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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°34, 11 novembre 2013  >  La Commission de politique extérieure déclare la demande d’adhésion à l’UE comme nulle et non avenue [Imprimer]

La Commission de politique extérieure déclare la demande d’adhésion à l’UE comme nulle et non avenue

Refus catégorique de la reprise du droit européen

Interview du conseiller national Roland Rino Büchel, membre de la Commission de politique extérieure du Conseil national, UDC St-Gall

thk. Fin octobre, la «Commission de politique extérieure du Conseil national» (CPE-N) a tenu une séance au cours de laquelle ont été traitées d’importantes questions touchant à la politique européenne. Le conseiller fédéral, Didier Burkhalter, qui avait fait parler de lui ces derniers temps du fait de sa politique complaisante envers l’UE et sa volonté marquée de rapprochement avec l’alliance belliciste qu’est l’OTAN, se fit rappeler à l’ordre par la CPE-N dans plusieurs points importants concernant son programme politique qui n’a que peu de soutien à l’intérieur du pays.

Horizons et débats: Lors de la dernière séance de la CPE-N, la majorité des membres a remis un mandat de négociation avec l’UE au conseiller fédéral Didier Burkhalter, afin de trouver une solution dans le cas de la question institutionnelle. Comment comprenez-vous cette approbation?

Roland Büchel: D’abord, nous avons dû corriger le Conseil des Etats. Sa Commission compétente avait, avant notre séance, remis un quasi blanc-seing à Burkhalter pour mener ces négociations. En fait par 10 voix contre 0, avec 2 abstentions. Puis, on nous a dit qu’il ne s’agissait en fait que d’envoyer une lettre au Conseil fédéral.

De quelle sorte de lettre s’agit-il et quel en est le contenu?

Le contenu de cette missive semble être gardé comme un secret d’Etat, à tel point que nous-mêmes, membres de la CPE-N, n’en avons pas eu connaissance. Je suis heureux qu’au sein de la Commission du Conseil national, nous ayons pu en débattre de façon sérieuse et énergique. Finalement, le mandat de négociation fut décidé avec des limites claires, cela par 14 voix contre 6 et une abstention. J’étais l’un des six qui s’y sont opposés.

Qu’est-ce que cela signifie pour la politique européenne de Didier Burkhalter?

La Commission a donné des indications catégoriques. Elle a même déclaré la demande d’adhésion à l’UE comme «nulle et non avenue». Les négociateurs de l’administration doivent maintenant agir dans ce sens et dans cet esprit.

La Commission a-t-elle mis d’autres limites?

Oui. Le Conseil fédéral a souvent ­évoqué le «marché intérieur», dans lequel nous devrions entrer. Cependant, cela aurait clairement pour conséquence la reprise du droit européen. La Commission s’y est opposée. L’«accès au marché» et le «marché intérieur» sont deux choses bien distinctes.

C’est une différence décisive. S’est-on contenté d’en discuter ou a-t-on pris des décisions?

On a pris des décisions par 13 voix contre 1 et 7 abstentions. On ne peut être plus clair. A nous, maintenant, de veiller à ce que ces votes restent effectifs, c’est très important. Malgré tout: les décisions de la Commission n’ont qu’un caractère de recommandation.

Peut-on dire que la Commission a, malgré la remise du mandat de négociations, clairement délimité les activités du conseiller fédéral Burkhalter?

La Commission a en effet déclaré expressément que la Suisse ne peut conclure des accords qui portent atteinte à sa souveraineté: elle ne peut s’engager à reprendre automatiquement le droit européen ni se soumettre à la juridiction de l’UE ou de l’EEE. Les signaux sont clairs.

Quelle a été la réaction du conseiller fédéral?

Je ne veux pas trahir la Commission, mais le conseiller fédéral Burkhalter a donné l’impression qu’il pouvait accepter cette décision.

De ce fait la question institutionnelle devrait être balayée. Pas de juges étrangers, pas de reprise du droit européen. Ainsi, l’idée de s’adresser à la Cour de justice de l’Union européenne lors de litiges, pour la prier de donner son avis, n’est avec ces restrictions guère réaliste.

C’est bien mon avis. Le président de la Cour de justice a été on ne peut plus clair: «Nous ne délivrons pas d’expertises, nous jugeons.» C’est ainsi. Les expertises sont à prendre ailleurs, mais certainement pas auprès de la Cour de justice. Mais attention! On y parle d’«expertises», alors que ce sont des jugements.

Dans ce contexte, la Cour de justice utilise souvent le terme de «mesures compensatoires». De quoi s’agit-il, quelle en est la signification?

La question qui se pose est: «Qui a créé ce terme?». Il me semble que ce sont les Suisses qui ont trouvé ce terme édulcorant, alors qu’il s’agit en réalité de sanctions, qui peuvent être rudes.

Pensez-vous que notre pays serait disposé à les accepter?

