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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°25, 12 août 2013  >  Les cycles des événements politiques [Imprimer]

Les cycles des événements politiques

Un texte peu connu et rarement discuté de l’année 1971 rédigé par Jean-Rodolphe de Salis – quatrième partie

Nous rencontrons aussi des événements cycliques impressionnants lors des périodes de transition de la paix à la guerre et de la guerre à la paix. La lente intensification des provocations, la réponse aux défis («challenge and response» selon Toynbee), enfin l’échec des efforts diplomatiques pour maintenir la paix et la conviction que seule la force puisse trancher le nœud gordien: ce déroulement s’est répété de façon monotone et uniforme mille et mille fois.
La paix qui suit une guerre est d’abord l’expression politique du déséquilibre des forces à la fin des hostilités. Le vainqueur ou la coalition des vainqueurs a la forte volonté de défendre les avantages acquis grâce à la supériorité militaire. C’est plus facile quand il s’agit d’un seul Etat vainqueur – par exemple l’Allemagne prussienne après 1871 – comparé à une coalition. Des coalitions de vainqueurs ont tendance à s’effriter après avoir réussi l’objectif militaire commun car chaque partenaire revient à ses propres intérêts qui, en général, ne sont pas identiques aux objectifs communs. Après 1815, 1918, 1945, l’unanimité et l’euphorie de la victoire commune ont été suivi par les rivalités ravivées des alliés, (des exemples d’époques antérieures démontreraient le même déroulement). Toutefois, un lien commun survit: les gagnants concurrents de l’hégémonie ne sont pas prêts à se faire dépouiller des fruits de leur victoire. Lénine n’avait pas tort en disant que le vainqueur est toujours pacifiste; il veut garantir la «Pax Romana», la «Pax Britannica», la «Pax Germanica», la «Pax Gallica», la «Pax Americana», la «Pax Russica»: la paix pour garantir les avantages acquis dans la guerre.
Le degré suivant du processus caractérise par la récupération et le rétablissement, des forces du vaincu, ce qui empêche l’ancien vainqueur d’utiliser sans problème le droit du plus fort; il doit compter à nouveau sur l’ancien vaincu comme facteur politique actif, surtout quand celui-ci est capable de faire jouer sa force militaire dans le jeu de la politique étrangère. Normalement, en limitant nos observations à l’Europe, un vaincu a besoin de 15 ans pour récupérer. Quinze ans après Waterloo, c’est la révolution de juillet à Paris et les événements belges de 1830 qui ont remis en question le système du congrès de Vienne sur le plan idéologique et en politique étrangère. En 1886, quinze ans après la paix de Francfort, la France, avec le général Boulanger et son armée renouvelée se voit en face de Bismarck devant accepter la France qui a récupéré ses forces. A la victoire de l’Entente de 1918 s’ensuit, quinze ans plus tard, la nomination d’Hitler comme chancelier du Reich allemand, ce qui met en question l’ordre politique du traité de Versailles et de la Société des Nations. Il est remarquable qu’Henry Kissinger, professeur à Harvard, dans son livre «The Troubled Partnership», mentionne qu’en 1960 – donc quinze ans après la capitulation allemande de 1945 – l’hégémonie américaine a pris fin. Non seulement l’Allemagne de l’Ouest, partie de l’ancien Reich, s’est rétablie, mais aussi les alliés européens des Etats-Unis, épuisés par la guerre et l’occupation, étaient à nouveau en état de se souvenir de leurs intérêts particuliers ce qui avait pour conséquence que l’Amérique, dans le cadre du système de l’Alliance atlantique, ne pouvait plus imposer sa politique à ses alliés. De même dans le monde communiste, il a fallu quinze ans pour adoucir la discipline stalinienne. Le cycle arrive à un tel degré que le vainqueur ne peut plus donner des ordres mais doit négocier et s’arranger avec les anciens vaincus.
A nouveau, cela met en question ses principes, ses idéologies, ses traités et ses systèmes d’alliances. Il est difficile, quinze ans après la fin d’une guerre, de maintenir inchangé un état des choses fixé par des traités, ou seulement par les faits, contre de nouveaux courants et besoins. Ou bien des traités, des dispositions militaires, et des structures internationales s’avèrent flexibles et adaptables pour remplir leur fonction dans une nouvelle étape de la politique étrangère ou bien il y a une rupture et un nouveau conflit.
Les grandes guerres qui ont ébranlé tout le système des Etats et qui ont endommagé grave­ment les ordres établis, comme la guerre de trente ans, les guerres de la Révolution française et celles de Napoléon, les guerres allemandes contre la coalition de l’Ouest et de l’Est entre 1914 et 1945 sont suivies par le désir de reconstruire la vie politique et social sur des bases «légitimes» qui ont fait leurs preuves. Les Américains ont appelé «back to normalcy» ce qu’on avait rétabli avec beaucoup de peine, dans la Paix de Westphalie et ce qu’on appelait, après 1815, la «Restauration»; les caractéristiques de ce besoin de normalisation étaient le retour aux principes et traditions qui avaient fait leurs preuves, et cela aussi bien dans le camp des vainqueurs de l’Est et celui de l’Ouest. L’ordre bourgeois libéral-capitaliste de l’Ouest rétabli et l’ordre monolithique dictatorial communiste rétabli du stalinisme russe étaient des «restaurations» de l’ancien qu’on regardait comme légitime.
Mais le déroulement politique ne laisse pas continuer sans changement de tels systèmes protecteurs qui, après une catastrophe, atteignent leur but. Les saintes (ou pas) alliances subissent le même destin: elles s’usent, leur autorité est contestée, la vie et avec elle la contradiction reprend leur droit et c’est un phénomène qui revient presque toujours dès qu’il y a des failles dans un endroit ou autre du système. On peut très bien situer ces failles; elles se sont déjà produites contre la Sainte-Alliance après le retrait de l’Angleterre en 1823 et puis avec les révolutions françaises et belges de 1830; contre l’hégémonie de la triple entente à travers l’alliance franco-russe de 1892 et l’Entente cordiale de 1904; contre la Société des Nations et le traité de Versailles avec la sortie du Japon, de l’Allemagne et de l’Italie qui s’ensuivirent en peu de temps; contre l’hégémonie soviétique avec le retrait de la Yougoslavie de 1948 avant que la Chine n’ait effectué son retournement contre Moscou et qu’il y ait eu des révoltes en Europe de l’Est; contre l’hégémonie américaine avec l’émancipation de la France après 1960, avec l’hostilité de Cuba, avec la révolte au Vietnam, avec le détournement du monde arabe.
Ces exemples doivent seulement servir à démontrer la casuistique qui entreprendrait de démontrer des phénomènes constants dans le déroulement des rapports interétatiques. Que ces rapports se déroulent dans des cycles et se caractérisent par des étapes typiques est prouvé par la comparaison des événements politico-historiques.
A l’argument éventuel que nous ayons pris, dans l’étude présente, nos exemples étant pour la plupart dans le monde européen et dans le système mondial centré autour de l’Europe bien qu’il y ait eu un monde politique, indépendant et agissant, dans notre siècle sur tous les continents, nous aimerions répondre que les découvertes scientifiques et les règles qui en découlent, se réfèrent toujours sur un modèle fondé sur les mêmes bases. Il n’y a pas de formule universelle, ni pour la nature ni pour le monde social. La parole de Hegel: «Le tout est le vrai» révèle le métaphysicien qui ne s’intéresse qu’à donner un sens à l’histoire universelle. Notre tâche est plus modeste, elle ne peut comprendre que des parts de vérité à l’aide de notre expérience.    •

