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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°42, 1 novembre 2010  >  Réflexions sur la faim et la sécurité alimentaire [Imprimer]

Réflexions sur la faim et la sécurité alimentaire

A l’occasion de l’exposition «Die Welt im Topf» au musée Rosgarten de Constance

par Urs Knoblauch, Fruthwilen

L’exposition spéciale remarquable «Die Welt im Topf – kleine Kulturgeschichte der Küche am Bodensee» [Le monde dans une marmite – petite histoire culturelle de la cuisine dans la région du lac de Constance»] au musée Rosgarten de Constance, présente une thématique actuelle et importante. Elle incite à la réflexion sur la consommation, la faim et la sécurité alimentaire dans notre monde. Elle attire le regard vers l’importance de l’agriculture, des économies nationales saines et vers nos habitudes alimentaires.

L’exposition remarquablement bien installée pour les familles et les adolescents nous donne des aperçus précieux de l’origine et la préparation des aliments des alentours du lac de Constance et des pays qui l’entourent, la Suisse, l’Allemagne et l’Autriche, mais aussi des influences interrégionales. Tobias Engelsing, directeur des musées communaux de la ville de Constance et curateur de l’exposition, historien et auteur du catalogue, écrit: «Sur les voies internationales du commerce parcourant la région du lac de Constance a été importé, depuis les ports européens d’outremer et par les cols alpins, tout ce qui était en vogue ailleurs dans le domaine culinaire: des épices, du sucre, du chocolat, du café, des fruits exotiques, des nouilles, du riz, des vins et beaucoup d’autres choses. Depuis la Réformation, la région du lac de Constance est devenue une terre d’immigration mouvementée à partir des pays de la monarchie autrichienne. Des régents prévoyants y ont installé depuis le XVIIIe siècle des réfugiés et des migrants travailleurs de la Suisse et de la France révolutionnaire. Ainsi sont arrivés au bord du lac de Constance des maîtres-cuisiniers de France, des cuisinières bohémiennes, des vendeurs de marrons de Slovénie, des marchands de salamis italiens, et ils ont apporté leurs recettes et leurs secrets de cuisine.»
Dans cette exposition richement documentée et dans le catalogue, des relations historiques et culinaires multiples se révèlent. A part des ustensiles de cuisine du temps de nos grand-mères (qui sont d’ailleurs toujours très bien utilisables), des cubes de bouillon historiques de Maggi, des paquets de soupe à l’avoine, des auto-cuiseurs et de vieilles affiches de l’«Exposition suisse pour l’agriculture, l’exploitation forestière et le jardinage» en 1900 à Frauenfeld ou du cépage «Müller-Thurgau», le tourisme naissant, les nouveaux moyens de transport et l’hôtellerie avec ses cures de petit-lait, ses tables exclusives et les menus riches sont présentés dans l’exposition et le catalogue.
Les vieux livres de recettes, écrits par des cuisinières et des ménagères, sont particulièrement intéressants. Un trésor et une culture riche d’un savoir qui découle de l’expérience pratique. Dans ces vieux livres de cuisine l’on apprend aussi des choses sur le quotidien qu’on oublie trop facilement de nos jours. «L’abattage, le découpage, plumer et préparer, étaient des étapes d’un quotidien dans la cuisine sans frigidaire et sans glace.» Le plus important c’était toujours de travailler de façon économique. L’homme des Lumières et théologien réformé J. A. Pupikofer constate: «Le Thurgovien a l’habitude d’une nourriture solide.» Au catalogue s’ajoute aussi un petit livret de recettes issues de recettes familiales et de vieux livres de cuisine de l’ancien chef-cuisinier du Château de Wolfsberg à Ermatingen (CH).
A part les nombreux textes historiques intéressants, les illustrations et les ustensiles de cuisine, les mets et différentes cultures de table, le catalogue et l’exposition bien fréquentée (prolongée jusqu’au 30 décembre) nous incitent à la réflexion sur l’agriculture et nos habitudes alimentaires. Comment est-ce que cela s’est passé chez nous, dans la famille, dans la commune, au village, en ville dans le canton ou bien dans le Land? Beaucoup d’aspects géographiques, historiques culturels et humains ont pu être éclairés. Quelques aspects de la thématique seront exposés dans cet article.

