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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°23, 13 juin 2011  >  Quels sont les dessous du «tournant énergétique» en Allemagne? [Imprimer]

Quels sont les dessous du «tournant énergétique» en Allemagne?

km. Le 30 mai – le jour où le gouvernement allemand a rendue publique sa décision d’arrêter toutes les centrales nucléaires alle­mandes d’ici à 2022 – Angela Merkel a présenté, en accord avec la «Commission d’éthique sur la sécurité de l’approvisionnement énergé­tique», qui avait été mise sur pied par le gouvernement à la suite de l’accident nucléaire de Fukushima, le rapport final de 48 pages élaboré par cette commission.
En lisant ce document intitulé «Le tournant énergétique, une décision d’avenir», on constate qu’il ne contient ni analyse scientifique permettant de comprendre comment l’Allemagne entend satisfaire ses besoins énergétiques à l’avenir, ni informations sur la planification des besoins en énergie dans le cadre de la Loi fondamentale. En fait, le rapport ressemble fort à un manifeste politique.
•    Le texte s’en tient, en ce qui concerne les sources d’énergie potentielles de l’avenir, aux combustibles fossiles et aux énergies dites renouvelables et met l’accent sur ces der­nières. D’emblée, il exclut le nucléaire comme source d’énergie future. On ­n’évoque nulle part la possibilité de développer de nouvelles techniques dans le domaine du nucléaire qui permettraient éventuellement de résoudre les difficultés actuelles.
•    On ne se préoccupe pas de savoir comment réduire les risques d’accidents dans les réacteurs actuels dans les dix ans à venir, alors qu’il s’agit d’une question de première importance.
•    En déclarant vouloir penser de manière «globale» et «systémique», on utilise des termes très vagues qui n’engagent à rien. Ces termes se rapprochent de ceux de l’Agenda 21, ce sont ceux de politologues, de sociologues et de représentants de disciplines similaires, et l’on ignore presque totalement ceux des sciences de la nature.
•    L’Allemagne doit devenir le «modèle» et le terrain d’expérimentation de la future politique énergétique du monde entier.
•    Le rapport préconise de soumettre l’utilisation future du nucléaire pour la production d’énergie à un contrôle international et d’en faire une des questions principales d’une «politique intérieure mondiale».
Le fait que la Commission parle de la nécessité d’une «politique intérieure mondiale» en matière de production d’énergie, mais veut en même temps faire adopter son «modèle» national aux autres, n’est un paradoxe qu’à première vue. Depuis 1990, la volonté de l’Allemagne de contraindre les autres pays à se ranger à sa politique n’a cessé de se développer. Il est frappant de constater que la Commission intitule son dernier chapitre «Dimension internationale du made in Germany». Sans qu’il y ait eu de concertation avec les autres Etats, elle écrit: «La souveraineté nationale de prise de décisions concernant la construction de centrales nucléaires est en contradiction avec les conséquences potentielles d’un accident qui dépassent les frontières. [...] Après Fukushima, il est de première importance d’européaniser et d’internationaliser les législations nationales concernant la sécurité nucléaire.» (p. 47)
Au sein de l’UE, le gouvernement allemand veut donner à la Commission de nouveaux pouvoirs dans le domaine de la réglementation du nucléaire. On notera que l’actuel commissaire européen chargé de l’Energie est un Allemand.
Les réactions de l’étranger à la démarche en solitaire de l’Allemagne ont été modérées. Selon la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 1er juin, la sortie allemande du nucléaire est ressentie en France comme «une rude épreuve pour les relations franco-allemandes». En effet, d’autres pays ne sont apparemment pas prêts non plus à suivre la voie allemande. Eric Besson, ministre français chargé de l’Energie a déclaré: «Barack Obama a confirmé qu’il n’y aurait pas de moratoire sur le nucléaire aux Etats-Unis. Malgré la catastrophe de Fukushima, le Japon n’est pas disposé à débrancher ses ­centrales nucléaires. La Chine et l’Inde ont développé d’importants programmes nuclé­aires afin d’assurer leurs besoins en énergie. En Europe, la Grande-Bretagne, la ­République tchèque et la Bulgarie maintiennent leurs efforts dans ce domaine».
En fait, on peut se demander pourquoi la politique allemande annonce si vite et si vigoureusement un changement de cap radical. Cela manque nettement d’objectivité. Le journal «Die Welt», qui jusqu’à présent se rangeait toujours du côté de Mme Merkel, a publié le 31 mai le commentaire suivant: «La démocratie se distingue par le fait qu’on trouve toujours des alternatives. Actuellement, le gouvernement allemand viole ce principe de façon scandaleuse. Il va de soi que le pays a et aura besoin d’un savant mélange de sources d’énergie, c’est pourquoi il est absolument nécessaire de développer des alternatives au nucléaire. Mais la précipitation dont a fait preuve le gouvernement allemand en décidant de renoncer définitivement et rapidement au nucléaire est un déni de toutes les règles de procédure démocra­tiques.»
Il est également intéressant de prendre connaissance de l’avis de la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 31 mai: «Ce sont les Verts qui triomphent dans cette lutte concernant le nucléaire. Les conséquences peuvent en être une extension de la situation existant dans le Bade-Wurtemberg». Et on se demande si Angela Merkel servira de soutien occulte aux projets des Néo-Verts qui causeront encore bien des difficultés à l’Allemagne, mais pas uniquement à ce pays, loin de là.     •