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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°16/17, 26 avril 2011  >  Enfants de la guerre [Imprimer]

Enfants de la guerre

Les armes américaines ont pacifié Falloujah… et empoisonné peut-être toute une génération

par Kelley Beaucar Vlahos

Dans son dernier Discours sur l’état de l’Union, le président Obama a déclaré que «la guerre en Irak touchait à sa fin», du moins pour les Américains qui rentrent «la tête haute» parce que «nous avons rempli nos engagements».
Pour des millions d’Irakiens, cependant, la guerre est loin d’être terminée. Pour un nombre croissant de familles des villes qui ont été presque complètement détruites pendant les années d’insurrection et de contre-insurrection, la crise ne fait que commencer. Nous ne pourrons à nouveau garder «la tête haute» en politique étrangère que si nous assumons la responsabilité du rôle que nous avons joué dans cette guerre. Comme l’a déclaré un Irako-Américain à TAC Presse, «le fait que nous n’y faisions pas attention ne signifie pas que le reste du monde n’y fait pas attention.»
Selon des enquêtes et des témoignages de ces dernières années, à Falloujah, ville irakienne qui a été quasiment anéantie lors de deux offensives importantes en 2004, on enregistre un taux stupéfiant de malformations chez les nouveau-nés. La situation rappelle des informations en provenance de Bassora qui ont commencé à circuler après la guerre du Golfe de 1991.
La liste des horreurs fait froid dans le dos: bébés à deux têtes, tête anormalement grosse, œil unique au milieu du front, absence d’yeux, lésions cérébrales, membres absents ou supplémentaires, malformations cardi­aques, absence d’organes génitaux, tumeurs. Après avoir visité une clinique de Falloujah en mars de l’année dernière, le reporter de la BBC John Simpson a déclaré ceci: «On nous a détaillé le cas de quantité d’enfants présentant de graves anomalies congénitales. On m’a montré une photo d’un bébé à trois têtes». Plus tard, au principal hôpital de la ville financé par les Etats-Unis, «un flot de parents est arrivé» avec des enfants présentant des anomalies des membres et des affections de la colonne vertébrale ainsi que «d’autres problèmes». On dit que les autorités de Falloujah ont déconseillé aux femmes d’avoir des enfants.
Le Dr Ayman Qais, directeur du centre hospitalier de Falloujah, a déclaré au «Guardian» qu’il voyait deux bébés malades par jour alors qu’il n’en voyait que deux tous les quinze jours en 2008. «La plupart des malformations concernent la tête et la moelle épinière mais on observe aussi de nombreuses atteintes des membres inférieurs. Il y a également une nette augmentation des cas d’enfants de moins de deux ans atteints de tumeurs au cerveau. C’est maintenant un foyer de tumeurs multiples.»
Les photos et les vidéos aisément accessibles sur Google sont atroces.
Mais rien n’est simple dans cette question. Les scientifiques, les médecins et les humanitaires s’accordent en général pour condamner la guerre. La présence de tant d’armes, de déchets et de décombres ainsi que de ­fosses de brûlage sur les bases américaines, de même que les incendies de puits de pétrole, ont laissé derrière eux un héritage toxique qui empoisonne l’air, l’eau et le sol irakiens. Ajoutez à cela des armes très controversées dont les Etats-Unis ont simplement laissé entendre qu’ils les avaient utilisées, comme celles à l’uranium appauvri et vous obtiendrez un paysage potentiellement radioactif à l’origine d’enfants condamnés à mourir et de morts-nés.
«Je crois que nous avons détruit l’Irak», déclare le Dr Adil Shamoo, biochimiste à l’Université du Maryland spécialisé en ­éthique médicale et en politique étrangère. Pour cet Irako-Américain, relier la situation sanitaire dégradée de l’Irak aux bombardements incessants de ses villes et aux sé­quelles polluantes des combats et de l’occupation est une simple question de bon sens.
Le Département de la Défense américain est d’un autre avis. Il rejette l’idée que l’armée soit responsable des maladies chro­niques, des malformations congénitales et des taux élevés de cancers dans les populations locales et chez les soldats américains exposés aux mêmes agents sur le théâtre des opérations. (Les responsables du Pentagone n’ont pas répondu aux appels téléphoniques et aux courriels concernant les accusations spécifiques portées dans cette affaire.)
Cela dit, le gouvernement irakien a fait peu de choses pour s’attaquer à la crise sanitaire de Falloujah et d’ailleurs. Les autorités n’ont pas les moyens et ne veulent apparemment pas lutter contre la pollution aux alentours des agglomérations alors que de nombreux Irakiens réclament à cor et à cri de l’eau potable et des soins médicaux de base.
«Ce n’est pas même sur leur radar», déclare Geoff Millard, ancien combattant de la guerre en Irak qui a participé cet hiver à une mission humanitaire de l’organisation Iraqi Health Now qui collecte des fonds pour les hôpitaux, les cliniques et les camps de réfugiés. «Si l’on a une démocratie mature avec un gouvernement stable, on peut commencer à penser à l’impact sur l’environnement. On n’en parle pas quand on a des escadrons de la mort qui sévissent dans les rues.»
Toutefois, une étude conjointe des ministères irakiens de l’environnement, de la santé et de la science a identifié l’été dernier 40 sites contaminés par des niveaux élevés de radioactivité et de dioxines, résidus de trois décennies de guerre. Des esprits critiques estiment à plusieurs centaines le nombre de ces sites.
Les zones entourant des villes comme Falloujah et Bassora représentent 25% des sites contaminés. La pollution de Bassora remonte au moins à 1982, lorsque l’Opération Ramadan, la plus importante bataille terrestre de la guerre Iran-Irak – dans laquelle les Etats-Unis étaient aux côtés de l’Irak, lui fournissant, pour des milliers de milliards de dollars, des armes, du matériels «à double usage» (civil et militaire), des entraînements et du soutien – a fait trembler le désert situé autour de la ville. Mais au cours des 20 années qui ont suivi la première guerre du Golfe, Bassora a enregistré une nette augmentation des maladies infantiles. Selon des chercheurs de l’University of Washington School of Public Health, le taux de leucémies infantiles a doublé à Bassora entre 1993 et 2007.
«Il s’agit là d’une grave crise de santé publique qui mérite l’attention du monde entier. Nous avons besoin de recherches indépendantes et impartiales sur les causes possibles de l’épidémie» a déclaré le toxicologue Mazhgan Savabieasfahani, co-auteur du très récent rapport sur les malformations congénitales à Falloujah.
Mais il est difficile de découvrir la source du fléau. L’Irak est passé maître en matière d’incurie environnementale. Ainsi, des rapports indiquent que les déchets de l’industrie lourde, du tannage, des usines de peinture et des hôpitaux, même les eaux usées, continuent d’être déversés dans le Tigre et l’Euphrate et à contaminer l’eau potable. Pourtant on ne peut guère douter du nombre des victimes qu’ont faites 30 ans de guerre et de sanctions économiques. La réalité des ravages de la guerre est évidente lorsqu’on regarde des photos de bébés qui n’ont presque plus rien d’humain, de malheureux effroyablement maigres, affaiblis par leurs malformations.

