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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°10, 12 mars 2012  >  «Nous vivons sous la menace d’une spirale diabolique» [Imprimer]

«Nous vivons sous la menace d’une spirale diabolique»

Une interview de Fredmund Malik

Des stratégies radicalement mauvaises se sont répandues comme une épidémie

par Ingo Narat

Fredmund Malik est un économiste et auteur de livres connu. Dans cette interview, l’Autrichien explique en quoi il voit les raisons de la crise et pourquoi celles-ci sont tellement dangereuses. Son pronostic est sombre: l’effondrement menace les bourses. Il y a des défaitistes et aussi des personnes dont l’opinion dépasse encore leurs pronostics sceptiques. Fredmund Malik fait partie de cette clique. Il est économiste scientifique et directeur du «Malik Management Zentrum» à
St-Gall.

Handelsblatt: Nous sommes toujours bloqués dans la crise financière. Où en voyez-vous, en tant que conseiller d’entreprise, les causes?

Fredmund Malik: C’est le surendettement et le mauvais pilotage économique comme conséquence d’une fausse direction d’entreprise et de stratégies radicalement fausses. Ce management erroné est enseigné depuis des décennies dans les écoles d’affaires (business schools) et il s’est répandu comme une plaie. Il est également responsable du fait que de plus en plus de têtes intelligentes ne sont pas allées dans l’économie réelle, mais dans l’économie financière. Il s’agit entre autres aussi de système de bonus qui détruisent l’économie et qui aiguisent de faux intérêts. Dans les entreprises, cela a entraîné beaucoup d’amertume, de mépris et de luttes fatales, phénomènes que les dirigeants d’entreprise ne perçoivent pas du tout. De larges fossés se sont ouverts dans les cultures d’entreprises. Et cela en un temps où les entreprises auraient besoin de la confiance toute entière.

Quelles ont été les prémices de cette situation?

Dans la pensée du «Shareholder-value» (pensée axée sur la valeur boursière). En 1986, la publication d’un livre la rendit populaire. Mais la valeur boursière n’est pas du tout un critère d’appréciation d’une prestation économique réelle et elle induit les cadres dirigeants systématiquement en erreur. Le soi-disant boom économique de la fin du siècle passé se basait sur le crédit. Les banques d’émission ont mené une politique totalement fausse avec leur politique des bas crédits. La ­pensée en dimensions financières prit le dessus, même dans la direction d’entreprise. Exprimé de façon cynique: l’homme a été dégradé au niveau du montant en espèces de son assurance-vie, moins les frais d’enterrement. C’est ainsi que nous sommes parvenus en fait à des systèmes de motivation faux, lesquels ont été propagés par les écoles et surtout par les conseillers d’entreprises.

Pourquoi était-ce si séduisant en pratique?

«Shareholder-value» signifie: nous voulons faire de l’actionnaire quelqu’un de riche. Mais ça ne doit pas être le but d’une entreprise, bien que ça puisse aussi être un résultat. Il est séduisant de juger une entreprise selon des chiffres financiers de référence parce que ça semble si simple. C’est beaucoup plus simple que de parler par exemple d’innovations ou de stratégies – alors que ça c’est décisif. Les chiffres financiers de référence n’aident pratiquement pas, parce qu’ils ne reflètent la réalité qu’à court terme. J’affirme même que plus les chiffres opératifs son bons, plus l’entreprise occupe une position dangereuse. L’ancien chef de Daimler, Jürgen Schrempp, a par exemple enterré des montants en milliards à deux chiffres en rachetant Chrysler. Ferdinand Piech de VW ou Helmut Maucher de Nestlé sont des contre-exemples.

Que peut-on faire contre le surendettement?

