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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°5, 7 février 2011  >  La Suisse, nation fondée sur la volonté [Imprimer]

La Suisse, nation fondée sur la volonté

 

par Paul Widmer*

La Suisse multilingue n’est pas née le long des frontières linguistiques, mais en tant que démocratie «de bas en haut»: la haute autoresponsabilité des communes et des cantons était indispensable pour la naissance de la Suisse en tant que nation fondée sur la volonté. Le fédéralisme est également inéluctable pour l’existence de la Suisse.

La Suisse est le cas classique d’une nation fondée sur la volonté. Elle ne possède ni langue ni religion commune mais une volonté politique commune, qui la soude. Une nation fondée sur la volonté a besoin bien sûr d’un but. Il ne suffit pas de vouloir, on doit savoir ce qu’on veut. La volonté doit s’orienter vers quelque chose. De quoi s’agit-il en Suisse? Tout simplement: la liberté. Les Suisses allemands et les Romands, les Tessinois et les Rhétoromans, eux tous forment une nation afin de profiter d’un maximum de liberté politique. Si la liberté en Suisse n’était pas plus grande que celle existant dans les autres pays environnants, alors la nation fondée sur la volonté serait en danger.

Fédéralisme

Ce n’est pas facile de former une nation fondée sur la volonté. Au moins deux conditions doivent être remplies. La première concerne la forme de l’Etat. Sans fédéralisme, il n’y aurait pas de Suisse multilingue. Là où quatre langues et cultures cohabitent, la capitale doit être très prudente avec ses directives. La Suisse n’est pas un Etat décentralisé, mais un pays non centralisé, pas une démocratie de haut en bas mais une démocratie de bas en haut. Tous les Etats nationaux ont tendance à renforcer le pouvoir central. Il est plus difficile de soigner la société civile. Une démocratie vivante «d’en bas» suppose des citoyens prêts à prendre en grande mesure la responsabilité pour le bien commun. L’attitude soigneuse entre les Suisses parlant différentes langues est de partout digne d’attention. Les Suisses ne sont pas plus tolérants que d’autres peuples, mais ils ont de respect de l’autonomie des communes et de la souveraineté des cantons. C’est la recette de notre paix linguistique. La disposition anticentraliste soude la nation.
Ainsi, on en vient à la deuxième condition: Une nation issue de la volonté poli­tique commune suppose une culture politique déterminée. En Suisse, celle-ci s’exprime – toutefois ces dernières années avec d’âpres égrati­gnures – dans l’engagement des citoyens, l’auto-responsabilité, un penchant pour le processus consensuel et une politique extérieure retenue. Cette culture a évolué au fil des siècles. La solidarité nationale en Suisse au-delà des frontières linguistiques est passablement bien. Cependant, il y a deux évolutions problématiques. La première concerne le changement du terme de minorités. Celui-ci est réduit de plus en plus à la langue. Autrefois, cela plaisait à la Suisse de former une unité constituée de nombreuses minorités – «un Etat, deux religions, trois cultures et quatre langues». Il était important qu’il existe deux appartenances marquantes: la religion et la langue. Et ces deux ne se recouvraient pas. La plupart appartenaient à une constellation quelconque constituant une minorité et à une autre constituant la majorité. C’est pourquoi, on pensait peu en Suisse en catégories majorité et minorité. Cela a changé. L’appartenance à une confession est devenue pratiquement insignifiante et la langue reste comme seul critère.
En outre, le profil particulier des cantons s’amenuise. Les parties du pays sont de plus en plus divisées en blocs linguistiques: ici la Suisse alémanique, là la Romandie, là-bas le Tessin. On enregistre avec une méticulosité pointilleuse, qui reçoit quelle part du gâteau étatique. Toutefois, les points communs au-delà des frontières linguistiques ne sont-ils pas souvent plus marqués qu’au sein de la communauté linguistique correspondante? Les Bâlois et les Appenzellois ou les Genevois et les Bas-valaisans n’ont pas forcément les mêmes intérêts. La réduction de la diversité confédérale à des blocs linguistiques est dangereuse.
Le deuxième grand risque part de la perte du prestige du Français. Le Français était autrefois une langue internationale: Aujourd’hui, elle devient de plus en plus ce que l’Allemand était depuis toujours, à savoir une langue régionale importante. C’est un développement mondial, auquel la Suisse ne peut pas se soustraire. Cependant, elle ressent les effets plus fortement que les pays non francophones ou les pays francophones à part entière. Car la Suisse est dépendante du fait que ses habitants soient motivés à ap­prendre les autres langues nationales. En Romandie, l’allemand a toujours eu peu de prestige. L’envie des élèves à apprendre l’allemand est par conséquent faible. Maintenant, des conditions semblables menacent en Suisse allemande. Avec la dominance de l’anglais, beaucoup considèrent comme inutile d’apprendre le français. Ainsi, le risque que les Suisses se détachent les uns des autres s’accroît peu à peu. Pour y obvier, l’apprentissage d’une deuxième langue nationale doit, dans notre pays, appartenir à chaque curriculum de formation. – Finalement, la Suisse ne doit jamais oublier une simple règle, au moyen de laquelle elle a toujours fait de bonnes expériences: La plus grande communauté linguistique devrait se comporter généreusement à l’égard des plus petites, leur accorder dans la vie politique plus que seulement la proportion correcte. Cela paraît être simple, c’est simple en fait. Cependant, combien de conflits de minorités auraient pu être épargnés, si cette simple règle avait été appliquée?

Droits politiques et liberté

La Suisse en tant que nation basée sur la volonté s’est développée à l’encontre de la tendance européenne. Presque toutes les nations se sont formées autour d’une langue. Pas la Suisse. Le noyau de la nation est formé ici par les droits politiques, la liberté politique. La langue se situe au second plan. La Suisse multilingue a pu cependant naître parce qu’elle n’est jamais tombée dans le tourbillon de l’absolutisme. Elle a toujours été – parfois plus ou parfois moins – une démocratie «de bas en haut» et a tenu à la haute autonomie des communes et des cantons. Le fédéralisme a été, pour la naissance de la Suisse en tant que nation basée sur la volonté, une condition sine qua non. Il en va de même pour sa préservation.    •

Source: Avec l’aimable autorisation de la Neuen Zürcher Zeitung: NZZ du 27/1/11
(Traduction Horizons et débats)

 *    Paul Widmer, ambassadeur, est représentant permanent de la Suisse auprès du Conseil de l’Europe
et auteur du livre «Die Schweiz als Sonderfall. Grundlagen, Geschichte, Gestaltung.» [La Suisse un cas d’exception. Fondements, histoire, organisation] 2. Edit., NZZ-Libro, Zurich 2008