Que s’est-il passé à Falloujah?

En décembre, un rapport de l’International Journal of Environmental Research and Public Health précisait que depuis 2003, on observait à Falloujah des «malformations congénitales» chez 15% des nouveau-nés. Les déficiences cardiaques sont les plus nombreuses, suivies des malformations du tube neural, qui provoquent des malformations irréversibles et parfois mortelles comme des anencéphalies (absence de parties du cerveau et du crâne à la naissance).
A titre de comparaison, ces graves malformations congénitales n’affectent qu’environ 3% des nouveau-nés aux Etats-Unis et 6% en moyenne dans le monde.
L’étude de décembre concerne les naissances au centre hospitalier de Falloujah durant le premier semestre de 2010. En mai, elle a trouvé que 15% des 547 nouveau-nés présentaient des malformations congénitales. Ce mois-là, il y a eu également 76 fausses couches, 60 naissances de prématurés et un enfant mort-né. Les chercheurs ont obtenu les mêmes chiffres pour les quatre premiers mois de 2010.
Les chercheurs ont étudié l’histoire sanitaire de quatre familles de Falloujah: quatre pères, chacun ayant deux femmes, et leurs 39 enfants. Parmi ceux-ci, 3 avaient été des fausses couches, 3 étaient morts-nés, 8 présentaient des anomalies congénitales et des malformations du squelette et 3, des mêmes parents, souffraient d’une leucémie. ­Toutes ces naissances anormales avaient eu lieu après 2003, à l’exception d’un enfant né avec une leucémie en 2002 et 2 fausses couches pour une mère en 1995.
Selon le rapport, «le moment d’apparition des anomalies congénitales fait penser ­qu’elles sont peut-être liées à l’exposition à long terme à la contamination due à la guerre. De nombreux agents contaminants connus peuvent affecter le développement normal de l’embryon et du fœtus». Le rapport suggère également que des métaux comme l’uranium appauvri associés à des armes «enrichies» ou «ciblées» sont «susceptibles de provoquer des malformations congénitales» mais il insiste sur le fait que des recherches sont encore nécessaires pour établir l’existence d’une cause directe.
Un autre article récent intitulé «Cancer, Infant Mortality and Birth Sex-Ratio in Fallujah, Iraq, 2005–2009», publié en juillet par l’International Journal of Environmental and Public Health, relate les résultats d’une enquête porte-à-porte effectuée auprès de 4843 habitants de 711 maisons de Falloujah. Conscients des limites de ce genre d’enquête – on ne peut pas vérifier les réponses de manière indépendante, par exemple – les auteurs ont tout de même obtenu trois résultats incontestables: a) une diminution significative de 18% des naissances de garçons dans le groupe après 2004; b) un pic de mortalité infantile: 13% de morts-nés en 2009 et 2010 (contre 2% en Egypte et 1,7% en Jordanie); c) entre 2005 et 2010, la fréquence des cancers liés à l’exposition aux radiations, en particulier des leucémies, est «alarmante» en comparaison des taux observés en Egypte et en Jordanie. (Les auteurs précisent que l’Irak n’a toujours pas de statistiques offici­elles sur les cancers.)
Selon les auteurs, «les faits rapportés ici ne donnent aucune indication sur l’identité de l’agent ou des agents qui a ou ont provoqué cette augmentation de cas de maladies et bien que nous ayons attiré l’attention sur l’usage de l’uranium appauvri comme agent potentiel, il existe d’autres possibilités». A vrai dire, les autres agents contaminants potentiels sont nombreux, mais l’uranium appauvri a été longtemps un des principaux suspects.

