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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°6, 15 fevrier 2010  >  L’Union européenne maintient de toutes ses forces l’illusion de l’euro [Imprimer]

Un commissaire de l’UE est censé prendre le contrôle du budget de la Grèce

par Karl Müller

Wilhelm Hankel, Wilhelm Nölling, Karl Albrecht Schachtschneider et Joachim Starbatty ont – comme beaucoup d’autres – toujours raison avec leur plainte contre l’euro (publiée en 1998 sous forme d’un livre intitulé «Die Euro-Klage. Warum die Währungsunion scheitern muss.» [«La plainte contre l’euro. Pourquoi l’union monétaire est vouée à l’échec.»] et une seconde publication parue en 2001 intitulée «Die Euro-Illusion. Ist Europa noch zu retten?» [«L’illusion de l’euro. Peut-on encore sauver l’Europe?»]).
Avec l’introduction de l’euro, l’UE et en particulier la zone euro ont été contraintes à une mise au pas encore plus poussée vers une «économie de marché ouverte où règne la concurrence libre» (selon les articles 119 et 120 du nouveau «Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne», ancien Traité CEE). Tout ordre économique orienté différemment, notamment la politique étatique relative à l’ordre, à la finance et à l’économie, doit être rendu impossible.
C’était – et c’est encore – un abandon radical du bien commun et de la politique axée sur les principes de l’Etat social ainsi que de l’économie nationale protégée et agissant en faveur de tous les citoyens du pays. En outre, c’est une intervention massive dans la liberté d’organisation politique d’un pays.
Maintenant les commissaires de l’UE et leurs dirigeants – notamment ceux venant d’Allemagne – utilisent la crise financière et économique mondiale pour leurs propres intérêts et montrent de cette manière leur vrai visage. L’instrument à cette fin leur est mis à disposition par le «Traité de Lisbonne» et son accord partiel concernant le fonctionnement de l’Union européenne avec ses dispositions dans la partie VIII sur la politique économique et monétaire (articles 119sqq.).
Le 3 février, la Commission européenne a coordonné son procédé futur envers la Grèce et à la mi-février, le Conseil européen des ministres des Finances en délibérera et décidera. Le communiqué de presse de la Commission européenne à ce sujet daté du 3 février (IP/10/116) utilise le nouveau langage voilé de l’UE, mais malgré cela on peut y reconnaître la substance réelle.
La Grèce doit être contrainte à pratiquer une politique qui certes doit également servir «à long terme [?] les intérêts de la Grèce», mais avant tout, et ici il n’est plus question de «long terme», «l’intérêt général de la zone euro et l’Union européenne en général». Pour cela, «les intruments prévus dans le Traité [concernant le fonctionnement de l’UE] relatifs à la surveillance [!] de la politique budgétaire et économique doivent être utilisés pour la première fois simultanément et harmonieusement».
La Grèce doit être forcée à introduire et à mettre en œuvre «des mesures dans les domaines des retraites, du système de santé, de l’administration publique, du mode de fonctionnement des marchés de produits, du marché du travail, du retrait de moyens de fonds structurels, de la surveillance du secteur financier y compris des réformes pour l’augmentation de la compétitivité de l’économie» et «doit être sérieusement contrôlée au moyen de rapports réguliers que la Grèce devra à l’avenir présenter à la Commission».
Concrètement cela revient à dire que la Grèce doit réduire le taux de son déficit budgétaire actuel de 12,7% du produit intérieur brut (pour l’année 2009) par un remède de cheval – qu’on exige d’aucun autre pays de l’UE – à moins de 3% jusqu’en 2012. Pour cela sont prévues avant tout des réductions de salaires sur grande échelle, des suppressions d’emplois dans le service public et des augmentations d’impôts pour la grande majorité de la population.
Quand on lit la liste de la Commission européenne, celle-ci rappelle les mesures de capitalisme sauvage des néolibéraux que Naomi Klein décrit minutieusement dans son livre «La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre» (ISBN 9782742775446) paru en 2007 concernant les pays d’Amérique latine et d’Europe de l’Est, la Russie et l’Asie et qui ont conduit ces pays à la faillite.
Même le journal proche des milieux boursiers «Wall Street Journal», a fait savoir le 2 février que les mesures prévues pour la Grèce pourraient faire passer le taux de chômage ­actuel de 9,3% à 16%. Ainsi il est très compréhensible que les mesures prévues aient déjà provoqué de fortes protestations en Grèce.
Vu la situation actuelle du pays, il paraît grotesque que le gouvernement allemand presse la Grèce d’acquérir des armements coûteux, notamment l’Eurofighter, fabriqué avec la participation de l’Allemagne. (Deutsche Welle du 2 février).
Deux parlementaires allemands ont couronné cette attitude omnipotente de l’UE. Le président de la Commission spéciale sur la crise économique et financière du Parlement européen, le député Wolf Klinz (cf. interview à la Deutschlandfunk du 4 février) propose d’envoyer en Grèce un «haut représentant» de l’UE, un commissaire politique (Klinz le nomme «commissaire aux économies»), dont le rôle sera de contrôler le gouvernement grec sur place: «un surveillant de Bruxelles», «pour assurer que les progrès aient vraiment lieu». Les travailleurs qui protestent sont pour les députés européens allemands, le signe «que les Grecs n’ont toujours pas compris».