Il faut en priorité des méthodes innovantes dans le fonctionnement de l’organisation et du management. On devrait aussi fermer temporairement la plupart des facultés économiques des universités et des business-schools et se demander, avant un nouveau départ: pourquoi vous, les scientifiques, avez-vous toléré cela et ne l’avez-vous pas remis en question? Nous avons vécu dans une période de pollution systématique de la conscience. Le monde était modelé par des personnes qui ne se percevaient eux-mêmes et le globe qu’à travers la dimension de l’argent, qui évaluent tout en argent. Une facette de cette façon de faire fait que nous avons développé la bourse en un infotainment séduisant. Ça a causé des dommages supplémentaires. Au tournant du siècle, à la fin de la grande hausse, bien des gens ont acheté des actions en passant surtout par les fonds de pension, et à présent ils subissent des pertes qui n’en sont qu’à leurs débuts.

L’indice boursier allemand est menacé d’une dégringolade radicale

Comment les entreprises et les banques ont-elles perdu pied?

Elles ont été dopées par des crédits. De nos jours, quand des entreprises se financent à 100 pourcent par leur capital propre, les analystes secouent la tête. Puisque le credo c’est: Il faut doper le rendement du capital propre par des capitaux étrangers. C’est exactement cette tendance qui a conduit à un endettement massif des ménages, des entreprises, des banques et finalement de l’Etat. Et bien entendu cette course aux dettes était aussi responsable de la forte hausse des marchés boursiers. Le secteur financier s’est fortement éloigné de ses origines. A l’origine, il devait financer les investissements et le commerce. Mais dès la fin des années 1990, le volume des affaires financières pures s’élevait de cent à mille fois de ce dont l’économie réelle aurait eu besoin.

Où situez-vous la relation entre dettes et marchés financiers?

Les crédits et la cupidité poussaient ce marché financier à crever. En revanche, on enseignait dans les écoles: la hausse est une conséquence naturelle de la direction d’entreprise cou­ronnée de succès. C’est pourquoi il y aura une mauvaise surprise quand les cours redescendront au niveau du début de la hausse, ce qui s’est toujours produit dans des situations semblables. Pour l’index Dow-Jones, cela signifie: à 1000 points. Pour l’indice boursier allemand, ça fait environ 500 numérateurs. Bref: moins qu’un dixième des valeurs actuelles.

Du point de vue actuel, cela semble impossible …

La crise en tant que telle parut impossible à la majorité des gens. Je m’attends à une poursuite de l’effondrement des marchés financiers. Si on n’engage pas des nouvelles méthodes révolutionnaires, la suite sera probablement la plus grande dépression déflationniste de l’histoire. Cela signifie un recul massif de la production économique et par conséquent des rentrées fiscales. S’en suit un enchaînement de faillites bancaires et de faillites d’Etats. Ce qui est certain, c’est que les entrepreneurs n’investiront plus dans un environnement pareil. J’attends le niveau zéro pour 2015 ou 2016. Alors, la production économique sera de 30 à 50 inférieure à aujourd’hui. Je m’attends en même temps à un changement des valeurs de grande amplitude; entre autre, l’égoïsme néolibéral sera remplacé par un nouvel esprit de solidarité.

Où l’endettement et l’évolution des cours se recoupent-ils?

Des cours d’actions à la baisse et des prix de matières ne sont un problème que si les positions sont basées sur un crédit excessif – ce qui est le cas aujourd’hui. Même si le cours des actions ne baisse que faiblement, le propriétaire doit réinjecter de l’argent. S’il ne peut pas, la banque sera obligée de liquider la position, donc de vendre le stock. C’est ainsi que se développe une spirale descendante diabolique qui tourne de plus en plus vite et qu’on ne peut pas stopper avec des moyens traditionnels. Les marchés durablement baissiers sont donc exactement aussi exagérés que les hausses l’étaient auparavant.

La globalisation est en partie annulée

L’actuelle politique de lutte contre la crise a-t-elle échoué?