L’uranium appauvri

L’uranium appauvri (UA) est un métal radioactif lourd, dense, extrêmement toxique régulièrement utilisé par l’armée pour ses qualités hautement protectrices et son pouvoir de pénétration. Les chars Abrams et les véhicules de combat Bradley en contiennent dans leur blindage et leurs munitions.
En plus de leur pouvoir de pénétration en profondeur, les armes à l’UA peuvent causer plus de dommages encore car elle ­mettent instantanément le feu à leurs cibles. Selon GlobalSecurity.org: «Dès l’impact sur une cible dure (par exemple un char), le pénétrateur peut produire dans le véhicule touché un nuage de poussière d’UA qui s’enflamme spontanément, déclenchant un incendie qui augmente le dommage causé à la cible.»
Après la bataille, les carcasses des chars et les restes de munitions à l’UA qui ont ou n’ont pas explosé produisent des radiations tandis que les microparticules du métal lourd se mêlent à la poussière et peuvent ainsi parcourir de longues distances dans l’atmosphère. Selon les médecins et les scientifiques spécialistes de l’environnement, cette poussière peut être mortelle quand elle est inhalée.
Tout en minimisant les dangers des radiations externes d’UA, l’étude effectuée en 1994 par l’US Army Environmental Policy Institute, suite à la crainte que les soldats de la guerre du Golfe aient été contaminés lors de «tirs amis», a admis que l’UA représentait un risque toxicologique lorsqu’il était inhalé et que «son utilisation sur les champs de bataille avait un impact sur l’environnement». Mais il recommandait finalement de poursuivre l’étude et de gérer les risques plutôt que de renoncer à l’utilisation de l’UA.
Les Etats-Unis ont abandonné environ 320 tonnes d’UA sur les champs de bataille après la première guerre du Golfe. Les attaques à l’UA leur ont conféré un net avantage sur les Irakiens en détruisant environ 4000 de leurs chars de combat, dont beaucoup polluent encore le désert. «Les particules invisibles produites quand ces munitions ont frappé et ont brûlé sont encore «chaudes». Elles font réagir les compteurs Geiger et restent collées aux chars, contaminant le sol et polluant le vent du désert, comme elles le feront pendant des 4,5 milliards d’années qu’il faudra à l’UA pour perdre la moitié seulement de sa radioactivité», a écrit Scott Peterson dans le «Christian Science Monitor».
Plus tard Peterson a prouvé la présence d’UA à Bagdad après la guerre de 2003 en vérifiant avec un compteur Geiger des «points chauds» autour des débris de bataille. Il a noté aussi que l’Armée de l’air avait reconnu que ses Warthog A-1 avaient effectué quelque 300 000 tirs pendant la phase «Choc et stupeur» de l’invasion. En général, chaque bombe incendiaire hautement explosive des canons de 30 mm des avions A-1 est constituée de 5 projectiles à l’UA.
«On n’a pas dit aux enfants de ne pas jouer avec les débris radioactifs», écrit Peterson. Il n’a vu qu’un site où les troupes américaines avaient placé des avertissements écrits à la main en arabe pour que les Irakiens ne s’en approchent pas. «Là, une flèche à l’UA de 3 pieds sur un obus de 120 millimètres a été repérée qui produisait des radiations dépassant 1300 fois le niveau normal. Le compteur Geiger a vu son staccato se transformer en un gémissement strident.»
Il n’a pas été possible de se faire une idée exacte de l’utilisation de l’UA par les forces américaines en Irak en 2003. Mais les mili­taires n’ont pas toujours gardé le silence. Selon le chercheur californien Dan Fahey, à la veille de la guerre, le Pentagone se livrait à sa propre propagande en faveur de l’UA. «La campagne avait deux buts: justifier l’utilisation des munitions à l’UA en tant que nécessité militaire et écarter les inquiétudes concernant la santé et les effets sur l’environnement», a écrit Fahey en 2005.
En effet, dans un communiqué de presse datant du 18 mars 2003, soit deux jours avant l’invasion, le colonel James Naughton de l’U. S. Army Material Command se vantait de ce que les Irakiens «ne souhaitaient plus avoir affaire à l’UA car nous les avions mis dans la merde en 1991» en attaquant leurs chars. «Leurs soldats ne peuvent vraiment pas trouver drôle l’idée de devoir utiliser des chars pratiquement similaires à part quelques légères améliorations et de monter de nouveau sur des chars Abrams.»