Source: J. R. von Salis. Geschichte und Politik. Betrachtungen zur Geschichte und Politik. Beiträge zur Zeitgeschichte. Zurich 1971. Orell Füssli Verlag, quatrième partie, p. 143–146.
(Traduction Horizons et débats)

«Heure silencieuse»

Journée riante de printemps, verte,
Que veux-tu donc me dire?
Les grives chantent allégrement,
Comme ivres, proches dans la haie ombreuse.
Mon champ semble rêver,
Sous les arbres où tout se tait
J’entends sonner l’heure silencieuse.

Chaque printemps me l’apporte,
Elle qui remonte, telle un trésor disparu,
Des profondeurs de l’enfance.
Me voilà donc, me promenant
Protégé par des yeux fidèles.
Un parfum vient de loin
Avec le chant secret des cloches:
Tout va bien pour toi, tout va bien pour toi!

Je revois les mains de ma mère,
Usées et dures et pourtant si douces!
Travaillant sans repos,
Donnant et redonnant, et pourtant toujours pleines.
Ses bénédictions et soucis,
Veillent sous les labours,
Changés pour moi en conte de fées.

«A inscrire sur la porte d’étable»

Homme qui règnes en second Dieu
Sur des créatures qui te font confiance:
Veille à ce qu’aucune d’elles ne perde le réconfort,
Ne te laisse jamais dérober ta couronne!

Car la créature dépend
Inconditionnellement de ta grâce,
Courbée sous le joug qui défie la nature,
Elle s’y plie, patiemment.