Apprendre à penser historiquement

Ce qui est précieux dans l’exposition, c’est qu’elle dirige le regard vers l’histoire. Le visiteur est incité à se rappeler l’époque de ses grands-parents et de ses ancêtres dans laquelle la plupart de la population était composée de paysans, où il y avait encore plus d’exploitations paysannes et pas encore de frigidaire ni d’entreprises de logistique ni d’aliments du monde entier.
Ainsi une représentation montre l’offre au marché pendant le Concile de Constance en 1414. Dans un récit du moine saint-gallois Ekkehard IV sur les habitudes de table au monastère de l’an 1000, le lecteur ou le visiteur apprend: «Les petits oiseaux capturés au collets ne nuisent à personne» et «pour mille petits poissons cuits» le moine demande la bénédiction de Dieu. Le poisson joue un rôle central dans la région du lac de Constance, mais il a aussi une signification symbolique dans la religion chrétienne avec le pain, le vin et l’huile. Les moines de Saint-Gall vivaient sans viande pendant 140 à 160 jours par an et ils ont développé une riche variété de mets de poissons. Le jus de fruits thurgovien faisait partie de leur table ainsi que le vin. La célèbre «Mosterei» (pressoir pour le cidre) Möhl d’Arbon montre des bouteilles de cidre historiques et des ustensiles. Elle fait partie des nombreux sponsors de l’exposition. Dans le jardin du monastère on a planté du chou, du poireau, de l’ail, du melon, des courges, des petits pois, des lentilles et de la laitue, la salade de l’époque. Le lait, le fromage, le miel et des gâteaux faisaient aussi partie du menu. «Il faut boire du lait de chèvre cru», parce qu’il est très sain, recommande Ekkehard qui est décédé en 1036 et a laissé un livre «Casus monasterii Galli» avec beaucoup d’anec­dotes. Les monastères des Bénédictins étaient aussi connus pour leurs riches jardins d’herbes aromatiques et d’épices qui étaient utilisées pour l’alimentation aussi bien que pour la médecine.
Il vaut la peine, de jeter un regard sur les règles simples de l’ordre de Benoît de Nursie sur le Mont Cassin et la vie laborieuse, méditative et culturellement très riche de la communauté du couvent. Une règle de vie très importante: «Etre généreux dans les petites choses, mais veiller sévèrement à donner à la vie harmonie et précaution.» Benoît n’aimait pas les sanctions drastiques pour des fautes qui étaient habituelles alors et non plus la prière excessive et des ruminations excitées derrière les murs du monastère. «Il a proposé un modèle d’harmonie se composant du service spirituel pour la communauté des ­moines, de travaux manuels réguliers et d’une vie matériellement modeste.»
En savoir un peu plus de cette conception de vie, la lecture ou une visite dans l’église d’un monastère serait certainement salutaire en nos jours d’indifférence et de surconsommation. Beaucoup de ces mœurs de table monastiques ont aussi été la coutume des citoyens des villes moyenâgeuses de la région du lac de Constance. «Les baies de la région, fraîches ou en confiture et marmelade, arrivaient depuis les forêts et les jardins dans les marchés des villes autour du lac de Constance.» Mais on y trouvait aussi une grande pauvreté.

Les bienfaits de la paix, des Lumières, des sociétés de lecture et de la pomme de terre