Ce genre de propos cessa après la campagne «Choc et stupeur». Dès lors, les officiels se contentèrent de dire que l’exposition à l’UA n’était pas responsable de graves problèmes de santé en Irak. Confronté aux ­preuves d’anomalies congénitales à Falloujah, le porte-parole du Pentagone Michael Kilpatrick a déclaré l’année dernière à la BBC: «Aucune étude n’a jusqu’à présent relevé de problèmes environnementaux provoquant des problèmes sanitaires spécifiques.»
Le Pentagone s’est appuyé sur des ­études choisies, comme celle accomplie par l’Agence internationale de l’énergie ato­mique (AIEA) en 2010, qui a examiné le sol, l’eau et la végétation dans quatre régions – incluant Bassora mais pas Falloujah – et a conclu que «les doses de radiations d’UA ne repré­sentent pas de risque radiologique pour la population sur les quatre sites étudiés dans le sud de l’Irak». Le rapport considère que l’UA a été effectivement utilisé partout dans cette guerre.
Il est intéressant de constater que tant l’AIEA que l’Armée ont admis qu’il était important de manipuler les fragments ­d’armes et les débris de véhicules comme des déchets radioactifs. «On nous a expressément recommandé de ne pas grimper sur les chars qui ont été pilonnés», a déclaré Geoff Millard, jeune soldat qui a reçu en 2000 de brèves instructions concernant l’UA.
La composition exacte des munitions utilisées pendant la bataille de Falloujah vers la fin de 2004 reste inconnue. Mais l’ampleur de la pollution peut être évaluée en considérant l’importance des bombardements. Selon Rebecca Grant, dans son article paru dans l’Air Force Magazine en 2005, les Etats-Unis ont effectué des attaques aériennes impitoyables lors de la première bataille de Falloujah de mars à septembre 2004 et ont déclenché une seconde phase en novembre. Elle décrit un «rythme régulier d’attaques aéri­ennes» lors d’une «chasse à l’homme» surtout urbaine utilisant des hélicoptères de combat AC-130 et des avions à voilure fixe même après qu’on ait dit très tôt aux commandants de réduire l’allure en raison de préoccupations politiques à propos des les dommages collatéraux. Les jets F-15 descendaient en piqué pour mitrailler les insurgés afin de couvrir les marines chargés de coincer les insurgés traqués par des missiles guidés par GPS telles les nouvelles bombes 500-lb GBU-38 JDAM (Joint Direct Attack Munition) qui pouvaient attaquer directement des bâtiments au milieu de zones très peuplées.
Ce dont Grant ne tient pas compte, c’est de l’utilisation de l’UA et du phosphore blanc qui, une fois au contact du corps humain, brûle complètement les chairs ­jusqu’à l’os. Une année après que des médecins de ­Falloujah aient commencé à parler de ces brûlures révélatrices, un porte-parole du Pentagone a admis dans une interview accordée à la BBC que le phosphore blanc avait été effectivement «utilisé comme une arme incendiaire contre les combattants ennemis» en 2004. (Au départ, les militaires avaient insisté sur le fait qu’il n’avait été utilisé que pour l’éclairage des champs de bataille.)
«Une fois qu’ils ont commencé, rien ne les a plus arrêtés», a déclaré le journaliste d’investigation Dahr Jamail, qui était dans la zone de Falloujah à la fin de 2004. Il a dit à TAC Press qu’il n’était pas surpris par les malformations congénitales observées aujourd’hui à Falloujah, ayant vu les conséquences de l’utilisation de l’UA qui a probablement été utilisé en «grandes quantités».
Il n’y a pas de consensus parmi les chercheurs quant à ses effets sur le développement reproducteur à Falloudjah, mais il existe une abondance de données à étudier. La communauté scientifique peut faire valoir une décennie d’études concernant les effets préjudiciables de l’UA sur la santé, notamment un rapport de 2006 qui montre que l’exposition à l’UA a provoqué des disruptions gé­niques chez des rats de laboratoire et que des expériences similaires suggèrent que l’exposition à l’UA pourrait être responsable d’un faible poids à la naissance et de malformations du squelette.