Mais des yeux te regardent –
Tâche de lire en leur tréfonds!
Qui laisse tarir la confiance,
Aucune prière ne le rachètera.

Les limites qu’Alfred Huggenberger à données à sa vie, à la manière du paysan souverain qui délimite son terrain selon ses propres forces, sont les mêmes qui définissent son œuvre aussi, lui refusant la diversité brillante d’autres visages et paysages; mais précisément par cette mesure, par cette concentration sur lui-même, il lui donne cette valeur d’or qui est l’âme, une valeur qui ne se perd pas, ni s’envole, ni s’évapore.
Elle est là, elle reste. Elle se manifeste en racontant la vie des «petites gens» et des «villageois», elle fleurit par la sensibilité et la pureté des «femmes aimées», elle récolte les rêves dans les «sillons de la charrue» comme des rayons de miel, elle gronde avec les eaux des profondeurs et la voix du sang, comme grondent les «fontaines de la patrie», et autour de lui flottent «la bénédiction de la glèbe» et «le pouvoir secret»; elle comprend les tensions que «le combat de la vie» amène; et tout s’y maintient: l’optimisme, l’acceptation joyeuse de la vie de tous les jours, l’humour et la plaisanterie, les contes de fées de la vieille des forêts, le chant du merle et le silence des champs, les fleurs du jardin estival, d’innombrables figures, des hommes aux bras noueux, à la fois capricieux, étonnants ainsi que droits et combatifs, l’odeur du pain paysan, le vent de mars et les nuages qui passent – et au-dessus de tout cela la prière, la piété, le recueillement, la fête de la moisson, le remerciement des paysans.
Alfred Huggenberger a réorienté notre regard sur la beauté et la richesse de notre terre; il a rendu visible et a chanté l’âme thurgovienne, ses aspirations et ses rêves, ses réalités, ses soucis et son quotidien. Il est devenu, pour la Thurgovie, le bon ami du foyer, à l’instar de Johann Peter Hebel qui a joué le même rôle pour la campagne près de Bâle. Voilà donc son personnage qui nous aborde, entouré du mystère du grand magicien qui déroule l’image de la campagne d’un grand geste; mais ce qui a transformé les rencontres avec Alfred Huggenberger en des événements tout à fait remarquables, ne réside pas dans son extérieur modeste, son allure, ses vêtements, ni dans ses paroles dont l’humour retentit en nous: c’est son visage qui vit dans notre âme et qui ressort, clair et proche, chaque fois que nous pensons à lui ou que nous feuilletons ses livres; le visage d’un paysan qui se donnait de la peine pour son terroir. Mais dans ce visage, le spirituel s’est inscrit, lui ôtant tout trait dur, toute raideur, l’illuminant de l’intérieur et l’animant, occupant ce front haut, ces yeux chaleureux qui savent regarder si intelligemment et son sourire espiègle; c’est sa faculté d’écouter comme en s’oubliant lui-même; c’est également sa mimique quand il raconte une petite histoire ou récite des vers sur le bonheur et les délices liés à son travail …
Il n’y a peu de temps encore – nous étions debout là-haut, devant sa maison à Gerlikon dans le canton de Thurgovie – et j’avais l’impression d’avoir un roi secret à côté de moi, avec une couronne invisible, qui désignait d’un grand geste le terroir en disant: «Tout cela vit par moi. J’ai formé ce terroir, le petit mur là-bas, le petit sentier qui conduit au bas de la vallée, les pommiers; c’est moi qui suis descendu dans les profonds couloirs des eaux, écoutant le bruit des flots. Ce terroir, il vit profondément en moi. Je tiens dans mes mains ces mottes de terre – ma terre que j’ai cultivée et appris à connaître. Je grandis sur ce sol comme l’arbre. Oh, j’ai suivi les gens, les portant dans mes yeux et dans mon cœur en leur rendant les richesses et les beautés de leur patrie.»
Parle-t-il vraiment ainsi? Ah non, il est resté le paysan simple et modeste, au visage intelligent et aux yeux gardés jeunes, bavardant dans notre patois local.
Mais, je n’oublierai jamais son visage, plein d’ardeur et priant, quand, dans une église, il lisait ses poèmes en remerciement pour la moisson et le pain. A l’époque il me semblait, transporté par la magie de la parole, qu’il n’était pas seul à prier, mais que la paroisse tout entière priait avec lui. Le spirituel traverse la poésie d’Huggenberger et l’élève dans la lumière de l’humanité.

Source: Alfred Huggenberger erzählt sein Leben, theaterverlag elgg, Belp 2000, p. 19–22.