Il est particulièrement heurtant que ce soit un Allemand qui dise une chose pareille. Presque personne ne sait que le gouvernement allemand refuse actuellement encore de payer des dommages-intérêts aux victimes grecques des massacres de la Wehrmacht allemande.
Le député Jorge Chatzimarkakis (cf. encadré) a préconisé que la Grèce perde sa sou­veraineté et soit mise sous tutelle. En outre, il a émis les monstruosités suivantes: «Je crois que nous sommes maintenant bien conseillés et que nous avons aussi l’opportunité d’aider la Grèce à retrouver le chemin de la vertu et à vrai dire, les Grecs ont été habitués au cours de leur histoire à avoir des gouvernements étrangers. Plus de 300 ans, ils ont fait partie de l’Empire ottoman et connaîssent le fait d’être gouverné de l’extérieur. Je ne veux pas pavoiser là-dessus, je veux simplement exprimer que l’âme grecque connaît déjà un peu cet état et qu’elle ne sera pas trop étonnée de se retrouver dans une telle situation.»
Au contraire, ce qui est vrai: Au cours des 70 dernières années, la Grèce a ressenti de manière particulièrement dure le fouet des grands pouvoirs: d’abord une occupation allemande brutale pendant la Seconde Guerre mondiale, ensuite une «guerre civile» attisée par l’Occident à la fin de la guerre – parce que les Grecs voulaient prendre une autre voie que celle du capitalisme. Dans les années 60, une dictature militaire instaurée par les USA. Et aujourd’hui? L’UE prend la relève des bourreaux de la Grèce.
Mais pourquoi encore la Grèce? On trouve des budgets falsifiés et une politique de dettes dans beaucoup d’autres Etats membres de l’UE. Il ne faut pas les justifier, mais ce ne sont pas des spécialités grecques. Même le Privateer australien a déjà attiré l’attention sur ce fait (cf. Horizons et débats n° 5 du 8 février). Au niveau économique, la Grèce ne joue pas un rôle spécialement important pour l’ensemble de l’UE. Le député Klinz l’a lui-même mentionné. Pourquoi donc la Grèce doit-elle ainsi être opprimée? Et l’on doit encore aller plus loin en se demandant: Pourquoi certains médias et politiciens utilisent-ils non sans intention le mot raciste PIGS (le mot anglais «pigs» signifie «cochons») quand il est question des pays du Sud, notamment le Portugal, l’Italie, la Grèce et l’Espagne, pays qui ont tous de grands problèmes budgétaires? Mais ils ne sont justement pas les seuls au sein de l’Union européenne!
Les Grecs sont un peuple fier avec une tradition et une histoire. Au cours de leur histoire, ils se sont toujours battus pour leur indépendance et ont recherché une propre voie. La Grèce a été l’un des rares pays de l’UE qui se soient opposés à la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie, contraire au droit international. La Grèce ne s’est pas associée à la reconnaissance illégale du Kosovo par les grands Etats membres de l’UE et de l’OTAN.
Veut-on faire un exemple politique de ce pays pour démontrer comment on peut démoraliser une population possédant sa propre volonté?
Il existe aussi des voix qui affirment que quelques-uns profiteront des mesures prises contre la Grèce: grâce aux intérêts élevés, grâce aux privatisations etc…
Ou bien la Commission de l’UE veut-elle faire croire au monde qu’elle est capable de sauver l’euro, dont le concept même est boiteux, au moyen de mesures dictatoriales.
Est-ce que personne ne se rappelle que le droit de pouvoir décider indépendamment de son propre budget est le droit le plus noble du Parlement d’un pays en tant que représentation du peuple? Tout le monde devrait monter au créneau quand on tente de dépouiller un Etat souverain de ce droit-là et qu’on prévoit un commissaire politique de l’UE pour prendre le contrôle du budget dudit Etat.
Sur le site du Bundestag, on peut s’informer sur la manière dont le Parlement allemand a conquis son droit budgétaire au cours de l’histoire de la Constitution allemande. Et l’on peut également y lire qu’un des buts essentiels de la Loi des pleins pouvoirs d’Adolf Hitler était de retirer au Parlement son droit budgétaire.
L’euro n’a jamais été le choix des peuples d’Europe, il est le produit de la libre circulation des capitaux, des multinationales et avant tout de la haute finance et de leurs auxiliaires d’exécution aussi bien au sein de l’UE qu’au sein des gouvernements des grands Etats européens, notamment celui de l’Allemagne. Celui qui saura reconnaître que la propagande au sujet de l’euro, destinée aux populations, n’est qu’une illusion, saura se libérer  et de l’euro, et de l’UE!•

Un parlementaire salue la mise sous tutelle de la Grèce par l’UE

km. Dans une interview accordée le 5 février au Deutschlandfunk, le député germano-grec au Parlement européen Jorge Chatzimarkakis (FDP), qui fut un collaborateur du ministère allemand des Affaires étrangères au moment de l’introduction de l’euro, a approuvé les mesures envisagées par l’UE contre la Grèce:
«Il s’agit d’une procédure exceptionnelle qui limite la souveraineté de la Grèce en matière économique, financière et budgétaire. […] si cette décision est effectivement appliquée prochainement, cette mise sous tutelle de la Grèce, Etat souverain, si vous voulez […]. Je crois que nous sommes bien inspirés et que nous avons une chance de ramener la Grèce sur la voie de la vertu avec une certaine aide et, franchement, les Grecs ont l’habitude, dans leur histoire, d’avoir des gouvernements étrangers. Pendant très longtemps, plus de 300 ans, ils ont fait partie de l’Em­pire ottoman et savent ce que c’est que d’être gouvernés par l’étranger. Je ne vais pas ici pousser des cris de joie, je tiens simplement à dire que l’âme grecque connaît cela et qu’elle ne serait pas étonnée.»