Autres agents contaminants

Le problème lorsqu’on essaye d’identifier un facteur primaire contribuant aux malformations congénitales en Irak est que le pays est un vrai chaudron de contamination. Outre l’eau polluée, il existe partout des fumées provenant de l’incinération de déchets sur les bases américaines ainsi que les incendies d’oléoducs et de gazoducs qui ponctuent le paysage. (Pas moins de 469 de ces incendies, surtout occasionnés par des insurgés, ont été enregistrés entre 2003 et 2008.) Les chercheurs militaires ont aussi pensé à des métaux lourds, naturels ou non, contenus dans la poussière soulevée dans le désert après tant de batailles creusant des cratères dans la terre.
Saddam lui-même a utilisé des armes chimiques contre son peuple et on dit qu’il a ordonné à ses hommes fuyant l’invasion de 2003 de saboter la vieille usine de traitement des eaux de Qarmat Ali, juste au nord de Bassora où le Tigre et l’Euphrate se ren­contrent, en versant dans l’eau une poudre anticorrosive contenant d’énormes quantités de chrome hexavalent, substance chimique connue pour provoquer le cancer.
Certains des soldats de l’Oregon ­National Guard qui, plus tard, ont travaillé et vécu dans cette usine et avaient reçu l’assurance du fournisseur de l’armée Kellogg, Brown and Root que Qarmat Ali était un lieu sûr, sont maintenant si malades qu’ils peuvent à peine marcher. «C’est notre Agent Orange», a déclaré le vétéran Scott Ashby au journal The Oregonian en 2009, faisant allusion à l’herbicide répandu de 1961 à 1971 par les forces américaines sur de vastes zones de la campagne vietnamienne. En 2003, une étude de l’Université de Columbia a estimé à plus de 4,5 millions le nombre de personnes qui y ont été exposées. Le gouvernement du Viêt Nam a estimé les conséquences à 480 000 morts et à 500 000 personnes atteintes de malformations congénitales. Les vétérans américains ont dû déposer plainte devant la justice pour attirer l’attention sur les maladies dues à l’exposition à l’UA.
Dans un certain sens, ce qui arrive partout en Irak est l’Agent Orange du XXIe siècle. Comme au Viêt Nam, une génération plus tôt, les Américains se sont hâtés de se retirer affectivement d’Irak, considérant la guerre comme une bévue juste destinée aux livres d’histoire. Ignorant les «plaintes» de ses compteurs ­Geiger moraux, le public américain cache avec soin les photographies de bébés irakiens atteints de malformations à côté des souvenirs estompés d’enfants vietnamiens et de vétérans américains affectés par les produits chimiques des champs de bataille. La dénégation collective s’est révélée être le meilleur ami de l’Empire, tout comme une désastreuse politique dans le Sud-Est asiatique a ouvert la voie à une catastrophe de 30 ans.    •

