des questions aussi importantes. Ce sont des questions étatiques et sociopolitiques concernant l’avenir de notre pays en tant qu’Etat souverain. Pour traiter de ces questions, il faut une culture du dialogue basée sur les règles de la démocratie directe et sur l’égalité de tous les participants. Il faut aussi que les positions soient clairement déclarées. Celui qui parle de la «voie bilatérale» doit également déclarer quel est le but qu’il désire atteindre en prônant cette voie.