Une grande partie de l’exposition et du catalogue attire l’attention de manière impressionnante sur les grandes famines. 1816 était une année spécialement dure, il a plu pendant 122 jours et neigé pendant 35 jours. La population était affamée par de ­longues années de pressions, de destructions, de pillages des guerres napoléoniennes. La renaissance de l’industrie du textile dans la région du lac de Constance, et surtout dans les cantons de Suisse orientale, a donné un nouvel espoir. C’est uniquement par les grands efforts communs de quelques personnes responsables, des scientifiques, des ­églises et avant tout des paysans, que la faim a pu être vaincue par la culture de la pomme de terre.
Des milliers ont quand même dû quitter leur patrie à cause de la faim, «en Europe ont commencé les grands mouvement d’émigrations». Il n’y avait pas assez de nourriture et de possibilités d’existence: «Entre 1750 et 1800, la population du continent européen a passé de 50 millions à 180 millions d’habitants. Au milieu du XIXe siècle, on en était déjà à 266 millions. Des cercles scientifiques ont jugé nécessaire, face à ce développement, de stabiliser l’agriculture qui ne donnait alors que peu de rendement, peu variée et vulnérable, par des réformes sur des bases scientifiques.» Ce fut donc une bénédiction que l’époque des Lumières, de pair avec les idéaux chrétiens, aient de nouveau mis au centre la raison, la recherche scientifique et les efforts sociaux pour la liberté, la fraternité et l’égalité sans le régime féodal et en direction de la démocratie. «A cette époque, des hommes éclairés aux idées de réformes, des élites citadines ont fondé des sociétés d’agriculture et d’économie. A côté de nombreuses sociétés de formation et de lecture, des académies et des sociétés de réforme, ces ‹patriotes économiques› se sont voués tout spécialement à la réforme de l’agriculture. Sans être freinés dans leur ardeur par des seigneurs féodaux, des hauts fonctionnaires, des pasteurs, des commerçants, des médecins et des fabricants se sont mis à fonder de telles associations dans tout le pays: En 1746 a été créée à Zurich la ‹Physikalische Gesellschaft› qui s’est changée plus tard en ‹Naturforschende Gesellschaft› avec sa ‹commission économique›, orientée vers l’agriculture. En 1759, à Berne, a été fondée, inspirée par le ‹Café littéraire› du réfugié italien Felice, la ‹Oekonomische Gesellschaft›. Au début des années 1760, des groupes semblables se sont formés à Fribourg, Bâle, Soleure, Bienne et aux Grisons. En 1767 est apparue la ‹Reformierte toggenburgische Moralische Gesllschaft› [Société morale réformée du Toggenbourg]. Dans ses rangs on trouve le paysan, ouvrier textile et écrivain Ulrich Bräker, connu par son roman autobiographique ‹Le pauvre homme du Toggenbourg›.»
Avec l’influence du philosophe français Jean-Jaques Rousseau, la vie naturelle à la campagne a pris plus de valeur face à la vie dans les milieux citadins, ce qui a renforcé la paysannerie. Mais les élites citadines et les fabricants émergents ont essayé d’élargir leurs privilèges et ont propagé l’idée des reformistes de planter davantage de pommes de terre, de céréales et de légumes, cependant avec l’intention d’assurer l’ancien ordre des taxes avec la dîme des paysans pour les seigneurs des villes. Mais les «patriotes économiques» zurichois ont quand même atteint un succès décisif avec leur engagement pour la pomme de terre. «Ce tubercule venant du Pérou, de la Bolivie et du Nord du Chili, importé dans la deuxième moitié du XVIe siècle en Espagne, Irlande et Angleterre, n’a été connu jusqu’au XVIIIe siècle presque uniquement que comme plante médicinale ou comme plante de décoration dans les jardins des princes.» En Suisse, en peu d’endroits uniquement, des essais de culture de la pomme de terre furent entrepris. Ulrich Bräker se rappelle la première culture dans sa jeunesse à la fin des années 1730 et plusieurs sources en témoignent: «En 1740, Johann Ludwig Meyer de Knonau/Weiningen dans le canton de Zurich a fait les premiers essais de culture et il a propagé, aussi comme membre de la commission économique, la construction de machines à pommes de terre, avec laquelle on pouvait faire de la farine panifiable à  partir de pommes de terre séchées.» Il comptait parmi les pionniers de la culture bénéfique de la pomme de terre, tout comme Hans Blarer de Wartensee avec son domaine agricole près de Oberengst­ringen, le maire Johann Conrad Heidegger et le paysan modèle Jakob Gujer, connu sous le nom de «Kleinjogg». Car dans les années terribles de la famine de 1770/71 «les propositions des économistes zurichois autour de leur président, médecin de la ville Hans Caspar Hirzel, sont tombées dans une terre fertile. Ainsi les couches de population pauvres et sans terre ont eu la possibilité de s’assurer contre la famine en cultivant la pomme de terre dans leur jardin. «Avec des exposés théoriques pour les intellectuels sachant lire, des discussions avec les paysans et par des concours bien rémunérés, les théoriciens et réformistes citadins ont essayé de convaincre la population campagnarde des bienfaits de cette culture des champs inconnue.»
A part la culture de la pomme de terre, les «patriotes économiques» ont aussi fait de la propagande pour la culture de trèfle et l’alimentation du bétail à l’écurie en été. Pendant les années de famines en 1770/71, la pomme de terre s’est répandue dans toute l’Europe, mais à peine la famine surmontée, ce tubercule magnifique, qui peut être préparé de diverses manières, a été dévalorisé et présenté comme met des pauvres. Les gros paysans n’aimaient pas cette concurrence à la culture lucrative du blé. Les réformistes citadins se voyaient confrontés ainsi à toute une série d’adversaires et de dangers spéculatifs à propos du tubercule. Mais la vérité, la raison et l’information se sont fait jour: «L’un des propagandistes éloquents pour la pomme de terre était le pasteur réformé David Trachsel de Trüllikon. Pendant l’année de famine de 1770, il a essayé de convaincre ses compa­triotes du nouveau légume des champs. Dans son livre de propagande il a créé pour des paysans riches et pauvres des menus parmi lesquels on trouve entre autre la préparation de la pomme de terre simplement ‹bouillie› avec du sel, la salade de pommes de terre avec du vinaigre et de l’huile et le pâté de pomme de terre aristocratique.» Il a eu du succès pendant l’année de crise de 1770, également dans les cantons de Thurgovie, Saint-Gall et Schaffhouse. «Un des premiers cultivateurs de pomme de terre à l’ouest du lac de Constance aurait été le patricien saint-gallois Zollikofer qui a introduit le nouveau fruit des champs en 1760 au-dessus d’Ermatingen. Dans une chronique de Saint-Gall on peut lire à la fin de la famine: «La pomme de terre, à peine estimée comme fourrage pour les bêtes» a quand même eu une «reconnaissance méritée à travers l’épreuve de la misère».
Pendant la Seconde Guerre mondiale, également, en temps de détresse, avec l’élargissement de la culture de la pomme de terre et le «Plan Wahlen» dans toute la Suisse, la population a pu être ravitaillée suffisamment. Malgré une nourriture rationnée, on a même pu aider les enfants victimes de la guerre qui avaient faim. Cet effort humanitaire impressionnant, trop peu connu, de la population suisse et de la Croix-Rouge est passé sous silence par les «historiens du Rapport Bergier». Au-delà du lac, dans les villes et villages allemands, on a organisé la «Schweizerspeisung»: en bateaux des enfants allemands ont été amenés en Suisse pour pouvoir reprendre des forces. Des photographies et des documents montrent ces faits dans l’exposition, ainsi que le travail de recherche précieux et les publications de l’historien allemand Bernd Haunfelder.