Source: Cet article a paru initialement dans The American Conservative (www.amconmag.com)
(Traduction Horizons et débats)

Les coûts de la guerre

ef. Dans son discours à la nation du 28 mars, le président américain Obama a dévoilé que la guerre contre l’Irak avait coûté environ un billion de dollars. Une somme qu’on ne peut plus dépenser pour une autre guerre.
Mais il ne s’est pas exprimé sur la façon dont les calculs ont été faits et si, au fond, on pouvait établir un bilan économique d’une guerre.
Est-ce qu’on peut faire un bilan et calculer en dollars le prix d’une vie humaine, des blessures, des humiliations, de la peur et de la terreur, d’une culture et d’une nature détruites à jamais, des chances perdues vers un avenir plus lumineux pour la génération actuelle et des générations futures …?
Ce qu’on peut chiffrer, ce sont les ­sommes d’argent qui ont été dépensées dans les finances des Etats directement pour la guerre, le matériel, la solde des soldats, pour les mercenaires étrangers, de même les contributions aux familles des victimes de guerre, pour le soin des blessés et des vétérans. Mais il importe d’intégrer dans ce calcul les sommes que les Etats-Unis devraient payer en tant que responsables de la guerre – pour la restitution des biens concrets détruits par cette guerre, les coûts de la reconstruction etc. etc.
Il ne faut pas s’étonner que les indications sur les sommes avancées pour la guerre d’Irak soient tellement diffé­rentes les unes des autres. Le «Center for Defense Information» américain estime que les dépenses du budget du gouvernement américain des années 2003 à 2011 s’élèvent à 802 milliards de dollars. Le «Center for Stategic and International Studies» (CSIS) à Washington, dont les calculs circulent dans le Congrès américain, a calculé dans une étude d’Octobre 2010 («Grand Strategy in the Afghan, Pakistan and Iraq War: The End of State Fallacy») pour les années 2001 à 2011 853 milliards de dollars. La «Brookings Institution» américaine à publié dans son «Iraq Index» du 31 mars 2011 un montant de plus d’un billion de dollars … Joseph E. Stiglitz et Linda J. ­Bilmes ont calculé en 2008 dans leur livre «Die wahren Kosten des Krieges. Wirtschaftliche und politische Folgen des Irak-Konflikts» (Les véritables coûts de la guerre. Conséquences économiques et politiques du conflit d’Irak.) 2 billions de dollars.
Quand George W. Bush est devenu président des Etats-Unis en 2001, la dette étatique se montait à 5,7 billions de dollars. Jusqu’aujourd’hui, la dette a augmenté jusqu’à 14 billions de dollars. Plus d’un demi billion est dépensé par les Etats-Unis depuis plusieurs années pour leur armée et pour leurs guerres. Il faudrait donc des propositions raisonnables pour réduire ces dettes étatiques tellement lamentables. Le résultat n’en serait pas le démantèlement social, mais une aubaine pour l’humanité. A quand la réflexion concernant cette problématique?