Il n’est pas dans la tradition de la Suisse de s’engager, puis de déclarer que cela ne nous regarde pas. Nous sommes en tête de ceux qui acceptent tout ce qui touche au droit international pour le mettre en pratique. Souvent même avec quelque anticipation, mais toujours avec tout le sérieux requis. Au fond, c’est heureux. Car lorsqu’on convient de quelque chose, on tient parole. C’est bien la raison pour laquelle il n’est pas question pour nous que la Cour de justice de l’UE fonctionne comme une Cour destinée à régler nos différends.

En prenant la décision de ne pas mettre le pays sous la juridiction de l’UE, ni de l’EEE, la Commission s’est opposée aux ambitions de Didier Burkhalter.

Absolument. Ce fut pour moi une heureuse surprise de constater ce fait. Je suis tout de même curieux de voir comment M. Burkhalter va s’y prendre pour réunir les deux bouts, et s’il possède encore un joker. Mais selon les rumeurs, il a vraiment un penchant pour la Cour de justice de l’UE.

N’y a-t-il pas un fossé entre ce qui a été dit et ce qui va probablement se passer?

Si. Mais je trouve intéressant aussi qu’il ne se passe pas ce qui est pourtant courant dans le droit privé.

Vous pensez à quoi?

A un tribunal paritaire mixte, qui serait la solution la plus proche.

Et pourquoi refuse-t-on de l’envisager et de négocier dans ce sens?

Posez la question à M. Burkhalter!

Comment peut-on freiner la tendance marquée de M. Burkhalter à se rapprocher de l’UE?

Il y aura un vote. Toutefois, on ne sait pas encore actuellement quel texte sera en fin de compte présenté aux citoyens et citoyennes. Je pars de l’idée que cette votation aura lieu en 2015.

En réalité, ce n’est pas l’UE qui a mis la question institutionnelle sur le tapis, mais bien la Suisse. Comment comprenez-vous cela?

Il vous faut poser la question à M. Burkhalter ou à M. Rossier. J’ai l’impression que le secrétaire d’Etat du Département fédéral des Affaires étrangères joue un rôle important. Tout ce qui se passe au niveau de l’administration est important. Tout ce que nous entendons actuellement concernant un rattachement institutionnel à l’UE vient de là.

L’administration veut donc se rapprocher de l’UE?

A mon avis, des gens comme Rossier y travaillent, même si le secrétaire d’Etat du DFAE a été remis à l’ordre après sa déclaration (sincère) de cet été. Au sujet de la Cour de justice de l’UE, il avait alors déclaré de façon univoque que cela revenait pour nous à avoir des «juges étrangers».

Il n’est tout de même pas possible que l’administration poursuive sa route vers l’UE sans avoir de mandat?

C’est bien pourquoi deux décisions m’ont réjoui. D’une part que la CPE-N ait décidé que la Suisse ne prévoit pas de participer au marché intérieur de l’UE et que la demande d’adhésion de la Suisse à l’UE ait été déclarée nulle et non avenue.

Est-ce que les gens du DFAE, notamment leurs négociateurs, le savent?

Je suppose qu’entretemps, on leur a communiqué cette décision. Pour en être sûr, je remettrai la question sur le tapis lors de l’heure des questions du Conseil national. Il vaut mieux deux fois qu’une.
Il est tout de même étonnant que, vu les circonstances, il y ait encore des gens qui souhaitent une adhésion à l’UE.
La clarification de la question du rattachement institutionnel est déterminante. Cette question est primordiale. Il en va de l’avenir de la Suisse. La situation ressemble à celle de 1992, lorsqu’il s’agissait du vote concernant l’EEE en tant que «camp d’entraînement en vue de l’adhésion à l’UE».

On a l’impression qu’on tente de se glisser vers l’UE en catimini.

C’est aussi mon impression. C’est d’ailleurs conçu ainsi. Et on aura vite fait de prétendre qu’il n’est plus possible de revenir en arrière. Cette façon de procéder est moins honnête que celle de ceux qui déclarent ouvertement que leur but est une adhésion à l’UE. Avec ces derniers on peut au moins discuter.

Et avec les autres?

Ce que les «partisans cachés» d’une adhésion proposent est dangereux pour le pays. Soyons clairs une fois pour toutes: l’UE d’aujourd’hui est une construction erronée. Cela ne devrait plus être, mais c’est malheureusement le cas.

N’avons-nous pas besoin également d’une armée défensive digne de ce nom pour tenir tête à la pression constante de l’UE?

Les pressions ne viennent pas que de l’UE. On vient de vivre au cours de ces dernières semaines le fait que certains Etats, prétendûment nos «amis», se comportent en réalité véritablement de manière hautement désagréable.

A quoi pensez-vous concrètement?

Le fait que certains gouvernements espionnent des institutions internationales, d’autres Etats, voire les citoyens eux-mêmes n’est pas nouveau. Mais c’est le comble de l’ironie qu’un homme comme Obama, prix Nobel de la paix, soit le responsable suprême des écoutes illégales dans beaucoup de pays «amis». Avec de tels «amis», on doit rester vigilant. Y compris en matière de défense du pays. Le monde est fortement secoué, à notre grand dam. C’est pourquoi il est nécessaire de posséder une armée forte.

Monsieur Büchel, nous vous remercions de cette interview.     •

Interview réalisée par Thomas Kaiser