Retour à la simplicité et à l’économie individuelle et nationale saine

C’est avec le travail infatigable des paysans, des associations, des professions et avec les soins et la responsabilité des communes, des cantons et de la Confédération ainsi que de personnalités individuelles et les progrès de la science et de la technique d’élaboration, des églises et de la solidarité de la population qu’il a été possible de produire une nourriture saine pour tout le monde. Une nourriture simple comme la pomme de terre, une soupe, du lait, du jus de pomme, du pain, du fromage, de la salade, des légumes ou des pommes deviennent de ce point de vue très précieux. L’aperçu des menus des gens pauvres ou aisés du XIXe siècle nous fait réaliser avec quelle folie nous nous comportons aujourd’hui, quant à la nourriture et aux montagnes de dettes. Dans beaucoup de pays au monde, les gens souffrent de la faim et meurent, bien que l’humanité soit capable de les nourrir tous.
Les prix hauts ou bas souvent manipulés, sujets aux intempéries ou aux mauvaises récoltes, les aliments qui se raréfient comme le blé ou le maïs, cotés en bourse et qui ne sont plus accessibles aux paysans dans les pays pauvres, jettent une lumière crue sur l’urgence de cette thématique. La dépendance grandissante des pays d’importations et la baisse constante du nombre des exploitations agricoles sont très alarmantes. Pour cette raison, le Rapport sur l’agriculture mondiale de 2008 de l’ONU, du FAO, de la Banque mondiale et de l’Unesco représente une grande bénédiction. Il est possible, avec des petites et moyennes exploitations agricoles, mais aussi avec de grandes entre­prises honnêtes et des réformes, de créer dans le monde entier un approvisionnement autonome et des marchés régionaux, et de les augmenter de telle sorte que personne ne doive avoir faim, qu’il y ait du travail pour tout le monde et que les quartiers de misère disparaissent dans les métropoles. De ­petites exploitations familiales et des coopératives villageoises pourraient ainsi créer une vie digne et construire des écoles, des installations sanitaires et des infrastructures ­simples. Les expériences du DDC du CICR et de la coopération moderne pour le développement le confirment.
L’exposition et le catalogue peuvent être recommandés de tout cœur, pour de grandes familles, des écoles et des adolescents. On peut y apprendre des choses importantes sur les grands-parents et les ancêtres. Que nous ayons en Suisse encore la possibilité d’avoir des tables bien garnies et une grande offre de nourriture n’est pas une évidence. Profitons de l’occasion de réfléchir et d’agir raisonnablement et humainement.     •

L’exposition du musée Rosgarten de Constance a été prolongée jusqu’au 30 décembre 2010, elle est ouverte de mardi à vendredi de 10 à 18 h, le dimanche et les jours fériés de 10 à 17 h. Fermé le lundi.
Tél. +49 7531 900 246,  www.rosgartenmuseum-konstanz.de ou Städtische Museen Konstanz

Source: Recettes tirées de Traditionelle Gerichte der Bodenseeregion. Aus Familienüberlieferung und alten Kochbüchern, actualisé par Fridolin Berchtold, ancien Chef de cuisine du Château de Wolfsberg, Ermatingen (CH)