Jusqu’à présent, oui. On essaie de sauver le vieux monde et on continue de donner des verres d’eau-de-vie à l’alcoolique. Comme je l’ai expliqué, les causes remontent loin dans le passé. Dans leur croyance en une aisance éternelle, les Américains ont empilé des dettes publiques. Comme je l’ai décrit, ce sont avant tout les entreprises financières qui ont eu exactement ce comportement. Alan Greenspan, l’ancien président de la banque d’émission, a manqué la dernière chance de correction avec sa politique de taux d’intérêt bas et au lieu de ça, il a provoqué une bulle des marchés immobiliers et d’emprunts. Aujourd’hui, les USA occupent, en termes d’économie réelle, la position d’un pays en voie de développement.

Que signifie cette sombre perspective déflationniste?

D’abord, la liquidation de crédits insoutenables. Le volume devrait se situer dans un ordre de grandeur de nettement plus de 100 billions de dollars. Nous parlons d’une obligation de vendre chez toutes les catégories de fortunes: actions, emprunts, participations d’entreprises, matières premières, même des biens immobiliers qui peuvent aussi ­tomber jusqu’à un dixième de leur valeur maximale.

Et l’investisseur?

Lui, il a peu d’options. Sur la durée, l’argent prendra de la valeur. C’est pourquoi l’investisseur devrait conserver son argent cash, dans une bonne monnaie, auprès de sa banque. Plus tard, il doit le déposer à son domicile pour ne pas se faire attraper lors d’une ruée sur les banques. Les systèmes de sécurité de dépôts sont conçus bien trop petits. J’estime que plus de la moitié des instituts deviendront insolvables.

Quelles sont les évolutions sociales auxquelles nous devons nous attendre?

Avec de nouvelles méthodes, on peut avoir le potentiel d’un nouveau miracle économique et d’une nouvelle stabilité sociale. Mais si on continue comme jusqu’ici, l’Amérique s’isolera, l’Union européenne perdra de sa cohésion et se disloquera. Nous allons vers une époque de protectionnisme. La globalisation sera en partie annulée. En politique, la radicalisation constitue un grand danger.

Je vous remercie de cet entretien.    •

Source: Handelsblatt du 26/2/12
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Natif du Vorarlberg, Fredmund Malik (* 1944) est un économiste dont l’activité scientifique principale est axée sur la théorie du management, et il possède et dirige une maison de conseil en management à St-Gall. Il utilise entre autres, des points de départ théoriques systématiques et cybernétiques dans l’analyse et la présentation des systèmes de management. Auparavant il enseigna à l’Université de St-Gall, dont il est encore professeur titulaire d’économie d’entreprise avec comme point fort la théorie de la direction d’entreprise.
Malik a toujours considéré l’économie dans sa dimension personnelle et il a toujours respecté les relations interpersonnelles et la confiance comme principe de direction dans l’entreprise. C’est le contraire des systèmes de management américains qui se fondent sur le contrôle de gestion, donc sur une autre image de la personne.
Il fait partie de ceux qui n’ont pas besoin de se cacher derrière l’argument paresseux qui dit que «personne n’a vu venir la crise économique». Nous avons montré dans le numéro 10/2009 d'Horizons et débats, qui a attiré assez tôt l’attention sur la crise actuellement manifeste et qu’il ne s’était pas agi d’un «ne pas pouvoir savoir» mais au contraire d’un commode «ne pas vouloir savoir». En 2004 déjà, dans le cadre d’un séminaire d’un jour portant sur le sujet les «situations économiques actuelles des USA», Malik a présenté de façon lucide les grandes questions de l’économie mondiale endettée et il a minutieusement pronostiqué les processus de dégradation. On peut consulter cette documentation chez lui ou à la rédaction. Dans des séminaires, des interviews ou en cercle fermé, il a attiré l’attention sur les risques et les inéluctabilités. En se fondant sur une image personnelle de l’homme, il offre des formations au management. Elles sont toutes largement supérieures à tous les MBA, par leur lien avec la pratique, leur lien à la terre, leur bon sens et leur expérience acquise dans l’économie productive.
(www.malik-mzsg.ch)